Murillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.) [2003] 3 C.F. 287
Date : 20021129
Dossier : IMM-3219-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1240
ENTRE :
Roberto Jose MORALES MURILLO
Partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
Partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE LEMIEUX :
A. INTRODUCTION
[1] Le demandeur, Roberto Jose Morales Murillo, est un citoyen du Nicaragua âgé de quarante-six ans. Il a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada en mars 1996 ayant quitté son pays natal en décembre 1995. Une année plus tard, soit le 8 mars 1997, il a épousé une Canadienne, Marina Lucie Loye. Le 4 mars 1998 il dépose une demande de résidence permanente parrainée et, par la suite, retire sa demande d'être reconnu comme réfugié.
[2] Le 5 octobre 2000, un agent d'immigration signa un rapport en vertu de l'alinéa 27(2)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 [ci-après « Loi » ] alléguant que le demandeur est une personne non admissible puisqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il a commis à l'étranger un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7.3.76 du Code criminel et qui constitue au Canada une infraction au droit canadien à l'époque de la perpétration. Le même jour le sous- ministre de la Citoyenneté et de l'immigration émet une directive pour enquête. Le 20 juin 2001, l'arbitre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « le tribunal » ), Michel Beauchamp, prend une mesure d'expulsion contre le demandeur en vertu du paragraphe 32(6) de la Loi pour motifs raisonnables de croire que M. Murillo aurait commis des crimes contre l'humanité visés par les alinéas 27(2)a) et 19(1)j) de la Loi le rendant donc inadmissible à la résidence permanente.
[3] Entre 1980 et 1989, le demandeur a occupé différents postes au sein de l'armée du Nicaragua. Durant cette période, le gouvernement sandiniste est au pouvoir ayant renversé celui du dictateur Samoza en 1979. Peu après, une guerre civile entre le gouvernement sandiniste et les contras inflige ses malheurs sur le Nicaragua.
[4] Après avoir milité pour le Front sandiniste en 1979, M. Murillo, en 1980, se joint aux forces aériennes de l'armée du Nicaragua à titre d'étudiant en mécanique aérienne; il reçoit son diplôme à l'automne 1981.
[5] En 1982, le demandeur entre dans l'Escadron exécutif de la direction des forces aériennes sandinistes [ci-après « Escadron exécutif » ] comme mécanicien et semble-t-il, ingénieur de vol.
[6] Après avoir complété des études avancées de moteurs et de turbines en U.R.S.S. de 1983 à 1986, il rejoint l'Escadron exécutif comme responsable de l'entretien des avions de cette unité et, par la suite, est ingénieur de vol (mécanicien de bord). L'Escadron exécutif était responsable du transport des ministres du gouvernement du Nicaragua ainsi que les chefs militaires.
[7] En 1987, il fut promu au grade de sous-lieutenant. Il témoigne avoir quitté l'armée en juin 1989. L'année suivante, le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega est défait aux élections générales par Violetta Chamorro.
[8] Le rapport de l'agent de l'immigration se lit:
QUE: MORALES MURILLO, ROBERTO JOSE
EN OCTOBRE 1979, S'EST JOINT VOLONTAIREMENT ET CONSCIEMMENT AU MOUVEMENT DE LUTTE ARMÉE CONTRE LE GOUVERNEMENT EN PLACE (FRONT SANDINISTE). PAR LA SUITE LE GOUVERNEMENT EN PLACE A ÉTÉ RENVERSÉ PAR LES FORCES SANDINISTES ET LE SUJET A INTÉGRÉ L'ESCADRON EXÉCUTIF DES FORCES AÉRIENNES. EN SEPTEMBRE 1986 LE SUJET EST DEVENU INGÉNIEUR DE VOL ET EN 1987 A REÇU LE GRADE DE SOUS-LIEUTENANT DE L'ARMÉE. LE SUJET DÉCLARE AVOIR PU SE RENDRE COMPTE DES GRANDES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS. IL A ÉTÉ AUSSI TÉMOIN DU TRANSPORT CLANDESTIN D'ARMES DANS DES VOLS NOCTURNES. PAS SEULEMENT POUR LES PAYSANS MAIS AUSSI POUR LES NARCOTRAFIQUANTS. IL EST DEMEURÉ DANS L'ARMÉE JUSQU'EN 1995, DATE À LAQUELLE IL A DÉCIDÉ DE DÉSERTER.
IL AURAIT EU UNE ENTIÈRE CONNAISSANCE DES EXACTIONS COMMISES PAR LES MILITAIRES, CONSTITUANT UN CRIME CONTRE L'HUMANITÉ AU SENS DU PARAGRAPHE 7(3.76) DU CODE CRIMINEL.
B. CADRE LÉGISLATIF
[9] Tel que mentionné, le demandeur fait l'objet d'un rapport en vertu de l'alinéa 27(2)a) et 19(1)j) de la Loi. L'alinéa 27(2)a) stipule :
27 (2) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit, sauf si la personne en cause a été arrêtée en vertu du paragraphe 103(2), faire un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre de renseignements concernant une personne se trouvant au Canada autrement qu'à titre de citoyen canadien ou de résident permanent et indiquant que celle-ci, selon le cas_: a)appartient à une catégorie non admissible, autre que celles visées aux alinéas 19(1)h) ou 19(2)c);
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27(2) An immigration officer or a peace officer shall, unless the person has been arrested pursuant to subsection 103(2), forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a person in Canada, other than a Canadian citizen or permanent resident, is a person who
(a) is a member of an inadmissible class, other than an inadmissible class described in paragraph 19(1)(h) or 19(2)(c); |
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[10] Le 23 octobre 2000, (donc suite au rapport de l'agent de l'immigration et la directive d'enquête), une modification de l'alinéa 19(1)j) de la Loi se produit avec l'entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre [ci-après la « Loi sur les crimes contre l'humanité » ].
[11] La rédaction de l'ancienne disposition était :
19(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :
j) celle dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration;
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19(1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:
(j) persons who there are reasonable grounds to believe have committed an act or omission outside Canada that constituted a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsection 7(3.76) of the Criminal Code and that, if it had been committed in Canada, would have constituted an offence against the laws of Canada in force at the time of the act or omission; |
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[12] Après le 23 octobre 2000, la nouvelle disposition de l'alinéa 19(1)j) de la Loi se lit :
19(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis une infraction visée à l'un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. [je souline]
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19(1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:
(j) persons who there are reasonable grounds to believe have committed an offence referred to in any of section 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act.
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[13] Les alinéas 6(1) et 6(1.1) de la Loi sur les crimes contre l'humanité s'appliquent en l'espèce et se lisent:
6. (1) Quiconque commet à l'étranger une des infractions ci-après, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, est coupable d'un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l'article 8_: a) génocide; b) crime contre l'humanité; c) crime de guerre. 6(1.1) Punition de la tentative, de la complicité, etc. (1.1) Est coupable d'un acte criminel quiconque complote ou tente de commettre une des infractions visées au paragraphe (1), est complice après le fait à son égard ou conseille de la commettre. [je souligne]
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6. (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada (a) genocide, (b) a crime against humanity, or (c) a war crime, is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8. (1.1) Every person who conspires or attempts to commit, is an accessory after the fact in relation to, or counsels in relation to, an offence referred to in subsection (1) is guilty of an indictable offence. |
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[14] Les crimes contre l'humanité sont définis au paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité:
Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait - acte ou omission - inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu. [je souligne]
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"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission. |
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C. DÉCISION DE L'ARBITRE
[15] L'arbitre devait déterminer si le demandeur était une personne visée ou non par l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur la base du rapport en date du 5 octobre 2000. Pour ceci, l'arbitre applique les nouvelles dispositions de l'alinéa 19(1)j) modifié.
[16] Il reconnaît qu'il y a eu une guerre sale entre le gouvernement sandiniste et ses opposants et que « de l'un ou de l'autre côté de la clôture, il y a eu des gestes regrettables de posés de part et d'autres » . Il fonde sa décision sur le déplacement forcé de la population des Miskitos et détermine que ce déplacement constitue un crime contre l'humanité selon l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité.
[17] Il précise sa pensée dans l'extrait suivant de sa décision du 20 juin 2001 à la page 3 :
Pour les fins de la cause qui m'occupe aujourd'hui, je dois regarder les gestes posés par les forces armées du gouvernement sandiniste et il est clair, selon cette preuve documentaire et la preuve documentaire versée par l'une et l'autre des deux parties, y compris celle que j'ai reçue de votre part, il est clair qu'il y a eu effectivement déplacement forcé d'une partie identifiable de la population, à savoir une partie de celle qui résidait sur la côte Atlantique. En règle générale, les Indiens et de façon plus particulière quant au nombre, ceux qu'on appelle les Mosquitos [sic].
[...]
Et je reviens sur ce que je disais, ces différences qui sont expliquées par le contexte ont été utilisées par des groupes d'opposants pour tenter d'aider leur cause dans ce conflit-là qui les opposait au gouvernement et c'est à cause de cela que le gouvernement a procédé à ces déplacements de populations. Ces justifications toutefois, à mon avis et c'est ma conclusion, ne suffisent pas à effacer les gestes commis ou à les justifier et ces déplacements forcés constituent, à mon avis, un crime contre l'humanité, tel qu'on le définit à l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et crimes de guerres [sic]. [je souligne]
[18] Devant l'arbitre, le représentant du ministre et le demandeur ont déposé une preuve documentaire. L'arbitre rejette les documents remis par le représentant du ministre sous la cote C-5 reflétant « un parti pris tellement évident là que ... le poids qu'on peut lui accorder est très faible sinon inexistant » . Il ajoute « [P]ar contre, d'autres ont un poids considérable, entre autre, la pièce identifiée sous la cote C-2 qui m'est apparue très factuelle et très objective » . C-2 est un document préparé par le Centre de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le « Centre » ).
[19] L'arbitre juge le témoignage de M. Murillo de façon générale « très crédible, très spontané » sauf sur un point - sa connaissance des événements - concluant « c'est peut-être là, à mon avis, la seule partie de votre témoignage qui peut être qualifiée de non crédible » . L'arbitre termine en écrivant:
Votre témoignage en cours d'enquête m'est apparu, de façon générale, très crédible, très spontané. Sur ce point toutefois, il y a deux possibilités, soit que votre témoignage est faux, que c'est un témoignage non crédible, ou pour reprendre une expression utilisée par monsieur Dubé à partir du jugement Ramirez je crois, il y avait un aveuglement volontaire. [je souligne]
[20] L'arbitre constate qu'il n'y a aucun élément de preuve qui implique le demandeur directement dans la déportation des Miskitos mais ajoute que l'association pouvait faire d'une personne une visée par l'alinéa 19(1)j) invoquant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de la Citoyenneté), [1992] 2 C.F. 306. Il mentionne aussi l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité « où il est prévu que la complicité est aussi un acte criminel » .
[21] Il conclut:
Et malheureusement pour vous, je dois partager l'opinion de monsieur Dubé quant à l'effet du jugement Ramirez en ce qui vous concerne. Vous faisiez partie des forces armées du Nicaragua, et ce, à un niveau relativement important, relativement étant utilisé à bon escient ici. Il est évident que de par vos fonctions, vous n'aviez aucun impact, aucune influence sur les décisions prises par le gouvernement.
Je rappelle ici que vous étiez ingénieur de vol, ingénieur mécanicien à bord d'avions. Ce qui est plus important, c'est que vous aviez été choisi pour recevoir une formation spécifique en ce sens en URSS, tel qu'elle était connue alors. De plus, votre affectation était dans un poste très politiquement sensible, j'utiliserais l'expression, à savoir que vous étiez affecté à ce que vous avez appelé et ce qui a été traduit à quelques reprises comme l'escadron exécutif, donc entre autres chargé d'assurer le déplacement de membres du gouvernement ou de membres de l'État-major.
Donc, on ne parle pas ici d'une participation forcée en tant que personne qui a été enrôlée de force et qui occupe un simple poste de messager ou même de fantassin au sein de l'armée. Vous avez même été promu, deux années je pense avant votre démission, au grade de sous-lieutenant, donc un grade relativement élevé dans la hiérarchie militaire et de plus, comme je l'ai dit, de par la nature de vos fonctions, vous deviez sûrement être quelqu'un de confiance.
On ne nomme pas ingénieur de vol ou mécanicien d'un avion qui transporte des membres du gouvernement d'État-major une personne en laquelle on n'a pas confiance. Votre connaissance des événements de cette période, votre témoignage a tenté de démontrer que vous n'aviez pas de connaissance de ces événements qui s'étaient passés et c'est peut-être là, à mon avis, la seule partie de votre témoignage qui peut être qualifiée de non crédible.
. . .
Les motifs que vous avez invoqués pour ne pas avoir démissionné plus rapidement des forces armées ne justifient pas le fait que vous ne l'avez pas fait. Il est évident qu'ils sont très compréhensibles, je ne dis pas qu'ils ne sont pas compréhensibles. Les craintes que vous entreteniez quant aux répercussions que pourrait avoir une démission sur votre famille et vos enfants, mais à partir du moment où je conclus que vous étiez au courant des événements, je dois conclure que vous auriez dû prendre les moyens voulus pour démissionner en évitant ces problèmes possibles pour votre famille. [je souligne]
C. ANALYSE
1) Les normes de révision
[22] La norme de contrôle d'une décision d'un tribunal varie prenant en considération certains facteurs: 1) la nature de la question soulevée (points en litige) et déterminante du litige devant la Cour; 2) l'existence d'une clause privative; 3) l'expertise du tribunal; et 4) le but de la Loi ou de la disposition législative. (Voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).
[23] La question à savoir si un acte comme celui des déplacements forcés des Miskitos est visé par la définition de crime contre l'humanité dans la Loi sur les crimes contre l'humanité est une question de droit et donc la norme de contrôle est celle de la décision correcte. (Mendez-Leyva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 523; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 229 (C.A.F.).
[24] D'autre part, lorsqu'une décision est fondée sur des conclusions de fait (par exemple, l'existence des déplacements forcés) et le moyen avancé pour casser la décision se fonde sur des erreurs de faits, l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, prévoit que cette Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision basée sur cette conclusion de fait est erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont le tribunal dispose, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, le juge L'Heureux-Dubé écrit au paragraphe 85 :
[85] Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue... . Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve....
[25] Aussi, généralement, une décision d'un tribunal fondée sur une question mixte de droit et de faits est révisable sur la base de raisonnabilité simpliciter.
2) Norme de la preuve
[26] M. Murillo est inadmissible si l'arbitre avait « des motifs raisonnables » de croire qu'il avait commis au Nicaragua un fait constituant un crime contre l'humanité.
[27] La Cour d'appel fédérale dans Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] 2 C.F. 297, conclut que cette disposition législative établit la norme de preuve suivante:
[60]Quant à savoir s'il existait des « motifs raisonnables » étayant la croyance de l'agent, je souscris à la définition que le juge de première instance donne à l'expression « motifs raisonnables » (affaire précitée, paragraphe 27, page 658). Il s'agit d'une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » . Voir Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.). [je souligne]
3) Les principes
[28] La notion de complicité par association est très bien reconnue dans la jurisprudence de cette cour et ceci depuis les arrêts clés de la Cour fédérale d'appel dans Ramirez, précité, Moreno c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 et Sivakumar c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, auquel il faut ajouter celle de Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.) et Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A.) et plusieurs décisions des juges de la Division de première instance.
[29] Le juge Nadon, alors juge de la Division de première instance, dans l'affaire Mohammad c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 115 F.T.R. 161, dégage de la jurisprudence précitée les circonstances où une personne peut être tenue responsable des crimes contre l'humanité, de les commettre à titre de complice sans avoir personnellement commis l'acte constituant le crime. Le juge Nadon énumère les principes suivants à la page 178 de son jugement:
1. La personne qui commet le crime doit être tenue responsable de ce crime.
2. Une personne peut-être tenue responsable d'un crime sans l'avoir commis personnellement, à savoir à titre de complice.
3. L'élément requis pour qu'il y ait complicité est la "participation personnelle et consciente" de la personne en question.
4. Le seul fait d'être présent sur les lieux d'un crime n'équivaut pas à complicité.
5. Celui qui aide ou encourage la perpétration d'un crime pourra être tenu responsable de ce crime.
6. Un supérieur pourra être tenu responsable de crimes commis par ses subordonnés dans la mesure où le supérieur en avait connaissance.
7. Une personne pourra être tenue responsable de crime commis par d'autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs de ce crime.
8. Plus la personne occupe une fonction importante au sein d'une organisation qui a commis un ou des crimes, plus sa complicité sera probable.
9. Pourra être tenue complice une personne qui continue à occuper un poste de direction dans une telle organisation alors qu'elle a pleine connaissance que l'organisation est responsable de crimes.
10. Pour déterminer la responsabilité d'une personne, doit être pris en considération le fait que la personne s'est opposée au crime ou a tenté d'empêcher la perpétration du ou des crimes ou de se retirer de l'organisation.
[30] Selon le juge MacGuigan dans l'arrêt Ramirez, précité, l'élément nécessaire de la complicité dans un crime international est la « participation personnelle et consciente » , un critère qui comporte un élément moral ou une connaissance, une indication de la mens rea nécessaire dans ce contexte.
[31] Par la suite, le juge MacGuigan discute du degré de complicité requis et conclut:
1) la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié;
2) toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, « il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution » ;
3) « la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction ne permet pas d'établir sa participation personnelle et consciente . . .bien que, encore une fois, la présence jointe à d'autres faits puisse faire conclure à une telle participation » ;
4) « le simple fait de regarder, comme c'est le cas, par exemple, lors d'exécutions publiques, sans entretenir de rapports intrinsèques avec le groupe se livrant aux actes de persécution, ne peut jamais, quelque humainement répugnant qu'il nous paraisse, constituer une forme de participation personnelle » ;
5) cependant, un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à l'avis du juge MacGuigan, être qualifié de simple spectateur. « Les membres d'un groupe peuvent à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits » . Dans de tels cas, selon le juge MacGuigan, « la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » .
[32] Le juge MacGuigan lance un avertissement en ces termes à la page 319:
Il faut prendre particulièrement soin de ne pas condamner automatiquement quiconque est mêlé à un conflit en situation de guerre. Dans la plupart des guerres de l'histoire de l'humanité, la plupart des combattants ont probablement vu leur propre armée se livrer à des actes qu'ils auraient normalement trouvés répréhensibles mais qu'ils se sont sentis absolument incapables d'arrêter, du moins sans courir de risques graves.
[33] Le juge MacGuigan conclut à la page 320:
À mon avis, il n'est pas souhaitable, dans l'établissement d'un principe général, de dépasser le critère de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de l'affaire.
[34] Le juge Décary dans Bazargan, précité, approfondi le critère de « participation personnelle et consciente » . Il écrit au paragraphe 11 ceci:
[11] Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une « participation personnelle et consciente » , puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur... . Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération. [je souligne]
[35] Pour le juge Décary, comme ce l'était pour le juge MacGuigan dans Ramirez, précité, la question à savoir si une personne est complice d'un crime international, c'est-à-dire rencontre le critère de participation personnelle et consciente, est une question de fait rappelant que le ministre n'a pas approuvé la culpabilité de l'intimé mais n'a qu'à démontrer sur une norme de preuve qui est moindre que la prépondérance des probabilités, qu'il a des raisons sérieuses de penser que l'intimé est coupable.
[36] Le juge Décary précise que le fait d'être effectivement un membre actif du groupe qui commettait les atrocités et le fait qu'un individu fait preuve bien tardivement de remords sont des « faits qui aident à décider si la condition de participation personnelle et consciente est remplie, et non pas des conditions qui s'ajoutent à celles-ci. L'appartenance au groupe allégera, bien sûr, le fardeau de preuve incombant au Ministre en ce qu'elle permettra plus facilement de conclure à une "participation personnelle et consciente". Mais il s'impose de ne pas transformer en condition de droit ce qui n'est en réalité qu'une présomption de fait » .
[37] Le juge Décary analyse la décision de la Commission et note que celle-ci a pris en considération les fonctions de responsabilité que M. Bazargan avait occupées et de par ses fonctions, « ne pouvait pas ne pas être très bien informé de la nature des mesures de répression utilisées par la SAVAK afin de réprimer toute dissidence sociale et politique dans le pays » . Il a collaboré durant plusieurs années avec cet organisme à titre d'officier de police supérieur des forces de la sécurité iranienne. La Commission avait décelé le caractère notoire des violations des droits humains commis par la SAVAK.
[38] Le tribunal, dans Bazargan, précité, a conclu ceci:
. . .compte tenu du caractère notoire des violations des droits humains commis par la SAVAK, des postes d'autorité que le demandeur détenait jusqu'en 1980 et de la connaissance qu'il avait nécessairement de la situation, nous devons conclure qu'il existe en l'occurrence des motifs sérieux de penser que le demandeur ayant toléré, encouragé, voire faciliter les actes de la SAVAK, il s'est par conséquent rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. [je souligne]
[39] Le juge Décary estime la décision du tribunal bien fondée. Il écrit au paragraphe 13 de son jugement:
[13] Ces inférences et cette conclusion s'appuient sur la preuve et elles sont raisonnables. Cette Cour, à maintes reprises, a rappelé que le tribunal spécialisé qu'est la Commission a pleine compétence pour tirer les inférences qui peuvent raisonnablement l'être. En l'espèce, le juge des requêtes a eu d'autant plus tort d'intervenir que les inférences tirées par la Commission étaient accompagnées d'observations dévastatrices sur la crédibilité de cette partie du témoignage de l'intimé dans laquelle il plaidait son ignorance des activités de la SAVAK.
[40] Dans l'arrêt récent de Sumaida, précité, le juge Létourneau abonde dans le même sens concernant la notion de complicité. Il écrit ceci aux paragraphes 31 et 32 :
[31] Notre Cour n'a jamais exigé dans cette affaire [Sivakumar] qu'un demandeur soit lié à des crimes précis en temps que leur auteur réel ou que les crimes contre l'humanité commis par une organisation soit nécessairement et directement attribuables à des omissions ou à des actes précis du demandeur.
[32] En fait, en l'absence de cette participation directe et d'une preuve pour l'appuyer, notre Cour a accepté la notion de complicité définie comme une participation personnelle et consciente dans l'affaire Ramirez..., de même qu'une complicité par association qui s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs principaux.
[41] Dans Sumaida, précité, le juge Létourneau rappelle que la norme de preuve exige plus qu'un doute ou une conjecture.
[42] En dernier lieu, une remarque du juge Robertson dans Moreno, précité, m'apparaît apte en l'espèce. Au paragraphe 45 de son jugement, le juge Robertson rappelle qu'il est bien établi qu'une simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet d'invoquer la disposition d'exclusion mais que cette règle générale connaît une exception lorsque l'existence même de l'organisation repose sur l'atteinte d'objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire. Il ajoute au sujet d'une organisation militaire combattant contre la guérilla:
L'appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla est visée par la règle générale et non par l'exception.
4) Application
a) Point préliminaire - justice naturelle
[43] Le demandeur soutient qu'il ignorait à la lecture du rapport de l'agent d'immigration, les faits allégués contre lui puisque, selon lui, il n'y avait aucun indice dans ce rapport qu'il serait tenu responsable des crimes contre l'humanité suite aux déplacements des Miskitos en 1982. Il affirme avoir appris la nature des accusations contre lui seulement au moment où le représentant du ministre a présenté ses arguments. Pourtant, le demandeur a reçu avant le début de l'enquête tous les documents que la ministre a produit lors de l'enquête. Cette documentation mentionne le déplacement forcé des Miskitos par l'armée sandiniste.
[44] À mon avis, la ministre s'est acquittée de son obligation de donner un avis de la preuve réunie contre le demandeur. Dans l'affaire Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589, à la p. 596 le juge Linden pour la Cour d'appel fédérale écrit :
[10] ...L'un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d'une partie d'être entendue est l'obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle (voir, par exemple, Kane c. Conseil d'administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1114). Le but d'un tel avis est de lui permettre de préparer, à son tour, une réponse adéquate à cette preuve. Le droit d'un demandeur du statut de réfugié d'être avisé de la preuve réunie contre lui est extrêmement important lorsque ce demandeur peut être requis de réfuter l'allégation du ministre en prouvant qu'il n'existe pas vraiment de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Par conséquent, il n'est pas permis au ministre ou à la Commission d'alléguer à l'improviste contre le demandeur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans lui donner avis que cette question sera soulevée à l'audience.
[45] Ayant reçu la preuve documentaire de la ministre avant le début de l'enquête, le demandeur pouvait donc s'y préparer. En aucun temps, le demandeur a demandé un ajournement. De plus, lors de l'enquête, le demandeur a déposé certains documents qui allaient à l'encontre de ceux de la ministre. Qui plus est, après la dernière audience de l'enquête et avant celle où la décision a été rendue oralement, l'épouse du demandeur a fait parvenir à l'arbitre certains documents sur le déplacement des Miskitos. L'arbitre affirme dans ses motifs, avoir examiné ces documents mais que ceux-ci ne changeaient rien à sa décision.
[46] Le demandeur n'avait pas de conseiller légal lors de l'enquête. À de nombreuses reprises, l'arbitre demanda à M. Murillo si cela était bien son choix et qu'il avait droit à un conseiller à ses côtés. Le demandeur a toujours décliné d'être représenté.
[47] Je conclus, dans ces circonstances, qu'aucun bris de justice naturelle ou d'équité procédurale a été établi par le demandeur et je rejette donc ce moyen avancé par lui pour casser la décision.
b) Sur le fond
[48] L'arbitre a spécifié lors de l'audience du 20 juin 2001 à la page 3 que :
La preuve documentaire crédible et digne de foi révèle hors de tout doute qu'il y a eu une guerre qu'on pourrait qualifier de sale entre le gouvernement sandiniste et des opposants à ce gouvernement. De l'un et de l'autre côté de la clôture, il y a eu des gestes regrettables de posés de part et d'autre.
[49] L'arbitre s'est fondé sur le déplacement forcé des Miskitos pour déterminer qu'il y a eu commission par l'armée sandiniste de crimes contre l'humanité. Dans sa décision, il ne fait aucunement référence à d'autres actes commis par l'armée sandiniste qui pourraient être considérés comme étant des crimes contre l'humanité. Non plus a-t-il trouvé que l'armée sandiniste était une organisation qui vise des fins limitées et brutales ni a-t-il déterminé que les violations des droits humains par l'armée sandiniste étaient de caractère notoire.
[50] En examinant la preuve documentaire, je constate que les déplacements forcés des Miskitos ont débuté à la fin de 1981 mais que le gros de ces déplacements ont eu lieu en 1982. Les Miskitos sont relogés à l'intérieur du territoire. Dès 1986, le gouvernement sandiniste a permis aux Miskitos de réintégrer leurs terres ancestrales sur la côte Atlantique.
[51] Lorsque nous regardons ce que faisait le demandeur à cette époque, nous remarquons qu'en 1982, il venait de terminer ses études et s'était joint à l'Escadron exécutif comme simple mécanicien. De plus, de 1983 à 1986, le demandeur n'était pas au Nicaragua étant retourné aux études en U.R.S.S.
[52] Dans sa décision l'arbitre accentue le fait que le demandeur n'était pas qu'un simple messager ou fantassin mais occupait un poste politiquement sensible avec un grade relativement élevé dans la hiérarchie militaire, et de par sa fonction d'ingénieur de vol, il devait être une personne de confiance.
[53] À mon avis, la décision de l'arbitre doit être cassée essentiellement pour deux motifs: 1) l'arbitre a mal interprété la jurisprudence et notamment l'arrêt Ramirez qui, quoi que cette question n'ait pas été débattue devant moi, je pense est valable aussi pour l'application de l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité; 2) la conclusion de « votre connaissance des événements de cette période » ne repose sur aucune preuve et est donc manifestement déraisonnable.
1) Premier motif - jurisprudence mal appliquée
[54] Le principe général veut qu'une personne ne puisse avoir « commis » un crime contre l'humanité sans qu'il y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente. Je répète les mots du juge MacGuigan dans Ramirez, précité, à la page 317:
Quel est, alors, le degré de complicité requis? La première conclusion à laquelle je parviens est que la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié. De fait, cette conclusion concorde avec l'intention des États signataires, ainsi qu'il appert du Tribunal militaire international de l'après-guerre, mentionné plus haut. [je souligne]
[55] Une exception à cette règle générale est reconnue - celle de l'appartenance à une organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales comme celles d'une police secrète puisqu'il « parait évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution » . (Voir ra mirez, supra, page 317.)
[56] Le juge Robertson dans Moreno, précité, est d'avis que l'appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla (les contras) est visée par la règle générale et non par l'exception.
[57] En l'espèce, le tribunal n'a pas conclu que l'armée sandiniste était une telle organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales. D'autre part, le tribunal a conclu qu'il n'y avait aucune preuve impliquant le demandeur directement dans les seuls gestes reprochés à l'armée sandiniste, c'est-à-dire le déportement forcé des Miskitos.
2) Deuxième motif - conclusion manifestement déraisonnable
[58] Je trouve que la conclusion de l'arbitre sur la « connaissance des événements de cette période » est une conclusion manifestement déraisonnable. Il est vrai que l'arbitre a remarqué « votre témoignage a tenté de démontrer que vous n'aviez pas de connaissance de ces événements qui s'étaient passés et c'est peut-être là, à mon avis, la seule partie de votre témoignage qui peut être qualifiée de non-crédible » . L'arbitre continue indiquant que sur ce point il y avait deux possibilités: un témoignage non-crédible ou un aveuglement volontaire.
[59] Selon moi, l'arbitre n'a pas conclu à la non-crédibilité de M. Murillo sur ce point. Dans Hilo v. Minister of Employment and Immigration (1992), 130 N.R. 236 (C.A.) le juge Heald écrit à la page 238:
In my view, the Board was under a duty to give its reasons for casting doubt upon the appellant's credibility in clear and unmistakable terms.
[60] Les « peut-être » et les possibilités de l'arbitre ne recontrent pas cette exigence.
[61] M. Murillo a nié dans son témoignage une connaissance d'attaques contre les populations civiles; il avait la connaissance de la lutte contre les contras et le déplacements des civils des zones de combat (notes sténographiques, pages 340, 341 et 351).
[62] La jurisprudence reconnaît que la connaissance de crimes contre l'humanité peut s'inférer dépendant des circonstances et d'après Aguebor c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.), la Cour ne doit pas intervenir si une inférence est basée sur la preuve et est tirée raisonnablement. Je ne vois aucune preuve sur laquelle l'arbitre pouvait inférer une connaissance de la part de M. Murillo de crimes contre l'humanité puisque l'arbitre n'en a retenu qu'un - celui du déplacement des Miskitos que M. Murillo croyait justifié dans les circonstances, une justification qui selon la Loi sur les crimes contre l'humanité est reconnue mais que l'arbitre n'a pas commenté. (La preuve documentaire fait état d'une offensive lancée par les contras à la fin de 1981 - où les villages Miskitos étaient visés).
[63] En 1982, M. Murillo était simple soldat et ce n'est qu'en 1987 qu'il est devenu sous-lieutenant de l'armée lors de sa réintégration dans l'Escadron exécutif comme ingénieur de vol. Cependant, l'arbitre n'a aucunement précisé l'étendu de la connaissance de M. Murillo vis-à-vis ce que l'arbitre constate comme simplement « des événements » et non des crimes contre l'humanité.
[64] À mon avis, et pour les raisons énoncées ci-haut, l'arbitre a erré en concluant à la complicité par association. Certainement, M. Murillo avait une association avec l'armée sandiniste mais ce qui n'a pas été déterminé par l'arbitre était l'implication de l'armée sandiniste dans des crimes contre l'humanité, sauf une dont je rejette l'analyse, et donc la responsabilité de M. Murillo comme membre de cette organisation.
[65] La preuve documentaire retenue par l'arbitre (la pièce C-2) est très mitigée sur le point. À la page 150 du dossier certifié, le document du Centre note:
Dans tous les cas, le tableau est le même: le gouvernement nicaraguayen commet sporadiquement des abus violents, nie systématiquement le droit aux procédures en bonne et due forme lors de procès impliquant des personnes accusées d'avoir aidé la contra et procède à des déplacements forcés. Ces déplacements peuvent se justifier du point de vue militaire mais ont été effectués en violation des droits de ceux à qui on demande de quitter leur foyer. Par ailleurs, la contra procède systématiquement à des abus violents. En fait, les violations empreintes de violence des lois de la guerre par la contra - comme dans le case de ses attaques contre les coopératives paysannes - sont si nombreuses qu'on pourrait dire qu'il s'agit pour la contra du principal moyen de faire la guerre. [je souligne]
[66] À la page 154 du dossier certifié le rapport du Centre constate « certains cas d'abus des droits de la personne commis par les forces du gouvernement, y compris le meurtre et la torture, bien qu'ils soient mois fréquents parce que les principaux instigateurs ont été poursuivis avec succès » .
[67] Le défendeur s'inquiétait que cette Cour en arrive à la conclusion que le tribunal avait commis une erreur sur ce point. C'est pour cette raison que le défendeur cite que selon la preuve documentaire soumise du temps où le demandeur faisait partie de l'armée sandiniste il aurait commis les crimes contre l'humanité suivants: 1) déplacements forcés et cruels de paysans et d'Indiens (1981 à 1987); 2) torture de prisonniers civils et militaires pour obtenir des informations (1979 à 1990); 3) attaques militaires contre des civils provoquant leur fuite vers la Costa Rica, (1987 et durant les années précédentes); 4) détentions sans accusations pendant des périodes allant jusqu'à plus d'un an, (1987 et années antérieures); 5) meurtres, exécutions sommaires et bombardements de certaines tribus indiennes et de présumés sympathisants des contras, (1979 à 1990); 6) disparitions forcées, (1979 à 1990); et 7) persécutions pour motifs politiques, (1988 et années antérieures).
[68] Le défendeur invoque l'arrêt Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.), pour le principe que la Cour peut légitimement, pour démontrer le bien-fondé des motifs d'un décideur, invoquer des éléments de preuve dont il disposait et auxquels il n'a pas fait référence.
[69] À la page 293 de sa décision, le juge Evans écrit:
[22] Par conséquent, afin d'établir que le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision, la demanderesse et les intervenantes doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la conclusion du Tribunal selon laquelle le dumping allait probablement reprendre si la conclusion initiale était annulée n'était pas rationnellement étayée par les éléments dont le Tribunal disposait. Par conséquent, même si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision à l'égard de certaines conclusions de fait, la décision qu'il a rendue au sujet de l'annulation serait néanmoins confirmée s'il y avait d'autres faits sur lesquels il était raisonnablement possible de fonder sa conclusion finale. [c'est moi qui souligne]
[70] La partie défenderesse veut que j'applique ce principe. Par contre, en l'espèce, l'arbitre n'a pas analysé la preuve documentaire citée par le Ministre et ne l'a pas soupesée avec la totalité de la preuve documentaire et testimoniale et il m'est donc impossible de conclure certains faits et de faire une analyse de droit que l'arbitre n'a pas fait afin de déterminer si l'armée sandiniste a commis certains actes et si ces actes constituent des crimes contre l'humanité. Il n'est pas du rôle de cette Cour de faire le travail du tribunal. Il s'agit en l'espèce d'un contrôle judiciaire et non d'un appel de novo. La juge Reed dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181, au paragraphe 45 mentionne :
[45] La Cour s'est demandée si, à la lumière des considérations exposées ci-dessus, elle devait conclure en l'espèce que la décision en cause était fondée, même si les motifs exposés à son appui ne reflètent pas l'analyse à laquelle il convenait de procéder. Après longue réflexion, j'ai décidé cependant qu'il y a lieu en l'espèce d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire pour nouvelle audition devant une autre formation de la Commission. Il n'appartient pas à la Cour de substituer sa décision à celle qu'aurait dû rendre la Commission. Le témoignage du demandeur de statut soulève des questions de crédibilité. Il y a également des questions concernant certains éléments de preuve documentaire qui n'ont pas été déposés devant la Cour, et auxquels celle-ci ne pouvait pas facilement avoir accès. Il y a des questions à la fois de fait et de droit qui doivent être tranchées. L'analyse juridique qui s'impose profiterait d'un examen plus approfondi de la question de savoir dans quelles circonstances, en droit international, on a considéré qu'un crime relevait de la définition de crimes contre l'humanité, notamment à la lumière de l'arrêt Pushpanathan et des instruments internationaux applicables, ainsi que de décisions rendues dans d'autres juridictions. L'avocate du demandeur aura, dans le cadre d'une nouvelle audition, l'occasion de faire valoir ce type d'analyse devant la Commission.
[71] Je dois dire aussi que la nature de la décision prise par le Tribunal canadien du commerce extérieur dans British Steel, précité, qui repose sur des éléments de discrétion, des questions spéciales ou des prédictions dans l'avenir, diffère largement de celle à être prise par l'arbitre dans l'encadrement juridique de la Loi.
[72] Pour les motifs énoncés, j'accueille la demande de contrôle judiciaire. J'accorde à chacune des parties une semaine pour proposer à la Cour une ou des questions certifiées et la fin de la semaine suivante pour une réplique.
« François Lemieux »
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J U G E
Ottawa (Ontario)
le 29 novembre 2002
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DE LA COUR : IMM-3219-01
INTITULÉ : ROBERTO JOSE MORALES MURILLO
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE: MONTREAL, QUEBEC
DATE DE L'AUDIENCE: LE 19 MARS 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE LEMIEUX
EN DATE DU 29 NOVEMBRE 2002
COMPARUTIONS :
ME WILLIAM SLOAN LA PARTIE DEMANDERESSE
ME NORMAND LEMYRE et LA PARTIE DÉFENDERESSE
ME MARIO BLANCHARD
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ME WILLIAM SLOAN LA PARTIE DEMANDERESSE
MONTRÉAL (QUÉBEC)
M. MORRIS ROSENBERG LA PARTIE DÉFENDERESSE
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA