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Date : 20030128

 

Dossier : IMM‑1420‑02

 

Référence neutre : 2003 CFPI 85

 

 

ENTRE :

 

 

VIKEN DOKMAJIAN

demandeur

 

‑ et ‑

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

 

Le juge MacKay

 

[1]   Le demandeur sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, et modifications, le contrôle judiciaire des décisions datées du 27 décembre 2001 d’une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, par lesquelles la représentante avait considéré que le demandeur constituait un danger pour le public selon ce que prévoient l’alinéa 46.01(1)e) et aussi le paragraphe 70(5) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, et modifications (la Loi).

 

Les faits

[2]   Le demandeur, Viken Dokmajian, de nationalité libanaise, est né le 24 janvier 1978. À l’âge de douze ans, il est arrivé au Canada avec ses parents et ses deux frères aînés. Ses deux soeurs sont restées au Liban, où elles demeurent encore. Il est devenu résident permanent le 25 février 1990.

 

  • [3] Le 22 octobre 1998, le demandeur a été reconnu coupable de vol qualifié, infraction prévue par l’article 344 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et modifications. Il a été condamné à un emprisonnement de six mois, en plus des trois mois déjà purgés en détention préventive. Le même jour, le demandeur était également déclaré coupable d’entrave à la justice en application du paragraphe 139(2) du Code criminel, infraction pour laquelle il a été condamné à une peine cumulative de six mois avec sursis. Une interdiction de port d’arme d’une durée de dix ans lui a aussi été imposée. Le 24 novembre 1998, le demandeur était reconnu coupable de possession de biens obtenus par des moyens criminels, d’une valeur inférieure à 5 000 $, infraction prévue par l’alinéa 355a) du Code criminel. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois mois, à purger en même temps que la peine imposée pour le vol qualifié.

  • [4] Le 23 janvier 2001, plus de deux ans après la première condamnation du demandeur, le demandeur a fait l’objet d’un rapport, en conformité avec l’alinéa 27(1)d) de la Loi, où l’on concluait qu’il était un résident permanent qui avait été reconnu coupable d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois avait été imposée ou qui était punissable d’une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans. À la suite de ce rapport, une mesure d’expulsion fut prononcée contre le demandeur le 26 octobre 2001, et le demandeur a déposé un avis d’appel le même jour.

  • [5] Avant l’instruction de l’appel du demandeur, la représentante du ministre a décidé le 27 décembre 2001 que le demandeur constituait un danger pour le public selon le paragraphe 70(5) et l’alinéa 46.01(1)e) de la Loi. En application du paragraphe 70(5), cette décision empêchait le demandeur de faire appel de la mesure d’expulsion prononcée contre lui. Le demandeur ne fut informé de la décision que le 12 mars 2002 lorsqu’il a été placé en détention par les autorités de l’immigration. Sa mise en liberté a été ordonnée deux jours plus tard, sous réserve de certaines conditions.

  • [6] J’observe que, avant que soit rendue la décision selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public, un avis lui avait été envoyé indiquant les documents qui seraient considérés et lui donnant la possibilité de soumettre des conclusions à l’examen de la représentante du ministre, possibilité dont il s’est prévalu. Il a eu plus tard une nouvelle possibilité de réagir à un projet de décision qui devait être examiné par la représentante du ministre, mais le demandeur n’a pas présenté d’autres conclusions avant que la décision ne soit prise.

 

 

 

 

Points en litige

 

  • [7] Les points à décider dans cette demande sont les suivants :

 

1.   La preuve par affidavit du demandeur et de ses parents, déposée au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, devrait‑elle être jugée irrecevable parce qu’il s’agirait d’une preuve nouvelle dont ne disposait pas la représentante du ministre?

 

2.   L’absence de motifs dans la décision de la représentante du ministre selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public justifie‑t‑elle l’annulation de la décision?

 

3.   La représentante du ministre a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a, en application du paragraphe 70(5) et de l’alinéa 46.01(1)e) de la Loi, rendu une décision qui était déraisonnable et, cette décision devrait‑elle par conséquent être annulée?

 

J’aborderai successivement chacun de ces points.

 

 

Preuve nouvelle

 

[8]  Au soutien de cette demande, le demandeur a déposé deux affidavits : le premier, produit sous serment par le demandeur lui‑même le 28 mai 2002, et l’autre produit sous serment par ses parents le 27 mai 2002. Les deux documents contiennent des éléments de preuve dont ne disposait pas la représentante du ministre lorsqu’elle a rendu sa décision. Ainsi, ces affidavits renferment des indications sur la mauvaise santé des parents du demandeur, sur les antécédents professionnels du demandeur depuis 2001, sur une décision de la Commission ontarienne des libérations conditionnelles, et sur la décision prise par un arbitre lors d’un examen des motifs de sa détention. Bien qu’il ait eu la possibilité, à deux reprises, de présenter des conclusions avant que ne soit rendue la décision le qualifiant de danger pour le public, le demandeur n’avait pas communiqué cette information au ministre.

 

  • [9] Dans le jugement Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 3 C.F. 315 (1re inst.), M. le juge Gibson s’exprimait ainsi, au paragraphe 20 :

Il est bien établi en droit qu’une cour de révision est liée par le dossier qui a été déposé devant l’office fédéral dont la décision fait l’objet de l’appel. [...] La jurisprudence des cours de révision a suivi cette règle, faisant observer que, si des éléments de preuve qui n’ont pas été déposés devant le tribunal initial étaient présentés dans une instance en contrôle judiciaire, la demande de contrôle serait en fait convertie en un appel ou un procès de novo. [...] Bien que je sois convaincu qu’il existe une exception juridictionnelle à la règle selon laquelle de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans une instance en contrôle judiciaire, [...] je suis également convaincu qu’il n’y a pas en l’espèce de question portant sur une erreur de compétence des tribunaux. Les questions dont je suis saisi se rapportent à la Charte et au caractère approprié des protections procédurales applicables à la procédure d’évaluation du risque suivie en l’espèce.

 

 

Ici, les points à examiner sont les suivants : les motifs donnés étaient‑ils suffisants? et la décision selon laquelle le demandeur constituait un danger était‑elle raisonnable? Aucun de ces points ne laisse voir une erreur de compétence.

 

  • [10] Le demandeur invoque le jugement Chedid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 127 F.T.R. 81, en réponse à la question des preuves nouvelles. Dans l’affaire Chedid, la Cour avait jugé qu’une décision de la Commission des libérations conditionnelles était un document essentiel que le ministre aurait dû avoir à sa disposition quand bien même le demandeur n’avait pas présenté de conclusions sur cet aspect. M. le juge Cullen s’est exprimé ainsi :

  • [11] À mon avis, le jugement Chedid doit être écarté ici parce que, dans cette affaire, la représentante du ministre avait devant elle une lettre de l’agent de liberté conditionnelle du demandeur et savait qu’elle n’avait pas devant elle la décision de la Commission des libérations conditionnelles dont la lettre faisait état. Ici, il n’y avait devant la représentante du ministre aucune lettre du genre qui l’eût informée de l’existence d’une décision de la Commission des libérations conditionnelles se rapportant à M. Dokmajian.

  • [12] Je suis d’avis que la preuve nouvelle ne peut être prise en compte dans cette demande de contrôle judiciaire. Dans l’examen des questions restantes, la preuve nouvelle figurant dans l’affidavit du demandeur du 27 mai 2002 et dans l’affidavit de ses parents sera ignorée.

Pour cette simple raison, j’estime que le dossier du requérant devrait être renvoyé au ministre pour qu’une nouvelle décision soit prise à la lumière des éléments de preuve contenus dans la décision de la Commission des libérations conditionnelles.

 

 

 

Absence de motifs

 

  • [13] Le point de savoir si les principes de justice naturelle obligent le ministre à motiver sa décision selon laquelle une personne constitue un danger pour le public n’a pas encore été définitivement tranché. Le défendeur, invoquant le jugement Tewelde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 86 (C.F. 1re inst.), soutient que l’absence de motifs dans une décision du genre ne contrevient pas à l’équité procédurale. Le demandeur invoque le jugement Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 33 (C.F. 1re inst.) pour affirmer qu’une telle décision doit être motivée. Cette jurisprudence contradictoire résulte d’opinions divergentes à propos des effets de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999], 2 R.C.S. 817, sur les règles relatives à l’obligation de motiver une décision, règles qui avaient été exposées dans l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.). Dans l’arrêt Williams, le juge Strayer est arrivé à la conclusion que les exigences d’équité sont minimes dans le contexte d’une décision relative au danger que constitue une personne, et que, sauf disposition législative contraire, une telle décision n’a pas à être motivée.

  • [14] Dans l’arrêt Baker, précité, madame le juge L’Heureux‑Dubé écrivait pour la Cour suprême du Canada, au paragraphe 43 :

 

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. ... Les circonstances de l’espèce, à mon avis, constituent l’une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L’importance cruciale d’une décision d’ordre humanitaire pour les personnes visées, ..., milite en faveur de l’obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

 

  • [15] Dans l’arrêt Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 3 (C.A.), confirmant [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.), la Cour d’appel fédérale examinait le contenu de l’obligation d’équité en ce qui a trait à une décision selon laquelle une personne constitue un danger. La Cour a examiné l’incidence d’une telle décision sur un demandeur et l’a jugée semblable à l’incidence d’une décision prise en application du paragraphe 114(2), étant donné que les deux dispositions facilitent l’exécution des mesures de renvoi. La Cour a aussi rejeté l’argument selon lequel l’obligation d’équité se trouvait ici à l’extrémité inférieure du registre, affirmant plutôt que la norme est plus élevée que celle des décisions prises en application du paragraphe 114(2). Il semble que l’obligation d’équité qui s’attache à une décision selon laquelle une personne constitue un danger n’est plus minime contrairement à ce qu’indiquait l’arrêt Williams, et, vu l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Bhagwandass, l’équité procédurale, dans les circonstances de la présente affaire, requiert à mon avis que la décision contestée repose sur des motifs pouvant résister à l’examen.

  • [16] Plus récemment, mon collègue, M. le juge Blais, après examen des arrêts Baker et Bhagwandass, et autres précédents applicables, s’est exprimé ainsi dans l’affaire Mullings c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 206 F.T.R. 93, au paragraphe 20 :

 

Le juge a statué que l’omission de fournir des motifs à l’appui d’une décision fondée sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l’immigration ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale, mais il me semble que les arrêts Baker et Bhagwandass, précités, étayent la thèse selon laquelle l’omission de fournir des motifs constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

  • [17] Selon le défendeur, le rapport de décision ministérielle et la demande de décision ministérielle peuvent constituer des motifs. Je serais de cet avis. Cette manière de voir s’accorde avec la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker selon laquelle les notes consignées par l’agent d’immigration au moment de la décision fondée sur des considérations humanitaires constituaient des motifs. Et puis, dans l’arrêt Bhagwandass (C.A.), madame le juge Sharlow écrivait, au paragraphe 34 :

... Le ministre ou son délégué a accepté la recommandation des fonctionnaires du ministère énoncée dans les deux rapports, il a émis l’avis de danger et il aurait pu adopter les rapports comme motifs de cet avis. La question de savoir si les rapports ont été adoptés de la sorte en l’espèce est une question factuelle qu’il n’y a pas lieu de trancher parce que le bien‑fondé de l’avis de danger lui‑même n’est pas en cause.


 

Le juge Blais, reprenant ce passage dans le jugement Mullings, a estimé dans cette affaire que les rapports en question constituent des motifs à condition qu’ils aient été adoptés par le ministre ou son représentant lorsqu’a été rendue la décision selon laquelle la personne visée constituait un danger.

 

  • [18] En l’espèce, la représentante du ministre écrit dans sa décision :

[traduction] Avant de rendre ma décision, j’ai examiné le rapport de décision ministérielle et la preuve documentaire présentée par les fonctionnaires locaux de l’immigration au soutien de leur recommandation selon laquelle Viken Dokmajian, de nationalité libanaise, né le 24 janvier 1978, constitue un danger pour le public selon ce que prévoient le paragraphe 70(5) et l’alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l’immigration, ainsi que l’information contenue dans la demande de décision ministérielle en date du 10 janvier 2001 et dans les documents à l’appui. J’ai aussi examiné attentivement l’information reçue de l’avocat, en date du 29 avril 2001, ainsi que toutes les considérations humanitaires pouvant exister dans cette affaire. L’information présentée par l’avocat ne m’a pas persuadée que la recommandation transmise par les fonctionnaires locaux de l’immigration et selon laquelle Viken Dokmajian constitue un danger pour le public ne devrait pas être suivie ici. Je suis persuadée que le rapport de décision ministérielle et la demande de décision ministérielle, documents dans lesquels le risque qu’il pose pour le public au Canada est mis en équilibre avec le risque auquel il peut être personnellement exposé s’il est renvoyé au Liban rendent compte adéquatement du fondement de ma conclusion selon laquelle Viken Dokmajian constitue un danger pour le public au Canada.

 

 

J’en conclus que la représentante du ministre a adopté le rapport de décision ministérielle et la demande de décision ministérielle comme motifs de sa décision selon laquelle M. Dokmajian constituait un danger pour le public.

 

 

La décision de la représentante du ministre est‑elle raisonnable?

 


[19]   Le point restant est de savoir s’il s’agit là de motifs raisonnables. J’ai examiné la demande de décision ministérielle et le rapport de décision ministérielle. La demande de décision ministérielle comprend trois sections. Dans la première section, intitulée « PROFIL DU DANGER », les trois condamnations du demandeur sont brièvement décrites. Dans la deuxième section, intitulée « AVIS/CONCLUSIONS DU CLIENT », les conclusions que l’avocat du demandeur a communiquées le 29 avril 2001 sont résumées, et il est fait mention d’un affidavit du demandeur dans lequel le demandeur se rend compte de la gravité de ses agissements criminels et promet d’y voir. Dans la troisième et dernière section, intitulée « CONSIDÉRATIONS RELATIVES AU RENVOI », plus de quatre pages sont consacrées à un examen de la situation qui a cours au Liban, avec les observations finales suivantes : « il y a peu de raisons de croire que M. Dokmajian serait exposé à des traitements sévères ou inhumains s’il était renvoyé au Liban... il serait probablement exposé à certaines épreuves s’il retournait au Liban ».

 

  • [20] Dans le rapport de décision ministérielle, un agent d’immigration fait les commentaires manuscrits suivants, avant de recommander qu’une décision ministérielle soit demandée. D’abord, dans la case 11, intitulée « Justification autorisant la conclusion de danger », l’agent écrivait « condamnation grave pour vol qualifié ». Dans la case 12, intitulée « Points principaux », on peut lire « déclaré coupable à Ottawa pour vol qualifié et entrave à la justice le 22 octobre 1998. Ces infractions avaient comporté violence et intimidation ». Dans la case 14, l’agent écrivait : « La nature de ces infractions justifie une décision selon laquelle il constitue un danger. Il doit aussi répondre à une accusation déposée contre lui le 20 avril 2001, pour possession de biens volés d’une valeur inférieure à 5 000 $. Il doit comparaître devant le tribunal le 26 février 2002 ». Dans la partie E, un espace est prévu pour la mention de considérations humanitaires. L’agent a écrit : « les parents et les deux frères de M. Dokmajian résident au Canada ». Finalement, le supérieur hiérarchique de l’agent souscrit à la recommandation et aux observations de l’agent, et ajoute la note manuscrite suivante : « La juge a dit que le client a une mentalité de criminel et, dans ses motifs, elle dit clairement qu’elle s’attend à ce qu’il récidive ».

 

[21]  À mon avis, bien que les motifs qui ont été adoptés ici par la représentante du ministre semblent à première vue semblables à ceux dont il était question dans l’affaire Mullings, il y a des différences notables. Dans l’affaire Mullings, au paragraphe 31, la représentante du ministre expliquait ainsi la preuve à la base de sa décision :

Dans un compte rendu détaillé des antécédents criminels établis conformément à A27(1) (voir la pièce ci‑jointe), il est recommandé qu’une directive prévoyant la tenue d’une enquête soit donnée, ce qui a été fait, d’où la mesure d’expulsion qui a été prise le 24 mars 1998 par suite du vol qualifié.

 

Dans les motifs de la sentence, le juge a dit ce qui suit : « Dans ce cas‑ci, je suis convaincu, eu égard aux faits, que Mullings était un gros trafiquant de cocaïne de grande qualité et qu’à moins d’être arrêté, il était prêt à poursuivre ses activités de trafiquant, non seulement avec l’agent d’infiltration, mais aussi avec tout nouveau venu qui voulait de la cocaïne épurée ».

 

Les drogues constituent une menace pour la société.

 

 

La différence qui apparaît dans l’affaire Mullings est que la preuve sous‑jacente se référait aux motifs du juge, dans lesquels M. Mullings était qualifié de « gros trafiquant de cocaïne de grande qualité et qu’à moins d’être arrêté il était prêt à poursuivre ses activités de trafiquant, non seulement avec l’agent d’infiltration, mais avec tout nouveau venu qui voulait de la cocaïne épurée ». Cette preuve, qui permet de conclure que la personne concernée constitue un danger actuel et futur pour le Canada, est un élément nécessaire d’une décision valide prise conformément au paragraphe 70(5). (Voir : Ip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 77 (C.F. 1re inst.); Alvarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2001 CFPI 222, [2001] A.C.F. n° 409; Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 47 (C.F. 1re inst.).)

 


  • [22] Dans l’affaire Thompson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 9 (C.F. 1re inst.), M. le juge Gibson, s’interrogeant sur la notion de « danger pour le public », avait estimé qu’une condamnation ne suffit pas à elle seule à justifier une décision selon laquelle la personne concernée constitue un danger. De plus, selon lui, l’expression « danger pour le public » signifie un danger présent ou futur. Les circonstances de chaque cas doivent donc attester que la personne concernée est un danger présent ou futur pour d’autres personnes au Canada.

  • [23] Les parties s’accordent pour dire que la norme de contrôle à appliquer dans l’examen d’une décision ministérielle du genre est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cette position va dans le sens des jugements rendus dans les affaires Bhagwandass et Mullings. C’est la norme qui est applicable ici.

  • [24] Après examen de la décision de la représentante du ministre, et examen également des preuves dont elle disposait, je n’y trouve aucune mention expresse du danger actuel et futur que le demandeur constitue pour le public au Canada. Et à mon avis la preuve n’en a pas été faite. Les condamnations du demandeur sont qualifiées de graves dans le rapport de décision ministérielle ainsi que dans les motifs donnés par madame le juge Nicolas lorsqu’elle a prononcé sa peine en octobre 1998, mais la nature ou la gravité d’infractions passées ne suffit pas généralement en soi à faire de l’intéressé un danger pour le public au sens du paragraphe 70(5). En outre, ce danger doit être rattaché à des circonstances actuelles et futures (Thompson, précité).

  • [25] La seule preuve fondamentale mentionnée dans les documents soumis à la représentante du ministre et pouvant autoriser la conclusion selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public apparaît dans le rapport de décision ministérielle qui avait lancé le processus conduisant à la décision en question. Ce rapport contient deux mentions, que j’aborderai successivement.

 

 

 

 

[26]  La première mention est la suivante :

[traduction] La nature de ces infractions justifie une décision selon laquelle l’intéressé constitue un danger. Il doit aussi répondre à une accusation, déposée contre lui le 20 avril 2001, pour possession de biens volés d’une valeur inférieure à 5 000 $. Il doit comparaître devant le tribunal le 26 février 2002.

 

 

La première des phrases citées ne précise pas pourquoi le demandeur pourrait être considéré comme un danger pour le public, elle parle simplement de la nature des infractions. Comme nous l’avons vu, cela ne suffit pas en soi pour autoriser une décision ministérielle du genre. La deuxième phrase parle d’une accusation en cours, non d’une déclaration de culpabilité, et cela ne justifie pas en soi une décision selon laquelle le demandeur constitue un danger.

 

  • [27] La deuxième mention apparaissant dans le rapport de décision ministérielle, mention qui concerne les observations formulées par madame le juge Nicolas lorsqu’elle a imposé une peine au demandeur en octobre 1998 après sa déclaration de culpabilité, se présente ainsi :

[traduction] La juge a dit que le client a une mentalité de criminel, et dans ses motifs elle dit clairement qu’elle s’attend à ce qu’il récidive.

 

Après examen desdits motifs, je suis d’avis que la manière dont le gestionnaire a repris les propos du juge est déraisonnable. Le juge a bien dit qu’elle ne faisait guère confiance au demandeur, mais elle n’a pas dit qu’elle s’attendait à une récidive de sa part. Elle n’a pas dit non plus que le demandeur a une mentalité de criminel. Les mots qu’elle a adressés au demandeur étaient plutôt les suivants : « peut‑être avez‑vous une mentalité de criminel, je ne sais pas... » À mon avis, la preuve utilisée par l’agent dans le rapport de décision ministérielle n’autorise pas l’évaluation faite par l’agent local d’immigration.

 


  • [28] Il convient de noter que madame le juge Ratushny a exprimé une opinion plus favorable sur l’avenir du demandeur lorsqu’elle a motivé la peine imposée par elle au demandeur après qu’il eut été reconnu coupable le 24 novembre 1998 de possession illicite de biens d’une valeur inférieure à 5 000 $. Elle avait dit que l’objet et les modalités de la peine antérieure imposée au demandeur en octobre 1998, c’est‑à‑dire faire en sorte que le demandeur modifie sa conduite, devraient être atteints par la peine prononcée antérieurement, et elle a donc imposé une peine concurrente d’emprisonnement de trois mois.

  • [29] La preuve restante dont disposait la représentante du ministre, savoir le rapport prévu par l’alinéa 27(1)d) et le rapport narratif prévu par le paragraphe 27(1), qui recommandaient une enquête à la lumière des condamnations criminelles de M. Dokmajian et à la suite desquels fut prononcée une mesure d’expulsion, n’établit pas que le demandeur pose un risque présent ou futur. La seule autre preuve, qui concerne la probabilité que le demandeur récidive, se rapporte à des déclarations qu’il a faites dans son affidavit du 25 avril 2001, et selon lesquelles il avait appris sa leçon et entendait bien se comporter dorénavant. J’observe que les trois condamnations du demandeur ont été prononcées trois ans avant que ne soit rendue la décision selon laquelle il constituait un danger, et il n’a pas été établi que le demandeur a été de nouveau reconnu coupable depuis 1998.

  • [30] Vu l’absence de preuve justifiant une décision selon laquelle le demandeur constitue un danger présent ou futur pour le public, je suis d’avis que les décisions de la représentante du ministre datées du 27 décembre 2001 sont déraisonnables. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et les décisions rendues par la représentante du ministre sont annulées.

 

 

 

[31]  Le demandeur voudrait que les dépens lui soient adjugés parce que, dit‑il, la procédure engagée depuis le jour où il a été soumis à enquête a été longue et coûteuse et a comporté plusieurs audiences. À mon avis, on ne peut dire que ce processus, prévu par un texte législatif, constitue des motifs spéciaux donnant lieu à des dépens selon ce que prévoit l’article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

    « W. Andrew MacKay » 

  Juge 

 

OTTAWA (Ontario)

le 28 janvier 2003

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  IMM‑1420‑02

 

INTITULÉ :  Viken Dokmajian c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  le 9 janvier 2003

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   Monsieur le juge MacKay

 

DATE DES MOTIFS :  le 28 janvier 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Warren Creates POUR LE DEMANDEUR

Mme Kimberly Barber

 

 

Mme Elizabeth Richards POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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