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Date : 19990126


IMM-1003-98

E n t r e :

     MUYASSAR AWWAD,

     demanderesse,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, d'une décision en date du 11 janvier 1998 par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse. La demanderesse sollicite un bref de certiorari annulant la décision de l'agente des visas, ainsi qu'un bref de mandamus enjoignant au ministre défendeur d'examiner sa demande de résidence permanente en fonction de la catégorie des travailleurs autonomes et en conformité avec le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration, dans sa rédaction en vigueur à l'époque où la demande de résidence permanente au Canada a été déposée, de même qu'une déclaration portant que c'est à tort que l'agente des visas a rejeté la demande présentée par la demanderesse sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire.

[2]      À l'ouverture de l'audience, l'avocat de la demanderesse a informé la Cour que celle-ci se désistait du moyen qu'elle tirait du paragraphe 11(3) du Règlement.

[3]      La demanderesse, une citoyenne de la Jordanie, a présenté une demande de résidence permanente au Canada le 22 avril 1997 en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration en invoquant des motifs d'ordre humanitaire. Elle invoquait également le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration pour solliciter l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en sa faveur, ainsi que la catégorie des travailleurs autonomes en tant que concédante de presses à imprimer. C'était la seconde demande de résidence permanente de la demanderesse. La première demande qu'elle avait présentée à Riyad, en Arabie saoudite, avait été rejetée par lettre datée du 20 juin 1993.

[4]      Le mari de la demanderesse, qui semble avoir deux femmes, a obtenu le droit d'établissement au Canada avec les trois enfants de la demanderesse le 7 octobre 1994. Elle est sa seconde femme, et les enfants vivent avec son mari et la première femme de celui-ci. La demanderesse s'est présentée à une entrevue à l'ambassade canadienne de Damas le 21 octobre 1997. La demande de la demanderesse a été rejetée par lettre datée du 11 janvier 1998 (voir la lettre de refus aux pages 10 et 11 du dossier de la demande du défendeur).

[5]      La demanderesse affirme que l'agente des visas a commis une erreur en accordant trop d'importance au manque d'expérience de la pratique des affaires de la demanderesse et en concluant qu'elle ne répondait pas à la définition de travailleuse autonome. La demanderesse soutient également que l'agente a tenu compte de facteurs non pertinents pour rejeter sa demande, comme le fait que la demanderesse était la seconde femme de son mari. La demanderesse reproche également à l'agente des visas de ne pas avoir agi avec équité à son égard.

[6]      Le défendeur affirme que l'agente des visas a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en appréciant la demande de la demanderesse et que l'agente des visas n'a pas fait reposer sa décision uniquement sur le manque d'expérience de la demanderesse. Le défendeur soutient en outre que l'agente n'a pas commis d'erreur en tenant compte de la situation de famille de la demanderesse, étant donné que l'avocat de la demanderesse avait soulevé la question et que la demanderesse avait eu l'occasion de faire valoir son point de vue sur cette question lorsque son avocat a répondu par télécopieur aux préoccupations formulées par l'agente des visas à ce sujet. Le défendeur rappelle qu'en principe, il est loisible à l'agente des visas de vérifier si l'admission de personnes ayant contracté un mariage bigame ou polygame irait à l'encontre de la Loi sur l'immigration ou des lois du Canada.

[7]      La demanderesse soulève deux questions de fond :     
     1)      L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne remplissait pas les conditions requises pour faire partie de la catégorie des travailleurs autonomes ?         
     2)      L'agente des visas a-t-elle tenu compte de facteurs non pertinents pour refuser la demande de la demanderesse, au motif notamment qu'elle était la seconde femme d'un citoyen canadien ?         

Travailleurs autonomes

[8]      La demanderesse soutient que l'agente des visas a commis une erreur en accordant trop d'importance à son manque d'expérience concrète de la pratique des affaires pour décider si elle était en mesure de s'établir avec succès au Canada en tant que travailleuse autonome, et en concluant qu'elle ne répondait pas à la définition de travailleuse autonome.

[9]      Le défendeur affirme que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur dans sa décision. Il affirme que la décision de l'agente était de nature discrétionnaire et que l'agente n'a pas fondé toute son appréciation sur le seul fait que la demanderesse n'avait jamais été une travailleuse autonome auparavant. Il ajoute que la demanderesse n'a pas démontré que l'agente avait mal interprété la définition de travailleur autonome ou que son appréciation était erronée.

[10]      La même question a récemment été débattue dans l'affaire Lobzov c. Canada (M.C.I.), (C.F. 1re inst., 10 juillet 1998, IMM-3316-97). Dans cette affaire, le juge Rothstein déclare :

         Le demandeur prétend que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a rejeté sa demande sur le seul fondement qu"il n"avait pas d"expérience de la pratique des affaires et qu"en prenant sa décision, l"agent avait accordé trop d"importance à cette considération. Le demandeur se fonde sur des décisions, telle Grube c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"immigration) (1996) 34 Imm. L.R. 2d 219, dans laquelle le juge MacKay a dit, à la p. 227 :                 
                  Cette expérience peut très bien être un facteur qui doit être positif quand il s'agit de déterminer s'il est possible qu'un requérant s'établisse avec succès en tant que travailleur autonome au Canada, mais ce n'est pas le seul critère dont il faut tenir compte, et celui-ci doit être évalué à la lumière de l'occupation que l'immigrant entend exercer au Canada. Dans certains cas, ce critère aura plus d'importance que dans d'autres.                     
                  [...]             
                                 
         Cependant, je suis d"accord que l"expérience de la pratique des affaires n"est pas le seul critère dont il faut tenir compte, que ce critère doit être examiné en fonction de ce que le demandeur projette de faire au Canada, et que son importance peut varier en fonction de l"entreprise projetée.                 

[11]      En l'espèce, il ressort de la décision que l'agente a effectivement accordé une certaine importance au manque d'expérience de la pratique des affaires de la demanderesse en tant que travailleuse autonome et que l'agente a invoqué ce facteur comme motif justifiant son refus : [TRADUCTION] " Vous n'avez aucune expérience comme travailleuse autonome ". L'agente a également tenu compte de l'expérience limitée que la demanderesse avait acquise comme gérante chez Arwa Printing and Advertising Services, où ce n'était pas elle qui était chargée du personnel, des finances et des grandes décisions d'affaires de la compagnie, étant donné que c'était un directeur qui s'en occupait, ainsi qu'elle l'a elle-même dit à l'agente des visas au cours de son entrevue. L'agente a également estimé que l'expérience que la demanderesse avait acquise dans le domaine de l'imprimerie commençait à dater, étant donné qu'elle avait quitté ce poste en 1990. De plus, l'agente a examiné les éléments de preuve contradictoires présentés au sujet des professions exercées par la demanderesse depuis 1990 et a conclu qu'on ne devait pas y accorder beaucoup de valeur. Il ressort toutefois à l'évidence de sa décision que l'agente n'a pas uniquement tenu compte du manque d'expérience de la pratique des affaires de la demanderesse en tant que travailleuse autonome. L'agente a également examiné la demande à la lumière des raisons d'ordre humanitaire qui étaient invoquées (voir la page 2 de la lettre de refus).

[12]      Dans le jugement Du c. Canada (M.C.I.) (C.F. 1re inst., 25 février 1998, IMM-1123-97), le juge Rothstein déclare que l'importance à accorder à l'expérience accumulée par l'intéressé en tant que travailleur autonome dépend de la nature de la contribution que l'intéressé est censé apporter au Canada. Le juge Rothstein déclare :

             Lorsque la contribution à faire est artistique ou culturelle, la pratique des affaires passée, même dans le domaine culturel ou artistique en question, peut être de peu d'importance, surtout lorsque le demandeur désire être un professeur travaillant à son propre compte. Toutefois lorsqu'il s'agit de contribution à l'économie du Canada, et qu'on insiste davantage sur la nature commerciale de l'entreprise, la pratique des affaires passée peut être tout à fait importante.             

[13]      En l'espèce, la demanderesse avait l'intention de créer et d'exploiter une imprimerie en Nouvelle-Écosse. Vu la nature commerciale de l'entreprise, je ne suis pas convaincu que l'agente des visas a accordé trop d'importance au manque d'expérience de la pratique des affaires de la demanderesse en tant que travailleuse autonome.

[14]      Qui plus est, il est de jurisprudence constante que notre Cour n'interviendra pas lorsque l'agente des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle et qu'il n'a pas tenu compte de facteurs non pertinents (To c. M.E.I. (C.A.F., 22 mai 1996, A-172-93)). Je suis convaincu que la Cour ne devrait pas modifier la décision de l'agente des visas en ce qui concerne la question du travail autonome.

État matrimonial

[15]      La demanderesse soutient, dans ses observations écrites, que l'agente des visas a commis une erreur en tenant compte de facteurs non pertinents comme le fait qu'elle est la seconde femme d'un citoyen canadien et qu'elle a privé la demanderesse de l'équité procédurale en lui refusant la possibilité de répondre à la question du présumé mariage bigame. L'avocat de la demanderesse n'a pas formulé d'observations particulières sur cette question à l'audience.

[16]      Le défendeur affirme que l'agente n'a pas commis d'erreur en examinant l'état matrimonial de la demanderesse. Il n'est pas loisible à l'avocat de soutenir que l'agente n'aurait pas dû tenir compte de cet élément dans son appréciation alors que c'est l'avocat de la demanderesse qui a le premier soulevé la question de la situation de famille de la demanderesse. La demanderesse a eu amplement l'occasion de présenter des éléments d'information à cet égard lorsque l'agente a communiqué par télécopieur à ce sujet avec l'avocat de la demanderesse, qui a lui aussi répondu par télécopieur le 27 novembre 1997. La question des enfants a été examinée dans le cadre de la demande fondée sur les raisons d'ordre humanitaire et la décision de l'agente des visas ne me semble entachée d'aucune erreur pour ce qui est de la question des enfants.

[17]      Je suis d'accord avec les observations du défendeur. L'agente n'a pas tenu compte d'éléments non pertinents lors de son examen de la demande de la demanderesse. Il semble que la question de la situation de famille ait été soulevée par la demanderesse et qu'en principe, l'agent des visas peut vérifier si l'admission au Canada de personnes ayant contracté un mariage bigame irait à l'encontre de la Loi sur l'immigration ou des lois du Canada (Bahig Mohamed Skaik Ali c. M.C.I. (IMM-613-97), 2 novembre 1998). J'estime également que la situation de famille de la demanderesse n'a pas joué un rôle déterminant dans la décision de l'agente de rejeter sa demande de résidence permanente au Canada et que ce facteur ne justifie pas l'intervention de la Cour.

[18]      La demanderesse n'a pas établi que l'agente des visas avait commis une erreur en déterminant si la demanderesse pouvait s'établir avec succès au Canada en tant que travailleuse autonome. La demanderesse avait l'intention de faire une contribution commerciale en ouvrant une imprimerie et l'agente n'a pas accordé trop d'importance à son manque d'expérience de la pratique des affaires en tant que travailleuse autonome. De plus, son manque d'expérience comme travailleuse autonome ne constitue pas le seul motif de la décision de l'agente.

[19]      La demanderesse n'a pas démontré que l'agente des visas avait commis une erreur en examinant la situation de famille de la demanderesse. La question de la situation de famille avait été soulevée par l'avocat de la demanderesse. La demanderesse a eu l'occasion de répondre à ces questions. Finalement, en principe, les agents des visas peuvent tenir compte des mariages bigames ou polygames pour déterminer si l'admission de l'intéressé au Canada irait à l'encontre de la Loi sur l'immigration ou des lois du Canada.

[20]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

DEMANDE DE CERTIFICATION

[21]      Dans sa lettre du 20 janvier 1999, l'avocat de la demanderesse demande que la question suivante soit certifiée :

         Question 1 :                 
         Compte tenu de l'appui que la Cour d'appel fédérale a, dans les arrêts Wang (1991 F.C.J. No. 10, A-1136-88) et Gaffney (1991 FCJ No. 7 A-253-89) donné au principe que les éléments qui ne sont pas appuyés par un affidavit ne sont pas soumis au tribunal et que les motifs de la décision de l'agent des visas ne constituent rien de plus que la décision de l'agent des visas et qu'ils ne constituent pas une preuve de la façon dont l'agent a rendu sa décision, le défendeur pouvait-il à juste titre se fonder sur les notes SITCI et sur la lettre de refus pour démontrer ce dont l'agente des visas avait tenu compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ? Dans le même ordre d'idées, et sur le fondement des deux arrêts précités, la présomption de validité dont bénéficie la décision de l'agent des visas (le juge Mahoney dans l'arrêt Wang) est-elle réfutée si l'intimé ne produit pas d'affidavit ?                 
         Dans l'arrêt récent Moldeveanu (A-413-97, les juges Stone, Strayer et Décary), qui a été découvert ce matin et qui est annexé aux présentes, la Cour d'appel fédérale cite ce principe dans la mesure où il s'applique à l'obligation pour la partie demanderesse de soumettre un affidavit.                 
         La question à certifier est donc celle de savoir si ce principe d'admissibilité s'applique ou non au défendeur et si la production des notes SITCI dans le dossier certifié du visa dispense le défendeur de la nécessité de produire un affidavit à l'appui de sa thèse.                 
         Il s'agit là d'une question publique de portée générale parce que le défaut du défendeur de soumettre un affidavit empêche la partie demanderesse de procéder à un contre-interrogatoire. Qui plus est, une décision fondée sur l'acceptation d'un témoignage non donné sous serment fondé sur des notes SITCI et sur une lettre de refus tranche de façon définitive les questions en litige en l'espèce.                 

[22]      Je suis convaincu, à la lecture de la jurisprudence et des observations écrites, que la demande de certification doit être rejetée.

[23]      Il incombe aux parties de présenter leur cause au tribunal de la meilleure façon possible. Il appartient à la partie demanderesse de démontrer qu'il existe un motif qui justifie la Cour de modifier la décision de l'agente des visas. Les deux parties soumettent les éléments de preuve qu'elles désirent. Je suis convaincu que le défendeur n'est pas tenu de produire un affidavit souscrit par l'agent des visas si tel est son choix.

[24]      Je suis d'accord avec l'avocate du défendeur lorsqu'elle affirme, dans sa lettre du 22 janvier 1999 :


         [TRADUCTION]                 
         Il est également de jurisprudence constante que la Cour se doit d'examiner la décision qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire. Elle constitue une preuve de la décision rendue par l'agent des visas et des motifs qui la sous-tendent. C'est au demandeur qu'il incombe de présenter des éléments de preuve pour réfuter la présomption que la procédure s'est déroulée de façon équitable et en conformité avec la loi (voir les arrêts Wang c. M.E.I. [1991] 2 C.F. 165 (C.A.F.) et Gaffney v. M.E.I. (1991) 121 N.R. 256 (C.A.F.).                 

[25]      La demande de certification est rejetée.

                             " Max M. Teitelbaum "

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 26 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-1003-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Muyassar Awwad c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      Le 19 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Teitelbaum

                     en date du 26 janvier 1999

ONT COMPARU :

Mes Cecil L. Rotenberg et              pour la demanderesse

Mary Lam

Me Leena Jaakkimainen              pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mes Cecil L. Rotenberg et              pour la demanderesse

Mary Lam

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général

du Canada


    


Date : 19990126


IMM-1003-98

     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 26 JANVIER 1999

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

E n t r e :

     MUYASSAR AWWAD,

     demanderesse,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans mes motifs d'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire et la demande de certification sont rejetées.

     " Max M. Teitelbaum "

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

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