Date : 19991216
T-2424-98
OTTAWA (ONTARIO), LE 16 DÉCEMBRE 1999
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ
E n t r e :
RICHCRAFT CONSTRUCTION LTD.
demanderesse
- et -
COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE
défenderesse
ORDONNANCE
La requête présentée par la demanderesse en vue d"obtenir l"autorisation de modifier sa déclaration et d"obtenir le prononcé d"une injonction est rejetée avec dépens.
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
Date : 19991216
T-2424-98
E n t r e :
RICHCRAFT CONSTRUCTION LTD.
demanderesse
- et -
COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE
défenderesse
MOTIFS DE L"ORDONANNCE
LE JUGE DUBÉ
[1] La demanderesse Richcraft, une entreprise de construction domiciliaire d"Ottawa, sollicite le prononcé d"une ordonnance l"autorisant à modifier sa déclaration modifiée et lui accordant une injonction interdisant à la défenderesse (la CCN) et à ses mandataires de lancer un appel d'offres d'achat avec soumission de prix relativement à deux terrains situés à Ottawa pour lesquels l"ouverture des plis est déjà prévue pour vendredi prochain, le 17 décembre 1999.
1. Les faits
[2] Par avis de vente publié en octobre 1998, la CCN a offert de vendre quatre terrains par voie d"appel d"offres. Richcraft a présenté une soumission datée du 12 novembre 1998 pour un montant de 4 650 000 $ pour les quatre parcelles. Son offre était la soumission la plus élevée portant sur la totalité des quatre parcelles, mais elle venait au second rang derrière d"autres offres portant sur des parcelles déterminées. En tout, dix soumissions ont été présentées.
[3] La CCN a examiné toutes les offres et a avisé les soumissionnaires qu"elle ne pouvait recommander l"approbation de l"une ou de l"autre des soumissions, étant donné que les prix offerts étaient inférieurs à ceux qui avaient été prévus. La CCN a ajouté qu"elle enverrait au cours des prochains jours une invitation à soumissionner ne portant que sur les parcelles 1 et 2 et qu"elle inviterait les soumissionnaires à soumettre une offre pour une des deux parcelles ou pour les deux. L"ouverture des soumissions portant sur les deux parcelles en question est prévue pour vendredi prochain. Ce sont les deux ventes que Richcraft veut empêcher au moyen d"une injonction.
2. L"offre de vente de la CCN
[4] L"appel d"offres de la CCN était accompagné d"annexes dans lesquelles les modalités pertinentes suivantes étaient stipulées :
[TRADUCTION] |
a) Les parcelles peuvent être achetées à l"unité, en groupe ou en totalité. |
b) La Commission de la capitale nationale se réserve le droit de rejeter toutes les offres ou l"une quelconque d"entre elles, y compris la plus élevée. |
c) La vente de la propriété est assujettie à l"approbation des autorités internes et gouvernementales compétentes. |
d) Si, à la suite de l"appel d"offres, elle ne reçoit aucune soumission dont elle est prête à recommander l"approbation par les autorités internes et gouvernementales compétentes, la Commission de la capitale nationale a la faculté de mettre l"immeuble en vente par voie d"appel d"offres ou de disposer de l"immeuble autrement, notamment en le vendant directement à toute autre personne. |
e) En cas de soumissions identiques jugées acceptables par la Commission de la capitale nationale, chacun des soumissionnaires aura la faculté de présenter une nouvelle offre. La soumission la plus élevée jugée acceptable par la Commission de la capitale nationale fera l"objet d"une recommandation d"autorisation par les autorités internes et gouvernementales compétentes. Si aucun des soumissionnaires ayant présenté une soumission identique ne présente une nouvelle offre ou si les soumissionnaires en question présentent une fois de plus des soumissions identiques, la Commission de la capitale nationale a la faculté d"annuler l"appel d"offres ou de lancer un nouvel appel d"offres. |
[5] Ainsi qu"il a déjà été précisé, l"offre de 4 650 000 $ de Richcraft n"était pas l"offre la plus avantageuse pour la CCN sur le plan financier, car la meilleure offre était une combinaison de quatre autres soumissions totalisant 4 688 302 $. En tout état de cause, la CCN a estimé qu"aucune des offres qu"elle avait reçues n"était suffisamment intéressante pour qu"elle en recommande l"approbation par les autorités internes et gouvernementales compétentes.
[6] En réponse aux questions qui lui ont été posées lors du contre-interrogatoire qu"il a subi au sujet de son affidavit, M. Robert Curry Wood, le vice-président de la Direction de l"aménagement de la capitale et de la gestion de l'immobilier à la CCN a déclaré, au sujet de la valeur des terrains, que la CCN disposait de diverses valeurs oscillant entre sept et huit millions de dollars pour la densité que la CCN avait été prévue. Un document que la CCN avait préparé en vue de l"appel d"offres montre que la CCN avait estimé de la façon suivante la valeur des terrains en se fondant sur la demande du marché et sur des prévisions de planification :
Valeur estimée selon la demande du marché 7 209 780 4 759 780 5 984 780
Indice de valeur selon les prévisions de planification
Valeur estimée selon la demande du marché 7 209 780 4 759 780 5 984 780
Moins 125 maisons sur parcelle 3 1 755 375 1 130 375 1 442 875
Plus 420 app. @ 8 000 $ - 10 000 $ 4 000 000 3 360 000 3 780 000
Moins 162 maisons sur parcelle 4 2 274 966 1 464 966 1 869 966
Plus 202 maisons 2 836 686 1 826 686 2 331 686 |
Valeur estimative d"après prévisions de planif. 10 216 125 7 351 125 8 733 625 |
[7] Le 23 décembre 1998, Richcraft a déposé sa déclaration dans la présente affaire et le 18 février 1999, la CCN a signifié sa défense. Dans sa déclaration, Richcraft a choisi de ne demander que des dommages-intérêts. Elle n"a pas sollicité d"exécution intégrale ou d"injonction. Elle s"est contentée de réclamer son manque à gagner et la perte de placements devant servir à construire et à vendre des maisons en rangée. Le 12 mai 1999, la CCN a signifié une requête en jugement sommaire en vue de faire rejeter la demande de Richcraft, mais l"audition de cette requête a, à la demande de Richcraft, été reportée au 15 décembre 1999, puis au 2 mai 2000. La CCN a consenti à ces ajournements à la condition que Richcraft ne fasse aucune autre démarche. Peu de temps après que la CCN eut annoncé la vente de deux des terrains, Richcraft a présenté la requête en injonction dont nous sommes saisis.
3. Injonction
[8] Il est de jurisprudence constante qu"il faut répondre aux trois critères suivants pour pouvoir obtenir la réparation en equity que constitue l"injonction :
(i) il doit y avoir une question sérieuse à juger ; |
(ii) le requérant subira un préjudice irréparable si l"injonction demandée n"est pas prononcée ; |
(iii) la prépondérance des inconvénients favorise le requérant. |
3a) - Question sérieuse à juger
[9] La clause de réserve stipulée dans les annexes jointes à l"appel d"offres prévoit dans les termes les plus nets que la CCN a le droit de rejeter toutes les offres ou l"une quelconque d"entre elles, y compris la plus élevée. Comme nous l"avons vu, l"appel d"offres comporte d"autres clauses de réserve telles que celle qui prévoit que la vente de la propriété est assujettie à l"approbation des autorités internes et gouvernementales compétentes. Il ressort à l"évidence de ces clauses que la CCN n"est nullement tenue de retenir la soumission la plus élevée1.
[10] Dans l"arrêt M.J.B. Enterprises c. Defence Constr.2, la Cour suprême du Canada examinait un processus d"appel d"offres et une clause de réserve qui prévoyait que la soumission la plus basse ou toute offre ne serait pas nécessairement acceptée. Dans cette affaire, il était acquis aux débats que l"offre qui avait été retenue n"était pas conforme, étant donné que le soumissionnaire n"avait pas respecté toutes les conditions stipulées dans l"appel d"offres. La principale question en litige dans cet appel était celle de savoir si l"inclusion d"une clause de réserve dans le document d"appel d"offres permettait à l"intimée d"écarter la soumission la plus basse au profit de toute autre soumission, même une soumission non conforme. Le juge Iacobucci a procédé à une analyse générale des règles de droit régissant les appels d"offres en commençant par l"arrêt Ron Engineering3 de la Cour suprême. Voici ce qu"il a dit au sujet des soumissions non conformes : " Je conclus donc que la clause de réserve est compatible avec l'obligation de n'accepter qu'une soumission conforme [...] La clause de réserve est incompatible avec l'obligation de ne retenir que la soumission la plus basse. Eu égard à cette dernière affirmation, c'est la clause de réserve qui doit l'emporter ". Il a également affirmé que " [l]e pouvoir discrétionnaire supplémentaire de ne pas attribuer le contrat est vraisemblablement important pour couvrir les imprévus ".
[11] En l"espèce, l"offre de Richcraft était conforme. Elle n"a pas été rejetée pour cause de non-conformité. Aucune des soumissions n"a été retenue parce que, comme nous l"avons déjà vu, les prix offerts étaient inférieurs à ceux qui avaient été prévus. De toute évidence, la CCN avait le pouvoir discrétionnaire de prendre cette décision et, de toute façon, Richcraft n"avait pas soumis la meilleure offre.
[12] J"estime donc qu"il n"y a pas de question sérieuse à juger.
3b) - Préjudice irréparable
[13] Pour pouvoir obtenir gain de cause, Richcraft doit démontrer par une preuve claire et convaincante, et non par de simples hypothèses, qu"elle subira un préjudice irréparable si la réparation qu"elle sollicite ne lui est pas accordée. Dans sa déclaration, Richcraft affirme que, parce que son offre n"a pas été retenue, elle a essuyé une importante perte de profits de plus de 9 000 000 $ sur les habitations en question. Or, ce n"est que maintenant que Richcraft affirme que la vente des terrains en question lui causera un préjudice irréparable. Lorsqu"une perte peut être compensée par le versement d"une somme d"argent, il n"y a pas de préjudice irréparable. Les dommages-intérêts constituent une réparation adéquate en pareil cas.
[14] Rien ne permet non plus de penser que le lopin en question est " unique " en ce sens qu"il est irremplaçable. Richcraft exploite une entreprise dans le cadre de laquelle elle achète des terrains, construit des maisons et réalise des bénéfices. Ainsi que le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada l"affirme dans l"arrêt Semelhago c. Paramadevan4, les immeubles ne sont plus considérés comme " uniques ". Le juge a déclaré ce qui suit :
[...] Même si, à une certaine époque, la common law considérait chaque bien immeuble comme étant unique, ce n'est plus le cas avec l'évolution du développement immobilier moderne. Toutes les propriétés, qu'elles soient résidentielles, commerciales ou industrielles, sont maintenant produites en série de la même façon que les autres biens de consommation. Si un marché concernant une propriété échoue, il s'en présente souvent, mais pas toujours, un autre.
[15] Aucun préjudice irréparable n"a par conséquent été démontré.
3c). Prépondérance des inconvénients
[16] Comme il n"y a ni question sérieuse à juger ni préjudice irréparable, il n"est pas nécessaire d"aborder la question de la prépondérance des inconvénients. Il est toutefois évident que si l"injonction était accordée, la réputation de la CCN s"en trouverait ternie. Si on l"empêche de mener à terme l"appel d"offres en cours qu"elle a lancé au sujet des deux terrains en question, la CCN fera l"objet d"une limitation injuste. Elle est chargée de s"occuper des affaires de la capitale nationale et on doit la laisser exercer ses activités dans l"intérêt du public.
4. Dispositif
[17] En conséquence, la requête présentée par la demanderesse en vue d"obtenir l"autorisation de modifier sa déclaration et d"obtenir le prononcé d"une injonction est rejetée avec dépens.
Juge
OTTAWA (Ontario)
Le 16 décembre 1999
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-2424-98 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Richcraft Construction Ltd. |
c. Commission de la capitale nationale |
LIEU DE L"AUDIENCE : Ottawa |
DATE DE L"AUDIENCE : le 14 décembre 1999 |
MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le juge Dubé le 16 décembre 1999
ONT COMPARU :
Me J. Arthur Cogan POUR LA DEMANDERESSE |
Me Todd Barney
Me Robert MacKinnon POUR LA DÉFENDERESSE |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet de Me J. Arthur Cogan POUR LA DEMANDERESSE |
Ottawa
Me Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE |
Sous-procureur général du Canada
__________________1 Bourque (Pierre) & Fils Ltée c. Canada (1999), 162 F.T.R. 98 et Glenview Corp. c. Canada (1990) 34 F.T.R. 292.
2 [1999] 1 R.C.S. 619, à la page 644.
3 [1981] 1 R.C.S. 111, (1981), 119 D.L.R., (3d), 267 (C.S.C.).