Date : 20030226
Dossier : T-705-99
Référence neutre : 2003 CFPI 244
ENTRE :
CANAMOULD EXTRUSIONS LTD. et
888804 ONTARIO LIMITED
demanderesses
- et -
DRIANGLE INC.
défenderesse
[1] Les moulures décoratives sont utilisées pour embellir l'extérieur des bâtiments. Les moulures visées par la présente action sont employées soit sur un revêtement mural utilisant une technique connue sous le nom de système EIFS (système d'isolation par l'extérieur avec enduit mince), soit sur un revêtement mural en stucco. Le fini de la plupart des revêtements muraux utilisant le système EIFS a l'apparence du stucco. Même si ces moulures sont utilisées depuis de nombreuses années au Canada, leur enrobage était encore réalisé à la main au début des années 90. Le brevet canadien no 2,184,205 (le « brevet Canamould » ) décrit et revendique une méthode et une machine permettant la production industrielle en grande série de moulures enrobées en usine. Les demanderesses prétendent que, pour produire en série des moulures enrobées, la défenderesse a construit une machine automatisée et utiliséune méthode qui violent le brevet Canamould. La défenderesse nie que sa machine contrefasse le brevet de la demanderesse et affirme que celui-ci est nul pour cause de prévisilibité et d'évidence.
LE CONTEXTE
[2] Les moulures décoratives employées dans l'industrie de la construction ont généralement une surface plate d'un côté et une surface décorative de l'autre côté. Les motifs, habituellement tridimensionnels, se trouvent sur la surface décorative et la surface plate est conçue pour s'adapter à une surface (mur, plafond, revêtement extérieur ou autre surface semblable). La moulure est posée sur la surface de façon à ce que la surface décorative soit visible. On réalise le montage en appliquant un adhésif sur la surface plate de la moulure et en exerçant ensuite une pression sur cette surface pour qu'elle adhère au mur, plafond ou revêtement extérieur. Les moulures intérieures étaient traditionnellement faites de plâtre ou de bois. Les moulures de plâtre ne sont pas compatibles avec toutes les surfaces. Quant aux moulures de bois, on en trouve sur l'extérieur des bâtiments, mais elles sont chères et peuvent finir par se détériorer si elles sont exposées aux intempéries. Les moulures extérieures au fini de stucco sont faites de mousse. Habituellement, la surface décorative de la moulure en mousse est recouverte de treillis avant d'être enrobée. Comme je l'ai dit plus tôt, l'enrobage de ces moulures était réalisé à la main au début des années 90. La moulure de mousse enrobée est fixée sur les murs extérieurs des bâtiments.
LES FAITS NON CONTESTÉS
[3] Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits que j'ai joint aux présents motifs en tant qu' « Annexe A » . Je résume ces faits par souci de commodité. Tant le brevet canadien 2,184,205 (le « brevet Canamould original » ) que le brevet canadien redélivré 2,184,205 (le « brevet Canamould redélivré » ) indiquent que la demanderesse 888804 Ontario Limited (la société à numéro) est propriétaire du brevet. En vertu d'une certaine licence que lui a consentie la société à numéro demanderesse, la demanderesse Canamould Extrusions Inc. (Canamould) fabrique et vend au Canada des moulures décoratives enrobées en usine. La défenderesse, Driangle Inc. (Driangle), a été constituée en personne morale le 18 juin 1997. Driangle fabrique et vend au Canada des moulures décoratives enrobées en usine depuis au moins 1998. Toutes les parties ont un bureau et un lieu d'affaires soit à Toronto (Ontario) soit dans les environs.
[4] On utilise depuis de nombreuses années des moulures décoratives sur les revêtements extérieurs pour embellir les bâtiments. Un composant interne commun de ce type de moulures est la mousse de polystyrène (PSE : polystyrène expansé). Un treillis en fibre de verre est habituellement appliqué sur le noyau en mousse avant l'enrobage de ce dernier. Les moulures décoratives comprennent généralement un adhésif qui fixe la surface non enrobée de la moulure à la surface sur laquelle la moulure sera apposée.
[5] La demande originale du brevet Canamould a été déposée le 27 août 1996 et, le 27 janvier 1998, le brevet a été délivré à la société à numéro demanderesse pour une invention nommée « Installation de production de moulures décoratives et méthode connexe » dont Ned Santarossa est l'inventeur. Les revendications du brevet Canamould décrivent une méthode de fabrication de moulures décoratives (revendications 1 à 8) ainsi qu'une machine servant à fabriquer de telles moulures (revendications 9 à 18). Le brevet original a été redélivré le 7 septembre 1999, toujours à la même société à numéro. C'est la revendication 1 du brevet original Canamould qui a été modifiée : on a remplacé le terme « produit d'enrobage cimentaire liquide » par le terme « produit d'enrobage liquide » . Les autres revendications sont restées inchangées.
[6] La revendication 1 du brevet Canamould redélivré est rédigée comme suit :
[TRADUCTION]
Une méthode de fabrication de moulures décoratives allongées ayant une surface décorative et dont les étapes sont les suivantes :
a) placer la surface plate d'un noyau de moulure en mousse
allongée sur une zone d'entrée d'une table allongée à surface plate, le noyau en mousse étant composé d'un corps de mousse polymère souple et expansée, ce noyau ayant : une surface plate d'un côté; une surface décorative de l'autre côté et un profil transversal, le profil transversal du noyau étant proportionnellement plus petit que le profil transversal voulu de la moulure décorative finale, la table comprenant une face supérieure plane, continue et lisse et un axe longitudinal;
b) aligner le noyau en mousse sur l'axe longitudinal de la table;
c) faire glisser le noyau en mousse le long de l'axe sur la face supérieure de la table vers l'avant à travers une enceinte d'enrobage, celle-ci ayant : un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau; des parois latérales et une paroi avant qui comprend une filière de profilage, la filière ayant une ouverture proportionnellement plus grande que le profil transversal du noyau de la moulure, l'ouverture de la filière correspondant au profil transversal voulu;
d) appliquer un produit liquide d'enrobage sur la surface décorative du noyau de la moulure pendant que le noyau en mousse passe à travers l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage;
e) faire passer la moulure enrobée à travers la filière de profilage qui s'ouvre sur la zone de sortie sur la face supérieure de la table;
f) faire sécher le produit d'enrobage une fois la moulure sortie de la filière de profilage.
[7] La revendication 9 du brevet Canamould redélivré est rédigée comme suit :
[TRADUCTION] Une machine qui fabrique des moulures allongées ayant une surface plate d'un côté, une surface décorative de l'autre côté et un profil transversal, la machine comportant : une table ayant une face supérieure allongée, plane, continue et lisse, un axe longitudinal, une zone d'entrée, une zone centrale et une zone de sortie, la table servant à supporter un noyau de moulure en mousse souple sur ladite surface plate tandis que le noyau glisse le long de l'axe longitudinal; un mécanisme d'alignement, dans la zone d'entrée, pour aligner le noyau en mousse sur l'axe longitudinal; une première enceinte d'enrobage dans la zone centrale ayant : un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau; des parois latérales et une paroi qui comprend une première filière de profilage, la première filière de profilage ayant une ouverture dont le profil est proportionnellement plus grand que le profil transversal du noyau de la moulure, l'ouverture de la filière correspondant au profil transversal voulu; et un mécanisme d'entraînement pour entraîner le noyau en mousse dans l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau s'engageant en glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage, et pour entraîner le noyau enrobé d'une première couche à travers l'ouverture de la première filière de profilage jusqu'à la zone de sortie de la face supérieure de la table.
[8] Driangle fabrique des moulures décoratives :
a) en utilisant un noyau en mousse dont le profil transversal est proportionnellement plus petit que le profil transversal du produit fini;
b) en fixant un treillis de renforcement sur la surface décorative du noyau en mousse avant l'enrobage;
c) en faisant passer la surface décorative recouverte de treillis par une enceinte d'enrobage, laquelle a une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau, des parois latérales et une paroi avant qui comprend une filière de profilage;
d) en utilisant une filière de profilage qui est une plaque amovible dont l'ouverture a un profil proportionnellement plus grand que le profil transversal du noyau en mousse. L'ouverture de la filière correspond au profil transversal voulu pour la moulure décorative enrobée;
e) en faisant sécher le produit d'enrobage une fois la moulure sortie de la filière de profilage.
[9] Toute personne versée dans l'art sait que plusieurs types de produits d'enrobage peuvent être utilisés dans l'enceinte d'enrobage pour recouvrir les moulures décoratives, pour autant que le produit fini, après séchage de l'enrobage, soit lisse et ait une belle apparence.
[10] Le 17 mars 1998, Driangle a vendu ses premières moulures décoratives enrobées en usine, produites grâce à la méthode et à la machine décrites ci-dessus. Driangle se sert toujours de cette méthode et de cette machine.
LA POSITION DES PARTIES
[11] On peut résumer la position des demanderesses comme suit. Ned Santarossa a mis au point un système automatisé qui permet la production industrielle en série de moulures à noyau en mousse enrobées en usine. Ses travaux ont abouti au brevet Canamould, qui décrit et revendique une méthode et une machine de son invention. Les machines et les méthodes antérieures utilisées pour la fabrication de moulures décoratives enrobées n'étaient pas automatisées et n'enrobaient pas les moulures décoratives en les faisant passer dans une enceinte d'enrobage comme le prévoit la méthode du brevet Canamould. Pour passer des anciennes façons de faire aux nouvelles méthode et machine de Canamould, l'inventeur a dû faire preuve d'imagination.
[12] M. Santarossa a cédé ses droits sur le brevet Canamould à la société à numéro, qui a, à son tour, conclu un contrat de licence avec Canamould pour la mise en oeuvre de l'invention.
[13] Vic Nonis est un directeur de Lido Wall Systems (Lido), important entrepreneur spécialisé dans les revêtements de stucco de la région de Toronto. Après avoir utilisé pendant un certain temps les moulures décoratives enrobées en usine de Canamould sur ses chantiers, M. Nonis a contacté M. Angelo Rao dans l'idée de former une nouvelle entreprise pour la production de telles moulures. En juin 1997, Vic Nonis et Angelo Rao ont constitué la société Driangle, entreprise de production en série de moulures décoratives enrobées en usine. Toujours en juin 1997, Driangle a obtenu une copie de la demande de brevet Canamould. En janvier 1998, Driangle a construit son premier prototype. Elle a vendu ses premières moulures décoratives enrobées en usine à Lido. Driangle fabriquait des moulures enrobées en usine de profils très semblables, pour ne pas dire identiques, à ceux de Canamould. Driangle est le principal concurrent de Canamould. Les demanderesses prétendent que la méthode et la machine de Driangle contiennent tous les éléments des revendications du brevet Canamould, qu'elles violent.
[14] On peut résumer la position de la défenderesse comme suit. Au printemps 1997, on a demandé à M. Rao d'étudier l'opportunité d'établir une usine de fabrication en série de moulures décoratives enrobées. M. Rao a conclu qu'il existait une possibilité d'affaires pour le produit : le système EIFS utilisé dans les grandes et luxueuses demeures pourrait également l'être dans les maisons ordinaires. Dans cette perspective, M. Rao a constitué la société Driangle et a conçu une machinerie pour produire des moulures décoratives enrobées. Les techniques de construction utilisées pour la conception de la machinerie étaient courantes. Comme M. Rao, M. Santarossa a senti cette possibilité d'affaires et a conçu une machinerie, pour laquelle il a obtenu un brevet.
[15] La défenderesse soutient que M. Santarossa n'a pas cédé ses droits sur son brevet avant le 26 août 1996, soit plus de deux ans après la signature du contrat, en date du 15 novembre 1993, entre la société à numéro et Canamould. Cette dernière est constituée erronément partie dans la présente action puisque le contrat, en date du 15 novembre 1993, est le seul contrat de licence liant les demanderesses.
[16] La machine de Driangle est très différente de celle décrite et revendiquée dans le brevet et ne viole aucune des revendications. À la date de la revendication, la méthode et la machine décrites au brevet étaient raisonnablement prévisibles et constituaient une évolution logique des techniques existantes. Il existait un nombre limité de possibilités pour parvenir au résultat voulu, et le brevet en présente une. La méthode et la machine divulguées dans le brevet sont évidentes et les revendications y afférentes sont par conséquent invalides. Aucune revendication valide n'a été violée.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[17] Quatre questions doivent être tranchées :
1. Canamould peut-elle, en tant que porteur de licence, se réclamer du brevet?
2. Quelle interprétation doit-on donner des revendications que les demanderesses disent avoir été violées par Driangle, à savoir les revendications 1, 2, 3, 6, 9, 10, 11, 14, 16 et 17 du brevet Canamould?
3. La méthode et la machine utilisées par Driangle pour la fabrication des moulures décoratives sont-elles couvertes par une revendication ou plusieurs revendications parmi les revendications 1, 2, 3, 6, 9, 10, 11, 14, 16 ou 17, interprétées par la Cour, du brevet de Canamould?
4. Le brevet Canamould original ou le brevet Canamould redélivré est-il invalide au motif qu'il était prévisible ou évident étant donné les connaissances générales courantes (notamment le bâti d'enduction de Dryvit divulgué au document 15, en date du 20 août 1980, présenté par la défenderesse) et l'existence, au Canada, de brevets antérieurs ou de demandes de brevet déposées à la date de la revendication, le 28 août 1995?
LA PREUVE
[18] Ned Santarossa est le président-directeur général de Canamould et le directeur général de la société à numéro. En 1984, après avoir été employé dans le domaine de l'informatique, M. Santarossa a commencé à travailler à son compte en tant qu'entrepreneur général dans l'industrie de la construction. Même s'il a, pendant une brève période, participé à un autre projet avec plusieurs associés, il s'est surtout investi dans son entreprise, Walltech Plastering (Walltech). Celle-ci se spécialise dans l'application de revêtements de stucco sur l'extérieur des maisons et des édifices commerciaux. Walltech utilise le système EIFS.
[19] Les noyaux en mousse utilisés par Walltech pour les moulures étaient fournis par le fabricant et avaient entre ½ et 3 à 4 pouces d'épaisseur. Sur le chantier, ces noyaux étaient coupés en tronçons et superposés pour créer des moulures décoratives. Les travailleurs appliquaient un enrobage de base à la truelle, fixaient sur cette base un treillis de fibre de verre et terminaient l'enrobage à la truelle pour obtenir un fini lisse. M. Santarossa trouvait la production de moulures sur le chantier très coûteuse et a donc commencé à chercher d'autres options. En 1993, il a appris l'existence de la société Giotto (Giotto), entreprise qui enrobait les noyaux en mousse en passant plusieurs fois une filière de profilage sur une moulure posée sur une table. Walltech a acheté des moulures enrobées de Giotto, mais M. Santarossa les trouvait frustes, lourdes et encombrantes. Il a cependant trouvé le concept intéressant et la solution résidait, selon lui, dans l'automatisation et la production en série. S'intéressant à ces questions, il a entendu parler de M. Arnold Guettler, de Neoform Corp., qui affirmait détenir une machine qui enrobait à grande vitesse les moulures.
[20] Grâce à M. Santarossa, la société à numéro a pris contact avec M. Guettler pour que celui-ci lui fournisse sa machinerie et sa technique. Le 30 novembre 1993, la société à numéro et M. Guettler ont signé un contrat de licence, daté du 28 octobre 1993. M. Guettler devait fournir en novembre 1993 l'équipement et les données techniques pour la production en série de profilés en mousse enrobés en usine.
[21] Canamould a été constituée en personne morale et, le 15 novembre 1993, elle a conclu avec la société à numéro un contrat de licence l'autorisant à utiliser le procédé. Canamould a loué un espace de 14 000 pieds carrés pendant cinq ans pour l'exploitation de l'entreprise.
[22] M. Guettler n'a pas rempli sa promesse. L'entreprise à numéro n'a, en fin de compte, rien reçu de lui et n'a pas réussi à se faire rembourser les 30 000 $ qu'elle lui avait payés. M. Santarossa a néanmoins poursuivi son idée d'automatiser la production des moulures enrobées en usine. Connaissant la technique du bâti d'enduction, il a décidé de prendre les choses en mains, et a mis au point un profileur mobile automatisé. Il a ensuite contacté Clark Machine pour la fabrication de ce profileur. La machine, conçue pour passer au-dessus d'un noyau en mousse fixe, a été prête en février 1994. Elle comprenait un dispositif de fixation à un bras d'entraînement mobile sur un chariot, des filières et une trémie. Elle ne fonctionnait pas bien. L'enrobage n'était pas régulier, le noyau n'était pas aligné et le profileur devait passer de nombreuses fois pour enrober les moulures. Le produit fini était fruste, lourd, encombrant et fragile. La plupart de ces moulures ont dû être jetées. Dans une bonne journée, la production n'excédait pas de 300 à 320 pieds linéaires de moulures utilisables.
[23] En avril, M. Santarossa a débranché la machine. Il est retourné à sa planche à dessin et a repensé la machine pour en éliminer les problèmes. Cette fois, il est allé chez Clark Machine avec le plan d'un profileur fixe. En juillet 1994, la nouvelle machine était prête. Du ciment acrylique était versé dans une enceinte d'enrobage qui comportait une filière de profilage à l'avant et une autre à l'arrière. Deux rouleaux à l'avant de la machine poussaient le noyau en mousse non enrobé dans l'enceinte d'enrobage. Les bandes assuraient l'alignement en dirigeant le noyau vers la filière. Les noyaux en mousse étaient placés manuellement entre les bandes, lesquelles transportaient le noyau dans la première enceinte où le noyau était enrobé. La filière du côté de la sortie enlevait l'excédent d'enrobage. Le profil transversal des filières était le même que celui des moulures. La filière traversée, une bande transporteuse amenait le noyau en mousse enrobé jusqu'au bout de la table, où une personne le prenait pour le faire sécher. Des améliorations ont été apportées à ce système en juillet et en août, particulièrement aux bandes : la table comportait désormais un transporteur sur toute sa longueur. La deuxième machine a donné des résultats beaucoup plus concluants, la production quotidienne atteignant environ 2400 pieds linéaires.
[24] Pour financer son invention. M. Santarossa a hypothéqué sa résidence, utilisé les revenus de Walltech et obtenu des subventions de l'État pour la technologie et l'amélioration de nouveaux produits. Il n'a divulgué son invention à personne. Clark Machine ainsi que tous ses employés ont signé des ententes de non-divulgation. Le 28 août 1995, il a déposé une demande de brevet aux États-Unis et, le 26 août 1996, il a cédé tous ses droits sur le brevet à la société à numéro, cession prenant effet le 28 juillet 1995.
[25] Les moulures sont devenues très populaires et ont permis aux constructeurs utilisant le système EIFS de décorer avec grande facilité, par comparaison, l'extérieur des résidences et des bâtiments. La réaction du marché a été positive. Les moulures enrobées en usine représentent de 92 à 95 pour 100 des ventes de Canamould, ventes réalisées surtout aux États-Unis et au Canada, mais aussi au Royaume-Uni, au Japon, à Hong Kong, aux Caraïbes, en Russie et en Allemagne de l'Est. La demande de brevet Canamould a été déposée au Canada le 27 août 1996. Le brevet a été publié le 1er mars 1997, délivré le 27 janvier 1998 et redélivré le 7 septembre 1999 à la société à numéro, le breveté.
[26] Depuis que Driangle a été constituée en société, en 1997, Angelo Rao en est le président. Driangle, qui utilise le système EIFS, conçoit et fabrique des profilés architecturaux enrobés en usine pour l'industrie de la construction. M. Rao exerce la profession d'ingénieur en mécanique. Il travaillait depuis 10 ans à la conception et à la fabrication de pièces pour l'industrie automobile quand, en 1994, KML Engineered Homes (KML), fabricant de maisons modulaires et préfabriquées, l'a contacté et lui a confié la mission de convertir le procédé de fabrication employé sur les chantiers en un procédé de fabrication en usine. C'est ainsi que, pour s'acquitter de sa mission, M. Rao a été amené à se renseigner sur le système EIFS et a entendu parler des moulures décoratives.
[27] Il a aussi rencontré M. Vic Nonis, directeur tant de KML que de Lido. M. Nonis lui a demandé d'examiner la possibilité de mettre sur pied une usine qui produirait en série des moulures décoratives. M. Rao a remarqué que le système EIFS était utilisé pour enjoliver les anciennes demeures, mais non pour les résidences ordinaires. Ce créneau constituait, selon lui, une possibilité d'affaires. Malgré l'existence d'entreprises comme Canamould, Plascrete et Design Mould, son opinion était que la plus grande partie du travail se faisait toujours manuellement. Il a senti que le moment était propice pour investir dans la recherche afin de mettre sur pied des installations industrielles pour la production en série de moulures.
[28] M. Rao savait que Canamould utilisait un procédé automatisé d'enrobage de moulures et avait vu le brevet Canamould lorsqu'il a, avec l'aide d'autres personnes, commencé à travailler sur une machine qui permettrait de produire en série des moulures enrobées. Même si la machine de Driangle est semblable à la machine de Canamould, M. Rao a relevé des différences. Dans la machine de Driangle, le noyau en mousse est muni d'une encoche sur sa surface plane et est aligné par une queue d'aronde qui fait toute la longueur de la table. La queue d'aronde est la surface de référence. Une bande à pointes entraîne le noyau en mousse vers une enceinte d'enrobage munie d'un puits et circule sur deux digues qui servent de racles pour éliminer le produit d'enrobage sur les bords de la moulure. La bande entraîne ensuite la moulure enrobée à l'extérieur. Les racles, ou digues, permettent au produit d'enrobage de tomber sous les moulures alors qu'elles avancent dans l'enceinte d'enrobage, mais empêchent le produit d'enrobage d'atteindre la surface plate de la moulure. Les racles empêchent aussi le produit d'enrobage de s'accumuler sur les bords du profilé. Le noyau en mousse est en contact avec la base et les côtés des digues.
[29] Le produit de Driangle est très semblable à celui de Canamould. Le produit d'enrobage peut varier et les coins extérieurs du bas de la moulure ont moins d'enrobage. Les produits de Driangle sont garantis s'ils font partie d'un projet Dryvit. Les prix peuvent varier mais, à tous autres égards, les produits sont, à toutes fins utiles, identiques.
LE DROIT EN MATIÈRE D'INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS
[30] Les arrêts connexes Free World Trust c. Électro Santé Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 168 (C.S.C.) (Free World Trust), et Whirlpool Corporation c. Camco Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 129 (C.S.C.) (Whirlpool), dégagent les principes applicables en matière d'interprétation des revendications. Ces principes sont résumés aux paragraphes suivants.
[31] Avant d'examiner les questions de validité et de contrefaçon, il faut interpréter le brevet. Pour ce faire, il convient de se reporter au jour de sa publication. LaLoi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi), et une interprétation en fonction de l'objet (ou interprétation téléologique) favorisent le respect de la teneur des revendications, ce qui favorise à son tour tant l'équité que la prévisibilité. En énonçant la portée du monopole, les revendications servent d'avis au public pour qu'il sache jusqu'où il peut aller en toute impunité. La teneur d'une revendication doit être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet. On ne doit interpréter les revendication ni littéralement ni sur la base de notions imprécises telles que l' « esprit de l'invention » . Plus on recherche l' « esprit » et l' « essentiel » de l'invention, moins les revendications remplissent leur fonction à l'égard du public. Les brevets sont, au sens de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I -21, des « règlements » et, à ce titre, ils méritent d'être interprétés de la façon qui est le plus susceptible d'assurer l'atteinte de leurs objectifs. L'interprétation de l'intention de l'inventeur manifestée dans la revendication du brevet doit être celle d'une personne versée dans l'art dont relève l'invention. La personne ordinaire versée dans l'art particulier dont relève le brevet n'est ni un grammairien ni un étymologiste et elle ne se livre pas à une analyse minutieuse et verbale du document.
[32] L'article 27 de la Loi régit le contenu des mémoires descriptifs. En contrepartie du monopole, l'inventeur a l'obligation de divulguer son invention. Il n'est pas obligé de revendiquer un monopole sur tous les éléments nouveaux, ingénieux et utiles divulgués dans le mémoire descriptif. La règle habituelle est que l'inventeur renonce à tout ce qui n'est pas revendiqué. On peut tenir compte du mémoire descriptif pour comprendre la signification d'un mot utilisé dans une revendication, mais pas pour augmenter ou diminuer la portée de la revendication telle qu'elle est libellée et donc comprise. Les revendications et la divulgation doivent être interprétées avec un esprit désireux de comprendre. On doit interpréter les mots choisis par l'inventeur conformément au sens que celui-ci voulait leur donner et de façon à favoriser l'atteinte de son objectif, que le libellé des revendications l'ait exprimé expressément ou tacitement. Cela étant, si l'inventeur s'est mal exprimé ou a autrement créé une limitation non nécessaire causant des difficultés, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Le public est en droit de se fonder sur les termes utilisés pour autant qu'il les interprète de façon juste et informée.
[33] Pour interpréter une revendication de façon éclairée et en fonction de l'objet, il faut distinguer les éléments essentiels de la revendication de ceux qui ne sont pas essentiels. Il n'y a pas contrefaçon si un élément essentiel est différent ou omis. Il peut cependant y avoir contrefaçon s'il y a remplacement ou omission d'éléments non essentiels. Un élément est réputé non essentiel et remplaçable soit (i) si, suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l'inventeur n'a manifestement pas voulu qu'il soit essentiel, soit (ii) si, à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l'art aurait constaté qu'un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l'invention, c'est-à-dire que, si le travailleur versé dans l'art avait alors été informé de l'élément décrit dans la revendication et de la variante et [TRADUCTION] « qu'on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière » , sa réponse aurait été affirmative.
[34] Dans l'arrêt Free World Trust, le juge Binnie s'est prononcé de la façon suivante au sujet de l'interchageabilité des éléments :
Dans ce contexte, je crois qu'il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat. Dans Improver Corp. c. Remington [Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181], le juge Hoffman a tenté de ramener l'essentiel de l'analyse proposée dans l'arrêt Catnic [Components Ltd. v. Hill and Smith Ltd., [1981] F.S.R. 60] à une série de questions concises, à la p. 182 :
[TRADUCTION]
(i) La variante influence-t-elle de façon appréciable le fonctionnement de l'invention? Dans l'affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :
(ii) Le fait que la variante n'influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l'invention aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l'affirmative :
(iii) L'expert du domaine conclurait-il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu'une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l'invention? Dans l'affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.
[35] Même s'il est injuste de permettre qu'un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet, il incombe au breveté d'établir une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, le terme ou le mot descriptif figurant dans la revendication doit être considéré comme essentiel, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité.
[36] L'interprétation des revendications est une question de droit et est du ressort exclusif du juge de première instance : Dableh c. Ontario Hydro (1996), 68 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.). La règle générale est que les éléments de preuve extrinsèques sont irrecevables pour interpréter une description de brevet, mais la preuve d'expert peut être admise pour expliquer la signification des termes utilisés et déterminer l'état des connaissances usuelles et de l'art à la date du brevet : Free World Trust; Nekoosa Packaging Corp. c. United Dominion Industries Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 470 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Janssen Pharmaceutical Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 410 (C.A.F.); Airseal Controls Inc. c. M & I Heat Transfer Products Ltd. (1997), 77 C.P.R. (3d) 126 (C.A.F.).
LE BREVET CANAMOULD
[37] Tant les demanderesses que la défenderesse ont fait témoigner des experts. Kevin Day, expert des demanderesses, possède une vaste expérience et expertise en matière d'EIFS. Cela n'est pas sans importance parce qu'on ne connaît pas de fabricant de moulures décoratives enrobées en usine qui ne soit pas lié aux industries du stucco ou de l'EIFS. M. Day a témoigné avec franchise, mais a semblé défendre avec un zèle exagéré une interprétation du brevet favorable à la position des demanderesses. Sab Ravalli, l'expert de la défenderesse, a des compétences exceptionnelles, mais non dans le domaine des industries de l'EIFS ou du stucco. Lorsqu'il était enfant et adolescent, il a acquis de l'expérience pratique en aidant son père ouvrier à créer des moulures intérieures en plâtre, mais il n'a jamais travaillé avec les moulures décoratives à noyau en mousse. Son domaine d'expertise est la mécanisation et l'automatisation de processus de fabrication hautement sophistiqués. Cela ne veut pas dire que le témoignage de M. Ravalli n'ait servi à rien. Il était un témoin imposant, mais j'ai eu la nette impression qu'il n'avait pas toutes les connaissances d'une personne versée dans l'art en ce qui concerne la production des moulures décoratives. Bien que les deux témoins aient fourni une aide inestimable, il revient au bout du compte à la Cour d'interpréter les revendications.
[38] En l'espèce, les revendications indépendantes sont les revendications 1 et 9. Toutes deux ont été reproduites aux paragraphes 6 et 7 des présents motifs mais, par souci de commodité, je les retranscris à nouveau.
[TRADUCTION]
1. Une méthode de fabrication de moulures décoratives allongées ayant une surface décorative et dont les étapes sont les suivantes :
a) placer la surface plate d'un noyau de moulure en mousse
allongée sur une zone d'entrée d'une table allongée à surface plate, le noyau en mousse étant composé d'un corps de mousse polymère souple et expansée, ce noyau ayant : une surface plate d'un côté; une surface décorative de l'autre côté et un profil transversal, le profil transversal du noyau étant proportionnellement plus petit que le profil transversal voulu de la moulure décorative finale, la table comprenant une face supérieure plane, continue et lisse et un axe longitudinal;
b) aligner le noyau en mousse sur l'axe longitudinal de la table;
c) faire glisser le noyau en mousse le long de l'axe sur la face supérieure de la table vers l'avant à travers une enceinte d'enrobage, celle-ci ayant : un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau; des parois latérales et une paroi avant qui comprend une filière de profilage, la filière ayant une ouverture proportionnellement plus grande que le profil transversal du noyau de la moulure, l'ouverture de la filière correspondant au profil transversal voulu;
d) appliquer un produit liquide d'enrobage sur la surface décorative du noyau de la moulure pendant que le noyau en mousse passe à travers l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage;
e) faire passer la moulure enrobée à travers la filière de profilage qui s'ouvre sur la zone de sortie sur la face supérieure de la table;
f) faire sécher le produit d'enrobage une fois la moulure sortie de la filière de profilage.
9. Une machine qui fabrique des moulures allongées ayant une surface plate d'un côté, une surface décorative de l'autre côté et un profil transversal, la machine comportant : une table ayant une face supérieure allongée, plane, continue et lisse, un axe longitudinal, une zone d'entrée, une zone centrale et une zone de sortie, la table servant à supporter un noyau de moulure en mousse souple sur ladite surface plate tandis que le noyau glisse le long de l'axe longitudinal; un mécanisme d'alignement, dans la zone d'entrée, pour aligner le noyau en mousse sur l'axe longitudinal; une première enceinte d'enrobage dans la zone centrale ayant : un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau; des parois latérales et une paroi qui comprend une première filière de profilage, la première filière de profilage ayant une ouverture dont le profil est proportionnellement plus grand que le profil transversal du noyau de la moulure, l'ouverture de la filière correspondant au profil transversal voulu; et un mécanisme d'entraînement pour entraîner le noyau en mousse dans l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau s'engageant en glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage, et pour entraîner le noyau enrobé d'une première couche à travers l'ouverture de la première filière de profilage jusqu'à la zone de sortie de la face supérieure de la table.
[39] La revendication 1 décrit la méthode de fabrication des moulures décoratives allongées ayant une surface décorative et en énumère les différentes étapes. La revendication 9 décrit une machine conçue spécialement pour fabriquer des moulures allongées ayant une surface plate d'un côté et une surface décorative de l'autre. Il s'agit d'une machine particulière qui fabrique un produit précis. Cette machine comprend différentes parties.
[40] En ce qui concerne l'interprétation de la revendication, le point litigieux entre les parties a trait au sens à donner à la description de la surface de la table, qui est plate, lisse, continue et plane. Il est bien établi qu'on peut tenir compte des mots utilisés à la revendication 9 pour aider à interpréter la revendication 1.
[41] La revendication 1, interprétée, décrit une méthode qui consiste à placer la surface plate de la moulure à noyau en mousse sur la surface plate de la table; à aligner la moulure dans le sens de la longueur; à faire glisser la moulure à travers une enceinte d'enrobage, celle-ci ayant un fond défini par la face supérieure de la table, une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau, des parois latérales et une paroi avant qui contient une filière dont l'ouverture correspond au profil transversal de la moulure et est proportionnellement plus grande que le profil; à appliquer un produit liquide d'enrobage sur la surface décorative de la moulure en même temps que celle-ci glisse à travers l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage; à faire passer la moulure enrobée à travers la filière s'ouvrant sur la zone de sortie de la table et, enfin, à faire sécher le produit d'enrobage.
[42] La revendication 9, interprétée, décrit une machine qui sert à fabriquer des moulures décoratives ayant une surface plate d'un côté, une surface décorative de l'autre et un profil transversal. La machine comprend une table, un mécanisme d'alignement pour aligner sur la table le noyau en mousse dans le sens de la longueur; une enceinte d'enrobage conforme à celle décrite à la revendication 1 et un mécanisme d'entraînement pour faire passer la moulure enrobée à travers l'enceinte d'enrobage par des moyens mécaniques.
[43] La table est décrite à la revendication 9 comme [TRADUCTION] « ayant une face supérieure allongée, continue et lisse, un axe longitudinal, une zone d'entrée, [une zone centrale] et une zone de sortie, la table servant à supporter un noyau de moulure en mousse souple sur ladite surface plate tandis que le noyau glisse le long de l'axe longitudinal » . Il y a un différend quant à l'interprétation du terme « table » .
[44] La défenderesse adopte une interprétation strictement littérale et prétend que les termes « plate, lisse, continue et plane » sont des termes usuels facilement compréhensibles et ne possèdent pas une signification particulière propre à l'industrie de l'EIFS. Ces termes s'appliquent à la face supérieure de la table. La propulsion et les interruptions ne sont pas couvertes par la définition de la table, telle qu'elle est rédigée. Si l'on interprète de façon raisonnable et téléologique les termes utilisés pour décrire la table, celle-ci doit être complètement plate, lisse, continue et plane.
[45] À l'inverse, les demanderesses s'appuient sur l'objet exprimé de la table : supporter et protéger le noyau de mousse au fur et à mesure qu'il glisse sur la surface. Se reportant à l'objet de la revendication, les demanderesses interprètent les termes descriptifs employés comme voulant dire que la table a une surface plate, plane et lisse pour permettre à un noyau en mousse souple de glisser, d'être protégé et d'être supporté et une surface continue pour permettre le déplacement ininterrompu du noyau en mousse et supporter et protéger le noyau de mousse pendant sa progression.
[46] À mon avis, l'interprétation proposée par la défenderesse est excessivement restrictive et celle de la demanderesse est trop large. En plus de la définition fournie dans la revendication, la divulgation contient des renvois qui permettent de mieux comprendre l'interprétation de l'inventeur. Les passages suivants sont tirés de la partie de la divulgation de l'invention qui contient les renvois aux illustrations :
[TRADUCTION] Dans certains cas, il s'est avéré nécessaire d'utiliser des rouleaux pour exercer une pression sur le noyau en mousse afin que celui-ci reste en contact avec la face supérieure de la table, mais lorsque les transporteurs d'entrée ont une surface de caoutchouc, la friction du noyau avec le transporteur maintient en place le noyau en mousse [¼].
La surface de la bande transporteuse est en caoutchouc ou en un autre matériau élastique et adhérent pour maintenir en place le noyau en mousse contre la surface plate de la table et entraîner le noyau dans l'enceinte.
[47] De plus, la revendication précise que l'enceinte d'enrobage a un fond défini par la face supérieure de la table, et que l'application du produit d'enrobage nécessite que la surface plate de la moulure soit en contact avec la face supérieure de la table. Toutefois, la description mentionne aussi des chevilles de positionnement, illustrées à la figure 3, et la possibilitéde placer un transporteur de sortie sur la surface de la table.
[48] Si j'interprète « table » de façon téléologique et contextuelle, je conclus que la table est plate, lisse, continue et plane, conformément au sens courant de ces termes, de la zone d'entrée qui supporte le noyau de mousse jusqu'à la zone de sortie du noyau, en passant par l'enceinte d'enrobage. En d'autres mots, cette partie de la table est ininterrompue. Cette interprétation vaut tant pour la revendication 1 que pour la renvendication 9.
[49] Les autres revendications sont faciles à comprendre. Comme dit plus tôt, les revendications 2 à 8 dépendent de la revendication 1 et les revendications 10 à 18 dépendent de la revendication 9. Les revendications dépendantes sont exposées ci-dessous. Les revendications 4, 5, 7, 8, 12, 13 et 18 ne sont pas en litige.
[TRADUCTION]
2. Une méthode conforme à celle décrite à la revendication 1, selon laquelle l'ouverture de la filière de profilage est biseautée s'agrandissant vers l'arrière, l'ouverture arrière de la filière étant proportionnellement plus grande que l'ouverture avant de la filière.
3. Une méthode conforme à celle décrite dans la revendication 1, selon laquelle la filière de profilage est un plateau amovible.
4. Une méthode conforme à celle décrite dans la revendication 1, selon laquelle l'enceinte d'enrobage a une face supérieure ouverte.
5. Une méthode conforme à celle décrite dans la revendication 4, selon laquelle l'étape de l'application du produit d'enrobage comprend le lissage de l'enrobage sur la surface décorative du noyau en mousse.
6. Une méthode conforme à celle décrite dans la revendication 1, selon laquelle, avant de placer le noyau sur la table, il faut fixer un treillis de renforcement sur la surface décorative du noyau..
7. Une méthode conforme à celle décrite dans la revendication 1, qui comprend ces étapes additionnelles :
g) faire glisser le noyau de mousse enrobé par une première couche sur la face supérieure de la table le long de l'axe à travers une deuxième enceinte d'enrobage, celle-ci ayant un fond défini par la face supérieure de la table, une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau enrobé par une première couche, des parois latérales et une paroi avant qui comprend une deuxième filière, la deuxième filière ayant une ouverture proportionnellement plus grande que le profil transversal du noyau de moulure enrobé par une première couche et correspondant au profil transversal voulu;
h) appliquer un deuxième produit d'enrobage sur la surface décorative séchée qui a reçu une première couche d'enrobage pendant que le noyau de mousse glisse à travers une deuxième enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du deuxième produit d'enrobage;
i) faire passer le noyau en mousse enrobé de deux couches à travers l'ouverture d'une deuxième filière donnant sur la zone de sortie de la face supérieure de la table;
j) faire sécher le deuxième produit d'enrobage une fois la moulure sortie de la deuxième filière.
8. Une méthode conforme à celle décrite dans la revendication 1, qui comprend ces étapes additionnelles : faire glisser le noyau de mousse enrobé sur la face supérieure de la table le long de l'axe à travers une enceinte de séchage, celle-ci ayant un fond défini par la face supérieure de la table.
10. Une machine conforme à celle décrite dans la revendication 9, selon laquelle l'ouverture de la filière est biseautée, plus grande vers l'arrière, l'ouverture à l'arrière de la filière étant proportionnellement plus grande que l'ouverture à l'avant de la filière.
11. Une machine conforme à celle décrite dans la revendication 9, selon laquelle la première filière de profilage est un plateau amovible.
12. Une machine conforme à celle décrite dans la revendication 9, selon laquelle la première enceinte d'enrobage a une face supérieure ouverte.
13. Une machine conforme à celle décrite à la revendication 9, qui comprend aussi une deuxième enceinte d'enrobage, dans la zone centrale à l'arrière de la première enceinte d'enrobage, la deuxième enceinte ayant un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du premier noyau enrobé; des parois latérales et une paroi avant qui comprend une deuxième filière, la deuxième filière ayant une ouverture dont le profil est proportionnellement plus grand que le profil transversal du noyau de moulure ayant reçu une première couche d'enrobage, l'ouverture de la deuxième filière correspondant au profil transversal voulu.
14. Une machine conforme à celle décrite à la revendication 9, dont le mécanisme d'entraînement comprend un transporteur.
15. Une machine conforme à celle décrite à la revendication 14, dont la bande transporteuse est élastique et adhérente.
16. Une machine conforme à celle décrite à la revendication 14, qui comprend une bande transporteuse d'entrée ayant son propre mécanisme d'entraînement et une bande transporteuse de sortie indépendante ayant son propre mécanisme d'entraînement.
17. Une machine conforme à celle décrite à la revendication 16, dont les mécanismes d'entraînement (entrée/sortie) comportent chacun une transmission par engrenages.
18. Une machine selon la revendication 16, dont les mécanismes d'entraînement (entrée/sortie) comportent chacun une transmission par chaîne.
[50] Me fondant sur les principes de droit exposés aux paragraphes 33 et 34 des présents motifs et m'étant penchée sur la question de l'interchangeabilité des éléments de la façon décrite à ces paragraphes, je conclus que les éléments essentiels de la revendication 1 sont la table, l'alignement et l'enceinte d'enrobage. Les éléments essentiels de la revendication 9 sont la table, l'alignement, l'enceinte d'enrobage et le mécanisme d'entraînement.
LA CONTREFAÇON
[51] L'article 42 de la Loi confère au titulaire d'un brevet le droit d'empêcher, pour la durée du brevet, d'autres personnes de fabriquer, construire, exploiter ou vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention. Il s'agit d'un monopole que le législateur accorde à l'inventeur qui divulgue l'invention au public : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser (2002), 21 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F).
[52] Une fois que les revendications sont interprétées, on peut décider s'il y a contrefaçon en comparant l'article argué de contrefaçon avec les termes employés dans les revendications. Il y a contrefaçon si l'article comprend tous les éléments essentiels d'au moins une des revendications du brevet : Free World Trust. Une simple constatation de similarité ne suffit pas pour étayer une conclusion de contrefaçon. De manière générale, le fait qu'une machine soit semblable, quant à son usage et à sa nature, à l'appareil décrit dans le brevet ne permet pas de conclure à la contrefaçon : Visx Inc. c. Nidek Co. (1999), 3 C.P.R. (4th) 417 (C.F. 1re inst.), décision confirmée à (2001), 16 C.P.R. (4th) 251 (C.A.F.). La tâche de déterminer s'il y a eu contrefaçon d'une revendication est « essentiellement une question de fait » : TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 176 (C.A.F.).
[53] La preuve a révélé les différences importantes suivantes entre la table de Driangle et la table de Canamould : la barre en forme de queue d'aronde placée le long de l'axe de symétrie de la table, la bande à pointes utilisée conjointement avec la queue d'aronde pour faire avancer les moulures le long de la table, le puits et les racles ou digues dans la zone centrale de la face supérieure de la table, les puits d'eau dans la zone de sortie de la table et les bandes à pointes additionnelles dans la zone de sortie de la table. À mon avis, la question de la contrefaçon peut être tranchée uniquement sur la base des caniveaux et des racles. Le fond de l'enceinte d'enrobage de la machine de Driangle n'est pas défini par la face supérieure de la table. En-dessous, il y a un puits ou un caniveau. Le caniveau fonctionne conjointement avec les deux digues ou racles, qui sont placées au fond de l'enceinte d'enrobage. Le noyau de mousse qui traverse l'enceinte d'enrobage se déplace sur les racles ou digues. Les racles ou digues supportent le noyau de mousse qui est dirigé dans l'enceinte d'enrobage et les racles et le puits protègent la surface plate du noyau en mousse du produit d'enrobage. Étant donné l'interprétation du terme « table » donnée au paragraphe 48, la table de Driangle ne viole aucun élément essentiel des revendications 1 ou 9. Puisqu'il n'y a pas contrefaçon de ces revendications, il ne peut pas non plus y avoir violation des revendications dépendantes 2, 3, 6, 10, 11, 14, 15, 16 et 17. Comme cette conclusion dispose de la question de la contrefaçon, je m'abstiens d'exprimer toute opinion sur la question de savoir si la queue d'aronde et les bandes à pointes constituent des « caractéristiques secondaires » .
LA VALIDITÉ
[54] Dans sa défense, la défenderesse nie qu'il y ait contrefaçon et ajoute que le brevet Canamould est invalide pour cause de prévisibilité et d'évidence. En demande reconventionnelle, Driangle cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant que le brevet Canamould, le brevet Canamould redélivré et chacune des revendications relevées sont invalides.
[55] Même s'il y a des renvois à six inventions antérieures, deux seulement ont été invoquées : le brevet allemand 29 04 326 (9 août 1979), auquel on renvoie partout comme étant le brevet Reiger, et le bâti d'enduction de Dryvit, divulgué dans un document daté du 20 août 1980. Le brevet Reiger divulgue une méthode d'enrobage de noyau en mousse pour fabriquer des moulures décoratives à l'aide d'une filière mobile qui circule le long de l'axe longitudinal du noyau en mousse. La technique employée est semblable aux techniques d'application d'un fini traditionnel de plâtre sur le chantier avec un profil découpé qu'on passe sur une surface de plâtre humide. On manie à la main cet instrument et il est nécessaire de passer plusieurs fois la filière sur le noyau en mousse. Le document sur le bâti d'enduction de Dryvit divulgue un « bâti d'enduction » servant à appliquer un adhésif sur les panneaux isolants utilisés dans un système EIFS. Les panneaux de mousse sont poussés manuellement sous une plaque distributrice pour permettre d'appliquer des rubans d'adhésif sur le côté des panneaux qui sera fixé à un mur EIFS.
[56] Selon le paragraphe 43(2) de la Loi, un brevet canadien délivré et en cours de validité est, sauf preuve contraire, réputé valide. La présomption législative de validité est exprimée en termes faibles et ajoute peu au fardeau qui incombe normalement à la partie qui attaque le brevet : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2002), 21 C.P.R. (4th) 499 (C.S.C.).
[57] L'alinéa 28.2a) de la Loi prévoit qu'un brevet est invalide pour cause de prévisibilité lorsque l'invention a été divulguée au public par une personne autre que le demandeur ou une personne qui a entendu parler de l'invention par le demandeur de telle sorte que l'invention est devenue publique à un moment quelconque avant la date de priorité (en l'espèce, le 28 août 1995).
[58] Dans l'arrêt Free World Trust, la Cour suprême a souscrit à l'affirmation suivante :
Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.
[59] Il faut examiner un à un chacun des documents que l'on prétend être antérieur. Il n'est pas permis de rassembler différentes parties de différents documents afin de former une mosaïque : Beloit Canada Inc. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) (arrêt Beloit).
[60] Bien que la défenderesse ait invoqué la prévisilité, elle n'a pas apporté d'arguments à l'appui de cette prétention et, quoi qu'il en soit, la preuve indique qu'il n'existait, avant l'invention divulguée dans le brevet Canamould, ni méthode automatisée, ni méthode utilisant une enceinte fixe pour enrober en usine des noyaux en mousse. Le brevet Canamould n'est pas invalide pour cause de prévisibilité.
[61] L'article 28.3 de la Loi prévoit qu'une invention revendiquée ne doit pas être évidente. Cet article a codifié le vieux principe selon lequel une invention n'est pas brevetable si elle est évidente. Le critère servant à déterminer si une invention est évidente, critère antérieur à la Loi, est toujours appliqué par les tribunaux : Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd. (2001), 13 C.P.R. (4th) 193 (C.F. 1re inst.), décision infirmée pour d'autres motifs (2002), 17 C.P.R. (4th) 478 (C.A.F.); Norac Systems International Inc. c. Prairie Systems and Equipment Ltd. (2002), 19 C.P.R. (4th) 360 (C.F. 1re inst.); Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2000 CFPI 1138, [2002] A.C.F. no 1540 (C.F. 1re inst.).
[62] Dans l'arrêt Beloit, la Cour a énoncé une fois de plus ce critère :
Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
[63] La Cour s'est ensuite penchée sur la question de la preuve d'expert et a dit qu'elle est admissible, mais a recommandé de l'utiliser avec beaucoup de circonspection car
[u]ne fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela » ; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »
[64] Se servant des connaissances générales courantes du domaine technique en cause, le technicien versé dans son art et dépourvu d'imagination doit regarder quelles techniques existaient, en prenant garde de ne pas s'engager dans une analyse a posteriori, et déterminer s'il aurait pu arriver à l'invention directement et facilement : Anderson c. Les Machineries Yvon Beaudoin Inc. (1994), 58 C.P.R. (3d) 449 (C.F. 1re inst.).
[65] Une analyse a posteriori n'est pas valable et doit donc être évitée :
[TRADUCTION] Rien n'est plus facile que de dire, après coup, que la chose était évidente et ne constituait pas une invention.
Je dois avouer que je considère avec méfiance les arguments voulant qu'une nouvelle combinaison, entraînant avec elle des conséquences nouvelles et importantes quant à la forme de machines, ne saurait être une invention car une fois qu'elle est établie, il est aisé de montrer comment on pourrait y arriver en partant d'éléments connus apparemment faciles. Cette analyse de l'invention a posteriori est injuste pour l'inventeur et, à mon avis, elle n'est pas admise par la loi anglaise sur les brevets.
The King c. Uhlemann Optical Co. (1949), 11 C.P.R. 26, page 46 (C. de l'É.)
Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 132, page 147 (C.F. 1re inst) (décision Cabot)
[66] Ce n'est pas parce qu'une invention semble simple qu'elle était évidente : Cabot. Quand une invention consiste en une combinaison particulière d'éléments, on ne peut pas décider s'il y a évidence en disséquant les éléments constituants de cette invention.
[67] Dans la décision Omark Industries (1960) Ltd. c. Gouger Chain Saw (1964), 45 C.P.R. 169 (C. de l'É.), le juge Noël, alors juge à la Cour de l'Échiquier, a dit :
[TRADUCTION] L'avocat des défenderesses [...] a présenté un schéma des inventions antérieures, en a fait un amalgame, montrant que certains éléments sont présents dans certaines inventions et pas dans d'autres, comme le travailleur ordinaire versé dans l'art a le droit de le faire, et que ces schémas indiquent que quelles que soient les différences entre le brevet en cause et les inventions antérieures, elles ne sont pas de nature inventive et ne peuvent faire l'objet d'un brevet valide [...]. Ici encore, je pourrais signaler qu'il n'est pas approprié d'examiner l'invention faisant l'objet du brevet en disséquant cette invention comme les défenderesses l'ont fait dans les schémas des inventions antérieures. En effet, comme je l'ai déjà dit, l'invention examinée repose sur la combinaison [...]. Maintenant, même si une invention peut être une mosaïque, on doit faire preuve de beaucoup de prudence lorsqu'on examine cette combinaison. Dans Albert Wood & Amcolite Ltd. c. Gowshall Ltd. (1936), 54 R.P.C. 37, le lord juge Greene a dit :
La dissection d'une combinaison en divers éléments et l'analyse de chacun d'eux pour savoir si son usage était évident ou non constituent, à notre avis, une méthode à appliquer avec une grande prudence, car elle tend à cacher le fait que la conception de la combinaison est normalement ce qui régit et précède le choix des éléments qui la composent et que le caractère évident ou autre de chaque acte de sélection doit généralement être analysé en fonction de cet aspect. La véritable question est, en définitive, la suivante : la combinaison est-elle évidente?
Il n'est donc pas permis de caractériser l'invention par une série de parties parce que l'invention a consisté à rassembler ces éléments [...].
[68] La défenderesse s'appuie grandement sur la preuve de son expert, M. Ravalli, pour étayer sa position en ce qui concerne l'évidence. J'ai déjà exprimé ma réserve quant à la capacité de M. Ravalli d'avoir le niveau de connaissance de la personne ordinaire versée dans l'art dont relève l'invention. Concernant la question de l'évidence, je doute aussi de sa méthode qui a consisté à examiner chacune des étapes du procédé, chacun des éléments isolés de chacune des revendications et chacune des revendications isolément. Comme il ressort des paragraphes précédents, les tribunaux ne préconisent pas cette méthode lorsqu'il s'agit de brevets de combinaison. L'avocat a largement suivi l'exemple de son expert à cet égard et une grande partie de son argumentation est axée sur cette « dissection » . Cette méthode ne m'a pas convaincue et je conclus que la défenderesse n'a pas, avec ce type d'analyse, établi que l'invention par combinaison des demanderesses était raisonnablement prévisible ou qu'une personne dépourvue d'imagination et versée dans l'art dont relève cette invention aurait pu parvenir directement et facilement à ce résultat.
[69] La défenderesse a aussi mentionné le fait que quelques mois seulement après la date de la revendication, l'usine de Dryvit, où M. Day travaillait à ce moment-là, a aussi testé une machine mécanisée. Sans présenter de preuve de la conception, de l'origine, du propriétaire ou de l'auteur de cette machine, elle a avancé que son existence additionnée à l'existence de la machine conçue par M. Rao en 1997 démontraient qu'un bon nombre de personnes indépendantes avaient décelé une « possibilité » et que le brevet n'était donc pas valide. Abstraction faite des questions de preuve, le brevet Canamould a précédé ces machines et le produit de Canamould a été fabriqué et commercialisé à partir du milieu de 1994. La date de la revendication du brevet Canamould est antérieure à celle de toutes ces machines conçues de façon « indépendante » auxquelles revoie la défenderesse.
[70] Le dernier argument au sujet de l'évidence a trait aux inventions antérieures (le brevet Reiger et le bâti d'enduction de Dryvit) et aux connaissances générales courantes. La défenderesse fait valoir que lorsqu'on examine ces deux éléments, l'invention des demanderesses était raisonnablement prévisible.
[71] Dans le brevet Reiger, le noyau en mousse est fixe et on ne peut pas le faire passer dans l'appareil. Il n'y a pas d'enceinte d'enrobage. Il y a plutôt une simple plaque munie d'une filière. La filière passe sur le noyau en mousse plusieurs fois, dans les deux directions, pour lui donner un fini lisse. Quant au bâti d'enduction de Dryvit, il sert à appliquer un adhésif plutôt qu'un enrobage lisse de base. L'adhésif est appliqué en rubans et il y a des espaces entre les rubans. Il s'agit d'une structure à trois côtés et non d'une enceinte d'enrobage. Le déplacement du noyau en mousse sous le rouleau d'application se fait à la main et l'enrobage n'est appliqué que sur le dessus du panneau, et non sur les côtés.
[72] Je suis d'accord avec le témomignage de M. Day selon lequel ne constitue pas une progression logique de la technique le fait de combiner la filière unique de Reiger, utilisée pour obtenir une surface décorative lisse, et son mouvement de va-et-vient avec la machine de Dryvit, qui applique des rubans ou bandes d'adhésif sur les panneaux en mousse qui la traversent. Je tiens aussi compte de l'observation de M. Day selon laquelle le système EIFS existait depuis longtemps et aurait pu être amélioré pour des raisons de compétitivité. L'industrie n'a pourtant ni imaginé ni adopté la méthode et la machine de Canamould avant l'invention qui a abouti au brevet Canamould.
[73] La preuve démontre qu'après la commercialisation de l'invention, Canamould est devenu le chef de file dans l'industrie et qu'il l'est toujours. Les moulures décoratives constituent la plus grande partie des produits fabriqués et vendus par Canamould. Elles sont produites conformément à l'invention. De plus, malgré sa sagacité, M. Ravalli a témoigné que même s'il n'était pas nécessaire d'être un génie pour inventer le produit de Canamould, il avait fallu faire preuve de créativité ou d'imagination pour passer des anciennes façons de faire à l'invention qui a abouti au brevet Canamould.
[74] Je conclus que le brevet Canamould est une invention à laquelle une personne dépourvue d'imagination et versée dans l'art ne pourrait arriver directement et facilement. Le brevet n'est pas invalide pour cause d'évidence.
LES AUTRES QUESTIONS
[75] On n'a pas contesté la redélivrance du brevet. Le brevet a été délivré le 27 janvier 1998 et redélivré le 7 septembre 1999. La modification a consisté à remplacer, à la revendication 1, le terme « produit d'enrobage cimentaire liquide » par le terme « produit d'enrobage liquide » . La déclaration initiale a été déposée le 22 avril 1999 et a été modifiée le 27 septembre 1999 pour inclure un renvoi au brevet redélivré. La déclaration a ensuite été modifiée sur consentement au début du procès, le 13 janvier, pour inclure un renvoi à une revendication identique tant dans le brevet original que dans le brevet redélivré. L'article 27 de la Loi permet la redélivrance des brevets.
[76] L'abandon d'un brevet ne prend effet qu'au moment de la délivrance du nouveau brevet. Dans toute action intentée soit avant soit après la redélivrance, on tient compte du nouveau brevet même s'il n'a pas été déposé de la façon prescrite. Dans toute instance en cours, toutes les parties du brevet qui restent inchangées sont réputées rester en vigueur. Pour que la cause d'action soit maintenue et non éteinte ou autrement touchée, il doit exister au moins une revendication identique dans le brevet original et dans le brevet redélivré : Warner-Lambert Co. c. Wilkinson Sword Canada Inc. (1988), 21 C.P.R. (3d) 145 (C.F. 1re inst.).
[77] En l'espèce, la revendication 9 est identique dans le brevet original et dans le brevet redélivré. La cause d'action est maintenue et non éteinte ou autrement touchée.
[78] La dernière question, celle de la licence, revient à savoir si Canamould est un porteur de licence qui peut « se réclamer » du breveté conformément au paragraphe 55(1) de la Loi. Il est admis que la société à numéro n'est pas constituée erronément partie demanderesse dans l'action. Vu ma conclusion sur la question de la contrefaçon, il n'est pas nécessaire de trancher cette question.
[79] L'action en contrefaçon est rejetée. La demande reconventionnelle dans laquelle on invoque l'invalidité est également rejetée. Les demanderesses sont en droit d'avoir un jugement déclaratoire portant que le brevet canadien numéro 2,184,205 original et le brevet redélivré sont valides et en vigueur et opposables à la défenderesse. Celle-ci, qui est la demanderesse dans la demande reconventionnelle, a le droit d'avoir un jugement déclaratoire portant que la machine de Driangle ne viole pas le brevet Canamould.
[80] Les avocats ont demandé que la question des dépens soit différée jusqu'au jugement. Je les encourage à essayer à s'entendre à l'amiable sur cette question et à se souvenir qu'ils ont tous eu, dans une certaine mesure, gain de cause. À défaut d'entente, ils devront signifier et déposer des observations écrites sur cette question dans un délai de 60 jours après la date du présent jugement. Ils devront signifier et déposer les réponses à ces observations dans un délai de 10 jours après la signification des premières observations ou de 70 jours après la date du présent jugement, au choix des avocats. Je demeure saisie de la présente affaire pour la décision sur les dépens.
« Carolyn Layden-Stevenson »
Juge
Fredericton (Nouveau-Brunswick)
Le 26 février 2003
Traduction certifiée conforme
Sandra Douyon de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-705-99
INTITULÉ : CANAMOULD EXTRUSION LTD. et al.
demanderesses
- et -
DRIANGLE INC.
défenderesse
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE LUNDI 13 JANVIER 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
DATE DES MOTIFS: le 26 février 2003
COMPARUTIONS :
Bruce W. Stratton
Michael C. Crinson
POUR LES DEMANDERESSES
Stephen M. Lane
L.E. Trent Horne
POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bruce W. Stratton
Michael C. Crinson
DIMOCK STRATTON CLARIZIO s.r.l.
Toronto (Ontario)
POUR LES DEMANDERESSES
Stephen M. Lane
L.E. Trent Horne
SIM, HUGHES, ASHTON & McKAY s.r.l.
Toronto (Ontario)
POUR LA DÉFENDERESSE
ANNEXE « A »
jointe aux
motifs de l'ordonnance en date du 26 février 2003
dans la décision
CANAMOULD EXTRUSIONS INC. et
888804 ONTARIO LIMITED
c.
DRIANGLE INC.
T-705-99
EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
Les parties
1. Tant le brevet canadien 2,184,205 (le « brevet Canamould original » ) que le brevet canadien redélivré 2,184,205 (le « brevet Canamould redélivré » ) indiquent que la demanderesse 888804 Ontario Limited (la société à numéro) est propriétaire du brevet.
2. En vertu d'une certaine licence que lui a consentie la société à numéro demanderesse, la demanderesse Canamould Extrusions Inc. (Canamould) fabrique et vend au Canada des moulures décoratives enrobées en usine.
3. La défenderesse, Driangle Inc. (Driangle), a été constituée en personne morale le 18 juin 1997. Driangle fabrique et vend au Canada des moulures décoratives enrobées en usine depuis au moins 1998.
4. Toutes les parties ont un bureau et un lieu d'affaires soit à Toronto (Ontario) soit dans les environs.
Les moulures décoratives
5. On fixe des moulures décoratives aux bâtiments comme ornementation. La photographie ci-dessous illustre un exemple d'emploi de telles moulures décoratives autour de fenêtres et de portes.
[photographie]
6. On utilise depuis de nombreuses années des moulures décoratives sur les revêtements extérieurs des bâtiments. Un composant interne commun de ce type de moulures est la mousse de polystyrène (PSE : polystyrène expansé). Un treillis en fibre de verre est habituellement appliqué sur le noyau en mousse avant l'enrobage de ce dernier.
7. Les moulures décoratives comprennent généralement un adhésif qui fixe la surface non enrobée de la moulure à la surface sur laquelle la moulure sera apposée.
Le brevet Cananould
8. La demande originale du brevet canadien no 2,184,205 a été déposée le 27 août 1996 et, le 27 janvier 1998, le brevet a été délivré au breveté 888804 Ontario Limited. Le brevet a été redélivré le 7 septembre 1999, toujours à 888804 Ontario Limited.
9. Le brevet Canamould porte sur une invention nommée « Installation de production de moulures décoratives et méthode connexe » et indique que Ned Santarossa en est l'inventeur.
10. Les revendications du brevet Canamould décrivent une méthode de fabrication de moulures décoratives (revendications 1 à 8) ainsi qu'une machine servant à fabriquer de telles moulures (revendications 9 à 16).
11. Le 7 septembre 1999, le brevet Canamould original a été redélivré sous le nom de brevet Canamould redélivré. La revendication 1 du brevet original Canamould a été modifiée : on a remplacé le terme « produit d'enrobage cimentaire liquide » par le terme « produit d'enrobage liquide » . Les autres revendications sont restées inchangées.
12. La revendication 1 du brevet redélivré de Canamould est rédigée comme suit :
[TRADUCTION]
Une méthode de fabrication de moulures décoratives allongées ayant une surface décorative et dont les étapes sont les suivantes :
a) placer la surface plate d'un noyau de moulure en mousse
allongée sur une zone d'entrée d'une table allongée à surface plate, le noyau en mousse étant composéd'un corps de mousse polymère souple et expansée, ce noyau ayant : une surface plate d'un côté; une surface décorative de l'autre côté et un profil transversal, le profil transversal du noyau étant proportionnellement plus petit que le profil transversal voulu de la moulure décorative finale, la table comprenant une face supérieure plane, continue et lisse et un axe longitudinal;
b) aligner le noyau en mousse sur l'axe longitudinal de la table;
c) faire glisser le noyau en mousse le long de l'axe sur la face supérieure de la table vers l'avant à travers une enceinte d'enrobage, celle-ci ayant : un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau; des parois latérales et une paroi avant qui comprend une filière de profilage, la filière ayant une ouverture proportionnellement plus grande que le profil transversal du noyau de la moulure, l'ouverture de la filière correspondant au profil transversal voulu;
d) appliquer un produit liquide d'enrobage sur la surface décorative du noyau de la moulure pendant que le noyau en mousse passe à travers l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage;
e) faire passer la moulure enrobée à travers la filière de profilage qui s'ouvre sur la zone de sortie sur la face supérieure de la table;
f) faire sécher le produit d'enrobage une fois la moulure sortie de la filière de profilage.
13. La revendication 1 du brevet redélivré de Canamould est rédigée comme suit :
[TRADUCTION]Une machine qui fabrique des moulures allongées ayant une surface plate d'un côté, une surface décorative de l'autre côtéet un profil transversal, la machine comportant : une table ayant une face supérieure allongée, plane, continue et lisse, un axe longitudinal, une zone d'entrée, une zone centrale et une zone de sortie, la table servant à supporter un noyau de moulure en mousse souple sur ladite surface plate tandis que le noyau glisse le long de l'axe longitudinal; un mécanisme d'alignement, dans la zone d'entrée, pour aligner le noyau en mousse sur l'axe longitudinal; une première enceinte d'enrobage dans la zone centrale ayant : un fond défini par la face supérieure de la table; une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau; des parois latérales et une paroi qui comprend une première filière de profilage, la première filière de profilage ayant une ouverture dont le profil est proportionnellement plus grand que le profil transversal du noyau de la moulure, l'ouverture de la filière correspondant au profil transversal voulu; et un mécanisme d'entraînement pour entraîner le noyau en mousse dans l'enceinte d'enrobage, la surface plate du noyau s'engageant en glissant sur la face supérieure de la table, étant ainsi protégée du produit d'enrobage, et pour entraîner le noyau enrobé d'une première couche à travers l'ouverture de la première filière de profilage jusqu'à la zone de sortie de la face supérieure de la table.
Les activités de Driangle
14. Driangle fabrique des moulures décoratives :
a) en utilisant un noyau en mousse dont le profil transversal est proportionnellement plus petit que le profil transversal du produit fini;
b) en fixant un treillis de renforcement sur la surface décorative du noyau en mousse avant l'enrobage;
c) en faisant passer la surface décorative recouverte de treillis par une enceinte d'enrobage, laquelle a une ouverture arrière plus grande que le profil du noyau, des parois latérales et une paroi avant qui comprend une filière de profilage;
d) en utilisant une filière de profilage qui est un plaque amovible dont l'ouverture a un profil proportionnellement plus grand que le profil transversal du noyau en mousse. L'ouverture de la filière correspond au profil transversal voulu pour la moulure décorative enrobée;
e) en faisant sécher le produit d'enrobage une fois la moulure sortie de la filière de profilage.
15. Toute personne versée dans l'art sait que plusieurs types de produits d'enrobage peuvent être utilisés dans l'enceinte d'enrobage pour recouvrir les moulures décoratives, pour autant que le produit fini, après séchage de l'enrobage, soit lisse et ait une belle apparence
La machinerie utilisée par Driangle
16. L'équipement utilisé par Driangle pour la fabrication des moulures décoratives enrobées en usine est montré dans les photographies suivantes.
[photographies]
Commercialisation du produit de Driangle
17. Le 17 mars 1998, Driangle a vendu ses premières moulures décoratives enrobées en usine, produites grâce à la méthode et à la machine décrites ci-dessus. Driangle se sert toujours de cette méthode et de cette machine.
Fait à Toronto (Ontario), le 20 décembre 2002
[signature de l'avocat des demanderesses]
[signature de l'avocat de la défenderesse]