Date : 20011002
Dossier : IMM-2484-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1080
ENTRE :
SARVANANTHAN SATHASIVAM
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée conformément au paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, à l'encontre de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) avait refusé, le 20 avril 2000, la demande qu'il avait faite en vue de faire rétablir sa revendication.
[2] Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la SSR ainsi qu'une ordonnance renvoyant sa demande pour que l'affaire soit rouverte et qu'un membre ou un tribunal différent statue à nouveau sur l'affaire.
Les faits
[3] Le demandeur est un Tamoul du nord de Sri Lanka; il est citoyen de ce pays. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention lorsqu'il est arrivé au Canada le 22 août 1998. Il a par la suite retenu les services d'un avocat et a déposé un Formulaire de renseignements personnels (le FRP), en alléguant être un réfugié au sens de la Convention. Lors de l'examen initial de sa revendication, il a été jugé que le demandeur avait droit à une instruction approfondie devant la SSR.
[4] Pendant qu'il attendait l'audition de sa revendication, le demandeur a rencontré sa future conjointe, dont le statut de réfugié au sens de la Convention avait été reconnu et qui résidait en permanence au Canada; il l'a épousée le 22 mars 1999.
[5] Le demandeur estimait qu'il y avait eu de longs retards dans le traitement de sa revendication. Il s'attendait à ce que sa demande soit instruite rapidement, mais l'audience préliminaire a eu lieu huit mois plus tard seulement, soit le 26 mai 1999; au milieu de l'été 1999, la date de l'instruction approfondie devant la SSR n'avait pas encore été fixée. Le demandeur déclare que le retard, dans le traitement de sa revendication, l'avait déçu; les conseils que lui avait donnés l'avocat qui agissait alors pour son compte l'ont amené à croire qu'une demande de résidence permanente serait traitée plus rapidement s'il la présentait à titre de membre de la catégorie de parent parrainé par sa conjointe. M. Sathasivam déclare que, sur les conseils de son avocat, il a renoncé à sa revendication le 31 août 1999. Le 22 février 2000, sa demande de résidence permanente, parrainée par sa conjointe, a été refusée.
[6] Le demandeur a alors cherché à faire rétablir sa revendication, en affirmant qu'il ne comprenait pas les conséquences de sa renonciation antérieure, effectuée à la suite des avis donnés par son ancien avocat, et qu'il continue à craindre d'être persécuté du fait de ses opinions politiques s'il retourne à Sri Lanka. La demande de rétablissement a été examinée par un membre de la SSR compte tenu d'observation écrites, sans comparution personnelle. Une décision refusant la demande a par la suite été rendue pour les motifs ci-après énoncés :
1. Le demandeur se préoccupait davantage d'obtenir « dans les plus brefs délais » le droit d'établissement que de faire entendre sa revendication d'une façon équitable;
2. Contrairement aux dires du demandeur, on ne croyait pas que l'ancien avocat de celui-ci lui eût conseillé de renoncer à sa revendication ou que le demandeur ne se soit pas rendu compte que sa demande de résidence permanente, qui était fondée sur le statut et le parrainage de sa conjointe, pourrait être refusée;
3. Même si, au mois de mai 1999, il avait été jugé qu'une instruction approfondie de la revendication du demandeur était justifiée, le demandeur a décidé de solliciter le droit d'établissement au moyen de la demande présentée par sa conjointe. Il était « tout à fait inhabituel de croire que le revendicateur était certain du résultat positif de la demande de sa femme » .
[7] Dans la décision, on concluait qu'il n'était pas dans l'intérêt de la justice de rétablir la revendication d'un demandeur qui avait antérieurement décidé de ne pas se prévaloir de la possibilité de faire examiner sa revendication par la SSR. « Le processus de reconnaissance du statut de réfugié n'est pas une porte tournante qui permet de satisfaire les désirs de chacun » .
[8] Dans la décision, il était fait mention du fait qu'il était peu probable que l'ancien avocat eût donné l'avis allégué. Le fondement du deuxième motif à l'appui de la décision a été énoncé comme suit :
Deuxièmement, nous ne croyons pas à la déclaration du revendicateur selon laquelle son ancien conseil lui avait conseillé de renoncer à sa revendication et qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il existait une possibilité que sa demande de résidence permanente fondée sur le statut de sa femme soit rejetée. L'ancien conseil du revendicateur possède une grande expérience et se présente devant la SSR presque quotidiennement. Cela est incompatible avec l'expérience du conseil et sa connaissance du droit des réfugiés au sens de la Convention que de recommander au revendicateur de renoncer à sa revendication pour s'établir plus rapidement au moyen de la demande de sa femme. Le revendicateur aurait pu donner suite à son audience et présenter simultanément une demande d'établissement avec celle de sa femme. De plus, la lettre de renonciation du revendicateur déclare qu'il comprend la nature de sa renonciation et les conséquences qui en découlent. La lettre est signée par le revendicateur et est accompagnée d'une déclaration et de la signature de l'interprète, ce qui signifie que le contenu de la lettre de renonciation a été traduit au revendicateur dans sa langue maternelle.
Arguments du demandeur
[9] Le demandeur soutient que dans l'arrêt Kaur c. Canada, [1990] 2 C.F. 209 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit qu'il peut être approprié de rouvrir la procédure d'immigration afin d'éviter un déni de justice fondamentale. Le demandeur affirme que s'il avait connu les conséquences de la renonciation et s'il avait su que la demande qu'il avait présentée en se faisant parrainer par sa conjointe pouvait être rejetée, il n'aurait pas renoncé à sa revendication. Il est soutenu que la cause du demandeur est solide quant au fond, que ni l'une ni l'autre partie ne subirait de préjudice si la demande visant à la reconnaissance du statut de réfugié était rouverte et que le résultat obtenu éviterait un déni de justice.
[10] Il est reconnu que le paragraphe 28(9) des Règles de la SSR autorise la SSR à statuer sur une requête sans tenir d'audience si elle est convaincue qu'il ne risque pas d'en résulter d'injustice. Pourtant, s'il existe un doute au sujet de la preuve fournie par le demandeur, la section est tenue, en vertu du paragraphe 28(9) des Règles et du principe d'équité, de faire part de ce doute au demandeur dans le cadre d'une instruction. L'avocat du demandeur affirme que cela est d'autant plus vrai lorsqu'une décision défavorable peut être fondée sur des conclusions relatives au manque de crédibilité du demandeur. En bonne justice, pareilles conclusions ne devraient pas être tirées lorsque le demandeur n'a pas la possibilité de répondre aux préoccupations du décideur. En l'espèce, l'avocat avait demandé qu'une audience soit tenue si la SSR avait des doutes au sujet de la preuve soumise par le demandeur dans sa demande de rétablissement.
[11] Le demandeur affirme que la SSR a refusé de rétablir la revendication en se fondant sur le fait qu'elle ne croyait pas que l'ancien avocat du demandeur eût donné un avis trompeur. Il est soutenu qu'en ne donnant pas au demandeur la possibilité de réfuter cette conviction, on avait commis une injustice. En outre, il est soutenu, compte tenu de l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, pages 213 et 214, (1985), 17 D.L.R. (4th) 422, page 465, que « [...] lorsqu'une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d'audition » .
[12] Le demandeur affirme également que la SSR a erronément admis d'office les connaissances et l'expérience de son ancien avocat. Il est affirmé que ces considérations ne sont pas pertinentes, mais que s'il en est tenu compte, le demandeur aurait dû en être avisé puisque les compétences d'un avocat ne constituent pas un [TRADUCTION] « fait généralement reconnu » et qu'il ne s'agit pas [TRADUCTION] « de renseignements ou d'opinions » qui sont du ressort de la [TRADUCTION] « spécialisation » de la section au sens du paragraphe 68(4) de la Loi sur l'immigration. Même s'il en était ainsi, le paragraphe 68(5) empêche la section de se fonder sur des opinions ou des renseignements relevant de sa connaissance, sauf pour ceux qui peuvent être admis d'office en justice, à moins d'informer le demandeur de son intention de lui donner la possibilité de répondre.
[13] Le demandeur soutient que la décision était erronée du fait qu'il a été inféré que son ancien avocat ne pouvait pas avoir donné un conseil inexact et que, compte tenu de pareille inférence, des conclusions ont par la suite été tirées au sujet de la crédibilité de la preuve qu'il avait présentée. Le demandeur soutient que ces erreurs, qui sont des erreurs de droit, sont assujetties à un contrôle selon la norme de la décision correcte.
Arguments du défendeur
[14] Le défendeur affirme que la SSR n'était pas obligée de tenir une audience. En outre, il est soutenu qu'aucune conclusion n'a été tirée au sujet de la crédibilité du demandeur, mais que des inférences raisonnables ont été faites, lesquelles avaient pour effet de rendre les allégations du demandeur invraisemblables. On ne s'est pas fondé sur des contradictions ou incohérences apparentes nécessitant la présentation d'arguments additionnels de la part du demandeur. Le demandeur a pleinement eu la possibilité de présenter par écrit les éléments de preuve essentiels et la SSR ne les a tout simplement pas acceptés.
[15] Le défendeur affirme que selon l'arrêt Singh, précité, de la Cour suprême du Canada, lorsqu'on détermine s'il est justifié de tenir une audience, il faut se demander si les procédures offrent au demandeur une possibilité suffisante d'exposer ses arguments et de connaître la preuve qu'il doit réfuter. Dans l'affirmative, l'équité procédurale n'exige pas toujours la tenue d'une audience. Dans la décision, on faisait remarquer qu'aucune preuve n'avait été présentée pour le compte de l'ancien avocat du demandeur, qu'aucune preuve n'avait été fournie au sujet des conseils qui avaient en fait été donnés et que rien ne montre que le demandeur se soit plaint à son ancien avocat ou au Barreau. Enfin, étant donné que la lettre par laquelle le demandeur renonçait à sa revendication avait été traduite pour celui-ci et qu'il l'avait signée, la section a jugé que le demandeur connaissait les conséquences de son action délibérée.
[16] En réponse à l'allégation selon laquelle la section n'avait pas le droit d'admettre d'office les connaissances et l'expérience de l'ancien avocat du demandeur, le défendeur soutient que, conformément au paragraphe 68(4) de la Loi sur l'immigration, la compétence de l'avocat qui comparaît devant la SSR [TRADUCTION] « presque tous les jours » constitue clairement une [TRADUCTION] « opinion relevant de la connaissance de la SSR » et qu'il n'était donc pas nécessaire de donner un avis. Je ne suis pas convaincu qu'il en soit ainsi compte tenu du paragraphe 68(5) de la Loi, qui exige qu'avant d'admettre d'office ce fait, il faut donner la possibilité de présenter des observations.
Analyse
[17] À mon avis, la Commission a commis une erreur de droit en se fondant sur sa propre connaissance de l'ancien avocat du demandeur pour discréditer et pour ne pas accepter la preuve selon laquelle les conseils de l'avocat avaient induit le demandeur en erreur, sans faire part de ses doutes à celui-ci et sans lui donner la possibilité d'apaiser ces doutes.
[18] Tel était le facteur crucial, quoique ce ne soit pas le seul facteur, sur lequel le décideur s'est fondé en concluant qu'il n'existait pas suffisamment de raisons permettant de rétablir la revendication et qu'il n'était pas dans l'intérêt de la justice de rétablir la revendication. À mon avis, cette erreur est suffisante pour justifier une ordonnance annulant la décision de rejeter la demande visant au rétablissement de la revendication. Il se peut bien qu'un réexamen de l'affaire n'entraîne pas un résultat différent. Cependant, lorsque la procédure suivie par le décideur n'est pas équitable aux fins de la détermination du facteur crucial ayant influé sur sa décision, la Cour est tenue d'intervenir.
Conclusion
[19] En l'espèce, l'omission de donner au demandeur un avis et de lui permettre de répondre à la conclusion de la SSR selon laquelle l'élément de preuve crucial, en ce qui concerne les présumés conseils donnés par l'ancien avocat, n'était pas vraisemblable et qu'il ne fallait pas l'accepter, constituait dans ce cas-ci une iniquité procédurale justifiant l'intervention de la Cour.
[20] Une ordonnance est rendue en vue d'annuler la décision que la SSR a prononcée le 20 avril 2000 et de renvoyer à la SSR la demande de M. Sathasivam pour qu'un membre ou un tribunal différent la réexamine.
« W. Andrew MacKay »
Juge
OTTAWA (Ontario),
le 2 octobre 2001.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.
Date : 20011002
Dossier : IMM-2484-00
OTTAWA (Ontario), le 2 octobre 2001
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY
ENTRE :
SARVANANTHAN SATHASIVAM,
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
Une demande en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié a refusé, le 20 avril 2000, la demande que le demandeur avait présentée en vue de faire rétablir sa revendication ainsi qu'en vue de la délivrance d'une ordonnance annulant ladite décision ayant été présentée;
Les avocats des parties ayant été entendus à Toronto (Ontario) le 15 mai 2001, la décision ayant alors été reportée et les arguments qui ont alors été présentés ayant été examinés;
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ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est accueillie.
2. La décision contestée est annulée.
3. La demande que le demandeur a présentée en vue de faire rétablir sa revendication est renvoyée à la section du statut de réfugié pour qu'un membre ou un tribunal différent réexamine l'affaire.
« W. Andrew MacKay »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2484-00
INTITULÉ : Sarvananthan Sathasivam
c.
MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 15 mai 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge MacKay
DATE DES MOTIFS : le 2 octobre 2001
COMPARUTIONS :
M. Michael Battista POUR LE DEMANDEUR
Mme Ann Margaret Oberst POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wiseman, Battista POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LES DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada