Date : 19971029
Dossier : T-1959-97
E N T R E :
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la concurrence, LRC (1985), Ch. C-34, modifiée; |
ET une enquête au titre de l'alinéa 10(1)b) de la Loi sur la concurrence touchant le refus, de la part du Warner Music Group Inc. et de ses sociétés affiliées, WEA International Inc. et Warner Music Canada Ltd., de traiter avec BMG Direct Ltd.; |
ET une demande déposée par le sous-directeur des Enquêtes et Recherches (Affaires civiles) conformément à la Loi sur la concurrence, en vue d'une ordonnance enjoignant à la Columbia House Company et à une de ses sociétés affiliées au sens prescrit au paragraphe 2(2) de la Loi sur la concurrence, de produire certains dossiers et d'effectuer certaines déclarations conformément aux alinéas 11(1)b), 11(1)c) et au paragraphe 11(2) de la Loi sur la concurrence. |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
(Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario)
le mardi 28 octobre 1997.)
LE JUGE HUGESSEN
[1] Il s'agit d'une demande de suspension d'instance, en attendant que soit réglé l'appel dont elle fait l'objet, de l'ordonnance rendue par M. le juge Lutfy en vertu de l'article 11 de la Loi sur la concurrence1, le 9 septembre 1997, et qu'il a modifié par une ordonnance subséquente en date du 15 octobre 1997. C'est cette deuxième ordonnance qui fait l'objet de l'appel. Les deux ordonnances du juge Lutfy enjoignaient à la requérante, Columbia House, qu'en l'espèce je vais dénommer l'appelante, de produire au plus tard à 17 h, le 21 octobre 1997, certains documents et certains renseignements dans le cadre d'une enquête menée par le directeur conformément aux dispositions de la Loi sur la concurrence.
[2] Si ce n'est comme destinataire des ordonnances en question, l'appelante n'est pas partie à l'enquête, ni n'en fait-elle l'objet. Les documents et les renseignements que la Cour lui avait ordonné de produire n'ont pas été produits.
[3] Je vais appliquer le critère classique à trois volets pour décider s'il y a lieu ou non d'accorder une suspension d'instance.
[4] D'abord, sur la question de savoir si, en l'espèce, une question méritant considération est soulevée, je réponds qu'une telle question est effectivement soulevée dans le cadre de l'appel. Lors des plaidoiries, le directeur a fait valoir que le principal argument invoqué par l'appelante devant le juge Lutfy, et qui doit à nouveau être invoqué devant la Cour d'appel, à savoir que les pouvoirs d'enquête du directeur prennent fin dès qu'il dépose, comme il l'a fait le 30 septembre 1997, une plainte devant le Tribunal de la concurrence, a été tranché à l'encontre de l'appelante. Le fait est, néanmoins, que s'il existe effectivement un certain nombre de jugements en ce sens, ce sont tous des jugements de première instance et aucune décision rendue en appel et directement applicable en l'espèce ne permet de dire que l'appel interjeté par l'appelante n'a aucune chance d'aboutir ou qu'il est futile ou vexatoire. Bref, l'argument peut se défendre.
[5] Le deuxième argument présenté par le directeur à cet égard est que la décision du juge Lutfy n'est pas elle-même susceptible d'appel. L'argument ne manque pas d'intérêt et il est peut-être fondé, mais j'estime que ce n'est pas à moi, juge de la Section de première instance, de me prononcer sur cette question. S'il veut invoquer cet argument devant la Cour d'appel, le directeur peut le faire dans de brefs délais et il aura ainsi la réponse de la Cour d'appel qui, d'après moi, est la seule instance pouvant dire ou non si sa compétence s'étend à la décision rendue par le juge Lutfy.
[6] En ce qui concerne la question du préjudice irréparable qu'entraînerait l'exécution de l'ordonnance, l'appelante n'a pas évoqué le coût considérable, ni l'incommodité qui serait elle aussi, semble-t-il, considérable. Je dois dire que c'est d'après moi à bon droit que l'appelante a adopté cette position. L'appelante fait valoir, plutôt, qu'elle est dans la position d'une personne faisant l'objet d'une fouille illégale ou abusive. Elle fait en outre valoir que l'ordonnance en question va à l'encontre du droit que l'appelante a à son intimité, du droit de garder par-devers elle les choses qui la concernent. Qu'il me soit permis de dire que l'argument me paraît en dehors du sujet. Il s'agit, en effet, d'une affaire civile et non d'une affaire criminelle. J'estime que celui qui, comme l'appelante, se trouve dans le rôle de témoin cité lors d'une procédure civile ne peut pas plaider le droit à l'intimité. Je considère même que l'appelante se trouve dans la situation d'une personne assignée à témoigner et faisant en même temps l'objet d'une ordonnance duces tecum. Les tribunaux ont toujours estimé que l'intérêt général lié à l'administration de la justice leur accorde le droit de contraindre les témoins à répondre et à produire certaines informations, même si ces témoins préféreraient que les renseignements et documents demandés demeurent privés et confidentiels. Sur ce point, je n'entends ajouter que deux observations. D'abord, les dispositions de la Loi sur la concurrence accordent aux documents que l'appelante est tenue de produire une certaine protection au niveau de la confidentialité. Deuxièmement, abstraction faite de cette ordonnance fondée sur l'article 11, l'appelante pourrait tout de même, dans le cadre des procédures devant le Tribunal de la concurrence, se voir obliger, comme c'est le cas normalement, de produire précisément les mêmes documents et précisément les mêmes informations, mais dans le cadre d'une procédure beaucoup plus lourde entraînant une perte de temps considérable.
[7] En ce qui concerne la balance des inconvénients, j'estime que la commodité et les coûts relativement peu importants qu'occasionnera à l'appelante l'exécution de l'ordonnance pèsent moins lourd que l'intérêt général lié à l'administration de la justice et au déroulement de l'enquête du directeur. Pour jauger le poids qu'il convient d'attribuer à l'intérêt général, je tiens compte de l'objet énoncé à l'article 1.1 de la Loi sur la concurrence2.
[8] Avant de trancher en l'espèce, je tiens à me livrer à une observation sur une question que j'ai examinée avec les avocats des parties mais qui, en raison de ma conclusion concernant le critère à trois volets, n'est pas entièrement en rapport avec ma décision de ce jour. Il s'agit de ceci; l'ordonnance dont il est fait appel exige la production d'informations et de documents au plus tard à 17 h le 21 octobre de l'année en cours. Or, cette date, c'était exactement il y a une semaine. L'ordonnance n'a pas été suivie. L'appelante ne comparaît donc pas devant la Cour avec " les mains propres ", ainsi que le veut la règle traditionnelle. J'estime que lorsqu'une partie sollicite de la Cour l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il est bon qu'elle n'ait manqué à aucune des obligations qu'elle tenait d'une ordonnance de la Cour. Je reconnais que, comme l'a fait valoir son avocat, le temps était compté. Le juge Lutfy a rendu son ordonnance modifiée le 15 octobre 1997 et le délai d'exécution prenait fin seulement six jours plus tard. Mais, étant donné que l'appelante était tout à fait au courant de l'ordre qui lui avait été intimé de s'exécuter au plus tard le 21 octobre à 17 h, il lui incombait de demander à la Cour, avant l'épuisement du délai, de la relever, ne serait-ce que provisoirement, de son devoir d'exécution. La Cour est toujours ouverte à ce genre de requête. Une telle demande peut même être admise ex parte . Pareille demande serait, bien sûr, déposée dans de très brefs délais et je me hasarde même à dire qu'elle pourrait, sur consentement, aboutir à un bref délai complémentaire en attendant l'audition d'une demande de suspension telle que celle-ci. Je précise bien que la question n'est pas essentielle à ma décision de ce jour, mais j'estime que l'avocat de l'appelante devrait en tenir compte étant donné que les parties qui n'ont pas obtempéré à une ordonnance de la Cour auront peine à convaincre celle-ci de rendre en leur faveur une ordonnance discrétionnaire.
[9] La demande de suspension d'instance est rejetée.
" James K. Hugessen "
Juge
Traduction certifiée conforme : |
F. Blais, LL.L. |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : T-1959-97
INTITULÉ : Loi sur la concurrence c. Warner Music Group Inc. et al. |
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario) |
DATE DE L'AUDIENCE : le mardi 28 octobre 1997 |
MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE HUGESSEN
DATE : le mercredi 29 octobre 1997 |
ONT COMPARU :
M. D. Martin Low, CR
Mme Elspeth Gullen POUR LA REQUÉRANTE |
M. David W. Kent |
Mme Yasmin Visran POUR LES INTIMÉS |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario) POUR LA REQUÉRANTE |
McMillan Binch
Toronto (Ontario) POUR LES INTIMÉS |
1 LRC (1985), ch. C-34, modifiée
1.1 The purpose of this Act is to maintain and encourage competition in Canada in order to promote the efficiency and adaptability of the Canadian economy, in order to expand opportunities for Canadian participation in world markets while at the same time recognizing the role of foreign competition in Canada, in order to ensure that small and medium-sized enterprises have an equitable opportunity to participate in the Canadian economy and in order to provide consumers with competitive prices and products choices. | 1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits. |