Date : 19990823
T-1828-98
OTTAWA (ONTARIO), LE 23 AOÛT 1999
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER
E n t r e :
FERO HOLDINGS LTD.,
demanderesse,
- et -
LES ENTERPRISES GIVESCO INC. et
BLOK LOK LIMITED,
défenderesses.
MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE
[1] Fero Holdings Ltd (Fero) est titulaire du brevet no 1 306 116 qui concerne un type d'ancrage mural. Fero affirme que son brevet a été contrefait par Les Entreprises Givesco Inc. (Givesco) et par Blok Lok Limited (Blok Lok). Blok Lok présente pour sa part une requête en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant la demande dans la mesure où elle s'applique à un produit déterminé qui est désigné dans la défense sous le nom de structure A[1] pour cause d'antériorité. Fero, qui a qualifié le dispositif contrefait, une sorte d'ancrage mural, de [TRADUCTION] « connecteur réglable fabriqué et vendu par les défenderesses » , affirme que le produit contrefait est un produit qui ressemble à la structure A combiné à un dispositif de retenue d'isolant qui, lorsqu'il est fixé au produit de la structure A, crée un dispositif qui sert à fixer un mur de brique à un mur support porteur tout en maintenant l'isolant en place contre le mur support.
[2] La structure A est un ancrage mural et la fixation Wedge-Lok est une agrafe de retenue d'isolant. L'ancrage mural sert à fixer un mur de brique à un mur support porteur. Quelle que soit sa hauteur, un mur de brique indépendant n'est pas stable en raison de l'étroitesse de sa base. Il faut donc le fixer à un mur porteur pour le stabiliser. Pour ce faire, on utilise généralement des ancrages qui peuvent avoir divers profils et notamment être en forme de L, dont la patte courte est fixée au mur porteur et dont la patte longue comporte en son extrémité un trou ou une fente permettant de retenir un élément qui s'insère entre les rangs de briques du mur de parement, et de créer ainsi un lien entre le mur de parement et le mur support porteur. Une agrafe de retenue d'isolant est un dispositif qui est fixé à l'ancrage mural de manière à maintenir l'isolant en place contre le mur support.
[3] Suivant la preuve par affidavit déposée par les parties, le différend trouve son origine dans un contrat de construction déterminé pour l'exécution duquel on semble avoir privilégié l'utilisation du produit de Blok Lok plutôt que celui de Fero. Blok Lok déclare avoir vendu la structure A pour ce contrat mais non la fixation Wedge-Lok (agrafe de retenue d'isolant). Paul Stuart, agent de vente pour le dépositaire ontarien du plaignant, indique que Givesco avait fourni des ancrages muraux de Blok Lok Limited qui ont été utilisés pour ces travaux à la condition que l'entrepreneur utilise une agrafe de nouvelle conception. Il n'y a rien qui indique de quelle agrafe il s'agissait. M. Stuart cite par ailleurs un rapport technique qui compare un produit Blok Lok à un produit Fero. Il conclut que les dimensions sont identiques et que ces dimensions sont nécessaires pour que l'agrafe de retenue d'isolant utilisée par Fero puisse être adaptée à l'ancrage. Ce qui laisse sous-entendre que des fixations Fero ont été utilisées pour ces travaux plutôt que les fixations Wedge-Lok associées à Blok Lok. Le rapport en question mentionne des ancrages de blocs crénelés/à fentes destinés à un projet à Penetang. Étant donné que le projet qui semble avoir suscité le différend était situé à Kanata, la pertinence de cette information n'est pas évidente à première vue. Elle semble seulement montrer que les agrafes Wedge-Lok n'ont pas été utilisées.
[4] Il ressort de l'affidavit souscrit par M. John Dawe, un expert qui a témoigné pour le compte de Fero, que le produit Fero comporte de nombreuses caractéristiques inédites, et la seule qu'il mentionne est le recours à un support distinct d'isolant en nylon utilisé avec les ancrages de maçonnerie Fero pour retenir l'isolant. M. Dawe ne connaît pas de vendeur d'ancrages de maçonnerie ayant fait cette combinaison.
[5] La requête en jugement sommaire est fondée sur le moyen de défense tiré de l'arrêt Gillette, qui permet au tribunal statuant en matière de brevets de rendre jugement sans avoir à interpréter le brevet lui-même. Ce moyen de défense est tiré de l'arrêt Gillette Safety Razor Company v. Anglo-American Trading Company Ltd., (1913) R.P.C. 465 (C.L.), à la page 480, où se trouve le passage suivant :
[TRADUCTION]
J'estime donc qu'en l'espèce, le droit de la défenderesse d'obtenir gain de cause peut être établi sans qu'il soit nécessaire d'examiner le libellé du mémoire descriptif de ses lettres patentes. Je suis conscient du fait qu'il est inhabituel de trancher de la sorte une affaire de brevet, mais il est important, du point de vue du public, que cette façon de considérer les droits des simples citoyens ne soit pas ignorée. En pratique, c'est souvent la seule garantie dont dispose le fabricant. Il est impossible pour le simple citoyen de scruter tous les innombrables brevets qui sont octroyés pour en vérifier la validité, ainsi que la portée de leur revendications. Le simple citoyen a cependant le droit d'être rassuré en sachant que ce qu'il fait ou fabrique diffère de ce qui a déjà été fait ou fabriqué en des variantes non brevetables, sous la forme par exemple de substitution d'équivalents mécaniques ou de modifications apportées à la forme ou à la taille physique d'un objet. Le moyen de défense suivant lequel la contrefaçon présumée n'était pas nouvelle au moment où les lettres patents ont été délivrées au demandeur est valide en droit et on pourrait parfois raccourcir considérablement les procès en matière de brevets et en diminuer les coûts si le défendeur présentait sa cause de cette façon, s'épargnant ainsi la peine de démontrer à quelle enseigne le demandeur loge : celle de l'invalidité ou celle de la non-contrefaçon.
[6] En l'espèce, il ressort de l'examen du catalogue et de la publicité qui sont annexés à l'affidavit de M. Burns que les ancrages muraux composés d'une plaque en métal en forme de L munie d'une fente dans laquelle est insérée une barre de fixation étaient et demeurent un dispositif qui était couramment employé avant la date de la délivrance du brevet de Fero. Ainsi, un dispositif qui ressemble beaucoup à la structure A a fait l'objet d'un brevet aux États-Unis avant que Fero ne présente sa demande de brevet. De toute évidence, un homme du métier aurait été au courant de l'existence de ce type d'ancrage mural à la date à laquelle la demande de brevet a été présentée. Dans cette mesure, un ancrage mural du type représenté par la structure A constitue une antériorité qui ne tomberait pas sous le coup du brevet de Fero ou qui, si elle tombait sous le coup de ce brevet, donnerait lieu à une conclusion d'invalidité.
[7] En réponse à cet argument visant à contester son brevet, Fero soutient que le dispositif contrefait combine le dispositif mural à un dispositif de retenue d'isolant, de sorte que la combinaison des deux dispositifs contrefait son brevet. Fero poursuit en affirmant que la question de savoir si Blok Lok a vendu ou non ses agrafes Wedge-Lok est sans intérêt, étant donné qu'un brevet ne peut être invalidé en vendant l'article contrefait en pièces détachées pour ensuite le remonter afin de reconstituer le dispositif contrefait (Windsurfing International Inc. c. Trilantic Corporation, (1985) 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.)).
[8] Si tel est bien la thèse de Fero, son brevet constitue donc un brevet de combinaison dont la valeur inventive réside dans l'assemblage nouveau d'éléments connus pour parvenir à un nouveau résultat. Pour qu'on puisse conclure à la contrefaçon d'un brevet de combinaison, chacun des éléments doit être contrefait. Voici, à cet égard, un extrait de l'arrêt Beloit Canada Ltée/Ltd c. Valmet Dominion Inc., (1997) 73 C.P.R. 321 (C.A.F.) :
La défense des intimées repose partiellement sur leur prétention qu'elles n'ont pas vendu l'invention brevetée mais plutôt des éléments constitutifs fabriqués pour une presse en vue de son assemblage et de son utilisation à l'extérieur du Canada. La presse à triple pince de Beloit constitue un brevet de combinaison dans lequel la nouveauté résulte de l'idée de réunir différents éléments essentiels, tous antérieurement connus, selon une organisation particulière. Les intimées prétendent que la simple fabrication, utilisation ou vente des éléments constitutifs qui seront ensuite réunis n'est pas interdite lorsque le brevet se limite à la combinaison elle-même.
Il est bien établi que la vente d'un article qui n'opère pas lui-même contrefaçon d'un brevet ne constitue pas une contrefaçon même si le vendeur sait que l'acheteur achète cet article dans le but de s'en servir pour contrefaire ce brevet. Toutefois, dans Beloit Canada Ltée/Ltd., le juge Pratte, J.C.A., a statué que cette règle comportait deux exceptions :
a) si le vendeur, seul (Windsurfing International Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 7 C.I.P.R. 281, 8 C.P.R. (3d) 241, 63 N.R. 218 (sub nom. Windsurfing International Inc. c. Big Sports Inc.), motifs de jugement additionnels (1986), 8 C.P.R. (3d) 270 (C.A.F.)) ou en association avec une autre personne (Incandescent Gas Light Co. v. New Incandescent Mantle Co. (1898), 15 P.P.C. 81), vend toutes les composantes de l'invention à un acheteur pour qu'elles soient assemblées par ce dernier ; et
b) si le vendeur, en toute connaissance de cause et dans un but personnel, incite ou amène l'acheteur à contrefaire le brevet (Slater Steel Industries Ltd. v. R. Payer Co. (1968) 38 Fox Pat. C. 139, 55 C.P.R. 61 (C. de l'É.)).
[9] Il s'ensuit que la vente d'un ancrage mural ressemblant à la structure A ne contreferait pas en soi le brevet de Fero. La requête en jugement sommaire conclut au rejet de la demande de Fero dans le mesure où elle concerne la structure A simpliciter. L'avocat reconnaît qu'un tel jugement laisserait intacte la demande reconventionnelle de Blok Lok et n'empêcherait pas Fero de présenter une demande de contrefaçon sur le fondement de la vente à la fois de la structure A et de l'agrafe Wedge-Lok.
[10] Les Règles de la Cour fédérale prévoient que la Cour peut prononcer un jugement sommaire même lorsque les faits sont contestés, à condition que le juge saisi de la requête conclue, après un examen minutieux de la preuve, qu'il n'y a pas matière à procès. De plus, la Cour peut statuer par jugement sommaire sur seulement une partie de le demande, laissant le reste de la demande à juger. Dans le cas d'une requête en jugement sommaire, la charge de la preuve repose sur le demandeur, mais le défendeur a tout intérêt à [TRADUCTION] « avoir tous les atouts dans son jeu au risque de perdre » , pour reprendre l'expression employée par le juge Osborne dans l'arrêt 1061590 Ontario Limited v. Ontario Jockey Club, (1995) 21 O.R. (3d) 547 (C.A. Ont.), à la page 557.
[11] Le fait de rendre un jugement sommaire uniquement en ce qui concerne la structure A (BL314) soulève certaines difficultés. La première est le fait que le dispositif contrefait est désigné dans l'annexe A sous le nom de connecteur réglable, lequel est lui-même décrit en s'inspirant du libellé de la revendication 1 du brevet. Or, la structure A n'est pas désignée de façon évidente comme étant le connecteur réglable dont il est question dans la revendication, et cela ne serait possible que sur présentation d'une demande d'éclaircissements ou que dans le cadre d'une enquête préalable. Le fait de prouver que la structure A ne contrefait pas le brevet ne prouve pas nécessairement que le connecteur réglable Blok Lok ne contrefait pas le brevet. Le litige porte sur le connecteur réglable, et non sur la structure A. Le deuxième problème est le fait que le prononcé d'un jugement sommaire partiel ne réduit en rien la longueur ou la complexité du procès. Il est toujours loisible à Fero d'essayer d'établir qu'il y a contrefaçon par suite de la vente de la structure A (ou de quelque chose de semblable) dotée d'agrafes d'isolation, auquel cas la demande reconventionnelle dans laquelle Blok Lok conclut à l'invalidité du brevet de Fero n'est toujours pas tranchée. Il est fort peu probable que le prononcé d'un jugement sommaire partiel réduise de quelque façon que ce soit la durée de la présente instance. Il est plus probable qu'il fera surgir de nouvelles difficultés dans le procès en suscitant des questions relatives à la chose jugée alors qu'aucune question de ce genre ne se pose pour le moment.
[12] L'avocat fait valoir que le prononcé d'un jugement sommaire aurait pour avantage de permettre à Blok Lok de vendre le BL314 sans crainte d'autres procès. Compte tenu de la position prise par Fero suivant laquelle son brevet recouvre la combinaison créée par l'ancrage mural et le dispositif de retenue d'isolant, la vente de l'ancrage mural sans dispositif de retenue d'isolant (qui est la seule chose qui serait visée par le jugement sommaire) n'est pas susceptible de poser un problème.
[13] Comme le prononcé d'un jugement sommaire partiel ne simplifierait et ne raccourcirait pas l'action, mais qu'au contraire, il la compliquerait probablement, la requête en jugement sommaire est rejetée. Les dépens suivront le sort du principal.
O R D O N N A N C E
La requête en jugement sommaire est rejetée. Les dépens suivront le sort du principal.
"J.-D. Denis Pelletier"
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE :T-1828-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :FERO HOLDINGS LTD. c. LES ENTERPRISES GIVESCO INC. et
BLOK LOK LIMITED
LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :Le 16 août 1999
MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Pelletier en date du 23 août 1999
ONT COMPARU :
Me Robert H.C. MacFarlane pour la demanderesse
Mes Serge Anissimoff et pour les défenderesses
Susan McCorquodale
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Bereskin & Parr pour la demanderesse
Toronto (Ontario)
Anissimoff & Associates pour les défenderesses
London (Ontario)