Date : 20021011
Dossier : T-2408-91
OTTAWA (Ontario), le 11octobre 2002.
En présence de : Monsieur le juge MacKay
ENTRE :
MERCK & CO. INC. et
MERCK FROSST CANADA & CO.
demanderesses
et
APOTEX INC.
défenderesse
ATTENDU QUE par jugement en date du 7 mars 2000, je suis parvenu, au terme de l'instance, à la conclusion que la défenderesse Apotex Inc. et M. Bernard Sherman d'Apotex Inc. se sont rendus coupables d'outrage au tribunal, et qu'après audition et examen des observations des avocats des parties, la Cour a ordonné, par jugement supplémentaire en date du 5 juin 2001, à Apotex Inc. et à M. Bernard Sherman de verser des peines pour outrage;
ATTENDU QUE la Cour a notamment, par ce jugement supplémentaire, adjugé les dépens aux demanderesses sur la base avocat-client pour tous les frais qu'elles ont raisonnablement engagés, selon le montant que la Cour fixera après que l'avocat des demanderesses l'aura informée, au plus tard le 15 juin 2001, du montant conjointement recommandé par les deux parties, à défaut de quoi ce montant sera fixé par la Cour après examen des observations formulées d'ici le 25 juin 2001 pour le compte de l'une ou l'autre des parties au sujet du montant forfaitaire que la Cour pourra fixer à titre de dépens sur une base avocat-client;
ATTENDU QUE, après consultation, les parties n'ont pu s'entendre sur le montant des dépens à fixer conformément à l'ordonnance de la Cour et que le délai pour soumettre les observations écrites a été prorogé jusqu'au 16 juillet 2001, date à laquelle les demanderesses ont déposé leurs observations tout comme la défenderesse Apotex et M. Sherman, qui ont déposé de nombreuses observations écrites détaillées, les parties ayant par la suite échangé d'autres correspondances les 18 et 19 juillet 2001;
ATTENDU QUE la présente Cour a examiné l'ensemble des observations présentées par les parties relativement aux dépens, y compris les observations déposées antérieurement et plus précisément les observations écrites des demanderesses sur les dépens déposées le 1er décembre 2000, lesquelles incluaient le projet de mémoire de frais pour outrage au tribunal, et les observations qu'elles ont déposées le 16 juillet 2001, lesquelles incluaient un projet de mémoire de frais pour les instances consacrées à la détermination de la peine et des dépens, ainsi que les réponses correspondantes des avocats d'Apotex et de M. Sherman, dont les nombreuses observations écrites détaillées qu'ils ont déposées le 16 juillet 2001;
ET ATTENDU QUE la Cour a tenu compte des circonstances particulières suivantes :
1. les audiences ont été longues, soit plus de 40 jours pour les demandes interlocutoires, les demandes de sursis et les jours d'instruction, depuis le prononcé de l'ordonnance de justification par le juge Pinard, le 27 avril 1995, jusqu'au dernier jour d'audience sur les dépens, le 5 juin 2001;
2. dans la phase préalable à l'instruction et pendant l'instruction, la Cour a entendu trois demandes de sursis ou de rejet des procédures et une requête en non-lieu, toutes déposées par la défenderesse Apotex Inc. et/ou M. Sherman, en plus des autres demandes interlocutoires et du procès lui-même. De plus, aux fins de l'instruction, Apotex et M. Sherman n'ont fait pratiquement aucune admission de faits et ont insisté, ainsi qu'ils en avaient le droit, pour obtenir la preuve stricte des faits censés constituer l'outrage, bien que l'exercice de ce droit ait inévitablement fait augmenter les frais de toutes les parties;
3. l'instruction a été relativement complexe au niveau de la preuve, que ce soit pour réunir les éléments de preuve, les divulguer ou les présenter, la Cour étant préoccupée par les exigences de la Charte quant aux droits de M. Sherman, préoccupations apparentées à celles qui sous-tendent un procès criminel;
4. se fondant sur les frais qui leur ont été facturés, à l'exclusion de tous frais engagés dans le cadre de procédures d'appel, comme honoraires professionnels et débours, les demanderesses ont proposé que les montants de dépens suivants soient adjugés sur la base avocat-client pour les demandes interlocutoires, l'instruction et les plaidoiries :
1) pour la phase initiale du procès et les requêtes interlocutoires
1 785 543,56 $
2) pour la phase de détermination de la peine et des dépens
504 523,14
3) soit un total de 2 290 066,70;
5. après avoir déposé des observations détaillées proposant de nombreux rejets et allégements relativement au projet de mémoire de frais des demanderesses et à certaines factures que Lindquist Avey a envoyées aux avocats de celles-ci et qu'elles ont incluses dans leurs projets de mémoire en tant que débours, la défenderesse Apotex Inc. et M. Sherman ont proposé un montant de 822 776,70 $ moins la TPS, sur la base avocat-client, comme étant le montant des frais qu'ils estiment avoir été raisonnablement engagés;
6. la Cour doit, après examen de la preuve et des arguments, établir un montant fixe de dépens (incluant les honoraires professionnels et les débours) pour l'ensemble des frais raisonnables engagés, dans ce cas-ci les mémoires de frais certifiés raisonnables par les affidavits de Lesley Caswell, d'après sa connaissance à titre d'avocate de l'équipe qui représente les demanderesses, eu égard au travail que les avocats ont fait et à la conviction qu'ils ont d'avoir raisonnablement engagé ces frais. La Cour doit soigneusement examiner l'argument invoqué en détail par la défenderesse Apotex Inc. et M. Sherman; la Cour n'a pas à évaluer les frais comme le ferait un officier taxateur, elle doit plutôt, dans une instance longue et d'une certaine complexité comme la présente affaire, établir une somme qui lui semble raisonnable dans l'ensemble, en fondant sa décision sur un examen critique des différents éléments de l'instance (Murano c. Bank of Montreal (1998), 163 D.LR. (4th) 21, à la page 51 (C.A. Ont.)). De plus, le montant fixé ne doit pas constituer une peine indue (Coca-Cola Ltd. et al. c. Pardhan et al. (2000), 5 C.P.R. 333, à la page 342 (C.F. 1re inst.);
7. il faut reconnaître l'importance du rôle des demanderesses à qui incombe le fardeau de démontrer qu'il y a eu outrage au tribunal et d'appuyer la bonne administration de la justice ainsi que l'autorité et la dignité de la Cour;
8. et après examen minutieux des observations présentées et revue des différentes demandes interlocutoires et phases préparatoires à l'audition et au jugement relativement à l'outrage, aux peines et aux dépens;
DÉCISION - FRAIS FIXES
LA COUR ORDONNE QUE les dépens de la présente instance, adjugés aux demanderesses sur la base avocat-client, soient fixés au montant de 1 500 000,00 $ pour les honoraires professionnels et les débours à titre de frais raisonnables engagés en l'espèce, et en déclare la défenderesse Apotex Inc. et M. Sherman solidairement responsables.
(signé) W. Andrew MacKay
_________________________
JUGE
Traduction certifiée conforme
Christine Gendreau, LL.B.
Date : 20021122
Dossier : T-2408-91
Référence neutre : 2002 CFPI 1210
ENTRE :
MERCK & CO. INC. et
MERCK FROSST CANADA & CO.
demanderesses
et
APOTEX INC.
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT SUR LES DÉPENS
[1] Par jugement en date du 11 octobre 2002, des dépens au montant de 1 500 000,00 $ pour les honoraires professionnels et les débours raisonnablement engagés dans la présente affaire ont été adjugés sur la base avocat-client, dont la défenderesse Apotex Inc. et M. Bernard Sherman, son président-directeur général à l'époque où lui-même et sa compagnie ont été reconnus coupables d'outrage au tribunal, sont solidairement responsables. Voici les motifs de cette ordonnance dans laquelle les dépens ont été établis au montant susmentionné.
LES FAITS
[2] La présente instance a débuté par l'examen de la demande des demanderesses (ci-après désignées « Merck » )qui visait à obtenir une ordonnance enjoignant à la société défenderesse, à M. Sherman et à d'autres personnes nommées à l'origine dans la déclaration mais à l'égard desquelles les procédures ont été subséquemment retirées, de faire valoir les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être reconnus coupables d'outrage au tribunal. Par la suite, plus de 40 jours d'audience ont été fixés et consacrés à l'audition des demandes interlocutoires et de suspension des procédures, aux appels à des cours supérieures, à l'instruction du procès relativement aux allégations d'outrage au tribunal et à l'argumentation sur les peines et les dépens appropriés.
[3] Par jugement en date du 7 mars 2000 et dans les motifs à l'appui, la Cour a reconnu Apotex et M. Sherman coupables d'outrage au tribunal et a demandé que des observations sur les peines et les dépens appropriés lui soient présentées. À la requête de Merck, la Cour a ordonné l'adjudication de frais fixes par voie de jugement supplémentaire le 5 juin 2001, après avoir entendu les arguments des parties sur les principes applicables aux dépens. Les parties ont eu pour instruction de fournir leurs observations, individuellement ou ensemble par entente, concernant le montant forfaitaire approprié de dépens que la Cour devrait adjuger sur la base avocat-client.
[4] Le 1er décembre 2000, les demanderesses ont présenté leurs observations écrites, dont un projet de mémoire de frais engagés à ce stade dans le cadre des procédures d'outrage au tribunal. Le 16 juillet 2001, d'autres observations, ainsi qu'un second projet de mémoire de frais, ont été déposés relativement à la phase consacrée à la détermination des peines et des dépens. Apotex et M. Sherman ont déposé leurs observations écrites quant aux dépens en janvier, février et mars 2001, de même qu'un peu plus tard, le 16 juillet 2001. Ils ont répondu de façon très détaillée aux observations des demanderesses. Le 16 juillet devait être la date limite pour déposer les observations écrites finales sur les dépens, mais la Cour a également tenu compte d'une correspondance des demanderesses en date du 18 juillet 2001 ainsi que de la lettre de réponse d'Apotex et de M. Sherman en date du 19 juillet 2001.
[5] L'argumentation sur les dépens n'a pas été moins contestée que les procédures eu égard à l'outrage au tribunal, aux peines ou à l'action initiale en contrefaçon de brevet. J'ai examiné les arguments présentés. Du côté d'Apotex, ils sont aussi détaillés que s'il s'agissait de la taxation des dépens. Ce n'est pas là la question et je ne l'aborderai pas de façon détaillée.
[6] Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour pour accorder les dépens comprend l'autorité d'en déterminer le montant, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer (par. 400(1) des Règles de la Cour fédérale (1998)). Les dépens peuvent être adjugés sur la base avocat-client (alinéa 400(6)c)). Lorsque la Cour examine la possibilité d'adjuger des dépens, elle peut tenir compte des facteurs pertinents, qu'ils soient ou non spécifiquement énumérés au paragraphe 400(3). Les facteurs dont j'ai tenu compte sont énoncés brièvement dans les présents motifs.
[7] Comme je l'ai souligné dans les motifs du jugement supplémentaire en date du 5 juin 2001 (aux paragraphes 18 à 20), à mon avis, il convient d'adjuger les dépens relatifs aux honoraires professionnels et débours raisonnablement engagés dans les procédures ayant mené aux conclusions d'outrage sur une base avocat-client. C'est la pratique générale en ce qui concerne les dépens adjugés à l'encontre d'une partie reconnue coupable d'outrage au tribunal (voir par exemple Baxter Travenol Laboritories of Canada Ltd. c. Cutter (Canada) Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 433 (C.F. 1re inst.), décision infirmée sur un autre point 14 C.P.R. (3d) 499 (C.A.F.)). Dans ces mêmes motifs du jugement supplémentaire, j'ai expliqué pourquoi les frais devaient être fixés en l'espèce par la Cour, ainsi que le proposaient les demanderesses. Au terme de longues procédures qui se sont étirées sur près de cinq ans, de la délivrance de l'ordonnance de justification à la conclusion d'outrage au tribunal, cette façon de faire permet à mon avis d'apporter au litige une solution qui est juste, la plus économique et, malgré ma décision tardive, la plus expéditive possible pour déterminer les dépens, conformément à l'objectif des règles de la Cour (article 3). Le processus de rassemblement et de présentation de la preuve a été complexe, et s'est prolongé en partie par souci d'assurer le respect des droits de M. Sherman garantis par la Charte, et en partie parce que chacune des parties était représentée par un avocat senior ayant un horaire bien rempli.
[8] En définitive, les demanderesses ont proposé dans leurs observations que les dépens soient fixés, sur la base avocat-client, au montant qui leur était facturé par leurs avocats, à l'exclusion de tous frais engagés dans le cadre de certaines procédures d'appel. Le montant total du mémoire de frais, pour les honoraires professionnels et les débours engagés de façon raisonnable, se compose des montants suivants :
i) pour la phase initiale du procès (outrage) et les
requêtes interlocutoires 1 785 543,56 $
ii) pour la phase de détermination de la peine et des dépens 504 523,14
iii) soit un total de 2 290 066,70 $
[9] Dans leurs observations écrites conjointes, Apotex et M. Sherman proposent que les dépens soient fixés au montant de 822 776,70 $, soit 825 000,00 $ moins la TPS, pour les dépens et débours acceptés comme ayant été engagés de façon raisonnable. Ils sont arrivés à ce montant après avoir déduit certaines sommes des projets de mémoire de frais à partir de propositions détaillées indiquant ce qu'ils considéraient comme des rejets et des réductions appropriés. Ces propositions comprennent la réduction de certaines factures que le cabinet d'experts-comptables Lindquist Avey a fait parvenir aux avocats des demanderesses et que celles-ci réclament de Merck comme débours. Les professionnels de ce cabinet ont agi à titre de comptables judiciaires au cours des procédures et l'un d'eux a été appelé à comparaître à titre de témoin expert pour les demanderesses.
[10] Dans leurs observations écrites, les demanderesses conviennent avec Apotex et M. Sherman que les dépens relatifs à certains appels d'Apotex à la Cour d'appel (appels A-505-95 et A-670-95) ainsi que ceux relatifs aux demandes d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada (appels A-81-96, A-86-96, A-87-96, A-100-96 et A-105-96) ne relèvent pas de la compétence de la présente Cour. Ces dépens ne sont pas inclus dans les montants réclamés par les demanderesses pour un total indiqué précédemment de près de 2,3 millions de dollars, bien que ce total inclue des frais liés à des procédures devant la Cour d'appel qui a, en octobre 1996, entendu des appels d'ordonnances interlocutoires en date du 23 janvier 1996 et qui a ordonné que les dépens suivent l'issue de la cause. Les demanderesses confirment qu'aucun montant de TPS n'est compris dans leur total. Par conséquent, si on compare les montants proposés par celles-ci et les montants proposés par Apotex et M. Sherman, les dépens à être adjugés pour les honoraires professionnels et débours diffèrent par près de 1,5 millions de dollars.
PRINCIPES APPLIQUÉS POUR FIXER LES DÉPENS
[11] L'adjudication des dépens sur une base avocat-client vise à indemniser entièrement les demanderesses pour les frais engagés raisonnablement dans le cadre de la poursuite des présentes procédures. Pour fixer les dépens, la Cour doit examiner soigneusement les montants réclamés eu égard à la quantité de travail raisonnablement requise, non pas à la lumière de ce qui, rétrospectivement, s'est avéré finalement nécessaire, ni en évaluant les éléments un par un ainsi que le ferait un officier taxateur, mais en les révisant suffisamment pour s'assurer de leur caractère raisonnable (voir le juge Henry dans Apotex Inc. c. Egis Pharmaceuticals (1991), 4 O.R. (3d) 321, aux pages 325, 326 et 329 (Div. gén.)).
[12] Dans Murano c. Bank of Montreal (1998), 163 D.L.R. (4th) 21, le juge en chef adjoint Morden, s'exprimant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, a affirmé aux paragraphes 96 et 100 :
[traduction]... C'est un chose d'affirmer que la détermination des dépens ne consiste pas à taxer les éléments un par un en fonction des tarifs comme le ferait un officier taxateur, ce que à quoi je souscris. Cependant, c'est tout autre chose que d'accepter de ne pas réviser « une liste détaillée d'éléments facturés » . Dans toute affaire complexe, les demandes d'adjudication de dépens sur la base avocat-client sont invariablement décomposées en éléments décrivant les services fournis et les montants facturés pour ceux-ci. Ces éléments, de même que leur somme, doivent être révisés par un juge.
...
... En somme, le montant total à adjuger dans le cadre de procédures prolongées d'une certaine complexité ne peut raisonnablement être déterminé en l'absence d'un examen critique quelconque des éléments qui le composent. Bien sûr, cela ne signifie pas que le montant adjugé doive équivaloir à la somme des éléments. Il est possible de tenir compte de ce qui semble raisonnable de manière générale pour déterminer le montant final adjugé. Cette évaluation d'ensemble ne constitue toutefois pas une décision éclairée tant que les éléments n'ont pas été examinés de façon critique.
[13] Les considérations suivantes me guident dans l'appréciation globale du caractère raisonnable des frais engagés.
1. Ils devraient refléter l'importance des facteurs pertinents énumérés au paragraphe 400(3).
2. Ils devraient comprendre uniquement les frais compatibles avec ceux qu'autorisent les règles et la jurisprudence de la Cour et ne devraient pas comprendre les frais liés à des services qui ne sont généralement pas acceptés en vertu du tarif B.
3. Ils ne devraient pas comprendre des frais qui, de l'avis de la Cour, sont insuffisamment justifiés.
4. Ils devraient comprendre des montants de frais raisonnables pour les honoraires compte tenu des services fournis dans des limites raisonnables.
5. Le montant fixé devrait tenir compte de la dualité du rôle des demanderesses, soit non seulement de soutenir l'autorité et la dignité de la Cour, mais également de protéger et de préserver leurs propres droits de propriété intellectuelle. De plus, le montant fixé ne devrait pas être perçu comme une forme de peine indue lorsqu'une peine appropriée a déjà été déterminée. (Voir Coca Cola Ltd. et al. c. Pardham et al. (2000), 5 C.P.R. (4th) 333, le juge Lutfy, à la page 340 (C.F. 1re inst.), et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1998), 80 C.P.R. (3d) 33, à la page 35, 162 F.T.R. 169, à la page 170, le juge Hugessen (C.F. 1re inst.), où, dans des circonstances quelque peu particulières, les dépens adjugés représentaient moins de 10 % du montant total des frais engagés sur la base avocat-client par la partie ayant établi qu'il y avait eu outrage au tribunal).
[14] Je passe à l'examen de ces principes dans la mesure où ils s'appliquent en l'espèce.
(1) Facteurs pertinents énoncés au paragraphe 400(3)
[15] Ce ne sont pas tous les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) qui sont pertinents en l'espèce. Parmi les facteurs pertinents, le résultat de l'instance, l'importance et la complexité des procédures ainsi que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance ont tous été examinés, et m'amènent à la conclusion que les dépens doivent être adjugés sur la base avocat-client aux demanderesses pour les honoraires professionnels et les débours engagés de façon raisonnable.
[16] Je ne critique pas l'approche d'Apotex et de M. Sherman qui tenaient à défendre leurs arguments et qui ont contesté, généralement sans aucune admission de faits, la preuve de l'outrage allégué qui a été constaté par la Cour au terme des procédures. Néanmoins, cela a entraîné une augmentation des frais pour les demanderesses, à vrai dire pour toutes les parties, puisque les avocats des demanderesses et leur comptable-conseil, Lindquist Avey, ont dû entreprendre les enquêtes nécessaires et présenter de la preuve, alors qu'en dernière analyse les faits essentiels de la cause étaient entre les mains d'Apotex et de M. Sherman. De plus, Apotex a déposé trois requêtes en suspension des procédures pour outrage au tribunal qui ont été entendues les 1er août 1995, 6 décembre 1995, 23, 24, 29 et 30 avril 1998, et M. Sherman a déposé une requête en non-lieu qui a été entendue le 29 juin 1998. Encore là, ces procédures étaient dans l'intérêt légitime d'Apotex et de M. Sherman, mais elles ont été rejetées et ont entraîné des conséquences, non seulement au niveau des frais engagés pour les jours d'audiences nécessaires, mais également sur le temps requis pour en arriver finalement à l'examen de la preuve et des arguments relatifs à l'allégation d'outrage. Comme je l'ai souligné plus tôt, ces délais supplémentaires ont en partie été nécessaires en raison des horaires bien remplis des avocats.
(2) Éléments qui ne peuvent être recouvrés en vertu du tarif B et de la jurisprudence
[17] Bien qu'il ne s'agisse pas en l'espèce d'une taxation conformément au tarif B, il est pertinent de déterminer quelle partie des dépens réclamés par les demanderesses serait exclue de la taxation en vertu de celui-ci. Apotex et M. Sherman soutiennent que les éléments suivants compris dans le mémoire de frais des demanderesses ne seraient pas taxés sur cette base.
[18] Avant le 28 avril 1998, les demandes de dépens pour les services rendus par des stagiaires ou des étudiants en droit n'étaient pas admises (voir McCain Foods Ltd. c. C. M. McLean Ltd. (1980), 51 C.P.R. (2d) 23, à la page 28 (C.A.F.)). Les dépens pour ces services ont été autorisés pour la première fois à la suite les modifications du tarif de la Cour en 1998. Après cette date, les réclamations étaient examinées s'il était démontré que le travail effectué constituait de la recherche qui aurait pu autrement être effectuée par un avocat (Voir Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. et al., (1999) 2 C.P.R. (4th) 368, à la page 377, le juge Reed). Dans cette affaire, la réclamation de Merck pour des services rendus par des stagiaires et des étudiants en droit avant le 28 avril 1998 s'élevait à près de 140 000 $ et la réclamation pour leurs services après cette date, pour laquelle rien n'indiquait s'il s'agissait de travail professionnel ou clérical, s'élevait à près de 17 500 $. Enfin, on soutient, et je suis d'accord, que les taux horaire réclamés pour les stagiaires (plus de 100 $/h) et les étudiants (plus de 75 $/h) après le 28 avril 1998 semblent abusifs et ce, même s'il était établi qu'ils ont fait un travail de recherche professionnel.
[19] Les réclamations pour les services des « divers » avocats, stagiaires et étudiants en droit, non désignés, qui s'élèvent en l'espèce à près de 31 000 $ pour les travaux préparatoires au procès pour outrage effectués entre le 28 avril 1995 et le mois de décembre 1998, ne seraient habituellement pas recouvrables sans explications sur la nature du travail, et aucune explication réelle n'a été fournie.
[20] Apotex et M. Sherman prétendent que les réclamations pour les demandes interlocutoires qui ont été tranchées sans qu'il ait été statué spécifiquement sur les dépens doivent en définitive être exclues des dépens recouvrables adjugés à l'issue de la cause. Ils appuient leur position sur le passage suivant du paragraphe 105.7 de l'ouvrage The Law of Costs de Orkin (2000, Canada Law Book Inc., Aurora) :
[traduction] [S]i un jugement est rendu en faveur d'une partie sans qu'une ordonnance relative aux frais ne soit prononcée, aucune des parties n'a droit à la liquidation des dépens; par conséquent, lorsqu'une affaire est tranchée à la suite d'une requête ou d'une instruction sans qu'il soit fait mention des dépens, c'est comme si le juge avait déclaré qu'il estimait approprié de ne pas rendre d'ordonnance à cet égard.
Ce principe a été appliqué par les officiers taxateurs de notre Cour dans Légère c. Canada, [1999] A.C.F. no 1178, et dans Entreprises Blanchet Ltée c. La Reine, [1989] 2 C.F. D-43. Aucune de ces décisions ne porte sur des demandes interlocutoires relatives à un procès pour outrage et les décisions des deux officiers taxateurs portent sur la taxation finale des frais engagés dans le cadre de demandes et de poursuites contre la Couronne.
[21] En l'espèce, de nombreuses procédures interlocutoires ont été tranchées par des juges qui n'ont pas statué sur les dépens dans leurs ordonnances. C'est ce qui s'est passé
a) le 27 avril 1995, lorsque la requête en justification des demanderesses a été entendue et accueillie;
b) le 1er août 1995, lorsque la requête en suspension définitive du procès pour outrage des défendeurs a été entendue et rejetée;
c) le 13 octobre 1995, lorsque la requête (écrite) des défendeurs fondée sur l'article 324, en vue d'obtenir une prorogation du délai imparti pour interjeter appel de l'ordonnance de justification, a été rejetée;
d) lorsque la requête des défendeurs pour l'examen de requêtes préliminaires, entendue le 30 novembre 1996, a été ajournée jusqu'au 6 décembre, date à laquelle l'audition devait commencer;
e) le 19 décembre 1996, lorsque la requête des demanderesses pour fixer une date d'audience a été entendue et rejetée par le juge en chef adjoint;
f) lorsque la requête des demanderesses pour annuler l'assignation de M. Quesnel, qui devait être entendue le 17 octobre 1997, a été ajournée pour être tranchée plus tard au cours du procès pour outrage, puis a été accueillie.
Apotex et M. Sherman font valoir que les frais engagés dans le cadre de ces procédures interlocutoires, qui s'élèvent à environ 116 000 $ pour la préparation et la présence lors de l'instruction, doivent être exclus du total réclamé par Merck.
[22] À mon avis, dans le cadre de procédures en matière d'outrage au tribunal, à l'exception des points d) et f) qui se sont soldés par des ajournements et n'ont entraîné aucune augmentation substantielle des jours d'audience ou des frais, le demandeur dont la demande de justification est accueillie et dont les allégations d'outrage sont plus tard établies lors de l'instruction, peut en fin de compte recouvrer ces dépens à l'issue de la cause, même si l'ordonnance accueillant la demande de justification est silencieuse sur cette question. La requête en justification est apparentée à une déclaration, une demande de contrôle judiciaire ou encore une demande de renvoi, en ce sens qu'elle sert à introduire une instance distincte, soit en l'espèce un procès pour outrage. De même, à mon avis, si la partie qui a gain de cause lors de demandes interlocutoires préparatoires au procès pour outrage a également gain de cause lors du procès, elle aura droit aux dépens des requêtes même si elles ont été accueillies sans adjudication de dépens. Lorsqu'une partie qui a présenté une requête interlocutoire en suspension des procédures ou en prorogation du délai d'appel d'une décision voit ses requêtes rejetées et qu'elle est par la suite reconnue coupable d'outrage, comme c'est le cas d'Apotex et de M. Sherman, elle doit s'attendre à devoir payer les frais engagés par les demandeurs lors des procédures interlocutoires qu'ils ont réussi à repousser, même si les ordonnances rendues sont silencieuses quant aux dépens.
[23] En somme, je ne suis pas convaincu que le principe sur lequel la défenderesse appuie son argumentation soit d'application générale pour l'examen des dépens relatifs à des décisions interlocutoires qui sont silencieuses à cet égard, particulièrement lorsque l'action principale relativement à l'allégation d'outrage est subséquemment accueillie. J'estime qu'il est préférable d'appliquer les principes établis dans Friis c. Paramount Bagwash Co. Ltd. (no 2), [1940] 2 K.B. 654, à la page 656 (C.A.), où le juge Luxmoore de la Cour d'appel a, concernant le droit aux dépens dans le cas d'une ordonnance interlocutoire ne faisant pas mention des dépens, affirmé que si la partie qui a gain de cause dans la requête emporte également la cause, elle a droit aux dépens de l'ordonnance à l'issue de la cause. La partie qui ne réussit pas à s'opposer à une demande interlocutoire, mais qui a gain de cause dans l'action principale, n'a pas droit aux dépens de l'ordonnance à l'issue de la cause. À mon avis, ce dernier principe qui consiste à refuser les dépens à la partie dont l'action principale est accueillie à l'issue de la cause s'applique également lorsque la même partie voit sa demande interlocutoire rejetée sans adjudication de dépens. Bien que la décision Friis soit fondée sur les règles de la Haute Cour d'Angleterre, les principes et les règles sur lesquels s'appuie cette décision me semblent appropriés eu égard aux demandes interlocutoires présentées dans le cadre de procédures pour outrage.
(3) Réclamation de dépens sur la base d'explications insuffisantes
[24] Apotex et M. Sherman plaident que les réclamations de débours ne sont pas justifiées ou expliquées de façon suffisante. Voici quelques exemples :
- pour les frais de bureau (quelque 31 000 $), non affectés particulièrement au procès, y compris le loyer de bureau, les salles de conférence et les frais de photocopie, de téléphone et de télécopieur, à la fois à Ottawa et à Toronto où toutes les audiences ont été tenues;
- pour tous les frais engagés par les employés des entreprises demanderesses qui ont dû comparaître aux audiences à Toronto ou à Ottawa (M. Murray de Merck & Co. Inc. et M. Quesnel de Merck Frosst Canada & Co.);
- pour le temps de déplacement des avocats ou des employés basés à Ottawa qui devaient se rendre à Toronto, selon les tarifs professionnels;
- pour les frais de logement et de repas à des tarifs non expliqués, paraissant excessifs ;
- pour les factures de Lindquist Avey concernant les services rendus par des experts-comptables et un témoin expert pour les demanderesses, factures contestées et tenues pour insuffisamment expliquées ou justifiées et dont certaines sommes réclamées semblent être comptabilisées en double par l'avocat des demanderesses. Apotex et M. Sherman maintiennent à cet égard que les frais pour ces services, s'élevant à quelque 168 000 $, devraient être déduits du montant réclamé par les demanderesses. Dans les circonstances en l'espèce, je ne suis pas convaincu que les sommes qu'Apotex et M. Sherman désirent soustraire de la réclamation pour les services du cabinet comptable sont appropriées, celui-ci ayant joué un rôle déterminant dans le rassemblement et la présentation de la preuve concernant les ventes d'Apotex.
En somme, Apotex et M. Sherman estiment que, en plus des déductions proposées pour les honoraires professionnels de Lindquist Avey, il convient de déduire un montant d'environ 176 600 $ des débours totaux de 504 000 $ réclamés par Merck sur la base avocat-client.
[25] Je refuse de traiter des déductions spécifiques proposées par Apotex et M. Sherman. Si j'agissais autrement, je me trouverais à taxer les dépens pour les services rendus, un processus que je me refuse à entreprendre. Néanmoins leurs arguments ne sont pas tous sans fondement et certains éléments de la réclamation au titre des débours devraient être soustraits du montant total réclamé.
SERVICES RENDUS PAR L'AVOCAT ET RÉCLAMÉS PAR LES DEMANDERESSES
[26] Dans les motifs du jugement supplémentaire que j'ai prononcé le 5 juin 2001, j'ai fait les observations suivantes (au par. 24) après être arrivé à la conclusion que les dépens devaient être adjugés sur la base avocat-client :
La seule question à trancher est le montant des dépens à adjuger. Les avocats d'Apotex soutiennent que les frais que l'avocat de Merck a facturés ne sont pas raisonnables pour diverses raisons qu'il n'est pas nécessaire de répéter ici. Cet argument est surtout un argument de principe, car les avocats d'Apotex affirment ne pas comprendre les précisions fournies au sujet des frais réclamés. Quant à l'argument que l'avocat de Merck a consacré inutilement du temps à produire des éléments de preuve qui n'avaient aucun rapport avec les conclusions de la Cour, je ne suis tout simplement pas convaincu que c'est effectivement ce qui s'est passé. L'argument général suivant lequel un trop grand nombre d'avocats sont intervenus au nom de Merck ne me convainc pas non plus. Un des aspects inusités de la présente affaire, à mon avis, est le fait que les éléments de preuve documentaire essentiels pour faire la preuve des agissements d'Apotex se trouvaient en la possession de cette dernière ou de tiers, qu'ils ont été produits en vertu d'un subpoena duces tecum, surtout au début du procès, et qu'ils ont été produits en grande quantité sous forme de factures et de documents d'expédition, ce qui a nécessité beaucoup de travail pour déterminer leur utilité possible au procès. Le temps qui a été consacré à la présente instance n'était pas exclusivement le résultat de l'initiative des demanderesses. Je ne suis pas convaincu que l'avocat de Merck a consacré un nombre d'heures exagéré à ce dossier.
[27] J'admets qu'au moment de rédiger ces motifs, je n'avais pas étudié en détail le projet de mémoire de frais déposé par Merck eu égard aux procédures engagées jusqu'en décembre 1999, date à laquelle s'est terminée l'audition de la preuve relative à l'outrage. À cette époque, mes commentaires touchant le temps facturé par l'avocat de Merck ainsi que plusieurs autres avocats au service des demanderesses, se fondaient sur mes souvenirs de la participation de l'avocat de Merck lors des audiences dans la présente affaire. À ce stade, Apotex et M. Sherman n'avaient pas répondu de façon détaillée au projet de mémoire de frais, et celui-ci ne comprenait pas les services relatifs aux derniers stades de l'instruction sur les peines et les dépens.
[28] Compte tenu des préoccupations exprimées par Apotex et M. Sherman au sujet du temps passé par l'avocat de Merck et de mon examen des différentes étapes de l'instance, j'arrive à la conclusion qu'il ne serait pas approprié en l'espèce de considérer toutes les heures facturées incluses dans les projets de mémoire de frais déposés par l'avocat de Merck comme des frais dont Apotex et M. Sherman sont redevables. Bref, je ne considère pas que l'ensemble des frais réclamés comme honoraires professionnels pour des services rendus sont des frais engagés de façon raisonnable, sous les rapports qui suivent.
[29] À mon avis, les frais réclamés eu égard aux honoraires professionnels de préparation du procès pour outrage et des requêtes interlocutoires n'ont pas été raisonnablement engagés en ce sens qu'ils peuvent être recouvrés d'Apotex et de M. Sherman. La même conclusion s'applique à la réclamation pour les services de professionnels qui ont comparu lors de l'instruction des demandes interlocutoires et de l'action principale, où le temps facturé pour les services rendus, aux taux applicables selon l'ancienneté de l'avocat au dossier, excède généralement de plus du double le temps consacré à l'affaire. Je reconnais que plusieurs facteurs peuvent faire en sorte que les totaux d'heures réclamées et d'heures passées au tribunal diffèrent. En l'espèce, les services réclamés semblent comprendre, dans certains cas à tout le moins, le temps de déplacement de l'avocat qui travaille à Ottawa et qui doit se rendre à Toronto, et les heures réclamées pour les journées d'audiences s'ajoutent aux heures substantielles consacrées à la préparation des différentes audiences.
[30] Un tableau chronologique de l'instruction par la Cour des questions soulevées dans le cadre de l'instance ainsi qu'un résumé des frais professionnels réclamés par les demanderesses pour les différentes étapes sont joints aux présents motifs à titre d'annexe A.
[31] À partir de ce tableau fondé sur les observations écrites et les projets de mémoire de frais des demanderesses, un tour d'horizon permet de constater que pour la préparation des requêtes interlocutoires entendues par la Cour en 13 occasions, la plupart étant des journées d'audience partielles, les demanderesses réclament des frais pour des honoraires professionnels d'avocats de 250 heures et pour des honoraires de stagiaires et d'étudiants en droit de 104 heures, en sus des honoraires réclamés pour la présence à l'instruction des requêtes interlocutoires. De plus, les demanderesses réclament des honoraires professionnels d'avocats de plus de 4850 heures et des frais pour les services de stagiaires et d'étudiants en droit de près de 1500 heures pour la préparation de la demande d'ordonnance de justification, de l'audience sur l'outrage, du plaidoyer final et pour l'audience et les observations écrites sur les peines et les dépens. Ce nombre d'heures consacrées à la préparation des audiences est très important compte tenu qu'il s'agissait en fait d'un total de 25 jours d'audience, dont peut-être six journées ont été des journées partielles, eu égard à la requête en justification et à l'instruction subséquente. Ce temps de préparation considérable s'ajoute aux réclamations d'honoraires d'avocats et de stagiaires et d'étudiants en droit pour leur présence aux audiences. Si l'on considère seulement les heures de préparation réclamées pour les avocats, on obtient une moyenne de plus de 19 heures ou de deux jours par avocat consacrés à la préparation de chacune des audiences interlocutoires, et de 194 heures ou près de 19,5 jours pour chacune des audiences concernant l'ordonnance de justification et l'instruction subséquente, en plus des réclamations pour la présence aux audiences. Ces chiffres ne tiennent pas compte des réclamations de temps pour la préparation ou la présence des stagiaires et des étudiants en droit.
[32] Je souligne que Mme Lesley Caswell, une étudiante en droit en 1999 et avocate en 2001, qui travaillait avec l'avocat de Merck, a déclaré dans les affidavits joints aux deux projets de mémoire de frais présentés à la Cour que, après avoir examiné les comptes du cabinet, elle estime que les projets de mémoire énoncent correctement les honoraires professionnels et les débours raisonnablement engagés au cours des procédures, et qu'elle a été informée par les trois avocats principaux travaillant pour Merck, et en est convaincue, que les montants réclamés représentent la charge de travail nécessaire pour mener à bien l'instance. Je n'ai aucun motif concret de remettre en question son opinion portant que le travail consacré au dossier correspond à ce qui est énoncé dans les mémoires de frais, et que ce travail était requis selon le jugement de l'avocat des demanderesses. En ce sens, on peut s'attendre à ce que l'adjudication des dépens sur la base avocat-client comprenne la plus grosse partie des frais engagés.
[33] Néanmoins, l'adjudication de frais fixes sur la base avocat-client pour des frais raisonnablement engagés suppose que non seulement les dépens adjugés soient raisonnablement liés aux frais censément engagés, mais également que le montant fixé ne soit pas déraisonnable eu égard au défendeur. Dans Leenan c. Canadian Broadcasting Corp. [2000] O.J. no 3435, au par. 28 (C. sup. de l'Ont.), le juge Cunningham a, pour déterminer les frais fixes sur la base avocat-client, comparé le temps réclamé avec le temps de préparation requis pour un procès en libelle et a notamment déclaré ce qui suit :
[traduction] Je reconnais qu'il [l'avocat du demandeur] a consacré énormément de temps à la préparation de ce procès très difficile. Je reconnais également que je ne dois pas examiner le montant réclamé en rétrospective, mais que je dois plutôt me mettre à sa place [l'avocat] et songer aux problèmes qu'il a dû affronter. C'est ce que j'ai fait. Néanmoins, je dois conclure que le temps de préparation réclamé va au delà de ce que je considère raisonnable d'exiger des défendeurs.
Le juge Cunningham a fixé les dépens relatifs à la préparation du procès à 440 000 $, ce qui était légèrement supérieur à ce que proposaient les défendeurs, mais considérablement moins que ce que le demandeur avait réclamé dans son mémoire de frais.
[34] Dans Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc., (1991) 39 C.P.R. (3d) (C.A.F.), qui portait sur les directives à donner à un officier taxateur concernant les dépens en appel, le juge Mahoney a fait la remarque suivante au nom de la Cour :
Bien que les questions en litige ne fussent pas, à mon avis, complexes, la charge de travail que comporte le dossier créé par un procès de quatre semaines était exceptionnelle. Ce facteur a surtout une incidence sur la préparation mais n'est pas sans rapport avec le déroulement de l'audience lui-même. Je ferais également remarquer qu'il ressort de l'audience que la préparation a été très bien faite. Ceci étant dit, en supposant que les avocats ont travaillé 10 heures par jour ouvrable et 25 jours par mois de travail, le fait que les avocats ont consacré plus de neuf mois complets de travail à la préparation semble à tout le moins extravagant. J'estime préférable de fixer une somme globale plutôt qu'un taux horaire pour la préparation.
En l'espèce, les frais de Merck comprennent des honoraires d'avocat équivalant à plus de 19 mois de 250 heures de travail de préparation. Ceci dépasse largement les frais raisonnables devant être assumés par les défendeurs.
[35] Dans Pfizer c. Apotex, précité, une affaire d'outrage, le juge Hugessen de notre Cour a déclaré, relativement à une ordonnance de paiement des dépens sur la base avocat-client pour le total des frais engagés par le demandeur, que, dans les circonstances de l'affaire, ce « serait [effectivement] une punition très sévère » , qu'il n'était pas prêt à imposer. Il me semble manifeste que, en toute justice pour le défendeur, les dépens « raisonnablement engagés » ont une limite. Dans tous les cas, le montant ne devrait pas être déraisonnable pour les défendeurs.
CONCLUSION
[36] En fin de compte, je suis arrivé à la conclusion que, compte tenu du rôle important joué par Merck en l'espèce, en sus de la protection de ses droits de propriété intellectuelle, il convient de fixer les dépens sur la base avocat-client à 1 500 000 $. Bien que ce montant représente moins des deux tiers des frais facturés aux demanderesses, il est toutefois beaucoup plus élevé que ce que la défenderesse Apotex et M. Sherman proposaient. Ce montant est également considérablement plus élevé que ce que les règles de taxation de la Cour autoriseraient en vertu du tarif B.
[37] Cette somme représente ce que la Cour estime être une adjudication appropriée de dépens sur la base avocat-client pour les honoraires professionnels et les débours engagés de façon raisonnable, sans toutefois constituer un fardeau déraisonnable ou une peine supplémentaire pour Apotex et M. Sherman.
[38] Le présent jugement, rendu le 11 octobre 2002, ordonne l'adjudication de frais fixes sur la base avocat-client au montant de 1 500 000 $ en faveur des demanderesses pour les honoraires professionnels et les débours à titre de frais raisonnablement engagés par celles-ci et à l'égard desquels Apotex et M. Sherman sont solidairement responsables.
(signé) W. Andrew MacKay
____________________________
JUGE
OTTAWA (Ontario)
22 novembre 2002
Traduction certifiée conforme
Christine Gendreau, LL.B.
Annexe A
Motifs du jugement
sur les dépens relatifs à l'outrage
Dossier : T-2408-91
Merck et al. c. Apotex et al.
Procédures en matière d'outrage et réclamation des demanderesses
pour les frais relatifs aux services
ÉVÉNEMENTS CHRONOLOGIQUES
Mesures devant la Cour Déposée par Dem. (Demanderesses) ou Déf. (défendeurs) |
Dépens réclamés par les demanderesses pour les services de préparation |
1. Dem. - Demande de justification Entendue et accueillie le 27 avril 1995 |
A. Préparation de la demande de justification (Avant le 27 avril 1995) Services : Avocat 300 heures Stagiaires et étudiants 50 heures |
|
B. Préparation du procès pour outrage (i) Du 27/04/95 à décembre 98 Services : Avocat 2 612 heures Stagiaires et étudiants 1 044 heures (ii) Pour plaidoyer final sur l'outrage Services : Avocat 498 heures Stagiaires et étudiants 120 heures (iii) Pour les phases de détermination de la peine et des dépens, y compris les observations écrites Services : Avocat 1 448 heures Stagiaires et étudiants 265 heures |
2. Requêtes interlocutoires (i) Dem. - pour des directives sur la procédure à suivre, entendue le 12 /06/95 |
C. Préparation des requêtes interlocutoires (i) Services : Avocat 18 heures |
(ii) Déf. - pour la suspension des procédures, entendue et rejetée 1/08/95 |
(ii) Services : Avocat 5,2 heures Stagiaires 3,6 heures |
(iii) Déf. - requête (R324) tranchée sur les observations écrites, pour obtenir la prorogation du délai d'appel de l'ordonnance de justification - rejetée |
(iii) Services : Avocat 15,4 heures Stagiaires et étudiants 7,8 heures |
(iv) Dem. - requête re: documents - témoins Barbeau, Kay, Moore, Roth en vertu de subpoenas, entendue le 16/07/95 |
(iv) Services : Avocat 11 heures |
(v) Dem. - requête en annulation du subpoena de Quesnel, ajournée 17/10/97; tranchée à l'instruction |
(v) Services : Avocat 10,3 heures Stagiaires et étudiants 80 heures |
(vi) Déf. (et autres) - requêtes visant à faire trancher des questions préliminaires - ajournée 30/11//95 jusqu'au 6/12/95, date prévue pour le début de l'instruction |
(vi) Services : Avocat 32 heures |
Annexe A
Motifs du jugement
sur les dépens relatifs à l'outrage
Dossier : T-2408-91
(vii) Déf. (et autres) - requêtes sur des questions préliminaires entendues le 6/12/95 (rejetées plus tard) |
(vii) Services : Avocat 29 heures |
(viii) Dem. - requête (conférence avec le JCA) re : date d'audience, entendue le 19/12/95 |
(viii) Services : Avocat 5,8 heures |
(ix) Déf. - requête en suspension pour outrage entendue les 23, 24, 29 et 30 avril 98 |
(ix) et (x) Services : Avocat 123 heures Stagiaires et étudiants 113 heures
|
(x) Déf. - requête en non-lieu de M. Sherman entendue le 29/07/98 |
[Contre-interrogatoires (2) par les demanderesses] (services non réclamés) |
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[Déf. - Deux appels à la Cour d'appel et une requête pour permission d'en appeler à la C.S.C.] (services non réclamés) |
3. Audiences après la demande de justification : 21, 22, 24 et 25 juillet 97 15, 17, 18 et 19 septembre 97 20, 21, 22, 23 et 24 octobre 97 29 novembre 97 10 décembre 97 23, 24, 25 et 26 février 98 4 et 5 novembre 98 19, 20 et 21 février 99 5 juin 2001 [24 jours d'audiences après l'ordonnance de justification]
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Jugements rendus le 7 mars 2002 (re : outrage) le 5 janvier 2001 (re: peines) le 11 octobre 2002 (re: dépens)
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NOTE : En plus des services de préparation lors des différentes étapes,
la réclamation des demanderesses comprend les frais des services, au taux horaire, des avocats, stagiaires et étudiants en droit pour leur présence aux audiences, au stade interlocutoire et lors de l'instruction.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2408-91
INTITULÉ : Merck & Co. et al. c. Apotex Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto, le 19 février 2001
Toronto, le 5 juin 2001
Ottawa, le 4 septembre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT SUR LES FRAIS FIXES : Monsieur le juge MacKay
COMPARUTIONS :
M. Alexander Macklin POUR LES DEMANDERESSES
Mme Constance Too
M. Harry Radomski POUR LE DÉFENDERESSE (Apotex)
M. David Scrimger
M. Nando De Lucas
Mme Daniela Bassan
M. Brian Greenspan POUR LE DÉFENDEUR (Bernard
M. Sharon Lavine Sherman)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson LLP POUR LES DEMANDERESSES
Ottawa (Ontario)
Goodmans LLP POUR LE DÉFENDERESSE (Apotex)
Toronto (Ontario)
Greesnspan Humphrey Lavine POUR LE DÉFENDEUR (Bernard
Toronto (Ontario) Sherman)