Date : 20021219
Dossier : T-493-00
Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2002
En présence de MADAME LE JUGE HENEGHAN
ENTRE :
CAPITAL VISION, INC., CVI ART MANAGEMENT INC.,
CVI MANAGEMENT INC., THE CAPITAL VISION GROUP INC.,
BDO DUNWOODY LLP, 671514 ONTARIO LTD., 1271724 ONTARIO INC.,
GREG COLEMAN, RALPH T. NEVILLE, GERRY JOHN HOGENHOUT
et PAUL BAIN
demandeurs
et
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
défendeur
ORDONNANCE
La demande est accueillie et les demandes établies par le ministre en date du 11 février 2000 et signifiées le 15 février 2000 sont annulées avec dépens en faveur des demandeurs.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
Date : 20021219
Dossier : T-493-00
Référence neutre : 2002 CFPI 1317
ENTRE :
CAPITAL VISION, INC., CVI ART MANAGEMENT INC.,
CVI MANAGEMENT INC., THE CAPITAL VISION GROUP INC.,
BDO DUNWOODY LLP, 671514 ONTARIO LTD., 1271724 ONTARIO INC.,
GREG COLEMAN, RALPH T. NEVILLE, GERRY JOHN HOGENHOUT
et PAUL BAIN
demandeurs
et
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
défendeur
LE JUGE HENEGHAN
INTRODUCTION
[1] Capital Vision Inc., CVI Art Management Inc., CVI Management Inc., the Capital Vision Group Inc., BDO Dunwoody LLP, 671514 Ontario Ltd., 1271724 Ontario Inc., Greg Coleman, Ralph T. Neville, Gerry John Hogenhout et Paul Bain (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire d'une décision que le ministre du Revenu national (le ministre) a rendue en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). La décision consistait en la signification aux demandeurs de certaines lettres les sommant de fournir des renseignements et documents au ministre. Les lettres de demande (nouvelles demandes) ont été établies conformément à l'article 231.2 et signifiées le 15 février 2000.
[2] Dans la présente instance, les demandeurs cherchent à obtenir les réparations suivantes :
a) une ordonnance déclarant que la décision du ministre de signifier les demandes aux demandeurs était invalide et illégale;
b) une ordonnance déclarant que le ministre a agi sans compétence ou a outrepassé sa compétence lorsqu'il a signifié les demandes aux demandeurs;
c) une ordonnance fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés déclarant que la décision du ministre de signifier les demandes aux demandeurs allait à l'encontre des droits que l'article 8 de la Charte reconnaît à ceux-ci;
d) une ordonnance cassant ou annulant la décision du ministre de signifier les demandes.
LES FAITS
i) Les parties
[3] Capital Vision Inc. (CVI) est enregistrée à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario comme négociant sur le marché des valeurs dispensées. CVI Art Management Inc. et CVI Management Inc. sont des filiales à cent pour cent de Capital Vision Inc. La demanderesse The Capital Vision Group Inc. est une société de portefeuille privée qui ne se livre activement à aucune opération. Greg Coleman est le président et le directeur général de Capital Vision Inc., de CV Art Management Inc., de CVI Management Inc. et de la société The Capital Vision Group Inc.
[4] Le demandeur BDO Dunwoody LLP est un cabinet de comptables agréés et d'experts-conseils qui, au cours des deux derniers exercices précédant mars 2000, a fourni des services de comptabilité à CVI Art Management Inc., CVI Management Inc., Capital Vision Inc. et Greg Coleman. BDO Dunwoody a procédé à une vérification de la société The Capital Vision Group Inc. pour les années 1998 et 1999 et de Capital Vision Inc. au cours de l'exercice 1998. Il a préparé les états financiers de Capital Vision Inc. pour les exercices 1998 et 1999. Le demandeur Ralph T. Neville est un associé et comptable fiscaliste principal du cabinet BDO Dunwoody.
[5] La demanderesse 671514 Ontario Limited est une société de services financiers dont les clients ont acheté des oeuvres d'art conformément à la stratégie en matière de dons de charité. M. Gerry John Hogenhaut est un mandant de la société 671514 Ontario Limited.
[6] La demanderesse 1271724 Ontario Inc. est une société qui a acheté des oeuvres d'art données à un organisme de bienfaisance conformément à la stratégie en matière de dons de charité. M. Paul Bain est un avocat qui a agi comme dépositaire relativement à certaines transactions conclues dans le cadre de la stratégie en matière de dons de charité.
ii) Les faits à l'origine du litige
[7] En octobre 1998, les vérificateurs du ministère du Revenu national, maintenant l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), ont entrepris une vérification de Capital Vision et lui ont demandé des documents et renseignements. Capital Vision a fourni certains documents après avoir supprimé de ceux-ci le nom de ses clients. Elle a refusé de communiquer certains noms au motif qu'elle devait protéger la confidentialité de ses clients.
[8] Cette position a été communiquée aux représentants du ministre au moyen d'une lettre rédigée par l'avocat de la demanderesse Capital Vision. Dans cette lettre du 15 novembre 1998, l'avocat a mentionné que, afin de protéger la confidentialité des clients de CVI, les noms en question ne seraient pas dévoilés tant que les dispositions pertinentes de la Loi ne seraient pas respectées.
[9] À la date à laquelle cette lettre a été rédigée, CVI avait communiqué tous les autres renseignements et documents que les vérificateurs avaient demandés dans le cadre de la vérification concernant Capital Vision.
[10] Selon l'affidavit que M. Coleman a produit dans la présente instance, l'ADRC n'a pas donné signe de vie après novembre 1998. Apparemment, les représentants du ministre avaient en main les renseignements nécessaires pour procéder à la vérification de Capital Vision et aucune autre demande de documents n'a été faite.
[11] Cependant, près d'un an plus tard, en novembre 1999, le ministre a présenté à la Cour une demande ex parte en vue d'obtenir l'autorisation d'établir des demandes de renseignements et documents (les anciennes demandes) conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi. Le ministre a déposé l'affidavit de Mark Ferguson, vérificateur de Revenu Canada, le prédécesseur de l'ADRC. Dans son affidavit, M. Ferguson a déclaré que le ministre cherchait à délivrer des demandes aux demandeurs afin d'obtenir la production de renseignements et documents au sujet de certains contribuables non désignés nommément. Ces contribuables sont décrits comme des clients de M. Greg Coleman, Capital Vision ou CVI Art Management Inc., quelques-uns des demandeurs en l'espèce.
[12] Après avoir mis en doute le bien-fondé des demandes proposées par le ministre et apporté des corrections à la portée de l'autorisation, Mme le juge Reed a néanmoins autorisé la signification des demandes conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi, au moyen d'une ordonnance datée du 22 novembre 1999.
[13] Selon les lettres de demande, l'activité sous examen est la « stratégie en matière de dons de charité » des demandeurs. Les demanderesses Capital Vision Inc. et CVI se spécialisaient dans la promotion de transactions relatives à des oeuvres d'art. Le ministre soutient que cette stratégie a permis à des acquéreurs d'acheter des oeuvres d'art à un prix correspondant à 28 à 33 p. 100 de leur juste valeur marchande présumée et de donner ensuite ces oeuvres à des organismes de bienfaisance en échange de reçus pour dons de bienfaisance fondés sur 100 p. 100 de la valeur en question. Selon le ministre, les crédits d'impôt ont été calculés en fonction d'un montant supérieur à celui que l'acheteur a effectivement payé à l'égard de l'oeuvre d'art.
[14] Par la suite, les demandeurs ont déposé une requête conformément au paragraphe 231.2(5) de la Loi en vue de faire réviser l'autorisation accordée par le juge Reed. La requête a été déposée dans les délais prévus par la Loi, mais elle n'a pas été entendue dans les délais prescrits, parce que les parties ont convenu de proroger le délai d'audition et se sont entendues sur un calendrier des mesures précédant l'audience, y compris la préparation, la signification et le dépôt d'affidavits. Les parties ont convenu que, sous réserve de la disponibilité du juge Reed, une date d'audience serait demandée au cours de la semaine du 14 février 2000. Ces ententes ont été conclues en décembre 1999.
[15] Le 9 février 2000, l'avocat du ministre a convoqué l'avocat des demandeurs à une réunion et lui a alors fait savoir que le ministre ne tenterait pas d'exiger le respect des anciennes demandes et qu'il établirait plutôt de nouvelles demandes.
[16] Le 15 février 2000, une demande de production de documents et renseignements a été signifiée à Capital Vision Inc. et à M. Gregory Scott Coleman, le président, secrétaire, trésorier, directeur général et administrateur de celle-ci. Le même jour, des demandes de production de documents seulement ont été signifiées aux autres parties demanderesses qui sont des sociétés ainsi qu'aux administrateurs et dirigeants de celles-ci. Ces demandes étaient accompagnées d'une lettre dans laquelle l'avocat du ministre a mentionné notamment que la requête en cours devant le juge Reed était devenue théorique, que les nouvelles demandes étaient délivrées sans autorisation judiciaire préalable et que si les demandeurs cherchaient à contester ces demandes, que ce soit par voie de requête ou de demande, ils n'auraient pas automatiquement le droit de contre-interroger qui que ce soit de l'ADRC.
[17] Les nouvelles demandes enjoignaient à Capital Vision de fournir au ministre des documents et renseignements concernant des personnes non désignées nommément. Les autres demandeurs étaient sommés de produire des documents seulement. Les demandeurs soutiennent que le ministre devait obtenir une autorisation judiciaire avant de signifier ces nouvelles demandes, puisque celles-ci visent à obtenir la production de renseignements ou de documents concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément. Par conséquent, les demandeurs font valoir que le ministre a agi sans compétence lorsqu'il a établi et signifié les nouvelles demandes.
[18] Le 15 mars 2000, Mme le juge Dawson a rendu des ordonnances provisoires dans lesquelles elle a prorogé le délai d'exécution des nouvelles demandes jusqu'à trente jours suivant la décision qui scellerait définitivement le sort de plusieurs demandes de contrôle judiciaire concernant les nouvelles demandes signifiées à tous les demandeurs.
[19] À la demande des demandeurs, le protonotaire adjoint Giles a rendu le 18 mai 2000 une ordonnance selon laquelle toutes les demandes de contrôle judiciaire connexes devaient être réunies et entendues dans la cause numéro T-493-00.
QUESTIONS EN LITIGE
[20] La présente demande soulève les questions suivantes à trancher :
(1) Le ministre a-t-il agi sans compétence ou a-t-il outrepassé sa compétence en signifiant les nouvelles demandes à Capital Vision ou aux autres demandeurs sans avoir préalablement obtenu une autorisation judiciaire conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi?
(2) Le ministre a-t-il employé de façon abusive son pouvoir discrétionnaire découlant de l'article 232.2 de la Loi en exerçant de mauvaise foi les pouvoirs d'origine législative dont il est investi?
(3) La décision du ministre de signifier les nouvelles demandes aux demandeurs allait-elle à l'encontre des droits de ceux-ci qui sont protégés par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch.11 [ci-après la Charte]?
(4) Si la décision du ministre de signifier les nouvelles demandes allait à l'encontre des droits que la Charte reconnaît aux demandeurs, cette violation était-elle justifiée par l'article premier de la Charte?
LES ARGUMENTS DES DEMANDEURS
[21] Les demandeurs invoquent plusieurs arguments. Ils soutiennent d'abord que le ministre était tenu d'obtenir une autorisation judiciaire avant de signifier les nouvelles demandes à Capital Vision, étant donné que celles-ci visent à obtenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément.
[22] Les nouvelles demandes visent notamment à obtenir les noms et adresses de tous les clients de Capital Vision en ce qui concerne les transactions relatives à des oeuvres d'art qui ont été conclues entre le 1er janvier 1996 et le 31 janvier 2000. À ce titre, elles imposent clairement à Capital Vision l'obligation de produire des renseignements concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément. En omettant d'obtenir une autorisation judiciaire avant de signifier les nouvelles demandes conformément au paragraphe 231.2(2), le ministre a agi sans compétence ou a outrepassé sa compétence, comme la Cour en a décidé dans Andison c. Canada (Ministre du Revenu national) (1995), 95 D.T.C. 5058 (C.F. 1re inst.).
[23] Dans la mesure où le ministre soutient que les documents et renseignements sont demandés dans le cadre d'une vérification en cours, les demandeurs font valoir qu'il ne peut demander de renseignements concernant des personnes non désignées nommément sous le couvert d'une vérification; à cet égard, ils invoquent la décision rendue dans Ministre du Revenu national c. Sand Exploration Limited, [1995] 3 C.F. 44 (C.F. 1re inst.). De plus, le ministre n'a déposé aucun élément de preuve indiquant que la vérification de Capital Vision se poursuit et qu'il a besoin des renseignements et documents actuellement demandés afin de terminer la vérification en question.
[24] Les demandeurs ajoutent que les noms des clients de Capital Vision ne sont pas nécessaires aux fins d'une vérification de celle-ci. En 1998, Capital Vision a communiqué au ministre tous les documents et renseignements demandés dans le cadre d'une vérification, à l'exception des noms et adresses de ses clients. La communication des noms et adresses de ces personnes ne serait d'aucune utilité pour le ministre. Lorsque le ministre a établi les anciennes demandes, rien n'avait été fait depuis plus d'un an relativement à la vérification de Capital Vision concernant les années d'imposition 1995 à 1998.
[25] De plus, les nouvelles demandes ont pour but de sommer Capital Vision de communiquer les noms et adresses de ses clients à l'égard de transactions d'achat et de vente d'oeuvres d'art conclues entre 1996 et 2000. Les noms et adresses des personnes qui ont acheté des oeuvres d'art après 1998 n'ont rien à voir avec une vérification relative aux années 1995 à 1998. Le ministre tente actuellement de faire indirectement ce qu'il avait précédemment tenté de faire directement jusqu'à ce que les demandeurs contestent sa façon de procéder.
[26] Lorsque les demandeurs ont engagé des procédures visant à annuler l'ordonnance qui avait pour effet d'autoriser la signification des anciennes demandes, les avocats du ministre ont abandonné ces anciennes demandes et en ont signifié de nouvelles, lesquelles visaient apparemment à obtenir la production de renseignements et documents dans le cadre d'une vérification relative à un contribuable non identifié. La nature des documents demandés dans les nouvelles demandes est telle que les noms des clients de Capital Vision ou de CVI Art Management seraient vraisemblablement communiqués dans les réponses respectives des demandeurs aux demandes en question.
[27] Les demandeurs allèguent que le ministre a signifié les nouvelles demandes afin d'obtenir les noms de ces personnes, comme il le souhaitait. Par conséquent, il devait obtenir une autorisation judiciaire avant de les signifier; voir Canadian Forest Products Limited et al. c. Le ministre du Revenu national (1996), 96 D.T.C. 6506 (C.F. 1re inst.).
[28] Les demandeurs ajoutent que les nouvelles demandes signifiées à chacun d'eux, sauf Capital Vision, énoncent qu'elles sont signifiées dans le cadre d'une vérification en cours concernant un contribuable non identifié. Si le ministre n'était pas disposé à dévoiler le nom du contribuable sous enquête, il devait obtenir une autorisation judiciaire afin de signifier ces demandes.
[29] Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que les nouvelles demandes renferment un énoncé d'objet faux ou trompeur. Selon les anciennes demandes, la production des documents était demandée parce que les documents en question étaient nécessaires pour vérifier la mesure dans laquelle les personnes qui ont acheté les oeuvres d'art conformément à la stratégie en matière de dons de charité respectaient la Loi. Cependant, les nouvelles demandes signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision n'indiquent pas que les documents sont nécessaires pour vérifier la mesure dans laquelle les personnes désignées dans les demandes en question respectent la Loi. Elles renvoient uniquement à une vérification concernant un contribuable non identifié.
[30] Les demandeurs ajoutent que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi. Le véritable objectif qu'il vise par la signification des nouvelles demandes est d'obtenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément qui ont acheté des oeuvres d'art conformément à la stratégie en matière de dons de charité. Il s'agit du même objectif que le ministre a dévoilé lorsqu'il a demandé et obtenu l'autorisation judiciaire relative à la délivrance des anciennes demandes.
[31] En abandonnant les anciennes demandes, le ministre a évité un contre-interrogatoire de M. Mark Ferguson au sujet de l'affidavit que celui-ci avait déposé au soutien de la demande d'autorisation. Le ministre tente maintenant d'empêcher les demandeurs de déterminer, au moyen de la procédure judiciaire applicable, le véritable objectif visé par la demande de production de renseignements et documents relatifs à la stratégie en matière de dons de charité. Sur ce point, les demandeurs invoquent Bunker Ramo Corp. c. TRW Inc., [1980] 2 C.F. 488 (C.F. 1re inst.), et Toronto Board of Education Staff Credit Union c. Skinner et al. (1984), 47 O.R. (2d) 70 (J.H.C. Ont.).
[32] Enfin, les demandeurs reprochent au ministre d'avoir violé les droits que la Charte leur reconnaît, notamment la protection, selon l'article 8, à l'encontre des fouilles, perquisitions et saisies abusives. Dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, la Cour suprême du Canada a statué que les demandes de production de documents et renseignements conformément au paragraphe 231(3) de la Loi, le prédécesseur de l'article 231.2(1), constituaient une saisie aux fins de l'article 8 de la Charte. Elle a également conclu que les saisies fondées sur le paragraphe 231(3) de la Loi n'étaient pas abusives et que le paragraphe 231(3) était constitutionnel.
[33] Les demandeurs soutiennent que, bien que l'article 231.2 de la Loi soit constitutionnel en soi, le ministre a exercé illégalement ses pouvoirs d'origine législative et a violé leurs droits protégés par l'article 8 de la Charte.
[34] De l'avis des demandeurs, le Parlement a reconnu que, pour que ces saisies ne soient pas abusives, la protection que représente l'autorisation judiciaire est impérative, car elle permet de s'assurer que le ministre demande la production des documents et renseignements en question pour des fins liées à l'administration ou à l'application de la Loi; voir Sand Exploration, précité. De l'avis des demandeurs, la saisie de leurs documents que visent les nouvelles demandes est abusive au sens de l'article 8 de la Charte et le ministre a cherché à exercer un pouvoir d'origine législative d'une façon non autorisée par la loi; voir R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51.
[35] De plus, les demandeurs font valoir que la décision du ministre de signifier les nouvelles demandes ne peut être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Le fondement même de la violation de la Charte reprochée en l'espèce est le fait que le ministre a autorisé une saisie des biens des demandeurs en l'absence d'autorisation légale à cette fin. Cette violation de la Charte ne peut être justifiée à titre de limite raisonnable, prescrite par une règle de droit, du droit des demandeurs de ne pas être assujettis à des fouilles, perquisitions et saisies abusives.
LES ARGUMENTS DU MINISTRE
[36] Le ministre allègue qu'il a demandé les documents et renseignements pour deux raisons qui se chevauchent, soit mener une enquête sur la dette fiscale de Capital Vision et celle des acheteurs d'oeuvres d'art relativement à des transactions auxquelles ont participé Capital Vision ainsi que quelques-uns des autres demandeurs. Dans ces circonstances, le ministre n'a pas outrepassé sa compétence en décidant de signifier les nouvelles demandes. Dans chacune de celles-ci, le ministre a demandé la production de documents directement liés aux dettes fiscales de personnes nommément désignées, que ce soit Capital Vision ou d'autres personnes nommées. Compte tenu de l'article 231.2 de la Loi, le ministre a signifié en bonne et due forme ces demandes aux demandeurs sans obtenir d'autorisation judiciaire.
[37] Le ministre n'a pas agi de mauvaise foi. En abandonnant les anciennes demandes et en signifiant les nouvelles qui sont en litige en l'espèce, le ministre a facilité la tâche de la plupart des demandeurs en ce qui a trait à l'exécution des demandes. L'allégation selon laquelle le ministre avait l'intention de mettre un terme à la participation des demandeurs à cette « stratégie » est purement hypothétique et doit être rejetée.
[38] Le ministre soutient que les nouvelles demandes ont été signifiées en bonne et due forme malgré l'absence d'autorisation judiciaire, parce que les conditions relatives à la signification de demandes visant des personnes nommément désignées ont été respectées et que la demande signifiée à Capital Vision découle des pouvoirs de vérification larges et nécessaires dont le ministre est investi en vertu de l'article 231.1 de la Loi. Aucune des demandes ne constituait une recherche à l'aveuglette semblable à celle que l'article 231.2 de la Loi vise à empêcher.
[39] Le ministre fait valoir que les nouvelles demandes ne constituent pas des demandes visant des personnes non désignées nommément. Il invoque l'arrêt A.G.T. Ltd. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 878 (CA.), où la Cour d'appel fédérale a décrit, au paragraphe 27, les conditions relatives à la signification de demandes à des personnes désignées nommément :
Le paragraphe 231.2(1) est libellé en des termes larges, mais sa portée a été restreinte, par application des règles d'interprétation, aux situations dans lesquelles les renseignements réclamés par le ministre sont utiles pour établir la dette fiscale d'une ou de plusieurs personnes déterminées, et lorsque la dette fiscale de cette ou ces personnes fait l'objet d'une enquête véritable et sérieuse. Compte tenu de ces critères, je conclus que le juge des requêtes n'a commis aucune erreur.
[Notes de bas de page omises]
[40] Selon le ministre, les renseignements qu'il cherche à obtenir concernent la responsabilité d'une personne déterminée. Les demandes signifiées à Capital Vision visent à obtenir des documents et renseignements concernant la dette fiscale de cette entité. Les demandes signifiées aux autres demandeurs visent à obtenir des documents concernant des personnes nommément désignées dont le nom est mentionné sur la liste jointe auxdites demandes en annexe « A » . La description du contexte qui figure dans ces demandes n'a pas pour effet de convertir celles-ci en demandes visant une « personne non désignée nommément » . Elle renvoie à la vérification d'un contribuable non identifié, mais n'indique pas que les demandes en question ont été signifiées dans le cadre de la vérification de ce contribuable.
[41] De l'avis du ministre, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la vérification de Capital Vision se poursuivait. Selon l'affidavit de Coleman, l'ADRC avait cessé de demander des documents en novembre 1998. Toutefois, le dossier dont Mme le juge Dawson a été saisie indique que les vérificateurs de l'ADRC demandaient des documents supplémentaires à Capital Vision et aux représentants de celle-ci. Un délai de plusieurs mois s'est écoulé entre la date à laquelle les vérificateurs ont conclu que les demandes fondées sur la Loi étaient nécessaires et celle à laquelle il a été décidé de signifier les anciennes demandes, puis les nouvelles.
[42] En droit, le délai écoulé entre la conclusion des vérificateurs quant à la nécessité des demandes et la décision du juge Dawson ne signifie pas que la vérification avait pris fin avant la signification des anciennes demandes. Le ministre ou l'ADRC détermine l'ampleur de l'examen dont le contribuable fera l'objet au cours d'une vérification. La durée de la vérification est également une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l'article 231.1 de la Loi.
[43] Étant donné que les demandes en litige visent deux objets qui se chevauchent, soit examiner la responsabilité fiscale, tant des acheteurs d'oeuvres d'art que de Capital Vision, le ministre soutient que la véritable question à trancher en l'espèce ne concerne pas les intentions dont il était animé, mais plutôt la mesure dans laquelle il pouvait, compte tenu de ces objets, signifier lesdites demandes sans autorisation judiciaire préalable.
[44] Le ministre allègue qu'il n'était pas tenu d'obtenir une autorisation judiciaire avant de signifier la demande à Capital Vision, puisque cette demande découle logiquement des pouvoirs de vérification larges et nécessaires dont il est investi. En vertu de la Loi, seuls les documents visés par le privilège du secret professionnel peuvent échapper au contrôle du ministre ou de l'ADRC.
[45] En conséquence, dans le cadre de la vérification concernant Capital Vision, le ministre a demandé des renseignements au sujet des clients de celle-ci sans signifier de demande de production de renseignements et documents. Il est évident que ces renseignements se trouvent dans les livres et registres de Capital Vision et qu'ils concernent la dette fiscale de celle-ci.
[46] En tout état de cause, toutes les demandes ont été établies conformément au paragraphe 231.2(1) d'une manière compatible avec les objets que vise l'ensemble de cette disposition. Selon le ministre, l'article 231.2 a pour but de répondre aux préoccupations que la Cour suprême du Canada a exprimées dans l'arrêt James Richardson and Sons, Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1984] 1 R.C.S. 614, à la page 622. Dans cette affaire, une interprétation large de la disposition remplacée par l'article 231.2 pouvait permettre « d'explorer les affaires d'un contribuable et ... [enjoindre] à quiconque est en mesure de contribuer à cette exploration d'y participer » . Cette disposition de la Loi qui était alors en litige n'obligeait pas le ministre à demander une autorisation judiciaire à l'égard de tout type de demande de production de documents ou renseignements.
[47] Le ministre affirme que l'article 231.2 vise apparemment à répondre à la préoccupation soulevée dans l'arrêt James Richardson and Sons Ltd., précité, c'est-à-dire à éviter une recherche à l'aveuglette lorsqu'aucune des parties auxquelles la demande a été signifiée non plus qu'aucune personne concernée par lesdites demandes n'étaient sous enquête.
[48] Selon le régime législatif actuellement en vigueur, le ministre doit obtenir une autorisation judiciaire lorsqu'il cherche à exiger de tierces parties la production de renseignements ou documents concernant des personnes non désignées nommément. Pour que cette autorisation puisse être accordée, deux conditions doivent être réunies : les personnes non désignées nommément doivent être identifiables et la demande doit avoir pour but de vérifier si les personnes en question ont respecté la Loi. Dans le cas de la demande examinée dans l'arrêt James Richardson and Sons Ltd., précité, la seconde condition n'a manifestement pas été respectée.
[49] Le ministre soutient que les demandes en litige en l'espèce ne vont pas à l'encontre des objets de la disposition législative et ne constituent pas une recherche à l'aveuglette. Tant la responsabilité fiscale de Capital Vision que celle des acheteurs d'oeuvres d'art font l'objet d'une enquête et aucune autorisation judiciaire n'est nécessaire à l'égard des demandes en question.
[50] Interpréter le paragraphe 231.2(1) comme une disposition qui permet la signification de demandes liées tant à la dette fiscale d'un contribuable nommément désigné faisant l'objet d'une vérification qu'à celle d'autres contribuables non désignés nommément n'aurait pas pour effet d'enlever à la disposition en question tout son sens. Le ministre serait tenu d'obtenir une autorisation judiciaire lorsqu'il sollicite des renseignements concernant des personnes non désignées nommément d'une véritable tierce partie, en l'occurrence, un contribuable qui n'est pas lui-même sous enquête.
[51] Le ministre nie avoir agi de mauvaise foi lorsqu'il a abandonné les anciennes demandes et signifié les nouvelles. Il soutient d'abord qu'il n'était nullement tenu d'exiger l'exécution des anciennes demandes. L'autorisation judiciaire que le juge Reed a accordée ne contraignait pas le ministre à procéder à l'exécution desdites demandes. En deuxième lieu, le ministre ajoute qu'il peut signifier une série de demandes à la même personne relativement aux mêmes renseignements et documents. Afin de s'assurer qu'une personne fournit effectivement les renseignements et documents demandés, le ministre peut juger plus opportun de rédiger à nouveau la demande et de signifier une demande révisée, comme il en a été décidé dans l'arrêt R.c. Grimwood, [1987] 2 R.C.S. 755, notamment aux paragraphes 2 et 3.
[52] Le ministre ne peut avoir agi de mauvaise foi en délivrant de nouvelles demandes qui avaient pour effet de réduire la tâche des demandeurs relativement au respect des exigences. En délivrant les nouvelles demandes en litige en l'espèce, le ministre répond effectivement aux objections que les demandeurs ont formulées à l'égard des anciennes, notamment au plan de leur portée.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[53] Les dispositions législatives pertinentes aux fins de la présente demande sont les suivantes :
231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis: a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire; b) qu'elle produise des documents.
(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque - appelé "tiers" au présent article -- la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).
(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d'un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d'une personne non désignée nommément - appelée "groupe" au présent article --, s'il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit:
a) cette personne ou ce groupe est identifiable;b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi; c) (Abrogé par L.C. 1996, ch. 21, art. 58(1).) d) (Abrogé par L.C. 1996, ch. 21, art. 58(1).)
(4) L'autorisation accordée en vertu du paragraphe (3) doit être jointe à l'avis visé au paragraphe (1).
(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d'envoi, demander au juge qui a accordé l'autorisation prévue au paragraphe (3) ou, en cas d'incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l'autorisation.
(6) À l'audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l'autorisation accordée antérieurement s'il n'est pas convaincu de l'existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s'il est convaincu de leur existence. |
|
231.2. (1) Notwithstanding any other provision of the Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice, (a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or
(b) any document.
(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a "third party") a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).
(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the "group") where the judge is satisfied by information on oath that
(a) the person or group is ascertainable; and (b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act. (c) (Repealed by S.C. 1996, c. 21, s. 58(1).) (d) (Repealed by S.C. 1996, c. 21, s. 58(1).)
(4) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), it shall be served together with the notice referred to in subsection 231.2(1).
(5) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), a third party on whom a notice is served under subsection 231.2(1) may, within 15 days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where the judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.
(6) On hearing an application under subsection 231.2(5), a judge may cancel the authorization previously granted if the judge is not the satisfied that the conditions in paragraphs 231.2(3)(a) and 231.2(3)(b) have been met and the judge may confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met. |
|
|
|
ANALYSE
[54] La véritable question qui se pose en l'espèce est de savoir si le ministre était tenu d'obtenir une autorisation judiciaire à l'égard des nouvelles demandes. La deuxième question à trancher concerne les conséquences découlant de la façon dont le ministre a agi.
i) La demande signifiée à Capital Vision
[55] Les nouvelles demandes, datées du 11 février 2000, ont été signifiées aux demandeurs vers le 15 février 2000. Voici une partie du texte de la nouvelle demande signifiée à Capital Vision Inc. :
[TRADUCTION]
DEMANDE DE PRODUCTION DE DOCUMENTS ET DE FOURNITURE DE RENSEIGNEMENTS
CONTEXTE
1. Conformément au paragraphe 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour l'application et l'exécution de la Loi, une personne autorisée par le ministre du Revenu national peut inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tout document de celui-ci qui se rapporte ou qui est susceptible de se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou qui devraient se trouver dans ses livres et registres, ou à tout montant que ce contribuable doit payer en vertu de la Loi.
2. Conformément au paragraphe 231.1(1) de la Loi, vers le mois d'octobre 1998, des vérificateurs du ministère du Revenu national (maintenant l'Agence des douanes et du revenu du Canada) (l'Agence) ont entrepris une vérification de Capital Vision Inc. [non souligné à l'original]
3. La vérification est en cours. [non souligné à l'original]
...
5. Au cours de la vérification, les vérificateurs de l'Agence ont demandé à Capital Vision Inc. et à Gregory Scott Coleman de fournir des renseignements et de produire des documents.
6. Capital Vision Inc. et Gregory Scott Coleman n'ont pas produit tous ces renseignements et ces documents aux vérificateurs de l'Agence.
7. Cliff Rand, l'avocat de Capital Vision Inc., a envoyé au demandeur une lettre datée du 17 novembre et adressée au vérificateur Teg Mammo, pour l'informer qu'étant donné que Capital Vision Inc. était tenue de protéger la confidentialité de ses clients, elle ne dévoilerait pas leur identité à moins que la Loi ne l'y oblige. Par conséquent, Capital Vision Inc. a masqué les noms de ses clients dans l'annexe jointe à sa lettre, laquelle comprenait des factures. Une copie de cette lettre est jointe à titre d'annexe « A » de la présente demande.
...
9. Jusqu'à maintenant, ni Capital Vision Inc. ni Gregory Scott Coleman n'ont fourni à l'Agence tous les renseignements et les documents demandés et, tout spécialement, ils n'ont pas fourni les noms des clients de Capital Vision Inc. ou de CVI Art Management Inc.
...
RENSEIGNEMENTS DEMANDÉS
12. Je demande les renseignements suivants : le nom et l'adresse de tous les clients de Capital Vision Inc. concernés par les opérations en matière d'oeuvres d'art faites pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000 inclusivement.
DOCUMENTS DEMANDÉS
14. Je demande tous les documents, qu'ils soient écrits ou sous toute autre forme, notamment les comptes, les ententes, les livres, les graphiques ou les tableaux, la correspondance, les diagrammes, les formulaires, les images, les factures, les lettres, les cartes, les notes de service, les plans, les déclarations de revenus, les états financiers, les télégrammes, les pièces justificatives et toute autre chose contenant des renseignements, et qui se rapportent aux opérations en matière d'oeuvres d'art faites pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000 inclusivement.
15. Sans restreindre la portée générale des documents énoncés précédemment au paragraphe 14, pour la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000 inclusivement, je demande, plus précisément :
a) les documents décrits au paragraphe 14 qui se rapportent aux particuliers dont le nom figure à l'annexe « B » jointe à la présente demande.
b) les documents répertoriés au paragraphe 14 qui se rapportent aux particuliers dont le nom ne figure pas à l'annexe « B » jointe à la présente demande. Ces particuliers comprennent ceux dont le nom a été masqué à l'annexe « A » de la présente demande. [non souligné à l'original]
...
DÉFAUT DE SE CONFORMER
18. À défaut de vous conformer à la présente demande, Capital Vision Inc. et Gregory Scott Coleman s'exposent à l'application des dispositions prévues aux articles 238 et 242 de la Loi.
[56] La demanderesse, Capital Vision, soutient que cette demande l'oblige à fournir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément et que, conformément au paragraphe 231.2(2) de la Loi, le ministre devait préalablement obtenir une autorisation judiciaire avant de pouvoir légalement délivrer et signifier la demande en question. Dans la présente affaire, le ministre fait allusion à une vérification de Capital Vision et indique qu'il a besoin de connaître les noms des clients afin de confirmer les renseignements que celle-ci a déjà fournis.
[57] Tel qu'il est mentionné plus haut, lorsque le ministre a demandé une autorisation judiciaire à l'égard des anciennes demandes, son représentant, Mark Ferguson, a déclaré dans un affidavit que les demandes avaient pour but de permettre une vérification auprès des clients de Capital Vision. La nouvelle demande signifiée à Capital Vision vise à obtenir des renseignements aux fins d'une vérification qui est apparemment menée auprès de celle-ci et le ministre soutient que l'ADRC a besoin de documents et renseignements de personnes non désignées nommément afin de terminer cette vérification.
[58] À mon avis, l'allégation du ministre selon laquelle il a besoin d'obtenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément afin de terminer la vérification apparemment en cours à l'égard de Capital Vision déclenche l'application des paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi, qui concernent l'accès à des renseignements relatifs à des personnes non désignées nommément. En demandant la production de renseignements et documents de Capital Vision en l'absence d'autorisation judiciaire, le ministre tente de faire indirectement ce qu'il ne peut faire directement. Je cite la décision rendue dans l'arrêt Sand Exploration Limited, précité, où la Cour a dit ce qui suit au paragraphe 28 :
...Pour obtenir de tiers les noms des personnes non désignées nommément, le ministre doit demander une autorisation judiciaire. Il ne peut pas, et ne devrait pas pouvoir, contourner cette exigence en menant une vérification sans autorisation judiciaire lui permettant d'obtenir les noms des investisseurs en question. C'est la raison d'être des paragraphes 231.2(2) et (3).
[59] J'estime que le ministre n'a pas agi d'une manière autorisée par la loi lorsqu'il a signifié la demande à Capital Vision en février 2000.
[60] Le ministre soutient que, si c'est nécessaire, la partie de la demande signifiée à Capital Vision qui renvoie à des personnes non désignées nommément peut être séparée et Capital Vision devrait répondre au reste de ladite demande. Je ne suis pas d'accord.
[61] Dans Paquette c. Le ministre du Revenu national (1992), 92 D.T.C. 6394 (C.F. 1re inst.), la Cour a conclu qu'une partie inadmissible d'une demande pouvait être séparée de celle-ci lorsque l'objection était fondée sur l'omission du ministre de demander l'autorisation exigée par le paragraphe 231.2(2).
[62] À mon avis, la situation examinée dans l'affaire Paquette, précitée, est différente de celle dont la Cour est saisie en l'espèce, parce qu'il y a de bonnes raisons de penser que le ministre a tenté intentionnellement de contourner le droit de Capital Vision de faire réviser la demande conformément aux paragraphes 231.2(5) et (6). Cette intention apparente caractérise l'ensemble de la demande et, à mon sens, aucune partie de celle-ci qui concerne des particuliers désignés et à l'égard de laquelle aucune autorisation judiciaire n'est nécessaire selon le paragraphe 231.2(1) ne peut être déclarée valide.
[63] Selon moi, le fait de séparer une partie inadmissible de la demande ne répond pas à la question concernant la véritable intention dont le ministre était animé lorsqu'il a délivré la demande à Capital Vision en février 2000. Le ministre allègue qu'il a besoin des renseignements demandés afin de poursuivre la vérification en cours à l'égard de Capital Vision, mais il n'a présenté aucun élément de preuve au soutien de cette allégation.
[64] Je reconnais qu'une vérification constitue un objet que vise la Loi. Toutefois, il y a lieu de tenir compte de la personne visée par la vérification lorsqu'une demande de production de renseignements et de documents est présentée.
[65] Lorsque le ministre a entrepris la vérification de Capital Vision en 1998 et demandé des documents, Capital Vision s'est opposée à la fourniture de renseignements et à la production de documents concernant les noms de ses clients. Un an plus tard, le ministre a demandé une autorisation judiciaire aux fins de la délivrance de demandes concernant des personnes non désignées nommément . Capital Vision s'est opposée à cette façon de procéder et a invoqué son droit de faire réviser l'autorisation judiciaire, conformément aux paragraphes 231.2(5) et 231.2(6) de la Loi.
[66] Le ministre a court-circuité cette démarche en signifiant la nouvelle demande à Capital Vision en février 2000 et soutient maintenant que la sollicitation des renseignements et documents décrits dans la demande de février 2000 vise un objet différent, soit la vérification concernant Capital Vision plutôt que la vérification concernant des personnes non désignées nommément.
[67] Je ne souscris pas à cet argument. À mon avis, le ministre cherche encore à obtenir de Capital Vision les mêmes renseignements et documents qu'il a sollicités en octobre 1998 dans le cadre de la vérification concernant celle-ci. Il demeure assujetti aux exigences de la Loi conformément à l'article 231.2 et ne peut s'y soustraire simplement en alléguant, sans le prouver, que la vérification de Capital Vision se poursuit.
ii) Les autres demandes
[68] Voici les extraits pertinents des demandes signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision (les autres demandes) :
[TRADUCTION]
DEMANDE DE PRODUCTION DE DOCUMENTS
CONTEXTE
1. Conformément au paragraphe 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour l'application et l'exécution de la Loi, une personne autorisée par le ministre du Revenu national peut inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tout document de celui-ci qui se rapporte ou qui est susceptible de se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou qui devraient se trouver dans ses livres et registres, ou à tout montant que ce contribuable doit payer en vertu de la Loi.
2. Conformément au paragraphe 231.1(1) de la Loi, vers le mois d'octobre 1998, des vérificateurs du ministère du Revenu national (maintenant l'Agence des douanes et du revenu du Canada) (l'Agence) ont entrepris une vérification de Capital Vision Inc. [non souligné à l'original]
3. La vérification est en cours. [non souligné à l'original]
4. En conséquence, la présente demande de production de documents vous est signifiée conformément à l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi à des fins liées à l'administration et à l'exécution de la Loi.
DOCUMENTS DEMANDÉS
6. Je demande tous les documents, qu'ils soient écrits ou sous toute autre forme, notamment les comptes, les ententes, les livres, les graphiques ou les tableaux, la correspondance, les diagrammes, les formulaires, les images, les factures, les lettres, les cartes, les notes de service, les plans, les déclarations de revenus, les états financiers, les télégrammes, les pièces justificatives et toute autre chose contenant des renseignements, et qui se rapportent aux opérations en matière d'oeuvres d'art faites pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 31 janvier 2000 inclusivement.
7. L'expression « opérations en matière d'oeuvres d'art » est définie plus loin.
...
DÉFAUT DE SE CONFORMER
10. À défaut de vous conformer à la présente demande, ... [vous] vous exposez à l'application des dispositions prévues aux articles 238 et 242 de la Loi.
[69] Les demandeurs soutiennent que cette demande est trompeuse, parce qu'elle énonce de façon erronée le véritable objet que vise le ministre. Même si le but apparemment visé est d'obtenir des documents d'un contribuable non désigné nommément, les demandeurs estiment que le ministre tente en réalité de contraindre les destinataires de ladite demande à dévoiler la mesure dans laquelle les achats qu'ils ont conclus dans le cadre de la stratégie en matière de dons de charité respectaient la Loi.
[70] Dans la décision rendue dans l'arrêt Canadian Forest Products Ltd., précité, le juge en chef adjoint Jerome a statué qu'un contribuable qui a reçu une demande de renseignements au sujet d'une autre tierce partie devrait bénéficier d'une protection plus grande contre la divulgation de renseignements qui pourraient éventuellement lui causer un préjudice. Voici comment il s'est exprimé à la page 6508 :
L'avocat des requérants a également cité un certain nombre de causes qui indiquent que la Cour favorise l'adhésion formaliste à la règle selon laquelle le ministre doit désigner nommément les contribuables faisant l'objet d'une enquête ou invoquer le paragraphe 231.2(2) (voir par exemple : Paquette c. M.R.N., (1992), 92 D.T.C. 6394 (C.F. 1re inst.); Andison c. M.R.N., (1995), 95 D.T.C. 5058 (C.F. 1re inst.)). Les conditions énoncées au paragraphe 231.2(3) sont conçues pour protéger les contribuables contre les enquêtes abusives effectuées par le ministère du Revenu national. Si l'intimé n'est pas disposé à désigner les contribuables qui font l'objet de l'enquête, il doit invoquer le paragraphe 231.2(3).
Le paragraphe 231.2(2) exige que le ministre obtienne une autorisation judiciaire avant d'imposer des exigences quelconques fondées sur le paragraphe 231.2(1) concernant les personnes non désignées nommément. L'intimé prétend que les renseignements demandés concernent les propres opérations des requérants et que les dispositions concernant les personnes non désignées ne sont pas applicables. Toutefois, la demande de renseignements a été faite dans le contexte d'une enquête sur l'assujettissement à l'impôt de cinq autres sociétés, qui ne font pas partie des requérants. Par conséquent, les requérants devraient bénéficier d'une protection plus grande contre la divulgation de renseignements qui pourraient éventuellement leur causer un préjudice.
[71] Dans Montreal Aluminum Processing Limited et al. c. Procureur général du Canada et al. (1992), 92 D.T.C. 6567 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu que le destinataire d'une demande avait le droit d'obtenir un avis équitable de la fin pour laquelle le ministre entendait exercer ses pouvoirs. Le juge Hugessen a formulé les remarques suivantes aux pages 6569 et 6570 :
Il est établi en droit que le critère qui consiste à savoir si le ministre, lorsqu'il exerce ses pouvoirs en vertu du paragraphe 231.2(1), agit pour une fin visée dans la loi est un critère objectif. À mon avis, on peut soutenir que le destinataire d'une demande a droit à un avis équitable sur la fin pour laquelle le ministre entend exercer les pouvoirs qu'il tient du paragraphe 231.2(1). Par conséquent, je pense qu'une allégation suivant laquelle une déclaration d'intention fausse ou trompeuse invalide une demande ne sera pas nécessairement repoussée hors de tout doute. [Notes de bas de page omises]
[72] À mon avis, le texte des autres demandes signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision, notamment dans la section du contexte, donne à penser que le ministre cherchait à obtenir des documents concernant une vérification menée à l'égard d'un contribuable non désigné nommément.
[73] Le ministre a invoqué l'affidavit en date du 19 novembre 1999 de Mark Ferguson, vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, pour obtenir les anciennes demandes. Dans son affidavit, M. Ferguson déclare que les anciennes demandes signifiées aux autres demandeurs visaient à vérifier si des personnes non désignées nommément respectaient la Loi. Sur la foi de cette déclaration, le juge Reed a rendu une ordonnance autorisant le ministre à délivrer les demandes conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi. Tel qu'il est mentionné plus haut, dès qu'ils ont reçu les anciennes demandes, les demandeurs ont pris des mesures pour les faire annuler et le ministre a alors décidé de ne pas exiger l'exécution des anciennes demandes, mais plutôt d'en délivrer et signifier de nouvelles.
[74] À mon sens, lorsque le ministre a décidé de renoncer à l'exécution des anciennes demandes, il a abandonné celles-ci et la délivrance et la signification de nouvelles demandes de sa part doivent être considérées comme une nouvelle procédure.
[75] Le ministre admet maintenant dans la présente instance que les nouvelles demandes visaient deux objets : d'abord, obtenir des renseignements au sujet de Capital Vision et, en second lieu, tenter de savoir si les clients de celle-ci avaient respecté la Loi en ce qui a trait aux opérations concernant les oeuvres d'art.
[76] Cette admission n'est pas formulée en toutes lettres dans les demandes qui ont été signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision. Le ministre a fait valoir que lesdites demandes ne constituaient ni une recherche à l'aveuglette ni des demandes visant des personnes non désignées nommément, parce que les demandeurs pouvaient déduire que les vérifications concernaient Capital Vision.
[77] Je ne suis pas d'accord avec ces arguments. À mon sens, il n'appert pas clairement des demandes signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision que les documents sollicités concernaient une vérification relative à celle-ci. Les demandeurs autres que Capital Vision Inc. n'ont pas bénéficié de leur droit à un avis équitable de l'objet des demandes, comme le prévoit le paragraphe 231.2(1). Il est raisonnable de déduire que les nouvelles demandes visent le même objet que les anciennes et que la description que le ministre a donnée de cet objet n'est pas tout à fait franche.
[78] Étant donné que les demandes portent sur la production de documents concernant une personne non désignée nommément, le ministre était tenu d'obtenir une autorisation judiciaire au préalable, conformément aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi.
[79] Je souligne également que la Loi ne renferme aucune disposition permettant au ministre de se fonder sur une « déduction » que peut ou non tirer une tierce partie à laquelle une demande est signifiée. Il incombe au ministre et non au contribuable de respecter les exigences de l'article 231.2.
[80] Le ministre a fait valoir que, compte tenu de l'article 241 de la Loi, il est tenu de protéger la confidentialité des contribuables et de ne pas dévoiler l'identité du contribuable visé par la vérification. Voici une partie du texte du paragraphe 241(1) de la Loi :
241. (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire: a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d'en permettre sciemment la prestation; b) de permettre sciemment à quiconque d'avoir accès à un renseignement confidentiel; c) d'utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l'application ou de l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-chômage ou de la Loi sur l'assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article. |
241. (1) Except as authorized by this section, no official shall (a) knowingly provide, or knowingly allow to be provided, to any person any taxpayer information;
(b) knowingly allow any person to have access to any taxpayer information; or (c) knowingly use any taxpayer information otherwise than in the course of the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or for the purpose for which it was provided under this section. |
[81] Il est indéniable que cette disposition impose au ministre l'obligation de protéger la confidentialité des contribuables. Toutefois, il est tout aussi vrai que l'article 241 est assujetti aux autres dispositions de la Loi, y compris l'article 231.2, qui prévoit explicitement la protection des contribuables au moyen de la supervision judiciaire lorsque la confidentialité de ces personnes est en cause.
[82] De plus, les premiers mots du paragraphe 231.2(1) indiquent à mon sens que le Parlement considérait la question de l'atteinte à la vie privée comme une question très sérieuse. Le paragraphe 231.2(1) débute comme suit :
Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) ... [non souligné à l'original]
Notwithstanding any other provision of the Act, the Minister may, subject to subsection (2) ... [Emphasis added]
[83] Dans la décision rendue dans l'arrêt Sand Exploration, précité, le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, s'est exprimé comme suit au paragraphe 18 au sujet du rôle du paragraphe 231.2(3) relativement à la protection de la confidentialité des contribuables :
Une atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux-mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer. Il ne fait aucun doute que c'est la raison pour laquelle le Parlement a jugé opportun d'exiger que le ministre obtienne une autorisation judiciaire, et de ne l'autoriser à une telle atteinte à la vie privée qu'une fois qu'il a convaincu le tribunal au sujet des points mentionnés expressément au paragraphe 231.2(3). Cependant, si l'on satisfait aux exigences de ce paragraphe, cette atteinte à la vie privée est autorisée.
[84] Les paragraphes 231.2(2) et (3) exigent que le ministre demande une autorisation judiciaire lorsqu'il cherche à obtenir l'accès à des renseignements ou documents concernant une personne non désignée nommément. Les paragraphes 231.2(5) et (6) protègent la personne à laquelle cette demande de communication peut être adressée en lui permettant de demander la révision judiciaire de toute autorisation accordée sur présentation de la requête ex parte du ministre et en permettant à un juge d'annuler une autorisation.
[85] À mon avis, la protection prévue à l'article 241 existe simultanément avec les droits et obligations énoncés à l'article 231.2, mais le ministre ne peut échapper à ses obligations découlant de l'article 231.2 en invoquant l'article 241. L'argument du ministre qui est fondé sur l'article 241 n'est pas retenu.
iii) Résumé
[86] Comme les demandeurs l'ont soutenu, je reconnais que le ministre a énoncé de façon erronée les véritables intentions dont il était animé lorsqu'il a délivré les demandes examinées en l'espèce, compte tenu de l'ensemble du contexte, que je résume comme suit.
[87] En 1998, le ministre a entrepris une vérification concernant Capital Vision et, à cet égard, des demandes de production de renseignements et documents ont été délivrées. Capital Vision a obtempéré à ces demandes et fourni les documents et ainsi de suite au plus tard en novembre 1998. Toutefois, elle a refusé de dévoiler les noms de ses clients et a informé par écrit le ministre de ce refus.
[88] Par la suite, en novembre 1999, le ministre a demandé à la Cour l'autorisation de signifier conformément à la Loi, des demandes visant à obtenir des renseignements au sujet de personnes non désignées nommément. Lorsqu'il a présenté cette demande, le ministre a soutenu qu'il cherchait à obtenir des renseignements au sujet de la mesure dans laquelle des personnes non désignées nommément, et non Capital Vision, respectaient la Loi. Il n'était nullement question d'une vérification concernant Capital Vision.
[89] Après la signification de ces demandes, les demandeurs ont exercé leurs droits, conformément au paragraphe 231.2(5) de la Loi, de demander le contrôle judiciaire à l'égard des demandes. Le contre-interrogatoire de Mark Ferguson, le représentant du ministre, devait avoir lieu dans le cadre de cette procédure.
[90] Le ministre a esquivé cette démarche en informant unilatéralement les demandeurs qu'il n'exigerait pas l'exécution des demandes de novembre 1999, mais qu'il en délivrerait de nouvelles sur lesquelles il se fonderait. À cette occasion, il a déclaré que Capital Vision faisait l'objet d'une vérification et que des documents et renseignements étaient demandés relativement à la période allant de 1996 à 2000. La vérification entreprise en 1998 concernait les années d'imposition allant de 1995 à 1998. Dans le cas des autres demandeurs, le ministre a mentionné qu'une vérification était en cours sans toutefois dévoiler l'identité du contribuable.
[91] Si la vérification concernait un contribuable non désigné nommément, le ministre était tenu, en vertu de la Loi, de demander une autorisation judiciaire avant de délivrer les demandes aux autres demandeurs.
[92] Comme la Cour l'a souligné dans la décision rendue dans Montreal Aluminum Processing, précité, le critère à appliquer pour évaluer l'objet visé par le ministre relativement à l'article 231.2 est un critère objectif. À mon sens, le ministre n'a pas réussi en l'espèce à prouver de manière objective qu'il avait déclaré franchement l'objet qu'il visait lors de la délivrance des nouvelles demandes.
[93] Le ministre n'a pas été franc en ce qui concerne le véritable objet de la délivrance des nouvelles demandes. Au même moment, il semble qu'il voulait empêcher les demandeurs de demander à la Cour de réviser l'ordonnance que le juge Reed avait rendue au sujet de la requête ex parte du ministre. Compte tenu de l'avis que l'avocat du ministre a formulé dans sa lettre du 11 février 2000, cette conclusion concernant la divulgation des véritables intentions du ministre est raisonnablement appuyée par les faits.
[94] Dans la décision rendue dans l'arrêt Sand Exploration, précité, le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, a commenté comme suit au paragraphe 16 la prudence que doit exercer le ministre au moment de se prévaloir de son droit de présenter une requête ex parte conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi :
...Je crois aussi que le fait que le ministre puisse obtenir une autorisation du tribunal sur requête ex parte l'oblige à agir avec le maximum de bonne foi et à s'assurer qu'il y a communication franche et entière des renseignements. Voir, par exemple, Canada c. Duncan, [1992] 1 C.F. 713 (1re inst.), à la page 730. Pour tous ces motifs, le ministre doit respecter des normes rigoureuses lorsqu'il adresse au tribunal une demande d'autorisation en vertu du paragraphe 231.2(3).
CONCLUSION
[95] Dans ces circonstances, j'en arrive à la conclusion que le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en application de l'article 231.2 de la Loi. Une ordonnance déclarant que la décision du ministre de signifier les nouvelles demandes aux demandeurs était invalide et illégale sera rendue. Il n'est pas nécessaire d'examiner les autres questions que les demandeurs ont soulevées. Les demandes sont annulées.
[96] Les demandeurs ont droit à leurs dépens en l'espèce.
« E. Heneghan »
Juge
OTTAWA (Ontario)
Le 19 décembre 2002
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-493-00
INTITULÉ : CAPITAL VISION INC., CVI ART MANAGEMENT, CVI MANAGEMENT INC., THE CAPITAL VISION GROUP INC., BDO DUNWOODY LLP, 671514 ONTARIO LTD., 1271724 ONTARIO INC., GREG COLEMAN, RALPH T. NEVILLE, GERRY JOHN HOGENHOUT ET PAUL BAIN
c.
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto
DATE DE L'AUDIENCE : le 25 juin 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : Madame le juge Heneghan
COMPARUTIONS :
Cliff Rand POUR LES DEMANDERESSES
(CAPITAL VISION INC., CVI ART MANAGEMENT et
CVI MANAGEMENT INC.)
David Morritt POUR LES DEMANDEURS
(PAUL BAIN et 1271724 ONTARIO INC.)
Barry M. Weintraub POUR LES DEMANDEURS
(671514 ONTARIO LTD. et GERRY JOHN HOGENHOUT)
James C. Orr POUR LES DEMANDEURS
(BDO DUNWOODY et RALPH NEVILLE)
Sheldon Silver, c.r. POUR LES DEMANDEURS
(CVI GROUP INC. et GREG COLEMAN)
Peter Vita, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
(MINISTRE DU REVENU)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Clifford L. Rand POUR LES DEMANDEURS
David C. Muha
Wildeboer Rand Thomson
Apps & Dellelce
Avocats
1 First Canadian Place, Suite 810
Toronto (Ontario) M5X LA9
David Morritt
Allan D. Coleman
Osler, Hoskin & Harcourt
Avocats
C.P. 50, 1 First Canadian Place
Toronto (Ontario) M5X LB8
Barry M. Weintraub
Heenan Blaikie
2600-200 Bay Street
Royal Bank, South Tower
C.P. 1056, Toronto (Ontario) M5J 2J4
James C. Orr
Kelly Affleck Greene
1 First Canadian Place, Suite 840
C.P. 489, Toronto (Ontario) M5X LE5
Sheldon Silver, c.r.
Goodman Phillips & Vineberg
250 Yonge Street, Suite 2400
Toronto (Ontario) M5B 2M6
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada