Striebel c. Chairman (Le) (1re inst.) [2002] 4 C.F. 377
Date : 20020510
Dossier : T-687-02
Référence neutre : 2002 CFPI 545
ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ
ENTRE :
M. ET MME STEPHEN STRIEBEL
demandeurs
et
SOVEREIGN YACHTS (CANADA) INC.
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES
PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « CHAIRMAN »
également connu sous le nom de SOVEREIGN HULL NUMBER 7644
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE PROTONOTAIRE HARGRAVE
Les demandeurs dans cette action sollicitent des dommages-intérêts par suite d'une entreprise de construction de navire qui a mal tourné. En leur qualité de créanciers hypothécaires et de propriétaires éventuels du yacht « Chairman » , d'une longueur de 106 pieds, qui est partiellement construit, ils demandent également que le shérif soit mis en possession du navire saisi et en assure la protection et ensuite, qu'en tant que créanciers hypothécaires ayant pris possession du navire, ils puissent mettre le navire à l'eau et le déplacer jusqu'à un autre chantier pour faire achever les travaux.
Ces motifs découlent de trois requêtes : premièrement, une requête ex parte qui a été entendue le 29 avril 2002 et qui a donné lieu à la délivrance d'une ordonnance en date du 29 avril 2002 prévoyant que le shérif devrait être mis en possession du navire et, cela étant et compte tenu de la saisie, autorisant les demandeurs, en leur qualité de créanciers hypothécaires ayant pris possession du navire ainsi qu'en leur qualité de propriétaires éventuels, à faire exécuter les travaux sur le navire, cette ordonnance permettant également au constructeur, à savoir la défenderesse Sovereign Yachts (Canada) Inc. (Sovereign), de demander la modification ou l'annulation de l'ordonnance; deuxièmement, une requête présentée par Sovereign, qui a été entendue le 6 mai 2002, visant la modification ou l'annulation de l'ordonnance par laquelle le shérif était mis en possession du navire, requête qui a donné lieu à la délivrance d'une ordonnance en date du 8 mai 2002 venant s'ajouter à l'ordonnance initiale du 29 avril 2002; et troisièmement, une requête présentée par les demandeurs visant à permettre à ceux-ci d'assurer le « Chairman » et de le déplacer, pendant qu'il était assujetti à la saisie, jusqu'à un autre chantier aux fins de l'achèvement des travaux, ce qui a donné lieu à la délivrance d'une ordonnance en ce sens, également datée du 8 mai 2002, comportant une disposition additionnelle selon laquelle Sovereign obtiendrait une garantie suffisante pour toute demande reconventionnelle, y compris le manque à gagner.
Cette procédure générale, y compris le déplacement d'un navire saisi jusqu'à un nouvel endroit aux fins de l'achèvement des travaux de construction par le propriétaire éventuel, en sa qualité de créancier hypothécaire ayant le navire en sa possession, a de temps en temps été adoptée, même s'il ne s'agit pas d'un événement courant. Toutefois, étant donné que dans ce cas-ci toute la procédure a fait l'objet d'une vive contestation, il convient de prononcer des motifs. Je ferai tout d'abord certaines remarques au sujet de l'obtention de la saisie d'un navire.
EXAMEN
L'avocat de Sovereign semble considérer la saisie d'un navire comme un recours extraordinaire assimilable à une injonction. Tel était l'avis exprimé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd. (1994) 170 N.R. 372 : cependant, la Cour suprême du Canada n'était pas d'accord, point sur lequel je reviendrai en temps utile. J'examinerai maintenant la question de la saisie d'un navire.
Saisie d'un navire
La saisie d'un navire est une affaire de procédure, assurant une voie de recours, qui ne crée toutefois aucun nouveau droit acquis : voir, par exemple, la décision rendue par Monsieur le juge Dubé dans l'affaire Magnolia Ocean Shipping Corp. c. le « Soledad Maria » [1982] 1 C.F. 205, page 208, et Kiku Fisheries Ltd. c. Canadian North Pacific Ocean Corporation (1998) 137 F.T.R. 192, page 203 et pages suivantes. La seule communication qui doit être faite dans l'affidavit portant demande de mandat, visant l'obtention du mandat de saisie lui-même, est celle qu'exigent les Règles de la Cour fédérale. Cela ne s'étend pas à la divulgation franche et intégrale de toutes les questions nécessaires aux fins de l'obtention d'une injonction : voir Kiku Fisheries Ltd. c. le « Limanskiy » (1998) 137 F.T.R. 192, page 203 et pages suivantes.
Une fois qu'il a déposé une déclaration dans une action réelle, le demandeur a le droit de se prévaloir de la procédure de saisie, sauf dans des circonstances exceptionnelles : voir North Saskatchewan Riverboat Co. c. 573475 Alberta Ltd. (1996) 96 F.T.R. 166, page 169 (la décision « Edmonton Queen » ).
Dans la décision « Edmonton Queen » , j'ai signalé que le paragraphe 1003(1) des Règles de la Cour fédérale alors en vigueur, qui régissait la délivrance d'un mandat, était une disposition discrétionnaire, mais que le pouvoir discrétionnaire en cause était rarement exercé à l'encontre de la délivrance d'un mandat. Cette observation vaut encore pour la version actuelle des Règles, soit le paragraphe 481(1).
Le demandeur peut faire saisir un navire relativement facilement, mais cela ne veut pas pour autant dire qu'il en sortira indemne. Comme la Cour suprême du Canada l'a souligné dans l'arrêt Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd. (1997) 213 N.R. 228, page 237 et pages suivantes, des dommages-intérêts pour saisie illégale peuvent être accordés, mais uniquement dans les cas de mauvaise foi ou de négligence grave, conformément à la règle qui a été énoncée dans la décision « Evangelismos » (1858) 12 Moo. P.C. 352, 14 E.R. 945. En arrivant à cette conclusion, la Cour suprême du Canada a rejeté l'idée selon laquelle une saisie est semblable à une injonction interlocutoire, idée que la Cour d'appel fédérale avait épousée. Contrairement aux prétentions de l'avocat de Sovereign, la saisie du « Chairman » est une mesure acceptable, compte tenu du fait que les demandeurs sont des créanciers hypothécaires ayant le navire en leur possession. J'examinerai maintenant la question de l'ordonnance ex parte mettant le shérif en possession du « Chairman » .
Shérif ayant le navire en sa possession
Dans de nombreux ressorts, et notamment dans ceux où une saisie peut être obtenue presque de plein droit, et je songe ici au cas de l'Angleterre et à de nombreux ressorts aux États-Unis et au Canada avant la création de la Cour fédérale, une saisie a ou avait nécessairement pour effet de mettre le shérif en possession du navire.
Je mentionne cette pratique habituelle, à savoir le fait que le shérif ou le prévôt d'amirauté prend possession d'un navire à la suite de la saisie de celui-ci, et ce, de façon automatique puisque la saisie est accordée presque de plein droit, parce qu'on ne m'a mentionné aucune décision canadienne énonçant une norme à laquelle il faut satisfaire lorsqu'une demande visant à mettre le prévôt en possession d'un navire est présentée et que je connais aucune décision de ce genre. À coup sûr, pareille norme devrait être fort peu rigoureuse si l'on considère qu'en éliminant la prise automatique de possession par le shérif ou par le prévôt, les Règles de la Cour fédérale (1998) visaient selon toute probabilité à éviter tout simplement des frais puisque, dans la majorité des cas, pareille possession avait simplement pour effet d'occasionner des frais additionnels sans qu'il en résulte quelque avantage. Toutefois, le fait qu'il est maintenant nécessaire d'obtenir l'autorisation de la Cour pour que le shérif soit mis en possession d'un navire donne à entendre qu'il doit exister une norme objective, et ce, même si l'exigence préliminaire est fort peu rigoureuse.
La norme à établir, lorsqu'il s'agit de démontrer qu'il est nécessaire que le shérif soit mis en possession d'un navire, ne doit pas reposer sur de pieux espoirs ou sur une simple éventualité. D'autre part, on ne saurait exiger, comme le voudrait l'avocat de Sovereign, une preuve claire de préjudice irréparable, soit la norme qui s'applique aux injonctions : le droit relatif aux injonctions ne s'applique pas à la saisie d'un navire (voir, par exemple, Chaleur Fertilizers, précité, page 293 et pages suivantes) et, de plus, exiger l'application de pareille norme serait déroger complètement à l'ancienne pratique. En outre, si la norme relative aux injonctions s'appliquait, le rôle du shérif, lorsqu'il a un navire en sa possession, n'aurait plus aucun sens et la garantie dont bénéficie le réclamant véritable par suite de la saisie serait inutilement mise en danger. J'aimerais également faire remarquer que, compte tenu de la nature même des navires et des entreprises maritimes, il est souvent fort difficile pour un réclamant in rem de déterminer avec une certitude absolue si la garantie qu'il possède à l'égard d'un navire est réellement compromise. Cela étant, j'estime que le critère à satisfaire, lorsqu'il s'agit de mettre le shérif ou le prévôt en possession d'un navire saisi, devrait être fort peu rigoureux. À mon avis, la partie qui procède à la saisie doit uniquement démontrer l'existence d'une possibilité raisonnable en ce sens qu'il existe un motif acceptable, à la légitimité duquel on peut à juste titre s'attendre, permettant de confier la garde du navire au shérif à des fins de protection.
En appliquant ce critère, à savoir qu'il peut raisonnablement être nécessaire de protéger le « Chairman » en mettant le shérif en sa possession, je ne me fonde pas sur les actions de la direction de Sovereign. Les relations qu'entretenait Sovereign avec ses clients, les demandeurs et leur représentant, étaient peut-être de plus en plus mauvaises et n'étaient peut-être pas satisfaisantes, mais j'estime que cela n'est pas pertinent. Dans le présent contexte, le fait que les demandeurs ne croyaient peut-être plus que Sovereign soit en mesure de produire un navire de qualité dans un délai raisonnable n'est pas non plus pertinent. C'est plutôt le fait que Sovereign n'arrivait pas à réprimer les actes mesquins de vandalisme apparemment commis par sa main-d'oeuvre et à venir à bout des entraves mises par ses employés qui entre en ligne de compte. En effet, les employés de Sovereign harcelaient et intimidaient, entre autres choses, les entrepreneurs des demandeurs. Si ces employés perdaient un travail continu de longue durée, le problème pourrait fort bien s'aggraver. J'ai tenu compte de ces facteurs concernant la main-d'oeuvre en faisant droit à la demande visant à mettre le shérif en possession du navire. Cela nous amène à une autre partie de la procédure à laquelle Sovereign s'oppose, à savoir la présentation d'une requête ex parte visant à mettre le shérif en possession du navire.
Ordonnance ex parte de prise de possession
Une requête ex parte est une procédure engagée sur les instances ou au profit d'une partie seulement, sans que la personne touchée en soit avisée. Comme on l'a souligné dans la décision Gulf Islands Navigation Ltd. c. Seafarers International Union (1959) 18 D.L.R. (2d) 216 (C.S.C.-B.), page 218, la cour doit faire preuve d'énormément de prudence lorsqu'une demande ex parte est présentée puisque le fait de restreindre le préjudice subi par un plaideur peut porter préjudice à l'autre partie. Il faut donc tout d'abord se demander pourquoi aucun avis n'a été donné.
Les ordonnances ex parte ne devraient s'appliquer que pendant un certain temps, soit pour une période suffisante pour protéger les personnes qui sont sur le point de subir un préjudice, mais pas suffisamment longue pour causer un préjudice grave à l'autre partie. La rescision d'une ordonnance ex parte est discrétionnaire, la partie qui demande la rescision ayant la charge d'établir que celle-ci est justifiée : Cartier Inc. c. John Doe (1990) 29 C.P.R. (3d) 533, page 536, décision rendue par Monsieur le juge Pinard. En l'espèce, il incombe donc à Sovereign de démontrer que les faits essentiels pertinents sont différents de ceux sur lesquels l'ordonnance ex parte était fondée. À défaut de ce faire, l'ordonnance ex parte ne sera pas modifiée.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, la saisie d'un navire et le fait de mettre le shérif en possession de ce navire ne sont aucunement assimilables à une injonction. Le critère permettant de mettre le shérif en possession du navire n'est donc pas rigoureux. À mon avis, il s'agit de présenter une preuve raisonnablement vraisemblable tendant à établir qu'il faut protéger le navire en le mettant en la possession du shérif. Dans ce cas-ci, cette preuve comprend les actes mesquins de vandalisme commis par les employés de Sovereign ainsi que les actes de harcèlement et les manoeuvres d'intimidation auxquels ces derniers se livrent et les entraves qu'ils mettent. Le « Chairman » est un gros yacht de luxe qui coûte cher. De l'avis de l'inspecteur maritime de Sovereign, le yacht valait, le 2 mai 2002, de 7 800 000 à 8 150 000 $. Dans son rapport du 2 mai 2002, l'inspecteur ajoute, en se fondant sur l'inspection qu'il avait effectuée le 19 avril 2002, que [TRADUCTION] « la finition du navire était soignée et de bon goût, et pourrait être qualifiée d'exquise, en particulier en ce qui concerne les boiseries intérieures » . Le risque de mettre le navire en danger si un avis de la présentation d'une requête visant à mettre le navire en possession du shérif était donné justifiait la tenue d'une audience ex parte, et ce, d'autant plus que le fait de mettre le shérif en possession du navire ne présentait aucun inconvénient pour Sovereign et que le fait d'autoriser les demandeurs à faire exécuter des travaux sur le navire était une question procédurale puisque le navire avait été saisi, les demandeurs revendiquant ce droit en vertu du contrat de construction et en vertu de leur hypothèque. Je tiens également à faire remarquer que l'ordonnance autorisait clairement Sovereign à demander l'annulation ou la modification de l'ordonnance, droit qui pouvait être exercé à bref délai. J'examinerai maintenant la prétention de Sovereign selon laquelle la communication qui avait été effectuée aux fins de l'obtention de l'ordonnance initiale était loin d'être complète.
Communication complète effectuée dans le cadre de la demande visant à mettre le shérif en possession du navire
Sovereign fait remarquer qu'en demandant que le shérif soit mis en possession du navire, les demandeurs n'ont pas divulgué tout le contrat de construction et qu'ils ne savaient pas de quelle façon elle envisageait les événements qui s'étaient produits. L'entente relative à la construction du navire du mois de juin 2000 (le contrat de construction) sera le document crucial aux fins de toute instruction au fond, mais la plupart de ses dispositions ne sont pas pertinentes dans les requêtes interlocutoires procédurales ici en cause. Les faits énoncés par Sovereign, lorsqu'il s'est agi de contester l'ordonnance de prise de possession, ne sont pas d'une nature suffisamment importante pour permettre l'annulation de l'ordonnance ex parte par laquelle le shérif était mis en possession du navire ou pour qu'il soit nécessaire de modifier cette ordonnance.
J'aimerais également ajouter que, de la même façon qu'elle essaie de préserver un mandat en laissant le bénéfice du doute à la partie qui procède à la saisie, la Cour devrait confirmer la mise en possession du navire s'il existe quelque possibilité qu'il vaille la peine de mettre le shérif en possession du navire. Je procède ici par analogie. Ainsi, dans la décision « Nordglimt » [1987] 2 Lloyds 470, Monsieur le juge Hobhouse était saisi d'une demande visant l'annulation ou la radiation d'un mandat de saisie, laquelle était fondée sur ce que le mandat renfermait des énoncés inexacts et, en fait, un faux énoncé de fait, qui auraient dû être décelés. Toutefois, le juge a ajouté [TRADUCTION] qu' « il ne s'ensuit pas automatiquement que l'omission d'informer la Cour en bonne et due forme entraînera automatiquement l'annulation de l'ordonnance ainsi obtenue » (page 474). Ce point est examiné plus à fond dans la décision Margem Chartering Co. c. le « Bocsa » [1997] 2 C.F. 1001, page 1026. Je ne connais aucune décision canadienne pertinente portant sur l'annulation du mandat du shérif qui a été mis en possession d'un navire. Toutefois, les effets d'une saisie, ou les effets d'une saisie à laquelle vient s'ajouter la prise de possession par le shérif, sont en général similaires. En l'espèce, le fait que le shérif a pris possession du navire, soit quelque chose qui ne change rien aux droits substantifs des parties, n'a pas réellement eu de conséquences pour Sovereign ou n'a posé aucun problème à Sovereign. J'ajouterai qu'en mettant le shérif en possession du navire, la Cour n'a pas privé Sovereign de quoi que ce soit puisque les demandeurs étaient des créanciers hypothécaires ayant le navire en leur possession avant que le shérif prenne possession de celui-ci : ce sont les demandeurs qui, conformément à leur hypothèque, ont enlevé le « Chairman » à Sovereign.
Compte tenu des prétentions de Sovereign dans leur ensemble, je ne suis pas convaincu qu'il soit opportun d'exercer mon pouvoir discrétionnaire et d'annuler l'ordonnance ex parte par laquelle le shérif a été mis en possession du navire.
Toutefois, j'ai ajouté une disposition à l'ordonnance du 29 avril 2002. L'avocat de Sovereign craignait que, d'une façon ou d'une autre, le fait de mettre le shérif en possession du navire et d'autoriser les demandeurs à confier à de nouveaux entrepreneurs les travaux à exécuter sur le navire puisse porter atteinte aux droits substantifs de sa cliente. Cette disposition de l'ordonnance est de nature facultative et elle est conforme à l'état d'un navire qui est assujetti à une saisie, comme c'est le cas pour le « Chairman » . Comme je l'ai déjà fait remarquer, il est de temps en temps arrivé par le passé que de nouveaux entrepreneurs travaillent sur un navire qui était assujetti à une saisie. Telle est la prérogative du titulaire d'une hypothèque qui a pris possession d'un navire. Aucune disposition de l'ordonnance ne modifiait le bien-fondé des causes des demandeurs ou de la défenderesse Sovereign, mais j'ai ajouté dans l'ordonnance un paragraphe qui le précisait clairement.
Autorisation de déplacer le navire aux fins de l'achèvement des travaux
J'examinerai maintenant la troisième requête, visant l'autorisation de déplacer le navire, pendant qu'il était assujetti à la saisie, jusqu'au chantier d'Arrow Marine Services Inc., de façon que les travaux puissent être achevés, les appareillages, le matériel, les pièces et les accessoires qui étaient à bord du navire, qui en faisaient partie ou qui y étaient destinés devant également être transportés chez Arrow Marine Services Inc. L'ordonnance reconnaissait également que certaines pièces et une partie du matériel avaient été commandés par Sovereign, mais que si cette dernière croyait ne pas pouvoir les livrer au nouveau chantier, les demandeurs pourraient les fournir eux-mêmes. La détermination des pièces faisant partie du navire doit être faite dans le cadre d'une inspection conjointe. Enfin, le navire doit être assuré au profit de toutes les personnes qui semblent y avoir un intérêt, y compris Sovereign, et la saisie effectuée par les demandeurs et tout caveat obtenu par Sovereign à l'encontre du navire ne doivent pas faire l'objet d'une mainlevée tant que les demandeurs ne fourniront pas à Sovereign un cautionnement approprié destiné à protéger au mieux les droits légitimes de cette dernière dans une demande reconventionnelle, ainsi qu'à garantir le paiement des dépens et des intérêts. J'examinerai maintenant le raisonnement figurant à la fin de cette ordonnance.
Le « Chairman » devait être achevé et livré le 30 juin 2001. Or, puisque certaines demandes de changement avaient été faites, cette date a été reportée au 1er septembre 2001. Il y avait trois demandes de changement en date du 1er octobre 2001; or, selon la formule énoncée dans le contrat de construction, un délai supplémentaire de 120 heures, après le 1er septembre, était accordé aux fins de la livraison. Je note également la demande de changement portant le numéro 70, en date du 14 novembre 2001, mais cette demande n'entre pas en ligne de compte puisqu'il s'agit d'une nouvelle version d'une commande datant du mois d'août 2001 qui avait été exécutée, le prix ayant simplement été corrigé. Les avocats ne s'entendent pas au sujet de l'effet, le cas échéant, des divers délais de grâce : il appartient au juge qui présidera l'instruction d'examiner la question.
Parmi les documents qui ont été produits figure une lettre du 18 décembre 2001 dans laquelle l'avocat des demandeurs avise Sovereign que, parce que celle-ci tardait à achever les travaux, ses clients avaient l'intention de prendre possession du navire ainsi que des marchandises et du matériel qui devaient être utilisés ou que l'on se proposait d'utiliser aux fins de la construction du navire et qu'ils voulaient faire achever les travaux de construction à cet endroit ou déplacer le navire et faire exécuter les travaux ailleurs. La chose a apparemment amené Sovereign à établir, le 9 janvier 2002, un nouveau calendrier selon lequel les travaux devaient être en bonne partie achevés au plus tard le 31 mars 2002, la livraison devant être effectuée le 30 avril 2002.
Or, à la fin du mois de mars, les travaux n'étaient toujours pas en bonne partie achevés et, de toute évidence, le navire n'était pas prêt à être livré le 30 avril 2002. Le fait que le « Chairman » n'était pas prêt à être livré est étayé par le rapport de l'inspecteur de Sovereign en date du 22 avril 2002, dans lequel sont énoncés les nombreux travaux généraux qui n'étaient pas achevés et les tâches particulières qu'il restait à accomplir et dans lequel l'inspecteur notait la livraison tardive imprévue d'un certain nombre de pièces. De fait, il reste encore des centaines de tâches à effectuer, y compris certaines tâches passablement importantes, en ce qui concerne par exemple le système sous-marin d'échappement des moteurs, les portes extérieures, le système de conditionnement d'air et les hublots. Il est affirmé que ces quatre dernières tâches n'ont pas été effectuées parce que des sous-traitants n'avaient pas livré le matériel et les appareillages. L'avocat des demandeurs signale que des commandes ont été passées fort tardivement, principalement aux mois de janvier et de février 2002, pour du matériel important devant être livré à Sovereign et dont l'installation doit prendre énormément de temps, certaines livraisons devant être effectuées 10 jours à peine avant la date prévue de la livraison du navire aux demandeurs. Les fournisseurs ont encore une fois reporté ces dates de livraison. Il ne convient pas ici d'imputer le blâme à qui que ce soit. Toutefois, à mon avis, les relations entre les demandeurs, M. et Mme Striebel, et la défenderesse Sovereign se sont détériorées au point que les demandeurs peuvent à juste titre chercher une solution de rechange.
Les demandeurs ont initialement décidé de prendre possession du navire en leur qualité de créanciers hypothécaires. À supposer que la garantie hypothécaire soit en défaut, ils pouvaient à bon droit le faire. Si les demandeurs se trompent au sujet du fait que leur hypothèque est impayée, ils devront répondre de la chose lorsqu'une instruction complète aura lieu. En règle générale, une fois que le créancier hypothécaire prend possession d'un navire, il contrôle le navire à toutes les fins nécessaires aux fins de la réalisation de la garantie, dans la mesure où il n'utilise pas le navire à tout hasard ou de façon dangereuse : voir, d'une façon générale, Buchan on Mortgages of Ships, Butterworth, 1986, page 70 et pages suivantes.
En autorisant le déplacement du « Chairman » jusqu'au chantier d'Arrow Marine Services Inc. pour que les travaux puissent être achevés, j'ai tenu compte non seulement de la situation des demandeurs, en leur qualité de créanciers hypothécaires ayant pris possession du navire, mais aussi des droits revendiqués par les demandeurs en vertu du contrat de construction. En vertu de l'article 13 de ce contrat, qui est incorporé dans l'acte hypothécaire des demandeurs, si Sovereign est en défaut en vertu du contrat, les demandeurs peuvent déplacer le « Chairman » jusqu'à un autre chantier pour faire exécuter les travaux. Si les demandeurs se trompent, Sovereign pourra solliciter des dommages-intérêts en présentant une demande reconventionnelle et en obtenant un cautionnement destiné à assurer l'exécution. En autorisant le déplacement du navire aux fins de l'achèvement des travaux, j'ai tenu compte du fait qu'il était possible d'exercer d'autres recours provisoires en vertu du contrat de construction, et notamment de procéder par arbitrage. Or, ce dernier n'a pas été invoqué. Toutefois, cela ne constitue pas un recours provisoire rapide utile permettant d'achever la construction du « Chairman » pour qu'il puisse être utilisé par les demandeurs. En outre, la disposition relative à l'arbitrage n'empêche pas les demandeurs de prendre possession du navire en leur qualité de créanciers hypothécaires ayant le navire en leur possession ou de saisir le navire afin de se protéger.
Droit aux accessoires
J'examinerai maintenant le droit revendiqué par les demandeurs à l'égard des appareillages, du matériel et des accessoires qui ne sont pas encore installés à bord du « Chairman » , soit des articles qui sont à bord du navire ou dans le chantier de Sovereign ou encore qui ont été commandés. La garantie dont bénéficie le créancier hypothécaire s'étend aux appareillages, au matériel et aux accessoires, bref, à tous les articles qui sont nécessaires aux fins de l'exploitation du navire et qui étaient à bord du navire à la date où l'hypothèque a été constituée, ou qui ont subséquemment été mis à bord du navire : voir, par exemple, Constant on the Law of Mortgage of Ships, Sweet & Maxwell, Londres, 1920, page 15, et les décisions qui y sont mentionnées.
D'autre part, les demandeurs peuvent revendiquer un droit sur le navire et sur le matériel y afférent en vertu du mandat de saisie. Ce point est examiné en détail dans la décision Pacific Tractor Rentals (V.I.) Ltd. c. le « Palaquin » (1997) 115 F.T.R. 224. Dans cette décision, j'ai d'abord parlé de la décision « Alexander » (1812) 1 Dods 278, 165 E.R. 1310, qui a donné lieu à des propositions générales de la part d'anciens auteurs et d'auteurs contemporains, à savoir que [TRADUCTION] « [l]e mandat de saisie s'applique à tout ce qui fait partie intégrante du matériel du navire et même aux articles qui n'y sont pas physiquement attachés : voir Meeson on Admiralty Jurisdiction and Practice, Lloyd's of London Press, 1993, page 124, Wiswal on The Development of Admiralty Jurisdiction and Practice since 1800, Cambridge University Press 1970, page 184, et Roscoe on Admiralty Jurisdiction and Practice, 5e édition, Stevens & Sons 1931, page 276.
Les demandeurs peuvent se fonder sur ces droits reconnus en common law en invoquant le paragraphe 17 du contrat de construction. En effet, le paragraphe 17 prévoit entre autres choses que l'hypothèque de constructeur a pour effet de protéger le droit que possèdent les demandeurs sur le navire pendant que les travaux de construction sont exécutés ainsi que sur [TRADUCTION] « le matériel, les stocks et les autres marchandises destinés au navire qui ont été produits, fabriqués, commandés ou livrés, chaque article étant désigné comme se rapportant au navire ou à la présente entente [...] » . J'aimerais encore une fois souligner que les conditions de l'ordonnance autorisant le déplacement du navire, les travaux à exécuter sur le navire, la livraison aux demandeurs des appareillages, du matériel et des accessoires qui n'ont pas encore été incorporés au navire et la livraison au shérif des pièces et du matériel qui ont été commandés pour le navire, mais qui n'ont pas encore été reçus, sont de nature facultative, conformément à la nature d'une saisie. L'ordonnance prévoit expressément la possibilité de demander la délivrance des ordonnances et directives additionnelles nécessaires. Tout cela est conforme à l'idée selon laquelle la saisie et le fait de mettre le shérif en possession du navire sont des mesures procédurales qui ne créent pas de nouveaux droits acquis pour qui que ce soit.
CONCLUSION
Les différends opposant les propriétaires et les constructeurs de navires soulèvent toujours des questions complexes et, s'ils occasionnent un litige, les procédures sont extrêmement longues et compliquées.
En l'espèce, on ne saurait laisser Sovereign achever les travaux de construction du « Chairman » . Le présent objectif est donc double. Les demandeurs, en leur qualité de créanciers hypothécaires ayant pris possession du navire qui veulent utiliser le navire le plus tôt possible, devraient, à leurs propres risques et en engageant initialement des frais, pouvoir faire exécuter les travaux ailleurs. Sovereign, qui n'a plus la possibilité d'achever les travaux, doit obtenir une garantie complète, ce qui sera accompli au moyen de la fourniture d'un cautionnement avant que la mainlevée de la saisie du « Chairman » soit accordée et avant que ce dernier quitte le ressort. Cette solution n'est peut-être pas tout à fait satisfaisante, mais elle permettra aux parties de chercher à en arriver à un règlement négocié, sans immobiliser inutilement les sommes importantes que les demandeurs ont investies dans le « Chairman » et en minimisant toute réclamation relative à la perte de jouissance.
Ces objectifs sont satisfaits, sans compromettre les droits substantifs de qui que ce soit, au moyen de la saisie du « Chairman » par les demandeurs en leur qualité de créanciers hypothécaires ayant le navire en leur possession, en mettant le shérif en possession du navire et en autorisant le déplacement du navire saisi ainsi que des pièces et du matériel destinés au navire jusqu'au chantier d'un nouveau constructeur. Les dépens suivront l'issue de la cause.
« John A. Hargrave »
Protonotaire
Vancouver (Colombie-Britannique)
le 10 mai 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-687-02
INTITULÉ : M. et Mme Stephen Striebel c. Sovereign Yachts (Canada) Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : le 6 mai 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le protonotaire Hargrave
DATE DES MOTIFS : le 10 mai 2002
COMPARUTIONS:
M. David McEwen POUR LES DEMANDEURS
M. Geoffrey Gomery POUR LES DÉFENDEURS
M. J. MacInnis
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
McEwen, Schmitt & Co. POUR LES DEMANDEURS
Vancouver (Colombie-Britannique)
Nathanson Schachter & Thompson POUR LES DÉFENDEURS
Vancouver (Colombie-Britannique)