T-2085-96
ENTRE :
TIMMINS BISSONNETTE et MICHAEL WALLACE,
de l'établissement Frontenac situé dans
le comté de Frontenac (Ontario),
requérants,
et
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,
LE SOUS-COMMISSAIRE DE L'ONTARIO
et LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT FRONTENAC,
intimés.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE LUTFY
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à l'égard d'une décision en date du 5 septembre 1996 par laquelle le directeur intimé de l'établissement Frontenac (le «directeur») a refusé d'approuver l'utilisation des sommes d'argent de la caisse de bienfaisance des détenus pour payer les frais juridiques engagés dans une autre demande de contrôle judiciaire déposée dans le dossier de la Cour T-2439-95. Les requérants et deux des intimés dans la présente demande sont également parties à la demande déposée dans le dossier susmentionné.
La demande déposée dans le dossier T-2439-95 est une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision que le sous-commissaire de l'Ontario a prise en juillet 1995 relativement à l'utilisation d'un nouveau système téléphonique dans les pénitenciers fédéraux de la province.
Le 1er décembre 1995, le juge Denault a prononcé une injonction interlocutoire interdisant l'utilisation de la caractéristique du message surimposé du nouveau système téléphonique jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit entendue sur le fond. Le juge des requêtes a conclu que la caractéristique du message surimposé risquait de transgresser les droits que la Charte reconnaît aux détenus, notamment la liberté d'expression, et d'aller à l'encontre de différentes dispositions législatives pertinentes.
Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les requérants demandent une ordonnance enjoignant au directeur d'autoriser le paiement des frais et honoraires de leur avocate avant l'audition sur le fond de la demande de contrôle judiciaire concernant le nouveau système téléphonique. Cette audition doit avoir lieu le 5 novembre 1996.
LES FAITS
Il existe à l'établissement Frontenac un Comité des détenus dont les membres sont élus et dont le mandat consiste à représenter les intérêts et le bien-être de la population carcérale et à servir d'agent de liaison avec l'administration. Les tâches du Comité des détenus comprennent celle de formuler des recommandations au directeur au sujet de l'utilisation de la caisse de bienfaisance des détenus. Il ne semble pas y avoir de distinction en pratique entre le Comité des détenus et le Comité chargé du bien‑être des détenus.
Personne ne sous-entend que la caisse de bienfaisance des détenus appartient aux intimés ou aux établissements carcéraux. Il est reconnu que les sommes d'argent doivent servir uniquement aux fins du Comité des détenus et de l'ensemble des détenus de chaque établissement. Les dépenses faites à l'aide des fonds de la Caisse sont assujetties à l'approbation du directeur.
Les sommes d'argent versées dans la caisse de bienfaisance des détenus proviennent des déductions tirées des gains approuvés des détenus, des bénéfices de la cantine, des intérêts sur le solde de la caisse, des cadeaux autorisés par le directeur et des activités de collecte de fonds effectuées par les détenus avec l'autorisation du directeur.
Les détenus peuvent également recueillir des fonds en utilisant la formule de demande générale d'affectation de fonds. Dans la présente affaire, le requérant Timmins Bissonnette, le secrétaire du Comité des détenus de l'établissement Frontenac en novembre 1995, a distribué ce formulaire à quelques-uns des détenus de l'établissement et a obtenu un montant total de 518 $ pouvant être affecté au paiement des frais et honoraires juridiques. Ces dons ont été transférés à la caisse de bienfaisance des détenus avec l'autorisation de l'établissement et un chèque de 518 $ a été remis à l'avocate à titre de paiement partiel des honoraires de celle-ci.
Les honoraires dus à l'avocate des requérants sont relativement peu élevés comparativement au solde de trésorerie de la caisse de bienfaisance des détenus. Les soldes de trésorerie varient entre 10 000 $ et 50 000 $ dans les différents établissements fédéraux de l'Ontario.
Dans son affidavit, le requérant Michael Wallace, actuellement secrétaire du Comité des détenus à l'établissement Frontenac, a déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION] 8. Pendant la période au cours de laquelle j'ai été incarcéré à l'établissement Joyceville, le Comité a retenu les services d'avocats pour plusieurs questions concernant le bien-être de la population carcérale et les droits des détenus, notamment les analyses d'urine, la double occupation de la cellule et le nouveau système téléphonique. D'après ce que je sais, les avocats dont le Comité a retenu les services pour représenter la population carcérale ont été payés par l'entremise de la CBD. Lorsque j'étais membre du Comité, j'ai constaté que les comptes des avocats étaient payés par l'entremise de la CBD. D'ailleurs, la première avance que notre avocate a reçue dans la présente demande provenait de la CBD.
9. Après être intervenus dans la présente demande, les sept comités ont été avisés verbalement par leur administration respective que les services juridiques ne pourraient plus être payés à même la CBD.
10. Les comités ont commencé à recueillir des fonds des détenus au moyen de dons collectifs afin de payer le coût des services juridiques. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pu payer qu'une partie du compte de notre avocate.
11. Vers novembre 1995, j'ai été transféré à l'établissement Frontenac et je suis devenu membre du Comité de cet établissement.
12. Les détenus qui sont incarcérés dans un établissement fédéral et qui travaillent gagnent un montant variant de 52,50 $ à 69 $ toutes les deux semaines (selon le niveau de salaire auquel ils ont droit). À l'établissement Frontenac, les retenues suivantes sont faites automatiquement :
un montant de 1 $ est versé dans la CBD;
un montant de 3,25 $ est remis à l'entreprise de câblodistribution;
10 % du salaire est versé dans un compte d'épargne.
D'après ce que je sais, des retenues semblables sont faites à d'autres établissements.
13. Le solde de la paye des détenus est versé dans le compte courant de ceux-ci et cet argent sert habituellement à acheter différents produits à la cantine, des cigarettes, etc. Après avoir fait ce genre d'achats, il est rare que les détenus aient beaucoup d'argent dans leurs comptes courants pour verser une contribution aux fins des dons collectifs.
14. La majorité de la population carcérale veut poursuivre la présente demande. Malheureusement, la situation financière des détenus ne leur permet pas de payer le compte de notre avocate.
15. Je me suis entretenu à plusieurs reprises avec notre avocate au sujet du paiement de ses honoraires et j'ai été informé que, si ce compte n'est pas payé au complet et qu'une avance ne lui est pas versée pour les services ultérieurs, elle n'aura d'autre choix que de se retirer du dossier. J'ai également communiqué avec d'autres avocats et aucun n'est disposé à représenter les intérêts de la population carcérale s'il ne reçoit pas une avance suffisante.
16. D'après les renseignements dont je dispose, les autres comités et détenus concernés par la présente demande font face aux mêmes problèmes.
M. Wallace n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.
Les requérants ont déposé une preuve par affidavit non contredite selon laquelle la majorité des détenus appuient la demande de contrôle judiciaire concernant le nouveau système téléphonique et le financement.
Le 2 septembre 1996, le président et secrétaire du Comité des détenus de l'établissement Frontenac ont écrit à son directeur afin de lui demander l'autorisation d'utiliser la caisse de bienfaisance des détenus pour payer à l'avocate des requérants un compte en souffrance de 300 $ et leur part d'une avance au titre de services ultérieurs. Par suite d'une réunion tenue entre le président du Comité des détenus et le responsable des finances de l'établissement Frontenac le 4 septembre 1996, le directeur a répondu à cette demande le lendemain en refusant d'approuver le paiement de ces frais et honoraires à même la caisse de bienfaisance et en proposant plutôt l'utilisation de la demande générale d'affectation de fonds. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
DIRECTIVE DU COMMISSAIRE No 861
La directive du commissaire no 861 (la Directive) a été publiée en mai 1989 et énonce l'objectif de la politique et d'autres dispositions pertinentes concernant la caisse de bienfaisance des détenus. Il convient ici d'en reproduire le texte :
OBJECTIF DE LA POLITIQUE
1.Créer et maintenir une caisse de bienfaisance dans le but de contribuer au bien-être collectif des détenus au sein de l'établissement ou à des causes charitables reconnues à l'extérieur de l'établissement.
RESPONSABILITÉ DE L'ÉTABLISSEMENT
2.Chaque établissement doit être doté d'une caisse de bienfaisance des détenus, qui est administrée conformément aux principes généralement reconnus en matière de comptabilité et de contrôle budgétaire.
COMITÉ DE BIENFAISANCE DES DÉTENUS
3.Le directeur doit établir un Comité de bienfaisance composé de détenus qui seront chargés de faire des recommandations quant à l'utilisation de la caisse de bienfaisance des détenus. La mise en oeuvre des recommandations du comité doit être approuvée par le directeur ou son délégué.
4.Le Comité de bienfaisance des détenus doit utiliser la caisse de bienfaisance pour
a.subvenir aux frais des activités éducatives, sociales, culturelles et récréatives pour les détenus;
b.fournir des commodités aux détenus;
c.consentir des prêts aux détenus;
d.assumer les frais des publications des détenus lorsque ces frais sont supérieurs aux sommes d'argent réunies au moyen des abonnements, de la publicité et des dons; et
e.faire des dons à des organismes de charité reconnus ou autres causes charitables reconnues et approuvées par le directeur ou son délégué.
REVENU
5.Le revenu de la caisse de bienfaisance des détenus provient :
a.des déductions tirées des gains approuvés;
b.des bénéfices de la cantine;
c.des intérêts sur le solde de la caisse;
d.des cadeaux autorisés par le directeur;
e.des activités de collecte des fonds effectuées par les détenus avec l'autorisation du directeur.
PRÊTS
6.Chaque établissement doit établir les procédures relatives aux demandes de prêts, à l'approbation et au remboursement des prêts consentis par la caisse de bienfaisance des détenus.
7.Chaque établissement doit déterminer le montant maximal que peut emprunter un détenu ou un groupe de détenus et le montant maximal des prêts que la caisse peut consentir.
8.Le directeur peut annuler les prêts qui sont impayés depuis plus d'un an et qui sont jugés irrécouvrables.
Dans sa note du 30 avril 1990, le commissaire a reconnu qu'un Comité des détenus avait le droit [TRADUCTION] «de recueillir des sommes d'argent des détenus incarcérés dans d'autres établissements pour poursuivre un recours en justice commun visant le Service correctionnel du Canada». Voici le texte de la version française de la note :
[TRADUCTION] Au cours des derniers mois, des questions ont été soulevées au sujet du droit des détenus, comme groupe (i.e., Comité des détenus), de recueillir des fonds des détenus incarcérés dans d'autres établissements pour exercer un recours en justice commun contre le Service correctionnel du Canada. Sur ce point, un groupe de détenus a récemment exprimé le désir de recueillir des sommes d'argent de détenus incarcérés un peu partout au pays afin d'exercer un recours en justice à l'encontre du programme de prise d'échantillon d'urine.
Selon le Service correctionnel du Canada, les sommes d'argent provenant de la caisse de bienfaisance des détenus ne peuvent être utilisées pour les actions en justice, comme l'indique la Directive 861 du commissaire. D'autre part, sous réserve de certaines restrictions, les détenus devraient avoir le droit de recueillir des fonds des détenus incarcérés dans d'autres établissements sur une base volontaire à cette fin. En fait, ils devraient avoir la possibilité de recueillir des fonds pour d'autres questions non juridiques qu'ils désirent examiner plus à fond.
Le détenu ou groupe de détenus qui désire commencer à recueillir des fonds auprès d'autres détenus, doit d'abord identifier une personne qui n'est pas liée au Service correctionnel du Canada et qui sera chargée d'administrer la caisse. Dans bien des cas, cette personne sera un avocat. La procédure normale relative à la collecte de sommes d'argent de détenus incarcérés dans un établissement serait suivie à l'aide du formulaire 532 et l'argent recueilli serait acheminé à l'avocat ou à la personne désignée au nom des détenus. Lorsque les détenus désirent solliciter des fonds de leurs pairs incarcérés dans d'autres établissements, ils devraient enjoindre à cette personne d'écrire directement aux directeurs des autres établissements pour faire cette demande. Si des sommes d'argent sont recueillies à d'autres établissements, ces personnes auraient pour tâche de faire parvenir les fonds à la personne qui fait la demande. Enfin, l'avocat ou la personne identifiée aurait pour tâche d'ouvrir et de maintenir des comptes et de distribuer les sommes d'argent recueillies.
À mon avis, la procédure décrite ci-dessus représente une méthode raisonnablement accessible qui permet aux détenus de solliciter des fonds de leurs pairs incarcérés dans d'autres établissements pour exercer des recours en justice ou pour poursuivre d'autres projets raisonnables. Veuillez vous assurer que le personnel des établissements est au courant de la procédure à suivre à cet égard et que cette procédure sera suivie si des détenus présentent une demande de cette nature.
Dans cette note, le commissaire interprète la directive en soutenant que les sommes d'argent de la caisse de bienfaisance des détenus ne peuvent servir à financer les actions en justice.
La conseillère juridique du Service correctionnel du Canada s'est fondée sur la note du commissaire datée du 30 avril 1990 pour informer un collègue en janvier 1996 qu'il n'était pas [TRADUCTION] «permis, selon la politique du SCC, de financer des actions en justice à même la caisse de bienfaisance des détenus, avec ou sans le consentement de la population carcérale». C'est cet avis juridique qui a été invoqué pour expliquer le refus du directeur d'autoriser l'utilisation de la caisse de bienfaisance des détenus pour le paiement des frais et honoraires juridiques en l'espèce.
ANALYSE
La Directive interdit-elle l'utilisation de la caisse de bienfaisance des détenus de l'établissement Frontenac pour payer les frais et honoraires de l'avocate des requérants dans la procédure engagée contre les intimés au sujet du nouveau système téléphonique? C'est la principale question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire.
Pour conclure que les fonds de la caisse de bienfaisance des détenus ne pouvaient servir à payer les frais et honoraires juridiques, le directeur s'est fondé sur la note du commissaire en date du 30 avril 1990.
L'objectif de la politique relative à la caisse de bienfaisance des détenus est large. Selon la Directive, la caisse existe pour «contribuer au bien-être collectif des détenus au sein de l'établissement».
Les intimés reconnaissent que les sommes d'argent recueillies au moyen de la demande générale d'affectation de fonds pour le litige concernant le nouveau système téléphonique ont été transférées à la caisse de bienfaisance des détenus. Le directeur a ensuite autorisé le paiement des frais et honoraires juridiques à même la caisse jusqu'à concurrence des sommes d'argent recueillies. Il a été prouvé qu'à d'autres occasions, les frais et honoraires juridiques ont été payés directement à même la caisse de bienfaisance des détenus pour des poursuites en justice concernant les analyses d'urine, la double occupation de la cellule et le nouveau système téléphonique. Les intimés font valoir que ces précédents ne sauraient justifier une pratique qui n'est pas autorisée par ailleurs par la Directive.
L'avocat des intimés allègue que l'utilisation du mot «doit» au paragraphe 4 de la Directive restreint nécessairement les dépenses à même la caisse de bienfaisance des détenus aux fins mentionnées de façon spécifique dans le paragraphe en question. À mon avis, cette interprétation de la Directive n'accorde pas suffisamment d'importance à l'objectif énoncé au paragraphe 1. Si le commissaire avait voulu que la Directive signifie que la caisse ne pouvait en aucun cas servir au paiement des frais et honoraires juridiques, il aurait dû utiliser des termes plus précis et moins ambigus aux paragraphes 1 et 4. Je ne suis pas convaincu que le texte de la Directive interdit nécessairement le financement des actions en justice, notamment dans les circonstances de la présente demande.
À mon sens, cette interprétation de la Directive est justifiée par les dispositions législatives et réglementaires pertinentes. La Directive doit être lue et appliquée dans le contexte de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la «Loi») et le règlement connexe. Voici les dispositions pertinentes de l'article 4 de la Loi :
4. Le Service est guidé, dans l'exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :
...
d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;
e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;
L'article 96 de la Loi permet l'adoption de règlements :
w) en vue d'assurer aux détenus l'accès à des textes juridiques ou non ainsi qu'auprès d'avocats et de commissaires aux serments;
Conformément à cette disposition, le paragraphe 97(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le «Règlement») dispose que :
(3) Le Service doit veiller à ce que le détenu ait accès, dans des limites raisonnables :
a) à un avocat et à des textes juridiques;
b) à des textes non juridiques, y compris :
(i) les Directives du commissaire,
(ii) les instructions régionales et les ordres permanents du pénitencier, sauf ceux qui portent sur les questions de sécurité;
c) à un commissaire aux serments.
La Loi et le Règlement sont entrés en vigueur en 1992. Les textes législatif et réglementaire antérieurs correspondants ne comportaient aucune disposition semblable aux alinéas d) et e) de l'article 4 et à l'alinéa w) de l'article 96 de la Loi ou encore au paragraphe 97(3) du Règlement. La Directive de mai 1989 et la note du commissaire en date du 30 avril 1990 ont été élaborées à une époque où le Service n'avait pas reçu du législateur le mandat «de veiller à ce que le détenu ait accès, dans des limites raisonnables, à un avocat».
Dans l'arrêt Schemmann c. Canada, [1995] F.C.T. no 923, le juge Rothstein a examiné le paragraphe 97(3) du Règlement. Dans cette affaire, le détenu cherchait à obtenir une ordonnance obligeant le Service à fournir l'accès à un logiciel informatique. Il n'avait pas été établi que le demandeur n'aurait pas le droit d'utiliser son propre logiciel. Concluant que ce Règlement n'obligeait pas le Service à fournir un logiciel à ses frais, le juge Rothstein s'est exprimé comme suit :
La Loi sur le système correctionnel et sur la mise en liberté sous condition ainsi que le règlement connexe obligent la défenderesse à fournir aux détenus des établissements un grand nombre de services et de commodités. On ne peut qu'être ébahi devant la gamme des droits ainsi conférés aux détenus. C'est néanmoins ce que le Parlement et l'État ont décidé. Soit, mais la défenderesse en l'espèce a permis au demandeur d'exercer ses droits et s'est acquittée des obligations qui lui sont imposées par le législateur.
À mon avis, ce n'est qu'à la lumière des dispositions de la Loi et de son Règlement d'application que la Directive peut être lue comme il se doit et que le directeur peut exercer son pouvoir discrétionnaire à bon escient en ce qui a trait à l'autorisation d'une dépense à même la caisse de bienfaisance des détenus. Dans la présente affaire, le directeur doit examiner la demande d'utilisation de la caisse de bienfaisance des détenus (soit les sommes d'argent recueillies auprès des détenus eux-mêmes) dans le contexte de l'obligation du Service de veiller à ce que le détenu ait accès, dans des limites raisonnables, à un avocat.
Compte tenu du Règlement actuel, la déclaration que le commissaire a formulée dans sa note du 30 avril 1990, selon laquelle [TRADUCTION] «les sommes d'argent provenant de la caisse de bienfaisance des détenus ne peuvent être utilisées pour les actions en justice» est, à tout le moins, trop large. De la même façon, la note que la conseillère juridique du Service a préparée en janvier 1996 ne renferme aucun élément indiquant qu'elle a tenu compte du paragraphe 97(3) du Règlement lorsqu'elle a écrit qu'à son avis, la caisse de bienfaisance des détenus ne pouvait servir au paiement des frais et honoraires juridiques de la présente affaire.
En l'espèce, les frais et honoraires de l'avocate ont été payés jusqu'à maintenant à même la caisse de bienfaisance des détenus. Ils ont été payés à même les sommes d'argent recueillies des détenus conformément au paragraphe 5 de la Directive ou par l'entremise du système de demande collective d'affectation de fonds.
Selon M. Wallace, la situation financière des détenus ne leur permet pas de financer davantage le présent litige. Dans les circonstances de la présente affaire, l'application du système de demande collective d'affectation de fonds n'a pu garantir aux détenus l'accès constant à un avocat pour le présent litige. Le système de financement collectif n'a pu être utilisé, en l'espèce, de façon à assurer aux détenus l'accès, dans des limites raisonnables, à un avocat au sens du paragraphe 97(3) du Règlement. C'est pourquoi les requérants veulent utiliser les sommes d'argent que les détenus ont versées dans la caisse de bienfaisance des détenus pour payer le coût des services juridiques. L'audition de la demande de contrôle judiciaire quant au fond doit avoir lieu sous peu.
Par conséquent, je suis d'avis que le directeur a commis une erreur de droit en se fondant sur l'interprétation du commissaire selon laquelle la Directive interdisait le financement des actions en justice à même la caisse de bienfaisance des détenus et en refusant d'approuver l'utilisation de la caisse en question pour payer les frais et honoraires juridiques de la demande de contrôle judiciaire concernant le nouveau système téléphonique. Son refus était incompatible avec l'obligation du Service d'assurer, dans des limites raisonnables, l'accès à un avocat dans un litige où un juge de la Cour fédérale a rendu une ordonnance d'injonction interlocutoire au motif que le nouveau système téléphonique pouvait aller à l'encontre des droits que la Charte reconnaît aux requérants.
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision sous examen est annulée et le directeur est tenu de réexaminer la recommandation concernant l'utilisation des sommes d'argent de la caisse de bienfaisance des détenus pour payer les frais et honoraires juridiques de l'avocate d'une façon compatible avec les présents motifs.
Allan Lutfy
Juge
Toronto (Ontario)
Le 24 octobre 1996
Traduction certifiée conforme
François Blais, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
No DU GREFFE : T-2085-96
INTITULÉ DE LA CAUSE : TIMMINS BISSONNETTE et MICHAEL WALLACE, de l'établissement Frontenac situé dans le comté de Frontenac (Ontario),
c.
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LE SOUS-COMMISSAIRE DE L'ONTARIO et LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT FRONTENAC,
DATE DE L'AUDIENCE : 18 SEPTEMBRE 1996
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LUTFY
EN DATE DU : 24 OCTOBRE 1996
ONT COMPARU :
Me Diane M. Magas
pour les requérants
Me Ian D. McCowan
pour les intimés
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Diane M. Magas,
280, rue Metcalfe, bureau 222
Ottawa (Ontario)
K2P 1R7
(613) 563-1005
pour les requérants
Ministère de la Justice
239, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0H8
Me George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour les intimés
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
No du greffe : T-2085-96
Entre :
TIMMINS BISSONNETTE et MICHAEL WALLACE, de l'établissement Frontenac situé dans le comté de Frontenac (Ontario),
requérants,
et
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LE SOUS-COMMISSAIRE DE L'ONTARIO et LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT FRONTENAC,
intimés.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE