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     Date : 19991108

     Dossier : T-2195-98


ENTRE :

     LE CHEF ALVIN CARDINAL

     demandeur

     - et -


NORMAN CALLIOU, JOHN WILLIER, RODERICK WILLIER,

RONALD WILLIER et RUSSELL WILLIER

PRÉTENDANT AGIR EN TANT QUE CONSEIL

DE LA BANDE INDIENNE DE SUCKER CREEK No 150A

     défendeurs



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


[1]      Les présents motifs font suite à une audience relative à une ordonnance rendue par la Cour le 20 juillet 1999 afin que les défendeurs et Raymond Willier exposent les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être tenus coupables d'outrage au tribunal du fait qu'ils n'ont pas reconnu l'ordonnance du juge Rouleau dans cette affaire, datée du 12 juillet 1999, et ne s'y sont pas conformés. Le juge Rouleau a conclu comme suit au paragraphe 19 des motifs rédigés à l'appui de son ordonnance :

         [TRADUCTION]
         [...] le chef Alvin Cardinal est et demeure en tout temps le chef de la Première nation de Sucker Creek depuis son élection le 28 novembre 1997.

[2]      Le contexte dans lequel le juge Rouleau a rendu son ordonnance peut être résumé brièvement. Alvin Cardinal a été élu chef de la Première nation de Sucker Creek, bande no 150A, le 28 novembre 1997. Par suite de différends qui se sont posés entre les défendeurs, d'une part, tous conseillers de la bande, et le chef Alvin Cardinal de l'autre, le conseil a adopté une résolution le 11 novembre 1998, par laquelle il destituait le chef Cardinal. Il a ensuite été déterminé qu'une élection partielle devait avoir lieu et, par une résolution datée du 16 novembre 1998, Allen Willier a été nommé agent d'élection, pour la tenue de l'élection partielle. Allen Willier, en sa capacité d'agent d'élection, a écrit au demandeur afin de l'informer que, s'il avait l'intention d'en appeler de la résolution du 11 novembre 1998, il avait jusqu'au 24 novembre 1998 pour le faire. Aucun appel n'a été déposé aux termes du Customary Election Regulations1 ; le demandeur a préféré demander le contrôle judiciaire de la résolution du 11 novembre 1998 devant la présente Cour. Cette demande de contrôle judiciaire a donné lieu à l'ordonnance du juge Rouleau.

[3]      Très peu de temps après la délivrance de l'ordonnance du juge Rouleau, le chef Alvin Cardinal a demandé une ordonnance fondée sur la Règle 467 et les suivantes des Règles de la Cour fédérale, 19982 enjoignant aux défendeurs et à Raymond Willier, successeur présumé du chef Alvin Cardinal élu lors de l'élection partielle qui a suivi les événements de novembre 1998, d'exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être reconnus coupables d'outrage au tribunal du fait qu'ils n'ont pas reconnu l'ordonnance du juge Rouleau et ne s'y sont pas conformés. Les allégations d'outrage au tribunal portées par le chef Alvin Cardinal indiquaient que, malgré l'ordonnance du juge Rouleau, Raymond Willier continuait de se considérer comme chef de la bande indienne de Sucker Creek et que les défendeurs et M. Willier ne " reconnaissaient pas " l'ordonnance du juge Rouleau. En outre, le chef Alvin Cardinal a affirmé qu'il avait été empêché par les mesures prises par Raymond Willier et les défendeurs de remplir ses fonctions de chef de la bande indienne de Sucker Creek. Les allégations du chef Alvin Cardinal étaient appuyées par une preuve par affidavit déposée par d'autres membres de la bande. Au bout du compte, une ordonnance de " justification " a été délivrée.

[14]      Devant moi, l'avocat de Raymond Willier et des défendeurs a fait valoir que ses clients ne pouvaient tout simplement pas être reconnus coupables d'outrage au tribunal concernant l'ordonnance du juge Rouleau, parce que cette ordonnance était de nature déclaratoire et qu'elle ne faisait rien de plus que d'énoncer simplement la position légale des parties au litige et celle de Raymond Willier sans imposer d'obligations précises aux défendeurs et à Raymond Willier. À l'appui de cette position, l'avocat a cité la décision Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4004 c. Air Canada3. Dans cette décision, le juge Joyal indiquait ce qui suit aux paragraphes 29 à 31 :

         Si le but de la procédure pour outrage est de faire observer une ordonnance ou une décision, il doit y avoir quelque chose à faire observer. Il est maintenant bien établi que la Cour refusera de procéder à l'exécution forcée d'un jugement qui est purement déclaratoire. (Voir Syndicat des Postiers du Canada c. Société canadienne des postes (1987), 16 F.T.R. 4 ; Union des facteurs du Canada c. Société canadienne des postes (1986), 8 F.T.R. 93 ; A.C.P.L.A. c. Canadian Airlines International (1989), 27 F.T.R. 61.)
         À première vue, il appert que la sentence arbitrale en cause déclare simplement ce qu'est l'entente. Le juge Addy, dans la décision Union des facteurs du Canada (précitée), s'est prononcé sur une sentence arbitrale en réponse à la question suivante qui avait été posée à l'arbitre : la direction de la Société canadienne des postes a-t-elle le droit d'ordonner à un facteur de commencer son itinéraire de l'après-midi si ce facteur a encore du courrier à trier à la succursale postale ? En rejetant la demande de justification, le juge Addy a fait le commentaire suivant : " la question fondamentale [est] de savoir si, compte tenu de sa nature et de son essence même, la sentence pouvait effectivement donner ouverture à des procédures pour outrage au tribunal ". Il a alors poursuivi en citant le passage suivant de l'ouvrage Administrative Law de Wade, Oxford, Clarendon Press, 1977, à la page 500 :
             [TRADUCTION] [...] En soi, un jugement déclaratoire ne fait qu'énoncer une situation juridique existante. Il n'oblige personne à faire quoi que ce soit et le fait de ne pas en tenir compte ne constitue pas un outrage au tribunal. Mais, en donnant à une partie l'occasion de découvrir quelle est sa situation juridique, elle donne ouverture à l'utilisation d'autres recours pour lui donner effet.
         Dans le même ordre d'idée, le juge Rouleau, dans Syndicat des Postiers, précité, aux pages 9 et 10, a fait la remarque suivante :
             L'arbitre se prononça sur les événements des mois de janvier à juin 1985, sans préciser un remède aux violations alléguées. Il a constaté que l'intimée n'avait pas respecté la convention collective à cette époque mais il n'a pas ordonné de redressement susceptible d'exécution. À mon avis, une ordonnance qui ne fait qu'énoncer un comportement général n'est pas suffisante.
             L'ordonnance doit forcer la personne visée à poser des actes ou la restreindre de façon précise. Les énoncés généraux, comme en l'espèce, doivent donc être considérés comme plus déclaratoire qu'exécutoire [sic]. Et, une sentence arbitrale déclaratoire n'est pas susceptible d'exécution [...].

[5]      L'avocat du chef Alvin Cardinal a fait valoir que la décision S.C.F.P. et les autorités citées par le juge Joyal dans cette décision pouvaient être distinguées de l'espèce en ce qu'elles traitaient de déclarations concernant des sentences arbitrales qui avaient été converties en ordonnances de la Cour et non pas, comme en l'espèce, d'une ordonnance déclarant qu'une personne avait le statut de chef. Je ne peux pas conclure qu'il y a lieu de faire une distinction avec la décision S.C.F.P. et les autres décisions sur lesquelles on s'appuie en l'espèce. Si l'on fait référence au passage tiré de l'ouvrage Administrative Law de Wade reproduit dans la citation ci-dessus, la décision du juge Rouleau en l'espèce était "[...] en soi un jugement déclaratoire qui " ne [faisait] qu'énoncer une situation juridique existante. Il n'oblige personne à faire quoi que ce soit [...] ". Si l'on se réfère aux propos du juge Rouleau dans Syndicat des Postiers , sur lesquels s'appuyait le juge Joyal, la décision du juge Rouleau traitait d'un état de fait " [...] sans préciser un remède [...] " à la situation qu'ont entraînée les événements de novembre 1998 et l'élection partielle qui a suivi. Le juge Rouleau " [...] n'a pas ordonné de redressement susceptible d'exécution ", et son ordonnance n'obligeait pas non plus les défendeurs et Raymond Willier à poser des actes et ne les restreignait pas d'une façon précise. D'après la décision Syndicat des Postiers , ce n'était qu'un énoncé général devant être considéré comme " [...] plus déclaratoire qu'exécutoire ".

[6]      Par conséquent, après avoir entendu les avocats à l'audience de justification dans cette affaire, mais sans entendre de témoignages verbaux quant à l'allégation d'outrage au tribunal et en réponse aux allégations d'outrage au tribunal, je rends l'ordonnance suivante :

         Les défendeurs et Raymond Willier sont libérés de l'obligation de se justifier [c'est-à-dire d'exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être reconnus coupables d'outrage au tribunal du fait qu'ils n'ont pas reconnu l'ordonnance du juge Rouleau dans la présente affaire datée du 12 juillet 1999 et ne s'y sont pas conformés] et l'ordonnance de la Cour du 20 juillet 1999 [l'ordonnance de justification] a été exécutée.

         Les défendeurs et Raymond Willier ont droit à leurs dépens contre le demandeur ayant trait à l'audience de justification et aux préparations qui s'y rapportent, ainsi qu'aux requêtes connexes qui ont été réglées par l'ordonnance de la Cour en date du 22 septembre 1999, ces dépens devant être calculés au tarif moyen de la colonne V du Tarif B.


                            

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 8 novembre 1999



Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                      T-2195-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LE CHEF ALVIN CARDINAL c. NORMAN CALLIOU ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE :                  EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE JEUDI 28 OCTOBRE 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

DATE :                          LE LUNDI 8 NOVEMBRE 1999



ONT COMPARU :

ROBERT McBEAN                          POUR LE DEMANDEUR
JOHN POIRIER                          POUR LES DÉFENDEURS


PROCUREURS INSCRITS AUX DOSSIERS :

PARLEE McLAWS                          POUR LE DEMANDEUR

EDMONTON (ALBERTA)

JOHN POIRIER                          POUR LES DÉFENDEURS

EDMONTON (ALBERTA)

__________________

1      Approuvé par décret ministériel le 28 janvier 1997.

2      DORS/98-106.

3      [1998] A.C.F. no 1716 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

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