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     Date : 19990122

     Dossier : T-931-98

Ottawa (Ontario) le lundi 25 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

     OSRA LINDO,

     demanderesse,

     et

     LA BANQUE ROYALE DU CANADA,

     défenderesse.


     ORDONNANCE

     La Commission canadienne des droits de la personne s'opposant, en vertu de la règle 318(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), à la remise à la Cour et à la demanderesse de certains documents que la demanderesse sollicite dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire :

LA COUR ORDONNE :

     L'opposition est accueillie.

FREDERIC E. GIBSON

Juge

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

    



     Date : 19990122

     Dossier : T-931-98


ENTRE :

     OSRA LINDO,

     demanderesse,

     et


     LA BANQUE ROYALE DU CANADA,

     défenderesse.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]      Les présents motifs font suite à l'audience concernant à l'opposition formulée par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) en vertu de la règle 318(2) des Règles de la Cour fédérale (1998)1. L'opposition visait la remise à la Cour, suite à une demande formulée en vertu de la règle 317, de certains documents qu'est censée détenir la Commission et qui sont censés être en rapport avec la demande de contrôle judiciaire dans le cadre de laquelle la production desdits documents a été sollicitée. Voici les dispositions des règles 317 et 318 qui nous intéressent en l'espèce :


317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

317. (1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l'office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

318. (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l'office fédéral transmet :

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

(2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

(2) Si l'office fédéral ou une partie s'opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l'administrateur des motifs de leur opposition.

...

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

...

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l'opposition, ordonner qu'une copie certifiée conforme ou l'original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

LE CONTEXTE

[2]      Par demande déposée à la Cour le 30 avril 1998, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Commission. La décision visée par cette demande est datée du 30 mars 1998. Elle porte rejet de la plainte déposée par la demanderesse pour discrimination en matière d'emploi. La demanderesse reprochait notamment à la défenderesse des mesures discriminatoires fondées sur l'âge et la race. La demanderesse sollicite de la Cour une ordonnance :

a) enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne de communiquer à la demanderesse l'ensemble des documents et des déclarations qu'elle a en sa possession et sur lesquels elle se serait fondée pour rejeter la plainte de la demanderesse.
b) enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne de convoquer dans les plus brefs délais une audience à laquelle pourraient être recueillis et réfutés officiellement les témoignages oraux de personnes qui ont été témoins des faits allégués dans la plainte de la demanderesse conformément aux exigences de la justice naturelle et de l'équité, afin de procéder au réexamen de la plainte déposée par la demanderesse en vue de la convocation d'un tribunal des droits de la personne ou, subsidiairement,
c) enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne de demander dans les délais les plus brefs au président de formation du tribunal des droits de la personne de nommer un tribunal des droits de la personne conformément à l'alinéa 44(3)a) et à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 modifiée...
ou, subsidiairement encore,
a) déclarant que le refus de donner à la demanderesse accès au tribunal des droits de la personne afin de régler cette plainte pour atteinte aux droits de la personne est à la fois inconstitutionnel et attentatoire aux droits à l'égalité de la demanderesse, ainsi qu'à certains autres de ses droits tels qu'énoncés aux articles 15 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et que cette atteinte ne saurait se justifier au regard de l'article 1.
b) enjoignant à la Commission canadienne des droits de la personne de demander dans les plus brefs délais au président de formation du tribunal des droits de la personne de nommer un tribunal des droits de la personne conformément à l'alinéa 44(3)a) et à l'article 49 de la Loi canadienne des droits de la personne.


[3]      Les motifs exposés dans la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse sont nombreux. Ils sont joints aux présents motifs à titre d'annexe A.

[4]      Les documents que la demanderesse demande à la Cour d'ordonner à la Commission canadienne des droits de la personne de lui transmette à elle ainsi qu'au greffe de la Cour sont nombreux, beaucoup plus nombreux, il est clair, que les documents effectivement déposés auprès de la Cour et transmis à la demanderesse par la Commission. Les documents demandés sont énumérés dans la demande de contrôle judiciaire et cette énumération est reprise à l'annexe B des présents motifs.

[5]      Les documents déposés jusqu'ici à la Cour par la Commission, et que celle-ci certifie comme comprenant l'ensemble des documents dont elle avait connaissance lorsqu'elle rendit la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, comprennent notamment le formulaire de plainte signé par la demanderesse le 31 mars 1995; le rapport d'enquête rédigé par les enquêteurs de la Commission et daté du 27 novembre 1997; une lettre, datée du 21 novembre 1997, envoyée par un ancien avocat de la demanderesse; une lettre de l'avocate de la demanderesse, datée du 14 novembre 1997; et, enfin, une chronologie. Ces documents comportent quelque 25 pages mais sont numérotés consécutivement de 887 à 911. Il n'est donc, de la part de la demanderesse, pas déraisonnable de supposer que la Commission a, dans son dossier ou dans ses archives, une vaste documentation complémentaire relative à la plainte en question.

ÉLÉMENTS D'ANALYSE

[6]      On peut, selon la règle 317, demander à un tribunal tel que la Commission, les documents en rapport avec la demande de contrôle judiciaire, qui se trouvent entre les mains du tribunal dont la décision fait l'objet de la demande et que ne possède pas la partie qui en demande la communication. Personne ne conteste en l'espèce que les documents demandés sont effectivement en la possession de la Commission mais non en celle de la demanderesse. Il s'agit plutôt de savoir si les documents demandés sont bien en rapport avec la demande de contrôle judiciaire. C'est tout le motif de l'opposition formulée par la Commission.

[7]      Dans l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak2, la Cour d'appel, saisie de l'appel interjeté d'une ordonnance de la Cour de première instance enjoignant à la Commission de déposer des copies certifiées conformes de certains documents, a en fait rejeté une opposition analogue à celle dont je suis saisi en l'espèce. Se livrant à un bref exposé des faits, le juge Pratte écrivit, à la page 458 :

La Commission, ... a donné mandat à un certain Bob Fagan d'enquêter sur la plainte. À l'issue de son enquête, M. Fagan a préparé le compte rendu de ses conclusions et a recommandé le rejet de la plainte. Un exemplaire de ce rapport a été envoyé à l'intimé pour qu'il présente son point de vue. Il a répondu par des observations écrites détaillées, que l'enquêteur a présenté à la Commission en même temps que son rapport. Le 18 mars 1992, après étude du rapport de l'enquêteur et des observations de l'intimé, la Commission a décidé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) ... de la Loi, " de rejeter la plainte pour le motif que, eu égard à la preuve produite, la prétendue discrimination est inexistante ". [certaines références n'ont pas été reprises]


[8]      C'est une semblable séquence d'événements qui donne lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

[9]      Dans l'affaire Pathak, la demande de contrôle judiciaire se fondait sur un double motif, à savoir : que la décision de la Commission était illégale puisque la Commission n'avait pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents, qu'elle avait mal interprété les preuves qui lui étaient présentées et qu'elle était parvenue à des conclusions de fait si manifestement déraisonnables qu'elles en constituaient une erreur justiciable du contrôle judiciaire; la conduite de la Commission était de nature à entraîner, pour le plaignant, un déni de justice naturelle et fondamentale. Encore une fois, dans cette autre affaire, les motifs invoqués par le demandeur à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, lorsqu'on les résume, paraissent essentiellement semblables si ce n'est qu'en l'espèce la demanderesse cite des motifs supplémentaires ayant trait à la constitutionnalité de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des procédures qu'elle donne à la Commission le pouvoir de conduire.

[10]      Aux pages 460-461 de l'arrêt Pathak, le juge Pratte écrivait :

Si les pièces ne sont pas pertinentes, le tribunal administratif n'est pas tenu de les produire.
Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produits par l'intimé.
Dans la présente espèce, la décision de la Commission dont l'intimé voudrait obtenir la réformation a été rendue en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, sur la foi du rapport préparé par M. Fagan et des conclusions écrites envoyées par l'intimé en réponse à ce rapport. L'article 44 de la Loi prévoit clairement que la Commission doit rendre sa décision sur la foi du rapport de l'enquêteur. La Loi présume en effet que le rapport de l'enquêteur présente fidèlement toute la preuve produite aux fins de l'enquête. Cette présomption doit être prise en considération dans l'évaluation de la pertinence des documents demandés par [le plaignant]. [non souligné dans l'original]

[11]      Encore une fois, la formulation qui est retenue s'applique directement aux faits de la présente espèce. Puis, le juge Pratte conclut que les documents que la Commission répugnait à produire étaient sans pertinence pour ce qui est de la demande de contrôle judiciaire. Le juge Décary a souscrit aux motifs du juge Pratte.

[12]      Le juge McGuigan, troisième membre de cette formation de la Cour d'appel, s'est dit en accord complet avec les motifs du juge Pratte. Il a cependant tenu à " ...ajouter quelques considérations supplémentaires ". C'est ainsi qu'il écrivait, à la page 464 :

Seuls le rapport de l'enquêteur et les observations des parties sont nécessaires pour la décision de la Commission. Tout le reste est laissé au bon plaisir de la Commission. Si la Commission choisit donc de ne pas demander tel ou tel document, alors on ne peut dire que ce document se trouve devant la Commission à l'étape de la décision. Ledit document ne saurait donc faire l'objet d'une demande de production à titre de document utilisé par la Commission dans sa décision, même s'il a fort bien pu être utilisé par l'enquêteur dans son rapport. Ce sont là deux moments différents de la vie de la Commission, des moments distincts qui ne sauraient être confondus par l'effet d'une fiction juridique. [non souligné dans l'original]

[13]      Le juge Décary a souscrit également aux motifs ainsi exposés par le juge McGuigan.

[14]      La jurisprudence Pathak s'impose à moi. On a cité, au cours des plaidoiries, d'autres précédents mais, en l'absence d'une raison portant à opérer une distinction entre l'affaire Pathak et la présente espèce, il y a lieu de s'en tenir à cette jurisprudence. Je ne vois aucune raison d'opérer en l'occurrence une distinction par rapport à la jurisprudence Pathak. J'estime que le fait d'avoir invoqué en l'espèce des motifs supplémentaires d'ordre constitutionnel n'a pas pour effet de donner, au regard de la présente demande de contrôle judiciaire, de la pertinence à d'autres documents ne se trouvant pas dans le dossier porté devant la Commission. Si, dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse avait invoqué la partialité des enquêteurs, affirmant que cela avait mené à un rapport prétendument partial, cela aurait très bien pu justifier, de la part de la Cour, un examen des circonstances ayant abouti à la rédaction de ce rapport d'enquête, mais la demanderesse n'a pas plaidé en ce sens. Même si, de fait, elle allègue le caractère incomplet de l'enquête, j'estime que cette allégation n'est pas de même nature que celles qui furent portées devant la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Pathak. D'ailleurs, alléguer le caractère incomplet d'une enquête c'est alléguer le déni de justice naturelle et fondamentale, allégation effectivement développée devant la Cour dans l'affaire Pathak.

CONCLUSION

[15]      Compte tenu des considérations ci-dessus exposées, il est fait droit à l'opposition formulée par la Commission.

[16]      L'affaire exige de la Cour une dernière observation. La demanderesse n'a déposé aucun affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire et les délais prévus pour cela sont passés depuis longtemps. Deux affidavits, l'un de Malcolm Davidson et l'autre de la demanderesse, ont été produits devant la Cour. J'ai accepté de les recevoir aux seules fins de l'audience. Ces affidavits n'ont donc pas été officiellement déposés. À ce stade du dossier, toute demande éventuelle de prorogation des délais de dépôt des affidavits devra uniquement être tranchée en fonction des arguments invoqués à l'appui.



FREDERIC E. GIBSON

Juge



Ottawa (Ontario)

Le 25 janvier 1999


Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


     ANNEXE A

     (Voir le paragraphe [3] des motifs)



1.      Il n'a pas été donné à la demanderesse l'occasion de connaître les éléments retenus à son encontre par la défenderesse, ou de répondre à ce qui lui était reproché. On ne lui a notamment pas donné accès à l'intégralité des arguments et des éléments du dossier retenus par le gestionnaire qui s'est conduit envers elle de manière discriminatoire.
2.      On a notamment refusé à la demanderesse l'accès aux déclarations des témoins, on lui a refusé la possibilité d'entendre ces témoins, de les contre-interroger et de porter à l'attention de la Commission des éléments de preuve qui auraient permis de réfuter les témoignages en question. Bien que la demanderesse se soit vu refuser ces possibilités, la Commission s'est, elle, fondée sur les déclarations de ces témoins pour rejeter la plainte dont l'avait saisie la demanderesse. La demanderesse n'a donc pas eu la possibilité de répondre de manière complète aux éléments sur lesquels la Commission s'est fondée pour rejeter sa plainte.
3.      La demanderesse s'est en outre vu refuser accès aux preuves documentaires sur lesquelles la Commission s'est fondée pour rejeter la plainte, et n'a pas eu la possibilité de répondre de manière complète aux preuves documentaires.
4.      C'est à tort que la Commission a conclu que la plainte n'était " pas fondée " du fait que les incidents qui en étaient à l'origine n'avaient pas été confirmés par des tierces parties témoins des incidents en cause (en fait, aucun témoin n'avait assisté à ces incidents).
5.      C'est à tort que la Commission a conclu que la plainte de la demanderesse n'était " pas fondée " du fait que les collègues de travail de la demanderesse avaient déclaré ne jamais eux-mêmes avoir dû faire face à des attitudes discriminatoires.
6.      C'est à tort que la Commission a conclu à la crédibilité des divers témoins sans même les entendre, ou comparer leurs témoignages, ou donner à la demanderesse la possibilité de contester leurs déclarations. C'est également à tort que la Commission a fondé sa décision sur les conclusions auxquelles elle était parvenue quant à la crédibilité des témoins.
7.      C'est à tort que la Commission a tenté d'obtenir d'un de ses agents qu'il évalue lui-même la crédibilité des témoins interviewés par divers autres agents, les témoins ayant été par ailleurs interviewés à diverses occasions. C'est à tort que, pour rejeter la plainte, la Commission s'est fondée sur le rapport rédigé à son intention par l'agent en question.
8.      C'est à tort que la Commission n'a pas tenu compte, ni accordé suffisamment de poids au contexte de la plainte, y compris à l'effet que l'environnement professionnel des témoins pourrait avoir sur leur volonté de fournir à la Commission des renseignements défavorables sur leur employeur. La majorité des témoins travaillaient alors ou travaillent encore pour une banque qui était en pleine restructuration.
9.      C'est à tort que la Commission n'a pas tenu compte, ou accordé suffisamment de poids, aux antécédents de la demanderesse, qui, pendant trente ans, avait été une employée loyale et capable de la banque, jusqu'à ce que son dernier gestionnaire en date commence à critiquer son travail.
10.      C'est à tort que la Commission n'a pas interviewé un des témoins clés cités par la demanderesse.
11.      C'est à tort que la Commission n'a pas tenu compte des preuves circonstancielles étayant la plainte de la demanderesse, y compris notamment des preuves documentaires indiquant que le gestionnaire qui avait agi de manière discriminatoire envers elle entendait de surcroît que celle-ci tienne uniquement compte de l'indemnité de départ que lui proposait la banque, sans même envisager la possibilité de trouver, au sein de la banque, un autre travail.
12.      C'est à tort que la Commission ne s'est pas penchée sur l'erreur intervenue dans le calcul initial de la pension de retraite proposée à la demanderesse dans le cadre de son départ, erreur qui avait rajouté sept ans et demi au nombre d'années de service qui serait porté à son crédit. Cette erreur n'a été découverte qu'après que la demanderesse se fut sentie obligée d'accepter l'indemnité de départ.
13.      C'est à tort que la Commission n'a pas tenu compte de l'influence que le comportement discriminatoire du gestionnaire aurait pu avoir sur l'acceptation, par la demanderesse, de l'indemnité de départ et sur l'état d'esprit dans lequel elle se serait trouvée lorsqu'elle accepta cette indemnité.
14.      C'est à tort que la Commission n'a pas tenu compte du fait que les fonctions de la demanderesse auprès de la banque étaient menacées, et de l'effet que cette menace pesant sur son emploi pourrait avoir sur son acceptation de l'indemnité de départ. C'est également à tort que la Commission n'a pas tenu compte du fait qu'une fois que la demanderesse eut accepté l'indemnité de départ, ses anciennes fonctions ne furent nullement éliminées, mais, plutôt, assumées par une femme de race blanche à qui a été accordé le même salaire qu'avait touché la demanderesse. C'est également à tort que la Commission a insisté sur le fait qu'il n'existait, entre la demanderesse et la personne qui l'a remplacée, aucune différence d'âge, plutôt que de faire porter son attention sur la différence d'origine raciale.
15.      C'est à tort que la Commission a trop facilement accepté les explications que lui a données la banque défenderesse concernant la prise de certaines mesures, sans tenir suffisamment compte des preuves contraires avancées par la demanderesse.
16.      Par suite de ces erreurs, la décision de la Commission est justiciable du contrôle judiciaire du fait que :
     a) la Commission n'a pas respecté les principes de justice naturelle et les exigences de l'équité procédurale, selon lesquels elle se devait d'accorder à la demanderesse la possibilité de connaître l'intégralité des arguments invoqués à l'encontre de sa thèse, et l'occasion d'y répondre de manière complète. La Commission n'a pas accordé à la demanderesse une possibilité équitable de corriger ou de réfuter les déclarations qui contredisaient ses propres arguments.
     b) La Commission a commis une erreur de droit en méconnaissant les principes élémentaires applicables en matière de preuve, ainsi que les principes établis dans le cadre de la jurisprudence sur les droits de la personne concernant l'appréciation des preuves d'un comportement discriminatoire, et notamment l'acceptation de preuves circonstancielles, de preuves concernant des faits similaires et de preuves relatives à des comportements récurrents.
     c) la décision de la Commission est fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La Commission a apprécié la crédibilité des témoins dans des circonstances faisant qu'il lui était en fait impossible d'apprécier cette crédibilité.
     d) la décision que la Commission a prise de rejeter la plainte de la demanderesse est donc constitutive d'une erreur de droit.
     e) en outre, du fait des erreurs qu'elle a commises, le rejet, par la Commission, de la plainte de la demanderesse, est manifestement déraisonnable.
17.      Pour ce qui est des questions soulevées en l'espèce au regard de la Charte, nous nous fondons sur les motifs suivants :
     a) les exigences posées par la Loi canadienne sur les droits de la personne en matière de dépôt, d'enquête et de décision concernant l'opportunité de convoquer une audience pour entendre la plainte, sont attentatoires aux droits à l'égalité que l'article 15 de la Charte reconnaît à la demanderesse;
     b) ces exigences ont pour effet de refuser aux justiciables la possibilité de voir l'atteinte à une des garanties juridiques que leur offre la Constitution examinée dans le cadre d'une audience, si ce n'est par le jeu d'une décision discrétionnaire de la Commission, et créent un obstacle à la tenue d'une audience du seul fait de l'identité de la demanderesse, identité qui se rattache à l'un des motifs énumérés : la race.
     c) ces exigences ont pour effet de priver la demanderesse du droit qu'elle a de voir son affaire tranchée par une cour de justice ou un tribunal administratif compétent.
     d) étant donné le caractère essentiel des droits de la personne que vise à protéger la Loi sur les droits de la personne, les exigences en question accordent à la demanderesse une protection incomplète et insuffisante en ce qui concerne les garanties juridiques qui lui sont offertes dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
     e) le maintien de l'exigence selon laquelle la Commission doit, en vertu de l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, approuver toute plainte avant que celle-ci puisse faire l'objet d'une audience, perpétue des attitudes discriminatoires à l'égard de personnes dont les droits sont justement censés être protégés par le biais de cette loi, puisque l'exigence en question prive les intéressés du droit de piloter leur propre dossier, droit pourtant reconnu à toute personne invoquant une atteinte à l'un des garanties juridiques qui lui sont assurées.
     f) Le fait qu'en fermant l'accès à une cour de justice ou tribunal administratif compétent, les exigences fixées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, sont attentatoires au droit à la liberté et à la sécurité de la personne, pourtant garanti par l'article 7 de la Charte.
     g) le pouvoir discrétionnaire qu'a la Commission de refuser l'accès à un tribunal administratif compétent constitue une violation des principes de justice fondamentale que l'article 7 de la Charte enjoint pourtant de respecter.
     h) cette atteinte aux droits constitutionnels de la demanderesse ne comporte, dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, aucune justification au sens de l'article 1 de la Charte.
18.      La demanderesse entend également se fonder sur tout autre motif qu'il serait loisible à la Cour d'accueillir.

     ANNEXE B

     (Voir le paragraphe [4] des motifs)

     La demanderesse demande à la Commission canadienne des droits de la personne de lui transmettre, ainsi qu'au greffe de la Cour, une copie certifiée conforme du dossier qu'elle aurait en sa possession concernant la plainte de la demanderesse, y compris notamment :
     l'ensemble des notes, documents, notes de service, correspondance et tout autre document constituant le ou les dossiers conservés par la Commission canadienne des droits de la personne en ce qui a trait à la plainte déposée par la demanderesse et portant, à la Commission, le no de dossier T43650, et en particulier :
         a) toutes les déclarations des témoins recueillies par la Commission dans le cadre de son enquête sur la plainte, y compris le nom du déposant, la ou les dates où fut recueillie la déclaration, et le ou les agents chargés de la recueillir.
         b) l'ensemble des documents concernant la rédaction du rapport préparé par le ou les agents chargés du rapport, transmis par la Commission à la demanderesse, accompagné d'une lettre en date du 28 octobre 1997;
         c) l'ensemble de la documentation juridique, c'est-à-dire les notes, les opinions et la correspondance ainsi que tout autre document portant sur la plainte formulée par la demanderesse ou sur les questions y ayant trait;
         d) l'ensemble des documents fournis aux commissaires afin de leur permettre de parvenir à une décision en vertu de l'article 44 de la Loi sur les droits de la personne.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      T-931-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Osra Lindo c. La Banque royale du Canada

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 11 janvier 1999






MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE

M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU 25 JANVIER 1999




ONT COMPARU :

Susan Ursel      pour la demanderesse

E. Jane Richardson et Stephen M. Tilley      pour la défenderesse

Margaret Rose Jamieson      pour la Commission canadienne

     des droits de la personne


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Chercover

Toronto (Ontario)      pour la demanderesse

McMillan, Binch

Toronto (Ontario)      pour la défenderesse

Direction des services juridiques

Commission canadienne des droits de la personne      pour la Commission canadienne

Ottawa (Ontario)      des droits de la personne

__________________

1      DORS/98-106.

2      [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.)

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