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     Date: 19980205

     Dossier: T-1115-96


AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

L.R.C. (1985), ch. C-29,


ET l'appel de la décision du

juge de la citoyenneté,


ET


FOUAD SAMI HAJJAR,


appelant.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LUTFY :

[1]      Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté la demande que l'appelant avait présentée en vue d'obtenir la citoyenneté au motif que les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté n'avaient pas été remplies.

[2]      L'appelant, qui est âgé de 61 ans, sa mère, âgée de 80 ans, et ses deux soeurs, qui ont environ 55 ans, sont nés en Palestine. L'appelant avait 12 ans lorsque sa famille a quitté son lieu de naissance. Après avoir vécu un peu plus de dix ans en Égypte, la famille s'est installée au début des années 1960 au Liban, où elle a obtenu la citoyenneté libanaise.

[3]      En 1970, l'appelant a épousé une Palestinienne qui avait obtenu la citoyenneté libanaise. Ils se sont installés à Sharjah, dans les Émirats arabes unis, où l'appelant établissait sa propre entreprise de construction. Leurs trois enfants sont nés entre 1971 et 1979 et sont également citoyens libanais. Les enfants ont été élevés dans les Émirats arabes unis jusqu'à ce qu'ils viennent au Canada.

[4]      En 1975, parce qu'ils étaient sérieusement menacés par la guerre au Liban, le père, la mère et les deux soeurs de l'appelant se sont enfuis en Grèce. Le père de l'appelant a dû subir une intervention chirurgicale en 1976 à Londres, où il est décédé un peu plus tard. La mère et une soeur de l'appelant ont continué à vivre en Grèce jusque vers l'année 1989 et son autre soeur s'est installée à Sharjah avec la famille immédiate de celui-ci.

[5]      En 1987, l'appelant a communiqué avec les représentants du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec pour faire traiter sa demande de résidence permanente pour lui-même ainsi que pour sa femme, ses trois enfants, sa mère et deux soeurs. Un avis relativement court leur a été donné selon lequel ils devaient s'établir au Canada le 11 octobre 1988. L'appelant dit que, compte tenu des circonstances, les membres de la famille ont été autorisés à rester à l'extérieur du Canada pour une période de 12 mois. En fait, ce n'est qu'au cours de l'été 1990 qu'il est possible de dire que la famille s'est établie à Montréal (Québec).

[6]      L'appelant est entré au Canada avec une somme de 250 000 $; apparemment, on n'a pas exigé que ces fonds soient investis dans une entreprise. Une petite partie de ces fonds a servi, en 1993, à l'acquisition d'un modeste dépanneur qui est tenu par l'une des soeurs de l'appelant. Aucun des autres membres de la famille n'exerce un emploi rémunérateur à l'heure actuelle. Toutes ces personnes sont à la charge de l'appelant.

[7]      La famille réside au même endroit, à Montréal, depuis 1990. L'appelant est responsable des baux signés à l'égard de trois logements. Deux de ces logements ont été transformés en un gros appartement destiné à loger l'appelant, sa femme, leurs trois enfants et l'une des soeurs de l'appelant. La mère de l'appelant et une autre soeur vivent ensemble dans le troisième logement, qui est situé juste à côté des deux autres. Le loyer total des trois logements est d'environ 2 400 $ par mois. L'appelant a expliqué d'une façon crédible les raisons pour lesquelles il préférait payer, depuis 1990, des loyers élevés, soit plus de 28 000 $ à l'heure actuelle, au lieu d'acheter une grosse habitation unifamiliale pour loger les personnes à sa charge. L'appelant continue à utiliser sa maison, à Sharjah, lorsqu'il est dans les Émirats arabes unis pour ses affaires. La valeur marchande de cette propriété est d'environ 150 000 $ et, selon le requérant, la propriété est facile à vendre. Dans de nombreux appels en matière de citoyenneté, il est fait mention du fait que les appelants sont propriétaires de leurs résidences, mais à mon avis l'engagement de l'appelant envers le Canada n'est pas moindre du fait que la famille a décidé de louer un logement.

[8]      La fille aînée de l'appelant s'est immédiatement inscrite à l'Université McGill, où elle a obtenu un diplôme en génie civil; à l'heure actuelle, elle étudie l'architecture. Ses frères et soeurs ont terminé leurs études secondaires et ont obtenu leur DEC à Montréal; l'un d'eux étudie maintenant la cinématographie au Ryerson Polytechnic University et l'autre étudie la biologie, également à l'Université McGill.

[9]      Le seul autre membre survivant de la famille de l'appelant est une soeur qui habite aux États-Unis. Le mari de la quatrième soeur, qui est décédée, habite à Toronto avec ses enfants.

[10]      Depuis 1990, l'appelant a passé au Canada un peu plus de deux mois par année. Il est ici avec sa famille pendant les fêtes de fin d'année et en été, pendant un peu plus d'un mois. L'appelant parle couramment les deux langues officielles. Pendant qu'il est au Canada avec sa famille et grâce aux contacts qu'il entretient avec sa famille lorsqu'il travaille dans les Émirats arabes unis, il s'est familiarisé avec le mode de vie canadien, y compris avec les expressions familières du Québec. Il a obtenu un numéro d'assurance sociale, un permis de conduire du Québec et des cartes d'assurance-maladie. Il consulte régulièrement un médecin à Montréal. Ses déclarations de revenus indiquent principalement le revenu en intérêts sur son investissement initial de 250 000 $, mais l'impôt payé, une fois déduites la cotisation au REER et les autres sommes, est minime. Au cours des quatre années qui ont précédé sa demande de citoyenneté, l'appelant a passé 16 p. 100 de son temps au Canada, soit bien moins que les 1 095 jours requis.

[11]      La preuve présentée par l'appelant au sujet de ses absences du Canada est claire et sincère; elle est corroborée par des états financiers et elle est crédible. En 1970, l'appelant a créé East Coast and Hamriah Co. (LLC), à Sharjah, dans les Émirats arabes unis. Selon l'appelant, la compagnie s'occupait avec succès de la construction d'hôpitaux, d'écoles et d'autres immeubles similaires dans les secteurs publics et parapublics. L'appelant est l'âme dirigeante de la compagnie, mais la législation locale l'oblige à avoir un associé minoritaire qui est citoyen des Émirats arabes unis. Les affaires ont commencé à se détériorer au début des années 1990. L'entreprise est encore viable, mais elle n'est pas aussi rentable qu'elle l'a déjà été et ses dettes existantes ne la rendraient pas attrayante pour un acquéreur au prix de vente qui intéresserait l'appelant. L'appelant espère que la situation s'améliorera dans un avenir rapproché de façon qu'il puisse aliéner la compagnie à un prix qui lui permettrait de continuer à subvenir aux besoins des personnes qui sont à sa charge.

[12]      En l'absence d'une définition légale, les tribunaux ont interprété le sens de l'expression "pendant au moins trois ans en tout" figurant à l'alinéa 5(1)c ) de la Loi. Dans l'affaire Papadogiorgakis1, le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) a dit que les mots "résidence" et "résident" employés à l'alinéa 5(1)c ) ne sont pas limités à la présence effective au Canada.

[13]      Une quinzaine d'années plus tard, Madame le juge Reed a examiné la jurisprudence que cette Cour avait établie depuis que la décision Papadogiorgakis, qui faisait autorité, avait été rendue. Dans l'affaire Koo2, Madame le juge Reed a conclu que le critère qu'il convient d'appliquer est celui de savoir si le Canada est le lieu où la personne en cause "vit régulièrement, normalement ou habituellement" ou encore le pays où elle a centralisé son mode d'existence. Aux fins de pareille décision, il faut notamment tenir compte de la durée des séjours de la personne en cause au Canada, de la question de savoir où résident la famille immédiate et la famille étendue de cette personne, de l'étendue des absences et des motifs y afférents, de la qualité des attaches de la personne avec le Canada par rapport à celles qui existent avec un autre pays et de la question de savoir si le temps passé au Canada dénote que la personne en cause revient dans son pays, par opposition à une simple visite.

[14]      Dans l'affaire Ng3, mon collège le juge Cullen, après avoir examiné les décisions rendues dans les affaires Papadogiorgakis et Koo, a de nouveau énoncé certains de ces critères en des termes plus précis. Il a parlé du fait que la personne en cause a établi et maintenu son lieu de résidence au Canada ou, autrement dit, qu'elle a "établi une résidence au Canada, maintenu un pied-à-terre au Canada et [a] eu l'intention de résider au Canada". Le juge a également fait remarquer que la jurisprudence parlait du [TRADUCTION] "critère de résidence" et de la [TRADUCTION] "qualité des attaches" et que le critère le plus strict, soit celui de la qualité des attaches, prend de plus en plus d'importance.

[15]      Dans un certain nombre de décisions, cette Cour a accueilli des appels en matière de citoyenneté lorsque les absences de l'appelant étaient aussi longues que celles du présent appelant4. D'autres décisions récentes sont plus restrictives5. Le législateur n'a pas modifié la définition des mots "résident" et "résidence" figurant à l'alinéa 5(1)c ) au cours des vingt années qui se sont écoulées depuis que la décision Papadogiorgakis a été rendue et, au cours de ces vingt années, plusieurs juges de cette Cour ont interprété ces dispositions d'une façon qui, dans certaines circonstances, permet de longues absences.

[16]      À mon avis, il s'agit ici d'un cas exceptionnel. L'appelant est un Palestinien qui a obtenu la citoyenneté libanaise. Il a commencé à travailler et à vivre au Qatar, puis dans les Émirats arabes unis, peu de temps après que ses parents et ses frères et soeurs se furent installés au Liban dans les années 1960. Aucun des membres de la famille de l'appelant ne vit au Liban depuis 1975. L'appelant n'a plus aucun lien physique avec le pays où il est né. Il affirme que ni lui ni aucun autre membre de sa famille étendue ne sont admissibles à la citoyenneté dans les Émirats arabes unis. L'appelant, sa femme et ses enfants à charge peuvent retourner dans ce pays à titre de résidents, mais uniquement aussi longtemps que l'appelant continue à travailler dans ce pays.

[17]      À cause de ses engagements commerciaux dans les Émirats arabes unis, l'appelant s'est vu obligé de s'absenter du Canada pendant de longues périodes, mais je ne doute aucunement que l'appelant et sa famille se sont établis au Canada, où ils ont des attaches importantes, au sens de l'alinéa 5(1)c) de la Loi et de la jurisprudence pertinente. Il n'y a pas lieu pour l'appelant d'être dans les Émirats arabes unis si ce n'est aux fins de son entreprise. Le statut de l'appelant dans les Émirats arabes unis est directement lié à l'emploi qu'il exerce dans ce pays. S'il réussit à vendre son entreprise, l'appelant aura de bonnes raisons de retourner vivre à plein temps avec sa femme, ses enfants, sa mère et ses soeurs, aux besoins desquels il subvient à Montréal. Lorsqu'il fait un séjour au Canada, l'appelant retourne chez lui et dans sa famille depuis son lieu de travail. Comme Monsieur le juge Dubé l'a fait remarquer avec justesse dans l'affaire Huang6, lorsque, comme en l'espèce, tous les membres de la famille de l'appelant ont obtenu la citoyenneté canadienne, "l'indice le plus éloquent de résidence est l'établissement d'une personne et de sa famille dans ce pays, en plus de la manifeste intention de faire de l'établissement leur foyer permanent".

[18]      Le fait que l'appelant ait rarement été présent au Canada au cours des quatre années qui ont précédé sa demande de citoyenneté s'explique par son engagement nécessaire envers son entreprise, dans les Émirats arabes unis. Les ressources financières de l'appelant constituent la principale source de soutien financier de sa famille étendue. Le travail de l'appelant est l'unique lien qu'il a, relativement à son statut juridique, avec les Émirats arabes unis, dont il ne deviendra pas citoyen. À l'heure actuelle, l'appelant n'a apparemment aucun lien physique avec un autre pays. L'appelant, sa famille immédiate et les autres personnes à sa charge ont établi leur résidence au Canada, où l'appelant et sa famille ont centré leur mode de vie au sens de l'alinéa 5(1)c). Compte tenu des circonstances exceptionnelles de la présente espèce, et même si l'amicus curiae a soutenu que la demande que l'appelant a présentée en vue d'obtenir la citoyenneté est peut-être prématurée, je suis convaincu qu'il est tout à fait opportun d'accueillir l'appel.

                                     "Allan Lutfy"                                      Juge

Toronto (Ontario),

le 5 février 1998.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :      T-1115-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      AFFAIRE INTÉRESSANT LA Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29
     ET l'appel de la décision du juge de la citoyenneté
     ET
     FOUAD SAMI HAJJAR

DATE DE L'AUDIENCE :      LES 16 DÉCEMBRE 1997 et

     19 JANVIER 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC) et

     OTTAWA (ONTARIO)

     (conférence téléphonique et vidéoconférence - Ottawa)
MOTIFS DU JUGEMENT DU      JUGE LUTFY
     EN DATE DU 5 FÉVRIER 1998

ONT COMPARU :

     Julien Cools-Lartigue

     Christopher Richardt

         pour l'appelant

     Jean Caumartin

         amicus curiae

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Woods et associés

     1100-2000, avenue McGill College

     Montréal (Québec)

     H3A 3H3

             Télécopieur : (514) 284-2046

         pour l'appelant

     Jean Caumartin

     6688, avenue Christophe-Colomb

     Montréal (Québec)

     H2S 2G8

             Téléphone : (514) 274-1126

         amicus curiae

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date: 19980205

     Dossier: T-1115-96

ENTRE

AFFAIRE INTÉRESSANT LA Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29

ET l'appel de la décision du juge de la citoyenneté

ET

FOUAD SAMI HAJJAR,


appelant.

     MOTIFS DU JUGEMENT

__________________

1      [1978] 2 C.F. 208, aux p. 213-214 (C.F. 1re inst.).

2      [1993] 1 C.F. 286, aux p. 293-294 (C.F. 1re inst.).

3      (1996), 121 F.T.R. 312, à la p. 317 (C.F. 1re inst.).

4      Re Leung (22 janvier 1998) T-241-97 (C.F. 1re inst.); Re Leung [1997] A.C.F. no 1451 (QL); Re Ng (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 162 (C.F. 1re inst.); Re Lau, [1996] A.C.F. no 930 (QL); Re Wang (1996), 112 F.T.R. 73 (C.F. 1re inst.).

5      Re Lin, [1997] A.C.F. no 1801 (QL); Re Ko, [1996] A.C.F. no 1653 (QL); Re Lee (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 67 (C.F. 1re inst.); Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Ko (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 162 (C.F. 1re inst.); Re Chiu (1995), 28 Imm. L.R. (2d) 211 (C.F. 1re inst.). Voir également une décision récemment rendue dans laquelle les absences prolongées étaient moins nombreuses qu'en l'espèce : Re Feng (22 janvier 1998), T-1-97 (C.F. 1re inst.).

6      [1997] A.C.F. no 112 (QL) au par. 10.

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