Date : 20010330
Dossier : IMM-934-01
Référence neutre : 2001 CFPI 266
Ottawa (Ontario), le 30 mars 2001
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
PATRICIA COVE
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE PELLETIER
1. Il s'agit d'une demande de prorogation du délai relatif au dépôt d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de visa de la demanderesse. La présente affaire porte sur une situation assez inhabituelle du fait que les problèmes de la demanderesse sont attribuables à son consultant en matière d'immigration, qui a tellement tardé à agir dans le dossier que le délai de prescription prévu à la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, avait presque expiré. Même à ce moment, le consultant n'a pas fourni à la demanderesse les services de l'avocat qu'il avait apparemment engagé ni les renseignements exigés pour la préparation de l'avis de demande. Une lecture des présents motifs pourrait donner à penser que la demanderesse a des ressources financières restreintes et éprouve des difficultés parce qu'elle ne peut s'offrir les services d'un avocat. Or, il appert de la preuve déposée au dossier que la demanderesse et son époux possèdent des biens d'une valeur d'environ 675 000 $ qu'ils peuvent apporter au Canada. De plus, tous deux résident au Royaume-Uni, de sorte que le problème ne réside pas dans le manque de ressources. Le consultant en matière d'immigration concerné poursuit ses activités au Royaume-Uni, mais utilise la désignation OPIC, qui pourrait signifier Organization of Professional Immigration Consultants, soit un organisme qui, à mon sens, est canadien.
2. Voici un résumé des événements. Le 9 janvier 2001, le Haut-commissariat du Canada a écrit à la demanderesse, à l'attention du consultant de celle-ci, pour lui dire que la demande de visa qu'elle avait présentée était refusée. Le consultant a reçu la lettre de refus le 17 janvier 2001. Étant donné qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir une autorisation avant de présenter une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision d'un agent des visas, cette demande doit être déposée dans les 30 jours suivant la date de l'avis. Si une autorisation était nécessaire, la demande d'autorisation devrait être présentée dans les 15 jours suivant la réception de l'avis. Le 29 janvier 2001, quelque 12 jours après avoir reçu un avis de la décision, le consultant a demandé par écrit un réexamen. Le 13 février 2001, environ 26 jours après la réception de l'avis, le consultant a demandé à un cabinet d'avocats de Windsor (Ontario) de préparer la demande de contrôle judiciaire. L'avocat mentionne qu'il n'a pas reçu les renseignements nécessaires pour préparer la demande, de sorte qu'il a commencé à préparer la demande de prorogation de délai, laquelle a été déposée auprès de la Cour fédérale, à Toronto, le 27 février 2001.
3. Quelle est l'importance de ces faits aux fins de la demande de prorogation du délai relatif au dépôt de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse? L'importance découle de l'argument invoqué en faveur de l'octroi de la demande de prorogation de délai. La demanderesse soutient, d'abord, qu'elle n'était pas représentée par un avocat. Lorsque son consultant a décidé d'écrire au Haut-commissariat du Canada pour demander un réexamen plutôt que de déposer une demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a fait confiance à son consultant et a accepté cette stratégie. Le retard à instruire un cabinet d'avocats de déposer la demande de contrôle judiciaire est reproché au consultant.
4. Un des éléments du critère relatif à l'octroi d'une prorogation de délai réside dans l'obligation de fournir une explication au sujet du retard. Selon l'explication offerte, le consultant ne s'est pas acquitté correctement de ses obligations, faute que la demanderesse demande implicitement à la Cour de ne pas retenir contre elle. La documentation ne renferme aucune explication au sujet du retard de deux semaines lié au dépôt de la demande de prorogation.
5. La demanderesse a parfaitement le droit de se tourner du côté d'un consultant en matière d'immigration plutôt que d'un avocat spécialisé dans ce domaine pour régler ses problèmes en matière d'immigration. Il se peut qu'en agissant de cette façon, elle ait épargné des frais et des honoraires, mais ce n'est pas nécessairement le cas. Elle a également parfaitement le droit de se fonder sur l'avis de son consultant au sujet des mesures à prendre pour présenter sa demande. Toutefois, la demanderesse peut difficilement soutenir qu'elle devrait bénéficier d'une dispense de l'application des règles parce qu'elle n'a pas été représentée par un avocat et qu'elle a été mal conseillée.
6. En général, les demandeurs devront subir les conséquences de leur choix en ce qui concerne le conseiller, même si celui-ci est avocat. Dans l'affaire Williams c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F no 258, (1994) 74 F.T.R. 34, Madame le juge Reed s'est exprimée comme suit :
[par. 20]...La règle générale observée par les tribunaux judiciaires pose que le client est réputé avoir autorisé les conclusions faites par son avocat en son nom, lesquelles conclusions l'engagent de ce fait. Le système serait bloqué s'il n'en était pas ainsi. À mon avis, d'ordonner le sursis dans les circonstances où le seul préjudice que le requérant soit en mesure de prouver est qu'il est possible qu'il ait ou n'ait pas des motifs de contrôle judiciaire, mais qu'il ne le sait pas parce que sa première avocate n'a pas convenablement préparé le dossier, créerait un précédent impraticable. C'est aux organismes de réglementation professionnelle, comme le barreau, et non pas aux tribunaux judiciaires, de veiller aux prestations professionnelles de leurs membres.
7. Dans l'affaire Drummond c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 477, (1996), 112 F.T.R. 33, Monsieur le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a relevé une exception au principe que le juge Reed avait énoncé :
Cependant, dans des cas extraordinaires, la compétence de l'avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que les faits soient précis et clairement prouvés; voir Sheikh c. Canada (1990), 71 D.L.R. (4th) 604 (C.A.F.); Huynh c. M.E.I. (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 18 (C.F. 1re inst.); et Shirwa c. M.E.I. (1993), 23 Imm. L.R. (2d) 123 (C.F. 1re inst.).
8. Les faits exposés dans la présente affaire ne soulèvent aucune question de justice naturelle.
9. Si la demanderesse s'était trouvée dans cette situation par suite d'une erreur de son avocat, cette erreur serait retenue contre elle. Pourquoi ne devrait-il pas en être de même lorsque l'erreur est celle du consultant? Accepter cet argument de la demanderesse inciterait plusieurs personnes à retenir les services d'un consultant plutôt que d'un avocat, convaincues qu'elles pourraient obtenir réparation en rejetant la faute sur le consultant si les choses tournaient mal. Cette façon de procéder ne favorise pas un emploi rationnel des ressources juridiques et judiciaires.
10. Les particuliers qui se présentent à titre de personnes spécialisées en matière d'immigration et adoptent la désignation de « conseiller juridique » , comme c'est de plus en plus souvent le cas, seront assujettis à la même norme que ceux qui se présentent régulièrement devant la Cour. Les conséquences découlant de l'inexécution de leurs obligations pour leurs clients seront les mêmes que dans le cas des clients des avocats spécialisés en matière d'immigration. Il n'y a aucune raison pour laquelle la Cour devrait protéger les consultants des allégations de négligence en fermant les yeux lorsqu'ils commettent des erreurs. Les avocats spécialisés en matière d'immigration paient des primes d'assurance responsabilité élevées afin d'obtenir une protection qui pourrait être invoquée chaque fois qu'un tribunal refuse de fermer les yeux sur leurs erreurs. Appliquer une norme différente à l'endroit des consultants équivaut à subventionner la concurrence à laquelle ceux-ci se livrent avec les avocats spécialisés en matière d'immigration.
11. Il n'appartient pas à la Cour de décider quelles sont les personnes que les clients devraient consulter au sujet de leurs problèmes liés à l'immigration. Si les consultants en matière d'immigration n'étaient ni nécessaires ni demandés, ils n'existeraient pas. Toutefois, il n'appartient pas non plus à la Cour de défavoriser ses propres fonctionnaires en appliquant une norme différente au profit de ceux qui les supplanteraient.
12. En définitive, je ne suis pas convaincu que l'explication que la demanderesse a fournie au sujet du retard lui permet d'obtenir la réparation qu'elle demande.
13. La demande de prorogation de délai est rejetée.
ORDONNANCE
Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de prorogation de délai est rejetée.
« J.D. Denis Pelletier »
J.C.F.C.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-934-01
INTITULÉ DE LA CAUSE : Patricia Cove
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER
DATE DES MOTIFS : le 30 mars 2001
OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :
Me Glenn E. Matthews pour la demanderesse
Me Ian Hicks pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Glenn E. Matthews pour la demanderesse
Windsor (Ontario)
Me Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada