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Date : 20020405

Dossier : T-1895-00

OTTAWA (ONTARIO), le 5 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :

                                                               JOLINE BULL

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

RUSSELL THREEFINGERS

                                                                                                                                        défendeurs

                                                              ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire de la décision du comité d'appel des élections de Louis Bull prise le 22 septembre 2000;

ET APRÈS avoir lu les documents qui ont été déposés et entendu les arguments des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés en ce jour;


LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens étant adjugés au défendeur Russell Threefingers.

« Dolores M. Hansen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


Date : 20020405

Dossier : T-1895-00

Référence neutre : 2002 CFPI 374

ENTRE :

                                                               JOLINE BULL

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

RUSSELL THREEFINGERS

                                                                                                                                        défendeurs

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision que le comité d'appel des élections de Louis Bull a prise le 22 septembre 2000.

        Joline Bull (la demanderesse) sollicite une ordonnance de certiorari en vue de faire annuler la décision du comité d'appel de Louis Bull, une ordonnance de mandamus en vue de la tenue d'une audience appropriée et un bref de quo warranto à l'encontre du défendeur Russell Threefingers (le défendeur).


LES FAITS

        La tribu de Louis Bull est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. La réserve est située près du hameau de Hobbema (Alberta). Le chef et huit conseillers de la tribu de Louis Bull sont élus par les membres de la bande conformément aux coutumes de la bande. L'élection du conseil tribal est régie par l'énoncé no 439 des coutumes de la tribu de Louis Bull (le Règlement).

        La demanderesse s'est portée candidate au poste de conseillère aux élections tenues par la tribu de Louis Bull qui ont eu lieu le 24 février 2000. Elle n'a pas été élue. Lors de ces élections, il y avait une triple égalité pour le poste du huitième conseiller. Le défendeur a en fin de compte été élu lors d'un scrutin de ballottage qui a été tenu le 2 mars 2000.


        Par la suite, la demanderesse a reçu une copie d'une lettre en date du 17 mars 1999 qu'Al Caesar, chef des services de police de Louis Bull, avait envoyée au chef et au conseil. En réponse à la demande que le conseil avait faite pour que l'on vérifie le casier judiciaire des personnes qui s'étaient portées candidates aux élections du mois de février 1999, l'auteur de la lettre dit qu'une certaine procédure devait être suivie afin d'assurer l'intégrité du système du Centre d'information de la police canadienne (le CIPC). La lettre indique qu'aucun renseignement en la possession du CIPC ne serait communiqué à moins que la personne visée par la demande de renseignements ne consente par écrit à la communication du casier judiciaire. Toutefois, la lettre dit ensuite ce qui suit :

[TRADUCTION] [v]oici les seuls renseignements que je puis vous donner en ce moment au sujet des candidats : les personnes suivantes semblent avoir fait l'objet de déclarations de culpabilité visées par le Règlement sur les élections, lesquelles les rendraient inéligibles.

        Le nom de Rusty Threefingers figure ci-dessous.

        Dans une lettre datée du 22 mars 2000 qui a été livrée à Geraldine Hill, directrice du scrutin de la tribu de Louis Bull, la demanderesse en a appelé de l'élection du défendeur en alléguant croire que ce dernier avait un casier judiciaire, ce qui l'empêcherait d'occuper la charge de conseiller de la tribu de Louis Bull. Dans sa lettre, la demanderesse indique qu'elle était candidate aux élections et qu'elle avait des motifs raisonnables de croire que Rusty Threefingers était un candidat inéligible.

        Dans sa lettre, la demanderesse a joint une liste des déclarations de culpabilité dont le défendeur avait fait l'objet, laquelle, atteste-t-elle, lui a été remise par Bison Security.

        Le 28 mars 2000, Mme Hill a informé la demanderesse par écrit que son appel était rejeté. La lettre est ainsi libellée :


[TRADUCTION] J'aimerais vous informer que je me suis présentée aux bureaux des services de police de Louis Bull avec M. Rusty Threefingers; le chef de police, M. David Jones, a vérifié les renseignements du CIPC, lesquels confirment que M. Rusty Threefingers ne peut pas se porter candidat aux élections. En fait, la pièce qui est jointe à votre lettre n'est pas officielle ou valide, elle est inexacte et elle n'est pas conforme aux dossiers officiels du « CIPC » .

Étant donné que les infractions qui ont donné lieu à des déclarations de culpabilité à l'encontre de M. Threefingers ne l'empêchent pas de se porter candidat à une charge, ce dernier est un candidat admissible et, cela étant, votre appel n'est pas fondé et est donc rejeté.

      Le 19 avril 2000, la demanderesse a livré une lettre en date du 31 mars 2000 à Mme Rose Mackinaw. La lettre est adressée aux membres du comité d'appel : Mme Rose Mackinaw, Mme Florence Whitebear et M. Alex Piché. Dans sa lettre, la demanderesse note que l'avocat l'a informée que Mme Hill, en sa qualité de directrice du scrutin, n'a pas compétence pour régler son appel et que seul le comité d'appel a compétence à ce sujet. La demanderesse demande au comité d'appel d'examiner et de régler son appel comme l'exige le Règlement.

      Le comité d'appel n'a pas répondu à la lettre. Environ cinq mois plus tard, le 18 septembre 2000, l'avocat de la demanderesse a écrit au comité d'appel pour demander qu'une décision soit prise au sujet de l'appel interjeté par sa cliente. Quelques jours plus tard, l'avocat de la demanderesse a reçu une lettre ainsi libellée du comité d'appel :

[TRADUCTION] En réponse à la lettre susmentionnée, je tiens à vous informer que la lettre de Mme Bull n'a pas été transmise au comité d'appel parce qu'elle a été livrée à l'agente électorale, Mme Geraldine Hill, qui a répondu à la lettre [...]

Selon le Règlement sur les élections de Louis Bull, un avis d'appel doit être donné à l'agent électoral, qui en examine le contenu et, s'il le juge valable, transmet ensuite la lettre au comité d'appel pour décision.


Malheureusement, la lettre d'appel de Mme Bull ne justifiait pas sa transmission à notre attention.

Nous espérons que cette réponse est suffisante.

      La demanderesse a présenté sa demande de contrôle judiciaire le 12 octobre 2000. Le défendeur n'a pas déposé d'affidavit dans la présente instance.

      L'article 2 du Règlement prévoit que le candidat qui a été déclaré coupable d'un acte criminel au cours des dix années ayant précédé sa nomination n'est pas éligible. L'article 21 prévoit qu'un candidat peut, dans les trente jours qui suivent la date de l'élection, interjeter appel devant le comité d'appel au sujet de l'éligibilité d'une personne désignée comme candidat. L'article 22 énonce les fonctions du comité d'appel et prévoit que celui-ci doit prendre une décision dans les quatorze jours qui suivent la réception de l'avis d'appel.

      La demanderesse soutient que le comité d'appel a omis d'examiner et de régler son appel comme l'exige le Règlement. À mon avis, cette prétention est amplement étayée par la lettre en date du 22 septembre 2000 du comité d'appel. Toutefois, à l'audition de l'examen judiciaire, l'avocat de la demanderesse a volontiers concédé qu'une ordonnance de certiorari ou de mandamus n'aurait aucun effet pratique puisque le mandat du défendeur expirait à la fin du mois de mars 2001.


      Malgré cette concession, la demanderesse demande avec instance à la Cour d'appuyer et de confirmer le Règlement qui a été adopté par la tribu de Louis Bull en délivrant un bref de quo warranto contre le défendeur. Elle fonde son argument sur deux prétentions.

      En premier lieu, la demanderesse affirme que le Règlement empêche le candidat qui a été déclaré coupable d'un acte criminel d'occuper une charge. Elle soutient que la liste des déclarations de culpabilité qui lui a été fournie indique que le défendeur a été déclaré coupable d'actes criminels. Elle affirme en outre que la lettre du 17 mars 1999 indique que, de l'avis du chef de police, le défendeur semble ne pas être éligible compte tenu du [TRADUCTION] « libellé du Règlement » .

      La demanderesse affirme que le défendeur aurait pu répondre à la demande visant l'obtention d'un bref de quo warranto. Elle soutient qu'étant donné que le défendeur n'a pas présenté de preuve dans cette instance et qu'il s'est contenté d'affirmer qu'il n'avait pas de casier judiciaire l'empêchant d'occuper une charge, il faut faire une inférence défavorable à l'encontre du défendeur au sujet de son casier judiciaire. À cet égard, la demanderesse se fonde sur la décision que la Cour d'appel de l'Ontario a rendue dans l'affaire Bernardi et al. c. Guardian Royal Exchange Assurance Co. et al., [1979] I.L.R. 1-1143, page 385 (C.A. Ont.).


      En second lieu, en se fondant sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire La Reine c. Wheeler, [1979] 2 R.C.S. 650, la demanderesse soutient que la Cour peut délivrer un bref de quo warranto, et ce, même si le mandat du titulaire d'une charge a expiré.

      Le défendeur a avancé un certain nombre d'arguments, dont l'un est particulièrement convaincant. Il affirme que l'expiration du mandat a pour effet de rendre théorique la demande visant l'obtention d'un bref de quo warranto. Il signale que la demanderesse a confirmé ce fait lorsqu'elle a été contre-interrogée au sujet de son affidavit. En outre, l'avocat du défendeur maintient qu'étant donné que la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve montrant que le défendeur a été élu pour un deuxième mandat, l'arrêt Wheeler, précité, n'aide pas la demanderesse.


      Dans l'affaire Wheeler, précitée, le demandeur avait sollicité un bref de quo warranto visant à destituer le défendeur de sa charge de maire de la ville en raison de certains contrats que la ville avait conclus pendant que ce dernier était maire. La Cour d'appel a rejeté l'appel interjeté contre le refus d'accorder le bref de quo warranto peu de temps avant l'expiration du mandat du défendeur. Quelques jours plus tard, le défendeur a été réélu maire pour un deuxième mandat. Devant la Cour suprême du Canada, le défendeur a soutenu que le litige ou le fondement des procédures avait disparu à l'expiration de son mandat initial. Monsieur le juge Estey, au nom de la Cour, a dit ce qui suit, pages 663 et 664 :

[...] Vu la durée généralement courte du mandat du titulaire d'une charge municipale, la population serait souvent privée du recours au quo warranto puisque le titulaire aurait terminé son mandat au moment où les cours trancheraient définitivement l'affaire. Si le mandat contesté était effectivement expiré par l'écoulement du temps ou autrement, l'ordonnance ne serait pas, dans le sens courant, non exécutoire; il n'y aurait tout simplement pas lieu de l'exécuter. Toutefois, lorsque la cause de l'inhabilité se maintient pendant un deuxième mandat, la proposition de l'intimé entraînerait le recommencement des procédures. Dire, dans de telles circonstances, que la question a perdu tout aspect pratique au moment de la réélection et exiger par le fait même le recommencement des procédures, équivaudrait souvent à la dénégation réelle du droit de la collectivité, représentée par le requérant, d'obtenir une décision des cours sur une question fondamentale à la marche du processus démocratique. Lorsque, comme en l'espèce, les circonstances initiales se retrouvent pendant le deuxième mandat en raison de parties de contrats inexécutées, et lorsque des contrats semblables ont été passés entre la municipalité et l'intimé pendant ce deuxième mandat, il n'est pas nécessaire à mon avis de renouveler les procédures ou de les recommencer. Cette Cour n'a jamais rejeté un pourvoi pour la seule raison que le point en litige était devenu théorique au moment où les faits lui étaient soumis. International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 2085 et autres c. Winnipeg Builders' Exchange et autres.

      Il est clair qu'un demandeur ne devrait pas se voir obligé d'engager de nouvelles procédures lorsque le fondement de la contestation de l'éligibilité du titulaire de la charge s'applique également à un deuxième mandat, mais le fondement factuel invoqué par la demanderesse en l'espèce à l'appui de la délivrance d'un bref de quo warranto est défectueux. La Cour ne dispose d'aucun élément de preuve montrant que le défendeur a été réélu après l'expiration du mandat ayant donné lieu à la contestation.


      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens étant adjugés au défendeur Russell Threefingers.

« Dolores M. Hansen »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 5 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1895-00

INTITULÉ :                                                                     Joline Bull

c.

Russell Threefingers

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 22 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  Madame le juge Hansen

DATE DES MOTIFS :                                                  le 5 avril 2002

COMPARUTIONS :

M. David Holt                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

M. Ramon T. McKall                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hladun & Company                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)

Henning Byrne Whitmore & McKall                                POUR LE DÉFENDEUR

Edmonton (Alberta)

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