Date : 19981125
Dossier : T-2192-97
ENTRE :
TERRANCE ANDREW MACKIE,
demandeur,
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et
LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE DRUMHELLER,
défendeurs.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] Détenu sans interruption depuis le 11 août 1978 (au début aux États-Unis et maintenant au Canada), M. Mackie devait obtenir sa mise en liberté conditionnelle le 18 juillet 1997. Toutefois, le 15 avril 1997, la Commission nationale des libérations conditionnelles1 a, conformément au paragraphe 130(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1992, ch. 202, interdit sa mise en liberté avant la date d'expiration de sa peine, soit le 4 novembre 2000. M. Mackie s'oppose à cette décision, son argument le plus solide étant que, pour arriver à sa conclusion, la Commission s'est fondée sur des éléments de preuve préjudiciables qui n'ont pas été communiqués au préalable.
[2] La décision de la Commission s'appuie sur une conclusion fondée sur le sous-alinéa 129(2)a)ii) de la Loi :
ii) [...] il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l'expiration légale de sa peine, une [...] infraction [causant la mort ou un dommage grave à une autre personne], [...] |
Le 14 mai 1997, M. Mackie a déposé une demande de contrôle judiciaire en vue de contester cette décision. Toutefois, dans une ordonnance datée du 18 juillet 1997, le protonotaire Hargrave a annulé cette demande au motif que M. Mackie devait au préalable en appeler devant la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles3 conformément au paragraphe 147(1) de la Loi. M. Mackie a donc interjeté appel de la décision de la Commission. La Section d'appel a confirmé cette décision. M. Mackie présente donc la demande de contrôle judiciaire en l'espèce pour contester la décision de la Section d'appel.
[3] Après une très longue audience, lors de laquelle M. Renouf (pour M. Mackie) et M. Hardstaff (pour les défendeurs) ont soumis des arguments bien élaborés4, j'estime que la question litigieuse se résume ainsi : Est-ce que la Section d'appel a commis une erreur susceptible de révision en ne concluant pas à l'erreur de la Commission en ce qui a trait à la communication de la preuve conformément au paragraphe 141(1) de la Loi?
Le paragraphe 141(1) se lit comme suit :
141. (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l'examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l'information pertinente, ou un résumé de celle-ci. [Non souligné dans l'original.] |
[4] Au cours de l'audience, on m'a informé que, dans la pratique relative à l'application des exigences de communication prévues à l'article 141, la politique du Service correctionnel du Canada et de la Commission nationale est de ne pas faire parvenir au délinquant visé l'information sur la libération conditionnelle fournie par le service de police, mais plutôt un " résumé " de celle-ci. C'est uniquement en raison de cette politique qu'un " résumé " a été donné en l'espèce. Il n'y a rien dans le dossier qui laisse entendre qu'on ait invoqué les exceptions prévues au paragraphe 141(4) à cet égard; cette disposition permet de refuser la communication d'éléments de preuve pour des motifs d'intérêt public, de mise en danger d'une personne, de sécurité institutionnelle ou de tenue d'une enquête licite.
[5] En conséquence, pour de simples considérations de politique, on a, avant la tenue de l'audience, fait parvenir à M. Mackie un document intitulé " Rapport sur le profil criminel " qui est daté du 30 avril 19915. Conformément au paragraphe 141(1), la Commission et subséquemment la Section d'appel sont arrivées à la conclusion que ce document constituait un " résumé " de l'information contenue dans une lettre en date du 29 novembre 1990 que la police municipale de Brandon a envoyée au Service correctionnel du Canada6. Il est admis que la Commission s'est fondée sur la lettre de la police municipale de Brandon en rendant sa décision.
[6] M. Mackie soutient que le Rapport sur le profil criminel ne constitue pas un " résumé " de l'information contenue dans la lettre et que, par conséquent, il y a eu manquement aux exigences obligatoires de communication prévues au paragraphe 141(1) en ce qui concerne l'audience devant la Commission, et la Section d'appel a commis une erreur susceptible de révision en n'arrivant pas à une telle conclusion.
[7] Le paragraphe 147(1) de la Loi établit une liste limitative de motifs sur lesquels M. Mackie peut s'appuyer pour interjeter appel auprès de la Section d'appel en vue de remédier au manquement allégué. Cette disposition se lit comme suit :
147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d'appel pour l'un ou plusieurs des motifs suivants : |
a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale; |
b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision; |
c ) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées; |
d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets; |
e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l'exercer. |
[8] Malgré le caractère limitatif des motifs d'appel, la Section d'appel jouit de larges pouvoirs pour remédier à l'erreur. Ainsi, le paragraphe 147(4) prévoit le pouvoir discrétionnaire de :
a) confirmer la décision visée par l'appel; |
b) confirmer la décision visée par l'appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen; |
c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen; |
d) infirmer ou modifier la décision visée par l'appel. |
[9] Je souscris à l'argument de M. Mackie selon lequel un manquement au paragraphe 141(1) constitue une violation d'un principe de justice fondamentale prévu par la loi, violation qui, conformément à l'alinéa 147(1)a), relève spécifiquement de la compétence d'appel de la Section d'appel et de l'obligation de cette dernière de faire une bonne appréciation.
[10] Dans sa décision, la Section d'appel a utilisé les termes spécifiques suivants au sujet de l'appréciation qu'elle a faite.
[TRADUCTION] À notre avis, l'information fournie par le service de police ou le résumé de celle-ci, laquelle est détenue par la Commission dans le dossier de votre cas, vous a été communiquée avant l'audience7. |
[11] M. Renouf, pour le compte de M. Mackie, a fait ressortir six types de renseignements figurant dans la lettre de la police municipale de Brandon mais non dans le Rapport sur le profil criminel. J'estime que seulement deux de ces omissions, constituant dans les deux cas des opinions de l'auteur de la lettre, sont d'une nature telle qu'elles doivent être communiquées, sous peine d'un manquement au principe de justice fondamentale prévu au paragraphe 141(1).
[12] Le Rapport sur le profil criminel est conforme à la lettre de la police municipale de Brandon en ce que, tout comme elle, il indique que, relativement à la conduite criminelle reprochée à M. Mackie en 1973 et 1974, ce dernier était soupçonné de plusieurs infractions à caractère sexuel. Toutefois, le Rapport sur le profil criminel ne fait pas état de l'affirmation contenue dans la lettre de la police municipale de Brandon, selon laquelle le demandeur est [TRADUCTION] " responsable de certaines [infractions] qui n'ont jamais été rapportées à la police "8. En outre, le Rapport sur le profil criminel ne fait aucune référence au dernier paragraphe de la lettre de la police municipale de Brandon :
[TRADUCTION] En conclusion, j'estime que MACKIE devrait demeurer en détention jusqu'à sa mise en liberté d'office. Je suis certain de partager la même opinion que les personnes qui connaissent le passé de MACKIE, y compris ses victimes. En outre, je crois que MACKIE recommencera après sa mise en liberté. |
[13] J'estime que ces deux opinions sont hautement préjudiciables à M. Mackie et qu'elles auraient donc dû lui être communiquées conformément au paragraphe 141(1) de façon à ce qu'il puisse y répondre. Cela n'a pas été fait. À mon avis, la Section d'appel a commis une erreur de droit susceptible de révision judiciaire en ne tirant pas la conclusion que cette non-communication constituait un manquement au paragraphe 141(1).
[14] Bien que la décision de la Section d'appel fasse l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, j'estime que le fait de simplement l'annuler et de renvoyer l'affaire à la Section d'appel pour réexamen ne permettra pas de rendre justice à M. Mackie. M. Mackie a droit à une nouvelle audience sur le fond devant des décideurs différents. D'après le passage suivant tiré de la décision de la Section d'appel, il appert que celle-ci se sent obligée de parvenir à un tel résultat :
[TRADUCTION] M. Mackie, le rôle de la Section d'appel consiste à s'assurer de l'obéissance aux règles de droit et à la politique de la Commission ainsi que du respect des règles de justice naturelle; elle doit aussi veiller à ce que la décision de la Commission soit fondée sur des renseignements suffisants. Il ne nous appartient pas de revoir les renseignements disponibles puis tout simplement de substituer notre pouvoir discrétionnaire à celui d'une Commission régionale qui a sagement exercé ce pouvoir d'une manière conforme au droit et à la politique de la Commission9. |
[15] Par conséquent, pour parvenir au juste résultat voulu, j'annule la décision de la Section d'appel et renvoie l'affaire au tribunal qui a statué sur celle-ci afin que celui-ci, conformément à l'alinéa 147(4)c) de la Loi, ordonne qu'un tribunal de la Commission différemment constitué procède promptement à un nouvel examen de l'affaire.
" Douglas R. Campbell " Juge
EDMONTON (Alberta)
Le 25 novembre 1998
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : T-2192-97 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Terrance Andrew Mackie c. le Procureur général du Canada et le Directeur de l'établissement de Drumheller
LIEU DE L'AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 17 novembre 1998
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Campbell |
ONT COMPARU :
M. Simon Renouf pour le demandeur
M. W. Brad Hardstaff pour les défendeurs
Ministère de la Justice
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Simon Renouf
Edmonton (Alberta) pour le demandeur
Morris A. Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario) pour les défendeurs
__________________1 Ci-après : la " Commission "
3 Ci-après : la " Section d'appel "
4 Lors de l'audience, M. Renouf a présenté des arguments sur la suffisance de la preuve à l'appui de la décision et, également, sur l'applicabilité des dispositions transitoires de la Loi , qui exigent que la sentence de M. Mackie prononcée au Canada en vertu d'une loi abrogée soit assujettie aux dispositions de la Loi. J'ai rejetté ces arguments.