Date : 19991213
Dossier : IMM-1845-99
ENTRE :
RONG XIAO
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Le juge BLAIS
[1] Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 10 mars 1999 par laquelle l'agent des visas C. Cheng, en service au consulat général du Canada à Hong Kong (Chine), a rejeté la demande faite par la demanderesse de résidence permanente au Canada.
LES FAITS DE LA CAUSE
[2] La demanderesse, citoyenne de la République populaire de Chine, a soumis sa demande de résidence permanente le 14 décembre 1998. Sortie de l'Institut des langues étrangères du Sichuan en 1989 avec un baccalauréat de lettres (majeure : Anglais), elle avait travaillé comme interprète depuis 1991.
LA DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS
[3] Après évaluation, l'agent des visas a rejeté sa demande par ce motif qu'elle ne remplissait pas les conditions d'immigration au Canada à titre d'immigrante indépendante.
[4] La demanderesse a été évaluée au regard de la profession d'interprète, CNP 5125.3, pour laquelle elle s'est vu accorder 58 points. L'agent des visas jugeait qu'elle ne remplissait pas les conditions d'accès à cette profession selon la Classification nationale des professions (CNP) et que de ce fait, son expérience dans ce domaine ne pouvait entrer en ligne de compte. L'évaluant ensuite au regard des professions d'agent d'administration et d'adjoint de direction, il ne lui a accordé que 50 points à ce titre.
[5] Elle a été ainsi classée dans la catégorie des personnes non admissibles au Canada par application de la Loi sur l'immigration de 1976, et sa demande a été rejetée.
POINTS D'APPRÉCIATION
Profession : Interprète
Notes obtenues Maximum |
Âge 10 10
Demande dans la profession 1 10
IEF 15 18
Expérience 0 8
Emploi réservé 0 10
Facteur démographique 8 10
Études 8 10
Anglais/français 09 15
Parenté 0 5
Total 58
L'ARGUMENTATION DE LA DEMANDERESSE
[6] Selon la demanderesse, le dossier de l'administration fédérale n'indique nullement que la personne qui a recommandé le rejet ou l'agent des visas se soit penché sur la question de savoir ce que signifie " discipline connexe " au sens des conditions d'accès à la profession, telles que les prévoit la CNP. Les notes SITCI tendent à montrer que l'agent des visas a laissé ce concept de côté.
[7] La demanderesse soutient encore qu'il ressort de la définition du groupe de mots " habituellement exigé " que les études supérieures ne sont pas une condition nécessaire ou impérative, et que l'agent des visas a commis une erreur en concluant dans ce sens.
L'ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR
[8] Le défendeur réplique que l'agent des visas n'a pas ignoré la possibilité que la demanderesse pût avoir un diplôme dans une discipline connexe. Ses notes SITCI indiquent qu'à son avis, le baccalauréat d'anglais de la demanderesse n'était pas assimilable à une " discipline connexe " au domaine de la traduction.
[9] L'agent des visas n'a été saisi d'aucune preuve que la demanderesse ait une formation quelconque en traduction, et il a conclu que le diplôme d'anglais ne satisfaisait pas aux conditions prévues. Le témoignage par affidavit de la demanderesse sur la nature de ses cours dans cette discipline n'avait pas été produit devant l'agent des visas et, de ce fait, n'est pas admissible en preuve sur recours en contrôle judiciaire.
[10] Le Guide sur les carrières, qui est une annexe de la CNP, indique en page 22 que si un niveau d'études ou de formation est " habituellement " exigé, cela signifie qu'il est impératif.
ANALYSE
- L'agent des visas a-t-il commis une erreur faute d'avoir instruit la demande compte tenu du concept de " discipline connexe " figurant dans les conditions d'accès à la profession, que prévoit la CNP? |
[11] Dans l'instruction de la demande à la lumière de ces conditions d'accès à la profession, il devait vérifier si la demanderesse avait un baccalauréat en traduction et, dans la négative, si elle avait un baccalauréat dans une discipline connexe.
[12] Il a conclu qu'elle n'avait pas un baccalauréat en traduction, puis, au lieu de vérifier si elle avait un baccalauréat dans une discipline connexe, il a conclu ensuite qu'elle n'avait pas un diplôme d'études supérieures dans une discipline connexe. À mon avis, il a mal interprété cette condition. Elle ne signifie pas qu'un diplôme d'études supérieures dans une discipline connexe est nécessaire, mais qu'un baccalauréat dans la même discipline est suffisant.
[13] La demanderesse a soumis un affidavit énumérant certains cours qu'elle a suivis, dont la traduction et l'interprétation. Cet élément de preuve n'a pas été produit devant l'agent des visas, il n'est donc pas admissible sur recours en contrôle judiciaire.
- L'agent des visas a-t-il commis une erreur en jugeant que la condition d'études supérieures est une condition d'accès à la profession? |
[14] La CNP indique entre autres conditions d'accès à cette profession qu"une spécialisation en traduction, en terminologie ou en interprétation au niveau des études supérieures est habituellement exigée.
[15] Dans Karathanos c. M.C.I., [999] A.C.F. no 1528, Mme le juge Sharlow a fait l'observation suivante :
La Classification nationale des professions indique que pour un archiviste, " une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire est habituellement exigée " (non souligné dans l'original). L'agent des visas a conclu que, comme Mme Karathanos n'avait qu'un baccalauréat en histoire, elle n'avait pas les compétences nécessaires pour travailler comme archiviste. Autrement dit, l'agent des visas a interprété les mots " habituellement exigée " comme signifiant " toujours exigée ". |
" Ainsi, on peut dire qu'en accordant des points d'appréciation dans la catégorie " Études et formation " de l'Annexe I, une catégorie professionnelle qui exige habituellement une maîtrise est traitée comme si elle exigeait toujours une maîtrise. Toutefois, il ne s'ensuit pas que les termes " exige habituellement " doivent être lus de la même façon dans l'évaluation du nombre de points à attribuer dans la catégorie " Facteur professionnel ". En évaluant le demandeur sous cette catégorie, les mots " exige habituellement " signifient simplement ce qu'ils disent. |
[16] D'ailleurs, le Guide de la CNP donne dans son introduction l"explication suivante :
Quelques professions ont des exigences bien définies. Pour d'autres, soit qu'il n'existe aucun consensus, soit qu'il puisse exister un éventail d'exigences acceptables. Afin de refléter ces variations dans le marché du travail, cette section décrit les conditions d'accès à la profession en utilisant la terminologie suivante : |
" " " est exigé " (pour indiquer une exigence précise) ; |
" " " est habituellement exigé " (pour indiquer que les employeurs exigent habituellement, mais pas nécessairement, que les candidats répondent aux exigences) ; |
" " " peut être exigé " (pour indiquer que certains employeurs peuvent exiger que les candidats répondent aux exigences, mais sur une base moins fréquente). |
[17] En l'espèce, la demanderesse a perdu des points au titre de la qualification et de l'expérience professionnelles, et non au titre des études. Il est vrai que les termes " habituellement exigé " dénotent une condition impérative au chapitre des études, mais il n'en est rien lorsqu'il s'agit des conditions d'accès à la profession au sens de la jurisprudence et de la CNP.
[18] L'agent des visas a interprété les termes " habituellement exigé " comme signifiant une condition impérative et en a conclu que la demanderesse n'avait pas fait d'études supérieures dans une discipline connexe, en quoi il a eu tort.
[19] Qui plus est, il a commis une erreur en interprétant cette condition comme embrassant les études supérieures dans une discipline connexe, alors que selon la CNP, une spécialisation en traduction, en terminologie ou en interprétation au niveau des études supérieures est habituellement exigée, mais il n'y est nullement question d'une discipline connexe à ce niveau.
[20] Il y a lieu de faire droit au recours et de renvoyer l'affaire pour nouvelle instruction par un autre agent des visas.
Signé : Pierre Blais
_______________________________
Juge
Ottawa (Ontario),
le 13 décembre 1999
Traduction certifiée conforme,
Bernard Olivier, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER No : IMM-1845-99 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Rong Xiao
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : 2 décembre 1999 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE BLAIS
LE : 13 décembre 1999 |
ONT COMPARU :
M. Dennis Tanack POUR LA DEMANDERESSE
Mme Kim Shane POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Dennis Tanack POUR LA DEMANDERESSE
Vancouver (C.-B.)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada