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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Gagliano c. Canada (Procureur général) (C.F.) [2005] 3 C.F. 555

Date : 20050427

Dossier : T-2250-04

Référence : 2005 CF 576

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 AVRIL 2005

EN PRÉSENCE DE :           MADAME LE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                          L'HONORABLE ALFONSO GAGLIANO

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                               LA CHAMBRE DES COMMUNES

                                                           M. CHARLES GUITÉ

                                                                             

                                                                                                                                       défendeurs

                                                                            et

                            LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME

                         DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

                                                                                                                                    intervenante

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


INTRODUCTION

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la capacité d'un avocat de contre-interroger un témoin dans le cadre des travaux d'une commission d'enquête publique (la Commission Gomery), sur la foi de la déposition faite par le témoin dans le passé devant le Comité des comptes publics, un comité formé de députés. Selon la Commission Gomery, le privilège parlementaire s'applique à la déposition faite devant le comité et empêche de ce fait l'avocat de se servir de cette déposition lors du contre-interrogatoire.

[2]                La Cour doit examiner cette décision et déterminer si le privilège parlementaire empêche effectivement le contre-interrogatoire du témoin. Dans le cadre de cette analyse, elle doit tenir compte de considérations plus larges. Le privilège parlementaire met en relief des thèmes qui sont au coeur de notre démocratie constitutionnelle : le rôle que doit jouer chaque organe du gouvernement - l'organe législatif, l'organe exécutif et l'organe judiciaire - et le degré de retenue dont chacun de ces organes doit, en conséquence, faire preuve à l'égard des domaines légitimes de compétence des autres.


[3]                Historiquement de nombreuses affaires survenues au cours des XVIe et XVIIe siècles où les tribunaux du Royaume-Uni prétendaient, sur l'ordre du roi, s'attribuer le pouvoir du Parlement et contrôler ses activités, ont mené à l'adoption du Bill of Rights de 1689 (Angl.), 1 Will. & Mar. 2e sess., ch. 2. Ce texte soustrayait expressément certains champs d'activité du Parlement à l'examen des tribunaux. Fait plus important encore pour la présente affaire, le Bill of Rights de 1689 a codifié le privilège de la « liberté de parole » sur lequel s'est appuyée la Commission Gomery pour décider que le contre-interrogatoire n'était pas permis. Bien que l'article 9 du Bill of Rights n'ait pas été incorporé directement au droit constitutionnel canadien, les grands principes qui en découlent s'appliquent et nous éclairent quant aux rôles respectifs des tribunaux et des organismes législatifs au Canada.

EXPOSÉ DES FAITS

[4]                La Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission Gomery) a été créée par décret du gouverneur en conseil, 2004-110, le 19 février 2004 et ce, conformément à la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11, partie I.

[5]                En vertu de ce décret, la Commission Gomery s'est vue confier le mandat suivant :

            a.         faire enquête et rapport sur les questions soulevées directement ou indirectement par le rapport de la vérificatrice générale du Canada publié en novembre 2003, traitant du programme de commandites et activités publicitaires du gouvernement du Canada sous certains aspects précisés au mandat;


            b.         La Commission Gomery doit présenter au gouvernement du Canada ses recommandations afin de prévenir pour l'avenir la mauvaise gestion des programmes de commandites ou d'activités publicitaires.

[6]                Par conséquent, la Commission Gomery s'est vue attribuer de larges pouvoirs d'enquête sur toute question qu'elle juge utile à la réalisation de son mandat.

[7]                À compter du 14 octobre 2004, certaines parties ont fait diverses représentations devant le commissaire Gomery relativement à l'utilisation des transcriptions de témoignages rendus devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes (le comité parlementaire) et au privilège de l'immunité parlementaire. Ce débat s'inscrivait alors dans un cadre théorique puisque aucune objection n'avait encore été soulevée à cet égard.

[8]                Le 18 octobre 2004, la Chambre des communes a demandé au commissaire Gomery le statut d'intervenante devant la Commission afin de pouvoir exposer sa position sur la possibilité d'utiliser devant la Commission Gomery des témoignages rendus devant le comité parlementaire, statut qui lui a été accordé.

[9]                Le 25 octobre 2004, le commissaire Gomery a demandé à la procureure de la Chambre des communes de vérifier si sa cliente était prête à renoncer au privilège de l'immunité parlementaire si jamais cela était soulevé lors d'un interrogatoire à venir.


[10]            Le 8 novembre 2004, la procureure de la Chambre des communes a informé la Commission Gomery du déroulement de sa demande à l'égard de la renonciation au privilège. Elle a également demandé à la Commission Gomery de ne rendre aucune décision sur la possibilité d'admettre en preuve ce qui avait été dit devant le comité parlementaire avant que la Chambre des communes ait pris une décision quant à la levée du privilège.

[11]            À la demande du commissaire Gomery, le procureur de M. Alfonso Gagliano a confirmé qu'il avait l'intention de contre-interroger M. Charles Guité et qu'il avait l'intention d'utiliser les transcriptions du témoignage de M. Guité devant le comité parlementaire pour une partie de son contre-interrogatoire.

[12]            D'autres procureurs ont également informé la Commission Gomery de leur intention de contre-interroger M. Guité et de leur intention ou non d'utiliser les transcriptions de son témoignage devant le comité parlementaire.

[13]            Le commissaire Gomery a donc décidé de suspendre jusqu'au 22 novembre 2004 le débat sur l'utilisation des transcriptions du témoignage de M. Guité devant le comité parlementaire jusqu'à ce que la Chambre des communes ait pris une décision sur la renonciation au privilège.

[14]            Le 22 novembre 2004, la procureure de la Chambre des communes a annoncé à la Commission Gomery qu'elle n'avait pas l'intention de renoncer au privilège de l'immunité parlementaire rattaché aux témoignages devant le comité parlementaire.

[15]            Par contre, c'est lors du contre-interrogatoire de M. Guité par Me Pratte, procureur de M. Jean Pelletier, que l'objection relativement à l'immunité parlementaire a été formellement soulevée par les procureurs de M. Guité.

[16]            L'honorable John H. Gomery a rendu une décision le 22 novembre 2004 (la décision sur l'immunité) dans laquelle il maintenait l'objection des procureurs de M. Guité.

[17]            Le 22 décembre 2004, les procureurs de M. Gagliano ont introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision sur l'immunité.

[18]            La Cour fédérale a émis une ordonnance permettant l'intervention de la Commission Gomery et prévoyant l'audition de l'instance le 17 février 2005. Cette ordonnance a été modifiée par l'ordonnance du 23 mars 2005.


PRÉTENTIONS DES PARTIES

[19]            Le demandeur soutient essentiellement que le privilège parlementaire ne l'empêche pas de contre-interroger le défendeur Guité lors de son témoignage devant la Commission Gomery sur des déclarations antérieures prétendument incompatibles faites devant un comité parlementaire puisque la Commission n'a aucun pouvoir de déclaration de culpabilité ni même de recommandation de poursuites civiles ou criminelles.

[20]            À l'origine, en 1689, le privilège n'avait pas une grande portée et se limitait à protéger les membres du Parlement de toutes poursuites criminelles fondées sur les paroles prononcées en Chambre. Au fil du temps, le privilège s'est étendu afin d'accorder aux membres du Parlement la protection contre les poursuites civiles. Par la suite, la protection fut accordée aux comités des Chambres ainsi qu'aux témoins assignés à témoigner devant le Parlement ou un de ses comités.

[21]            Ainsi, dans la mesure ou le témoin était mis dans la situation de s'auto-incriminer, on s'assurait qu'il n'aurait aucune raison de mentir puisqu'il ne pouvait être poursuivi civilement ou criminellement pour les paroles prononcées au Parlement. Cependant, il ne peut exister de privilège contre l'utilisation restrictive d'un témoignage devant le Parlement afin de tester la crédibilité d'un témoin dans une autre instance.

[22]            Le demandeur s'appuie sur l'affaire R. v. Murphy (1986), 64 A.L.R. 498, où la cour a conclu que l'on pouvait mettre le témoin devant ses contradictions émanant d'un témoignage donné devant un comité sénatorial lorsqu'il n'y a aucune conséquence juridique pour celui-ci. Un témoin est plus apte à dire la vérité lorsqu'il sait qu'il peut être contredit d'une façon ou d'une autre que lorsqu'il sait qu'il sera à l'abri de la contradiction.

[23]            La Chambre des communes (la défenderesse) soutient pour sa part que les privilèges parlementaires visent à protéger l'indépendance des organismes législatifs tant vis-à-vis la magistrature que vis-à-vis la Couronne, y compris une commission d'enquête de la Couronne telle la Commission Gomery.

[24]            Qui plus est, il est nécessaire que le privilège s'étende à l'utilisation de témoignages aux fins d'un contre-interrogatoire devant la Commission. En effet, même si une commission d'enquête ne statue pas sur les droits civils, ses décisions ont un impact sur le droit des témoins à leur réputation.

[25]            Les témoins assignés devant un comité de la Chambre des communes doivent pouvoir s'exprimer librement sans craindre que leurs déclarations puissent être utilisées contre eux par la suite pour attaquer leur crédibilité.

[26]            De plus, permettre en commission d'enquête que soit attaquée la crédibilité d'un témoin sur la base de ce qu'il a déclaré devant un comité de la Chambre des communes comporte un risque important d'usurper une compétence qui appartient uniquement à celle-ci de même qu'un risque de décisions contradictoires sur ces questions.

[27]            Le privilège relatif à la liberté de parole et le privilège permettant à la défenderesse d'enquêter sont constitutionnels. La Cour suprême du Canada a reconnu le statut constitutionnel des privilèges parlementaires historiquement considérés comme nécessaires. Une fois qu'un tribunal constate qu'il s'agit d'une question « qui relève de cette catégorie nécessaire de sujets » sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, il se trouve à reconnaître la compétence exclusive parlementaire sur celle-ci.

[28]            Le privilège relatif à la liberté de parole s'étend aux témoignages rendus devant un comité de la défenderesse et il ne devrait être levé que par une loi explicite à cet effet.


[29]            Les plus hauts tribunaux du Royaume-Uni ont reconnu que les témoignages rendus devant les comités parlementaires ne pouvaient être utilisés pour mettre en cause la crédibilité d'un témoin dans une instance judiciaire ou autre pour le contre-interroger (Prebble v. Television New Zealand, [1995] 1 A.C. 321 (P.C.), Hamilton v. Al Fayed, [2000] 2 A11 E.R. 224 (H.L.)). Quant à la décision Murphy, précitée, favorable au demandeur, celle-ci fut désavouée par le Conseil privé.

[30]            Au Canada, la Cour suprême du Canada a reconnu que l'article 9 du Bill of Rights de 1689 trouvait application; à tout le moins, les principes qui le sous-tendent font partie du droit canadien et peuvent nous éclairer en matière de privilège. La décision du commissaire Gomery est donc bien fondée.

[31]            Le défendeur, procureur général du Canada, soumet que, dans l'affaire New Brunswick Broadcasting c. Nouvelle-Écosse, [1993] 1 R.C.S. 319, la Cour suprême du Canada n'avait pas à se prononcer sur la source du privilège par rapport aux chambres du Parlement du Canada, mais bien par rapport aux assemblées législatives provinciales.

[32]            Toute analyse sur la portée des privilèges des chambres législatives fédérales doit débuter par la prise en compte de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5, qui octroie au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer pour déterminer l'étendue des privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes à une exception près. Le Parlement ne saurait accorder des privilèges qui excèdent ceux que possédait la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni en 1867.

[33]            Le Parlement du Canada a exercé le pouvoir conféré par l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, notamment par l'adoption des articles 4 et suivants de la Loi sur le Parlement, L.R.C. 1985, ch. P-1, lequel renvoie aux privilèges que possédait la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni en 1867. Bien que les parties aient fait valoir que ces privilèges comprenaient ceux énoncés précisément à l'article 9 du Bill of Rights de 1689, au Canada, ce sont plutôt les grands principes qui découlent de l'article 9 plutôt que la disposition elle-même qui s'appliquent : New Brunswick Broadcasting, précitée.

[34]            Quant à la portée de l'article 9 du Bill of Rights, la controverse persiste puisque la décision du Comité judiciaire dans l'arrêt Prebble, précité, fut critiquée par certains juges de la Cour suprême du Queensland dans l'affaire Laurance v. Katter, [1996] 141 A.L.R. 447.

[35]            Le défendeur, M. Guité, s'en remet aux prétentions de la défenderesse.

[36]            L'intervenante tient pour acquis que la décision sur l'immunité est bien fondée sur la question de l'existence d'une immunité parlementaire et ne soumet des représentations que sur l'effet de la décision sur l'équité procédurale à laquelle a droit le demandeur.

[37]            L'intervenante soutient que l'équité procédurale a été respectée envers M. Gagliano puisqu'il a obtenu le statut de partie, qu'il a pu témoigner assisté d'un avocat, qu'il a pu procéder au contre-interrogatoire de tous les témoins et qu'il pourra présenter des observations finales.

[38]            Il est vrai que le contre-interrogatoire que le procureur du demandeur aura fait n'est pas aussi étendu qu'il l'aurait souhaité, mais cela ne fait pas en sorte que son droit à l'équité procédurale a été violé si cette limitation est imposée en raison du fait que les éléments de preuve qu'il a voulu introduire sont des communications privilégiées inadmissibles en preuve.

            Question en litige

[39]            La seule question qui se pose dans la présente instance est la suivante :

Le privilège parlementaire empêche-t-il qu'une personne soit contre-interrogée lors de son témoignage devant une commission d'enquête sur des déclarations antérieures prétendument incompatibles, faites dans le cadre de travaux d'un comité parlementaire?


ANALYSE

            1.         La norme de contrôle applicable

[40]            La décision faisant l'objet du contrôle judiciaire est celle du commissaire Gomery de maintenir l'objection des procureurs de M. Guité et de refuser d'autoriser le contre-interrogatoire de celui-ci sur son témoignage antérieur devant le Comité des comptes publics.

[41]            Il ressort des motifs de la décision que celle-ci repose principalement sur la portée du privilège parlementaire. Il s'agit là d'une pure question de droit requérant l'interprétation d'une jurisprudence historique complexe, tant au Canada qu'à l'étranger. La décision rendue sera d'une importance générale particulière pour la conduite d'enquêtes futures par les comités parlementaires ainsi que pour l'équilibre entre les rôles et les pouvoirs exercés par le Parlement, l'exécutif et les tribunaux. De plus, la Commission Gomery ne possède pas d'expertise relative à l'égard de cette pure question de droit. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et Toronto (Ville) c. S.C.F.P., Section Locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77).


[42]            La prétention du demandeur que cette décision porte sur l'équité procédurale est inexacte. Si la décision du commissaire est correcte, il ne peut y avoir de manquement à l'équité procédurale de refuser le contre-interrogatoire puisque le commissaire n'a pas d'autre choix que d'appliquer le privilège.

[43]            Les préoccupations du demandeur ne constituent pas une remise en cause de la procédure qui a été utilisée pour en arriver à la décision relative à la portée du privilège parlementaire faisant l'objet du présent contrôle judiciaire. Le demandeur ne prend pas, par exemple, la position selon laquelle on lui a refusé la possibilité de faire des observations au sujet de la portée du privilège parlementaire. Il n'allègue pas non plus que la Commission, en définissant l'effet du privilège parlementaire, se serait appuyée sur certains éléments de preuve qui ne lui avaient pas été régulièrement présentés.

[44]            Bref, c'est la décision au sujet du privilège parlementaire qui fait l'objet du contrôle judiciaire. En ce sens, aucune considération d'équité procédurale n'est pertinente relativement à cet exercice.

            2.         Les origines du privilège parlementaire au Canada


[45]            Le privilège parlementaire au Canada tire ses origines tant de la common law que des lois. Ainsi, avant la Confédération, en l'absence d'un octroi particulier de la part du Parlement du Royaume-Uni, la règle de common law était bien établie : les privilèges qui étaient nécessairement accessoires à une législature étaient réputés exister (J. P. Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Ottawa, Chambres des communes et les presses universitaires McGill-Queen's, 1997, à la p. 16).

[46]            Dans l'arrêt Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad. & E.I. 1112 (Q.B.), le Lord juge en chef Denman a déclaré, à la p. 1169 : « If the necessity can be made out, no more need be said: it is the foundation of every privilege of Parliament, and justifies all that it requires. » Le Conseil privé a confirmé la primauté de cette règle de common law de la nécessité dans l'arrêt Kielley v. Carson (1842), 4 Moore 63, 13 E.R. 225.

[47]            L'édiction de la Constitution canadienne, cependant, a ajouté un autre niveau à la source des privilèges parlementaires au Canada. L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, dans sa version modifiée en 1875 (R.-U.) 38 & 39 Vict., c. 38, prévoit :

18.    Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes, et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada, mais de manière à ce qu'aucun acte du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoir ne donnera aucun privilège, immunité ou pouvoir excédant ceux qui, lors de la passation du présent acte, sont possédés et exercés par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.


[48]            Le Parlement pouvait alors, conformément à la compétence législative que lui conférait l'article 18, être la source d'un privilège particulier pourvu qu'il n'excède pas les privilèges reconnus dont jouissait la Chambre des communes du Royaume-Uni. Cela diffère manifestement de l'article 49 de la Constitution australienne (Commonwealth of Australia Constitution Act 1901 (Cth.), c. 1), lequel incorpore directement ces privilèges existants au Royaume-Uni tant et aussi longtemps que le Parlement de l'Australie ne déclarera pas le contraire. L'article 49 se lit ainsi :

The powers, privileges and immunities of the Senate and the House of Representatives, and of the members of the committees of each House shall be such as are declared by the Parliament, and until declared shall be those of the Commons House of Parliament of the United Kingdom and of its members and committees, at the establishment of the Commonwealth.

[49]            Par la suite, toutefois, en 1868, le Parlement canadien a, en vertu de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, expressément incorporé par renvoi ces privilèges, immunités et pouvoirs qui existaient au Royaume-Uni. L'article 4 énonce :

4.    Le Sénat et la Chambre des communes, respectivement, ainsi que leurs membres respectifs, possèdent et exercent

                a)             les mêmes privilèges, immunités et attributions que possédaient et exerçaient, lorsque a été voté la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, ainsi que ses membres, dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi; et

                b)             les privilèges, immunités et attributions qui sont de temps à autre définis par une loi du Parlement du Canada, n'excédant pas ceux que possédaient et exerçaient, respectivement, à la date de cette loi, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

[50]            Le pouvoir de définir ces privilèges par une loi existe, mais pour déterminer l'étendue des pouvoirs, droits, immunités et privilèges du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, il faut tout d'abord délimiter ceux dont jouissait la Chambre des communes britannique en 1867 (Maingot, précité, à la p. 18).


[51]            C'est pourquoi l'article 9 du Bill of Rights de 1689 - la disposition codifiant la liberté de parole au Royaume-Uni - devient important : en 1867, l'article 9 était clairement reconnu comme un privilège parlementaire au Royaume-Uni. Il se lit ainsi :

That the freedom of speech, and debates or proceedings in Parliament, ought not to be impeached or questioned in any court or place out of Parliament.

[52]            Cependant, comme le souligne le Procureur général du Canada, il convient d'être prudent avant d'incorporer dans la Constitution du Canada un texte aussi précis. Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, la Cour suprême du Canada a rappelé qu'au Canada, ce sont les grands principes qui découlent de l'article 9 du Bill of Rights de 1689 plutôt que la disposition elle-même qui s'appliquent.

[53]            Il existe deux courants jurisprudentiels qui sont diamétralement opposés sur la portée de l'article 9 et sur l'étendue de la protection dont bénéficie toute personne qui témoigne devant un comité qui relève de la Chambre des communes du Parlement du Canada.


[54]            Dans l'arrêt Stockdale v. Hansard, précité, la Cour du Banc de la Reine a cherché à donner effet à l'intention de l'article 9. Lord Denman, par exemple, a déclaré à la p. 1156 que « whatever is done within the walls of either assembly must pass without question in any other place » . Ce point de vue a été repris par Lord Ellenborough et Lord Coleridge dans des opinions distinctes, le premier commentant à la p. 1191 « that whatever is done or said in either House should not be liable to examination elsewhere » .

[55]            Une affaire ultérieure, Bradlaugh v. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271, appliquant l'article 9 pour empêcher l'utilisation de déclarations faites à la Chambre dans le cadre d'une action en diffamation, illustre davantage ce point. Le Lord juge en chef Coleridge a fait remarquer, à la p. 275, que « [w]hat is said or done within the walls of Parliament cannot be inquired into in a court of law » .

[56]            Dans l'affaire Goffin v. Donnelly (1881), 6 Q.B.D. 307, le Parlement avait ordonné la constitution d'un comité spécial de la Chambre des communes afin d'enquêter et de faire rapport sur les circonstances dans lesquelles le certificat du demandeur, un professeur, avait été suspendu. Le demandeur avait intenté une action en diffamation contre le défendeur à cause des déclarations que ce dernier avait faites lors de sa comparution devant le comité spécial. Le défendeur n'était pas un parlementaire. La cour a rejeté l'action, statuant que les déclarations en question étaient privilégiées. Sans cependant faire référence au Bill of Rights de 1689, elle a considéré les intérêts plus grands qui étaient en jeu, à la p. 308 :


It may be a hardship upon individuals that statements of a defamatory nature should be made concerning them, but the interest, viz., that of public justice, to the administration of which it is necessary that witnesses should be free to give their evidence without fear of consequences. [¼] The House of Commons, in the performance of its functions and for the purposes of legislation, has to inquire into many matters, and among others the conduct of that department of government which deals with education. For the purposes of such inquiries committees are appointed, and require the attendance of witnesses. If persons so required to attend did not attend, they would be committed for contempt. If they do attend they must answer the questions asked of them, and may be examined on oath. The evidence given is, therefore, as much given under compulsion as in the case of a court of law. For these reasons this seems to me to be a stronger case of privilege than some of the occasions that have been held to be clearly privileged.

[57]            L'arrêt R. v. Wainscot, [1899] 1 W.A.L.R. 77, est essentiellement au même effet. Comme dans l'affaire Goffin v. Donnelly, précitée, le défendeur n'était pas un parlementaire. Il était accusé de corruption par suite d'incidents survenus à l'extérieur du Parlement. Pour des raisons d'équité, la Cour suprême de l'Australie-Occidentale a statué que la poursuite ne pouvait pas se servir de la preuve produite par le défendeur devant un comité mixte des chambres du Parlement de l'Australie-Occidentale; les règlements du comité qui avaient été établis par le Parlement protégeaient les personnes témoignant devant des comités.

[58]            Ainsi, le préjudice ou le problème contre lequel on recherchait la protection de l'article 9 du Bill of Rights de 1689 et le préjudice qui préoccupait principalement les tribunaux dans les affaires Stockdale v. Hansard, précitée, et Bradlaugh v. Gossett, précitée, consistaient à empêcher que les parlementaires (ou, par extension, les témoins) subissent des conséquences juridiques devant les tribunaux - que ce soit en matière civile ou criminelle - sur ce qu'ils ont dit ou fait dans le contexte de travaux parlementaires.

[59]            Bien que ce soit longtemps après la période qui nous préoccupe en ce moment - celle de la Confédération du Canada - c'est précisément l'interprétation que le juge Hunt a faite de l'article 9 dans la décision Murphy, précitée :

[¼] statements made by courts in rejecting attempts to use curial proceedings in order to visit legal consequences upon members of Parliament (or witnesses before parliamentary committees) for what they had said or done in Parliament or before such committees should not readily be extended to situations in which no such legal consequences are involved in the curial proceedings unless such an extension is both necessary and desirable. I have already pointed out that what is said and done in Parliament can without any breach of parliamentary privilege be impeached and questioned by the exercise of ordinary citizens of their freedom of speech (whether or not in the media), notwithstanding the fear which such conduct may engender in members of Parliament (and committee witnesses) as to the consequences of what they say or do. In those circumstances, it can be neither necessary nor desirable in principle that what is said or done in Parliament should not be questioned (in the wider sense) in courts or similar tribunals where no legal consequences are to be visited upon such members (or witnesses) by the proceedings in question.

Freedom of speech in Parliament is not now, nor was it in 1901 or even in 1688, so sensitive a flower that, although the accuracy and the honesty of what is said by members of Parliament (or witnesses before parliamentary committees) can be severely challenged in the media or in public, it cannot be challenged in the same way in the courts of law. It is only where legal consequences are to be visited upon such members or witnesses for what was said or done by them in Parliament that they can be prevented by challenges in the courts of law from exercising their freedom of speech in Parliament. It is only when that is the consequence of the challenge that freedom of speech in Parliament needs any greater protection from what is said or done in the courts of law than it does from what is said or done in the media or in the public.


[60]            Les tribunaux ont continué à différer d'opinion au sujet de l'interprétation à donner à l'article 9. Dans les arrêts Prebble, précité, et Hamilton v. Al Fayed, précité, Lord Browne-Wilkinson n'a pas expressément lié sa conclusion, que la liberté de parole empêchait l'utilisation de déclarations faites au cours de travaux parlementaires, au fait que les parties puissent subir des conséquences juridiques. Les deux affaires concernaient des actions en diffamation. Tandis que dans les affaires Buchanan v. Jennings, [2002] 3 N.Z.L.R. 145 (C.A.), conf. par [2004] U.K.P.C. 36, et Laurance v. Katter, précitée, les tribunaux ont été plus prudents dans leur approche à l'égard de l'article 9. Bref, il existe toujours une controverse au sujet de l'interprétation et de la portée précises de cette disposition du Bill of Rights de 1689.

[61]            À tout le moins, il est juste de dire que l'article 9 ne se prête pas qu'à une seule interprétation. Sa portée précise n'était pas claire en 1867. On ne peut donc pas affirmer inexorablement que l'article 9 empêche le contre-interrogatoire d'un témoin dans une procédure comme la présente commission, où celui-ci ne fait face à aucune conséquence civile ou juridique.

[62]            Toutefois, même à supposer que l'interprétation correcte de l'article 9 en 1867 englobait le contre-interrogatoire dans une procédure exempte de conséquences juridiques, comme je l'ai déjà mentionné, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, a déclaré clairement que les pouvoirs et les privilèges existant au Royaume-Uni et au Canada n'étaient pas nécessairement identiques. De plus, la juge McLachlin (maintenant juge en chef), écrivant au nom de la majorité, et le juge en chef Lamer, dissident sur d'autres points, ont expressément refusé d'incorporer l'article 9 du Bill of Rights de 1689 dans la Constitution canadienne (New Brunswick Broadcasting, précité aux pp. 374 et 354-55).

[63]            Plutôt, comme la Cour suprême n'était pas directement saisie de la question, la conclusion dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, s'est bornée à reconnaître la liberté de parole au sens général comme étant une forme de privilège parlementaire au Canada.

[64]            Néanmoins, le privilège de la liberté de parole existe au Canada, mais sa portée exacte n'est pas définie. Par conséquent, dans le but de trancher la question en l'espèce - celle de savoir si ce privilège empêche le contre-interrogatoire fondé sur des éléments de preuve obtenus par un comité parlementaire - je dois revenir au critère de nécessité établi par la common law.

[65]            Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, aux pp. 383 et 384, la Cour suprême du Canada a décrit ce critère comme suit :

Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence « parlementaire » ou « législative » absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.

[...]


Les paramètres de cette compétence sont déterminés par ce qui est nécessaire pour que l'organisme législatif soit capable de fonctionner. Selon cette définition, le principe de nécessité englobera non seulement certains privilèges revendiqués, mais aussi le pouvoir de déterminer, de trancher et d'appliquer ces privilèges. Si les tribunaux devaient examiner le mode d'exercice d'un privilège valide et conclure que, dans certains cas, le privilège a été exercé d'une façon non valide, ils se trouveraient alors à empiéter sur la compétence exclusive de l'organisme législatif, après avoir reconnu que le privilège en question relève de la compétence exclusive de cet organisme législatif. La seule chose qui peut être examinée par le tribunal est à l'étape initiale de l'examen de la compétence: le privilège revendiqué est-il un des privilèges nécessaires pour que la législature soit capable de fonctionner? L'exercice particulier d'un privilège nécessaire ne saurait alors faire l'objet d'un examen, sauf si la retenue manifestée et la conclusion formulée à l'étape initiale sont rendues inopérantes.

[66]            Ayant ce critère à l'esprit, je vais trancher la question de savoir si le contre-interrogatoire du témoin est protégé par le privilège parlementaire. Trois brèves remarques s'imposent d'abord :

[67]            Premièrement, les membres du Parlement, tout comme les témoins, détiennent des privilèges parlementaires vis-à-vis de la Couronne et de la magistrature - New Brunswick Broadcasting, précité. La Commission Gomery agit suite à une décision du gouvernement (la Couronne) d'ordonner une enquête (Dixon c. Canada (Gouverneur en conseil), [1997] 3 C.F. 169 (C.A.F.)). Ainsi, la Commission, pas plus que les tribunaux civils ou criminels, ne peut contrevenir aux privilèges parlementaires dont jouit la Chambre des communes.


[68]            Deuxièmement, dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, la Cour suprême du Canada examinait la question de savoir si les radiodiffuseurs demandeurs avaient un droit d'accès à une assemblée législative, par opposition à la Chambre des communes. Toutefois, à mon avis, il ne fait pas de doute que le critère de nécessité s'applique également dans le contexte fédéral. La juge McLachlin, en particulier, a à maintes reprises fait des commentaires au sujet du critère de nécessité et des corps législatifs, tant au provincial qu'au fédéral (New Brunswick Broadcasting, précité, aux pp. 375, 381 et 383).

[69]            Troisièmement, il importe de signaler un dernier extrait de l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, à la p. 387, lequel nous enseigne qu'il faut tenir compte du contexte actuel :

Le fait que ce privilège ait été maintenu pendant plusieurs siècles, tant à l'étranger qu'au Canada, est une preuve qu'il est généralement considéré comme essentiel au bon fonctionnement d'une législature inspirée du modèle britannique. Toutefois, il faut de nouveau nous poser la question suivante: dans le contexte canadien de 1992, le droit d'exclure des étrangers est-il nécessaire au bon fonctionnement de nos organismes législatifs?

[70]            Ainsi, comme il n'est pas certain si le pouvoir de protéger un témoin à l'encontre d'un contre-interrogatoire dans une procédure où il n'y a aucune conséquence juridique tombait sous le coup du privilège de la liberté de parole existant au Royaume-Uni au temps de la Confédération, la Cour doit mettre l'accent sur le contexte canadien de 2005 et trancher la question de savoir si ce privilège respecte le critère de nécessité.

[71]            Bien que la jurisprudence du Royaume-Uni et d'autres pays ayant des systèmes parlementaires semblables comme l'Australie sera importante pour résoudre le présent litige, la question essentielle est la suivante : le droit d'empêcher le contre-interrogatoire de témoins en utilisant des éléments de preuve présentés devant des comités parlementaires est-il nécessaire au fonctionnement du Parlement dans la présente démocratie canadienne?


            3.         Le pouvoir d'empêcher le contre-interrogatoire est-il nécessaire au fonctionnement du comité parlementaire?

[72]            À mon avis, le pouvoir d'empêcher le contre-interrogatoire de témoins en utilisant des éléments de preuve obtenus au cours de travaux précédents du Parlement tombe sous le coup du privilège parlementaire parce qu'il est nécessaire au fonctionnement du Parlement. Il est nécessaire à trois niveaux : pour encourager les témoins à parler ouvertement devant le comité parlementaire, pour permettre au comité d'exercer sa fonction d'enquête et, de façon plus secondaire, pour éviter les conclusions de fait contradictoires.

                        a) Encourager les témoins à parler ouvertement devant le comité parlementaire

[73]            En l'espèce, l'objectif visé par le Comité des comptes publics était de déchiffrer ce qui était arrivé aux sommes d'argent provenant des finances fédérales et utilisées dans le cadre du programme de commandites fédérales. Pour accomplir cela, le comité a cherché à interroger un certain nombre de personnes impliquées dans ce programme. Et pour que cet exercice soit utile, il était essentiel que le comité soit en mesure d'encourager les témoins à parler franchement lors de leur témoignage.

[74]            Voici la justification de longue date du privilège de la liberté de parole : il protège la capacité pour les parlementaires comme pour les témoins de s'exprimer librement sans crainte d'être questionnés par la suite. Comme nous l'avons vu précédemment, cette justification remonte à la jurisprudence précédant même le Bill of Rights de 1689 lui-même et les tribunaux y souscrivent depuis des siècles : voir p. ex., Goffin v. Donnelly, précité.

[75]            Cette justification a également convaincu les tribunaux modernes. Lord Browne-Wilkinson, au nom de la Chambre des lords de même que du Comité judiciaire du Conseil privé, a défendu ce point de vue à plusieurs reprises. Dans l'arrêt Prebble, précité, par exemple, il a rejeté sans équivoque la proposition (à laquelle a souscrit un juge dans la décision Murphy, précitée) selon laquelle une interprétation plus étroite de l'article 9 favoriserait une plus grande liberté de parole :

In their Lordships' view the law as stated by Hunt J. [in R. v. Murphy (1986), 64 A.L.R. 498] was not correct so far as the rest of the Commonwealth is concerned. First, his views were in conflict with the long line of dicta that the courts will not allow any challenge to what is said or done in Parliament. Second, as Hunt J. recognized, his decision was inconsistent with the decision of Browne J. in Church of Scientology of California v. Johnson-Smith [1972] 1 Q.B. 522 (subsequently approved by the House of Lords in Pepper v. Hart [1993] A.C. 593) and Comalco Ltd. V. Australian Broadcasting Corporation (1983) 50 A.C.T.R. 1, in both of which cases it was held that it would be a breach of privilege to allow what is said in Parliament to be the subject matter of investigation or submission.


Finally, Hunt J. based himself on a narrow construction of article 9, derived from the historical context in which it was originally enacted. He correctly identified the mischief sought to be remedied in 1689 as being, inter alia, the assertion by the King's Courts of a right to hold a Member of Parliament criminally or legally liable for what he had done or said in Parliament. From this he deduced the principle that article 9 only applies to cases in which a court is being asked to expose the maker of statement to legal liability for what he has said in Parliament. This view discounts the basic concept underlying article 9, viz. the need to ensure so far as possible that a member of the legislature and witnesses before committees of the House can speak freely without fear that what they say will later be held against them in the courts. The important public interest protected by such privilege is to ensure that the member or witness at the time he speaks is not inhibited from stating fully and freely what he has to say. If there were any exceptions which permitted his statements to be questioned subsequently, at the time when he speaks in Parliament he would not know whether or not there would subsequently be a challenge to what he is saying. Therefore he would not have the confidence the privilege is designed to protect. [Non souligné dans l'original.]

[76]            Lord Browne-Wilkinson a repris ces mots dans l'arrêt Hamilton v. Al Fayed, précité. Ainsi, pour Lord Browne-Wilkinson, l'intérêt public qui est protégé par le privilège est de s'assurer qu'un témoin, au moment où il témoigne devant un comité parlementaire, n'est pas freiné de parler librement.

[77]            Je suis de cet avis. Je crois qu'il est important pour la démocratie canadienne qu'un témoin puisse parler ouvertement devant un comité parlementaire. Cet objectif sera accompli s'il ne craint pas, au moment où il témoigne devant ce comité, que l'on puisse utiliser ses paroles par la suite pour le discréditer dans une autre instance, que celle-ci entraîne des conséquences légales ou non. C'est en lui donnant l'assurance qu'il est complètement protégé par le privilège et qu'il ne pourra être interrogé par la suite qu'il est plus probable qu'il parle avec confiance[1].


[78]            L'incertitude quant à la portée du privilège qui lui est accordé peut accentuer le sentiment de vulnérabilité d'un témoin et l'empêcher de s'exprimer ouvertement, ce qui réduirait évidemment l'efficacité des audiences devant les comités parlementaires.

[79]            Bien sûr, une telle proposition est difficile à démontrer avec certitude (ce qui explique probablement la controverse sur le sujet), puisqu'il est évident que les réactions humaines peuvent varier d'un individu à l'autre. Je reconnais que chez certains, une protection complète peut les conduire à une fausse impression de sécurité.

[80]            Malgré cela, la prudence m'invite à suivre l'avis des plus hauts tribunaux qui ont conclu à la nécessité d'étendre le privilège à toute instance : Prebble, précité, et Hamilton v. Al Fayed, précité.

                        b)         Préserver la capacité d'enquêter du comité parlementaire


[81]            Historiquement, la jurisprudence a reconnu la nécessité des privilèges qui permettent aux organismes législatifs d'enquêter. Ces privilèges étaient clairement reconnus en 1867. Comme l'a déclaré Lord Denman dans l'arrêt Stockdale v. Hansard, précité, à la p. 1156 :

The Commons of England are not invested with more of power and dignity by their legislative character than by that which they bear as the grand inquest of the nation. All the privileges than can be required for the energetic discharge of the duties inherent in that high trust are conceded without a murmur or a doubt.

[82]            Cette qualification du rôle principal du Parlement et des privilèges qui sont nécessaires pour l'accomplir a été clairement acceptée au Canada également. Dans la décision Canada (Attorney General) c. P.E.I. (Legislative Assembly), [2003] P.E.I.J. no 7 (C.S. Î.-P.-É.) (QL), le juge Cheverie a déclaré :

[23]    In the Canadian context, the intervener cites the case of Ex parte Dansereau (1875), 19 L.C.J. 210 (Q.B. - Appeal Side), reprinted in J.R. Cartwright, Cases Decided on the British North America Act, 1867, vol. II (Toronto: Warwick & Sons, 1887) at 165. This case is cited in support of the proposition that legislative assemblies in this country have the right to summon witnesses and have them produce documents; this right is inherent parliamentary privilege; and the power was exercised as far back as the 1800's. I do not intend to quote extensively from that case, except to refer to page 190 of the case report where the following appears:

Responsible Government, which has been recognised in the Local as well as in the constitution of the General Government, would be a delusion if that power of enquiry was denied, and the enquiry would be valueless without the power of summoning witnesses. I consider this to be a necessary incident of the powers of Legislatures, and of controlling the administration of public affairs, and as such I believe that the House of Assembly had a right to exercise it, [...]

The intervener goes further and refers to McNab v. Bidwell and Baldwin (1830), Draper 144 at 156 (K.B.). In that pre-confederation case, the Court of King's Bench of Upper Canada had the following to say at p. 156:


It is my opinion that the right of enquiry for the purpose of enabling the legislature to exercise their constitutional functions is necessarily incident to both branches; for I do not see how they could join in making laws for the good government of the King's subjects without obtaining the information requisite to form a correct opinion of the measures and alterations proper to be adopted. I think this is an inherent right essential to every legislature. And the right of examination implies a right to compel the answering of all such questions as the law of the land will sanction.

[24]    On a review of the authorities cited, I am satisfied the right of the Legislative Assembly of Prince Edward Island to summon witnesses and have them produce documents is necessary for the proper functioning of the assembly, and, therefore, meets the test for recognition as an inherent privilege. It satisfies the test articulated by the Supreme Court of Canada in New Brunswick Broadcasting. It is difficult to imagine how the legislative assembly could properly conduct an inquiry within its constitutional jurisdiction without the power to summon witnesses and require the production of records and documents.

[...]

[32]    There is no doubt but that the Committee has the power to issue the summons in question; that it derives that power from the legislative assembly; that the power is rooted in parliamentary privilege; and it is not for this Court to inquire into how that power was exercised.

[83]            Je souscris à ces commentaires. Et, par extension, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire de protéger les témoins à l'encontre d'un contre-interrogatoire fondé sur le témoignage qu'ils ont fourni au Parlement peut aussi être qualifié comme étant un privilège qui lui est nécessaire pour le bon fonctionnement du Parlement en matière d'investigation ou d'inquisition.


[84]            Qualifier le pouvoir d'empêcher un contre-interrogatoire comme un privilège de la liberté de parole ou d'enquête ne modifie pas la justification sous-jacente : le Parlement doit être en mesure d'offrir cette protection aux témoins comparaissant devant les comités parlementaires dans le but de discerner les faits et de régler la question ou retracer les événements sous enquête. Dépouillés de ce pouvoir d'offrir cette protection aux témoins, le Parlement et ses comités ne pourraient pas fonctionner, d'où sa nécessité.

[85]            De plus, toute appréciation de la part de la Cour quant à la question de savoir s'il est approprié d'offrir cette protection en l'espèce entraînerait à mon avis un examen de l'exercice de ce privilège d'enquête, contrairement à la distinction fondamentale suivie dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité. La Cour est habilitée à examiner l'existence et la portée d'un pouvoir ou d'un privilège revendiqué par le Parlement, mais non à en réglementer l'exercice. La juge McLachlin s'est servi d'une analogie pour expliquer davantage cette distinction fondamentale : « la question importante est de savoir si nous traitons du fruit de l'arbre législatif [c'est-à-dire l'exercice du pouvoir] ou de l'arbre lui-même [c'est-à-dire l'existence du pouvoir] » .

[86]            En outre, les motifs à l'appui de la résolution empêchant le contre-interrogatoire, adoptée par la Chambre des communes et que l'on trouve dans le quatorzième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, soulignent clairement ceci : les témoins ont reçu l'assurance que leur témoignage serait protégé par le privilège du Parlement et il est dans le meilleur intérêt du Parlement de faire en sorte que cette assurance soit maintenue.


[87]            Par la même occasion, si la Chambre a des motifs de croire que les témoins n'ont pas dit la vérité devant un comité, malgré ses efforts pour les encourager à s'exprimer librement, le Parlement a seul la responsabilité principale d'intenter des poursuites et de punir ce comportement fallacieux.

[88]            En principe, je ne suis pas liée par cette résolution[2] et, ayant conclu que ce privilège, qu'il soit principalement qualifié comme un privilège de la liberté de parole ou comme un privilège d'enquête, respecte le critère de nécessité, je n'ai pas besoin de la prendre en compte. Cependant, j'estime que les motifs mentionnés à l'appui de la résolution sont utiles dans la mesure où ils font ressortir la distinction fondamentale entre la nature de la tâche de la cour - de se prononcer sur l'existence et la portée du privilège invoqué - et la tâche à laquelle la cour ne doit pas se livrer - remettre en question l'exercice d'un privilège.

                        c)         Éviter les conclusions de fait contradictoires ou « the old dualism »

[89]            Enfin, il y a une troisième raison pour laquelle je crois que le pouvoir d'empêcher un contre-interrogatoire subséquent dans une instance est nécessaire pour le fonctionnement du comité parlementaire : écarter la possibilité d'avoir des conclusions de fait contradictoires, par exemple, entre les deux instances - le comité parlementaire et la Commission Gomery - visés par le présent contrôle.

[90]            À l'époque ou le Bill of Rights de 1689 a été édicté, des procédures étaient fréquemment instituées devant les tribunaux, sur l'ordre du roi, à l'encontre de représentants élus pour des choses qu'ils avaient faites au cours de leur charge. Ainsi, le Bill of Rights de 1689 avait notamment pour but de protéger les parlementaires contre les actes des autres ordres du gouvernement, à savoir la Couronne, l'exécutif ou les tribunaux. Cela comportait également l'idée que le privilège parlementaire, et plus précisément la liberté de parole, visait à prévenir ce qu'on appelait « the old dualism » [3] et ce, pour éviter que des procédures concomitantes au Parlement et devant les tribunaux conduisent éventuellement à des résultats différents pour les parties impliquées.

[91]            Lord Browne-Wilkinson a évoqué ce problème dans l'arrêt Pepper v. Hart, [1993] A.C. 593, le résumant habilement dans l'arrêt Prebble, précité, à la p. 334 :

[...] to allow it to be suggested in cross-examination or submission that a member or witness was lying to the House could lead to exactly that conflict between the courts and Parliament which the wider principle of non-intervention is designed to avoid. Misleading the House is a contempt of the House punishable by the House: if a court were also to be permitted to decide whether or not a member or witness had misled the House there would be a serious risk of conflicting decisions on the issue.

[92]            Bien qu'il s'agisse en principe d'une opinion incidente, la Chambre des lords a par la suite confirmé la conclusion de l'arrêt Prebble, précité, dans l'arrêt Hamilton v. Al Fayed, précité, où les faits se rapprochent de la situation présente.


[93]            Dans cette affaire, le Comité sur les normes et les privilèges de la Chambre des communes du Royaume-Uni a demandé au commissaire parlementaire pour les normes de faire une enquête sur les allégations selon lesquelles Hamilton, un parlementaire, avait reçu des paiements en argent ainsi que d'autres avantages d'Al Fayed, un simple citoyen, pour qu'il soumette des questions au Parlement en son nom. Al Fayed a répété les allégations dans une entrevue télévisée pendant que l'enquête était en cours. Le commissaire a par la suite conclu dans son rapport que Hamilton avait de fait reçu de tels avantages. Le comité de la Chambre des communes a tenu d'autres audiences et a, pour l'essentiel, confirmé les conclusions du commissaire. Après que la Chambre a approuvé le rapport du comité, Hamilton a institué une action en diffamation à l'encontre d'Al Fayed qui, pour sa part, a présenté une demande visant à obtenir la suspension de l'instance sur la foi du privilège parlementaire.

[94]            La Chambre des lords a décidé en fin de compte que l'article 13 de la Defamation Act 1996 (R.-U.), 1996, c. 31, édicté au moment où les événements de l'affaire se déroulaient, lequel permettait aux parlementaires de renoncer au privilège parlementaire dans le but de prouver qu'ils avaient été l'objet de diffamation, réglait la question : on ne pouvait accorder la suspension en raison du fait que Hamilton avait renoncé à son privilège. Toutefois, le tribunal a exprimé l'opinion que, si la Defamation Act 1996 n'existait pas, on ne pourrait procéder à un contre-interrogatoire, à la p. 231 :


It is in my judgment firmly established that courts are precluded from entertaining in any proceedings (whatever the issue which may be at stake in those proceedings) evidence, questioning or submissions designed to show that a witness in parliamentary proceedings deliberately misled Parliament. To mislead Parliament is itself a breach of the code of parliamentary behaviour and liable to be disciplined by Parliament: see Church of Scientology of California v. Johnson-Smith, [1972] 1 All E.R. 378, [1972] 1 Q.B. 522, British Railways Board v. Pickin, [1974] 1 All E.R. 609 at 629, [1974] A.C. 765 at 800 per Lord Simon of Glaisdale. For the courts to entertain a question whether Parliament had been deliberately misled would be for the courts to trespass within the area which Parliament has the exclusive jurisdiction.

[Non souligné dans l'original.]

[95]            Le demandeur soumet qu'il ne demande pas au commissaire de décider si M. Guité disait la vérité devant le comité parlementaire mais qu'il prenne connaissance de son témoignage afin de tester sa crédibilité devant lui.

[96]            Il n'en demeure pas moins que, si le contre-interrogatoire du défendeur Guité conduisait celui-ci à admettre qu'il a fait des déclarations incompatibles devant le comité parlementaire et devant la Commission Gomery, le commissaire devrait se poser la question à savoir si celui-ci a induit le comité en erreur.

[97]            Même si le commissaire n'a pas à mettre en doute la véracité du témoignage de M. Guité devant le comité, il ne peut être démontré que le contre-interrogatoire n'aura pas pour effet de porter un jugement défavorable sur ce que M. Guité a affirmé au comité.


            4.         Équité procédurale

[98]            Le demandeur prétend que le commissaire a manqué à l'équité procédurale en refusant le contre-interrogatoire sur les déclarations antérieures prétendument incompatibles de M. Guité. Comme je l'ai souligné, cette prétention est inexacte. Si la décision du commissaire est correcte, il ne peut y avoir de manquement à l'équité procédurale de refuser le contre-interrogatoire puisque le commissaire n'a d'autre choix que d'appliquer le privilège.

[99]            Néanmoins, il m'apparaît important, vu les circonstances, de terminer en rappellant les principes d'équité procédurale qui s'appliquent lorsqu'il s'agit d'une commission d'enquête.

[100]        Il est bien établi que l'équité procédurale varie un fonction du type d'organisme qui doit l'appliquer. Une commission d'enquête n'est pas une cour de justice. Elle n'est donc pas tenue d'observer l'équité sur le plan de la procédure de la même façon qu'un organisme ayant un pouvoir décisionnel (Boyle c. Canada, [1997] A.C.F. no 942; Beno c. Canada, [2002] 3 C.F. 499).


[101]        Le demandeur s'appuie sur l'affaire R. c. Kuldip, [1990] 3 R.C.S. 618, où la Cour suprême du Canada avait affirmé qu'il était permis de contre-interroger un témoin sur une déclaration antérieure mais seulement dans le but d'attaquer sa crédibilité et non pas de l'incriminer. Je ne trouve pas cet argument persuasif.

[102]        Bien que je reconnaisse que la protection accordée par l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) se rapproche de celle accordée par l'article 9 du Bill of Rights de 1689, le contexte dans lequel nous nous trouvons est différent du contexte de l'affaire Kuldip, précitée[4].

[103]        Dans cette affaire, le contre-interrogatoire du témoin avait lieu dans une cour de justice où le témoin était confronté à une accusation d'avoir omis de s'arrêter lors d'un accident dans l'intention d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle, en contravention avec le paragraphe 233(2) du Code criminel, L.R.C. 1970, ch. C-34.

[104]        Cette situation contraste fortement avec la nature de la Commission Gomery. Le commissaire n'a pas le pouvoir de rendre de verdict de culpabilité mais uniquement de faire des recommandations, comme l'a souligné le juge Cory dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada - Commission Krever), [1997] 3 R.C.S. 440, à la p. 460 :


Une commission d'enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l'appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l'égard de dommages. Il s'agit plutôt d'une enquête sur un point, un événement ou une série d'événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d'une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l'enquête. Elles n'ont acun lien avec des critères judiciaires normaux. Elles tirent leur source et leur fondement d'une procédure qui n'est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d'une cour de justice. Les conclusions d'un commissaire n'entraînent aucune conséquence légale. Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet.

[105]        Parfois le droit de contre-interroger constituera un élément de l'équité procédurale (voir p. ex., Krever, précité), alors qu'à d'autres occasions, ce ne sera pas le cas (voir p. ex., Beno, précitée). À mon avis, le fait de refuser au demandeur le droit de contre-interroger le témoin sous un rapport - concernant son témoignage devant le comité parlementaire - satisfait aux exigences de l'équité procédurale. Le demandeur s'est vu accorder le statut de partie, il a pu témoigner assisté d'un avocat, il a également pu procéder au contre-interrogatoire de tous les témoins dont M. Guité (sauf les déclarations antérieures faites par celui-ci devant le comité parlementaire) et il pourra présenter des observations finales.


[106]        De plus, comme le commissaire l'a lui-même souligné, même sans avoir recours au témoignage antérieur de M. Guité devant le comité, il lui est possible de tirer des conclusions satisfaisantes sur la crédibilité de M. Guité, considérant son expérience de juge, la documentation figurant au dossier, les déclarations contradictoires antérieures que M. Guité a pu faire ailleurs que devant ce comité particulier, ainsi que les indices usuels qu'utilisent les juges des faits, comme la manière dont les témoins se comportent, les contradictions éventuelles figurant dans leur témoignage et la preuve fournie par les autres témoins.

DISPOSITIF

[107]        Les événements et les circonstances qui ont déclenché l'enquête du Comité des comptes publics de la Chambre des communes et, à leur tour, la création de la Commission Gomery de même que le présent contrôle judiciaire illustrent la concertation entre les différents ordres de gouvernement tout en insistant sur la nécessité concomitante de respecter le domaine légitime de compétence de chacun.

[108]        Le privilège parlementaire aide à délimiter ces domaines légitimes de compétence, ce qui en fait un aspect fondamental de notre démocratie constitutionnelle. Il assujettit à la compétence exclusive du Parlement ces pouvoirs, privilèges et immunités qui sont nécessaires à son fonctionnement dans le contexte canadien actuel. Je suis d'avis que le fait d'empêcher le contre-interrogatoire fondé sur des éléments de preuve présentés à un comité parlementaire est nécessaire pour ce comité principalement parce qu'il encourage les témoins à parler ouvertement.


[109]        De plus, cela s'avère un élément essentiel pour le bon fonctionnement du comité en matière d'investigation ou d'inquisition. Cela prévient également la possibilité qu'une conclusion de fait d'une cour de justice ou d'une commission d'enquête contredise une conclusion de fait d'un comité parlementaire ou de l'ensemble du Parlement.

[110]        Puisque ce pouvoir relève de la compétence exclusive du Parlement, toute proposition selon laquelle il y a eu déni d'équité procédurale à l'égard du demandeur lorsque la Commission a refusé le contre-interrogatoire ne saurait être retenue. Ni la Commission ni la Cour ne sont dans une position leur permettant de mettre en doute la manière dont le Parlement choisit d'exercer ses privilèges; agir ainsi irait à l'encontre de notre structure constitutionnelle.

[111]        En conséquence, la décision du commissaire sur l'immunité parlementaire était correcte et la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                           JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

La décision du commissaire Gomery sur l'immunité parlementaire est maintenue.

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2250-04

INTITULÉ :                                        L'honorable Alfonso Gagliano

et

Le Procureur général du Canada, La Chambre des communes, M. Charles Guité

et

La Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activitiés publicitaires

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 12 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                       Le 27 avril 2005

COMPARUTIONS :

Me Magali Fournier                                                       pour le demandeur

Me André Lespérance

Me Warren Newman                                         pour le défendeur, Procureur général du Canada

Me Chantal Masse

Me Dara Lithwick

Me Sarah Woods                                                          pour la défenderesse, Chambre des communes

Me Richard Auger                                                         pour le défendeur, M. Charles Guité

Me Raynold Langlois

Me Marie-Geneviève Masson                            pour l'intervenant


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fournier associés

Montréal (Québec)                                                        pour le demandeur

M. John H. Sims, c.r.    

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                           pour le défendeur, Procureur général du Canada

McCarthy Tétrault

Montréal, Québec                                                         pour la défenderesse, Chambre des communes

Edelson & associés

Ottawa, Ontario                                                            pour le défendeur, M. Charles Guité

Langlois, Kronström Desjardins

Montréal, Québec                                                         pour l'intervenant



[1]    Mes commentaires, quant au doute qui subsiste chez un témoin sur la portée du privilège qui lui est accordé, valent aussi quant au pouvoir qu'a le Parlement de renoncer au privilège. La Commission de réforme du droit de l'Ontario, dans un rapport intitulé Report on Witnesses before Legislative Committees (Toronto: Ministry of the Attorney General, 1981), recommandait l'abolition de ce pouvoir de renonciation du Parlement à la p. 113 :

However, it must also be borne in mind that any power on the part of the Assembly to withdraw protection at some later date not only would smack of bad faith, but also might make a witness feels particularly vulnerable at a committee proceeding. This perceived vulnerability might well prevent the witness from giving full and open testimony. This inhibition would, in turn, reduce the effectiveness of committee hearings.

On balance, therefore, the Commission recommends that new legislation should make it unambiguous that the Legislative Assembly has no jurisdiction to withdraw the proposed protection and therefore to permit a witness's evidence to be used at any subsequent proceeding. [footnote omitted]

[2]    Néanmoins, la Commission de réforme du droit de l'Ontario a fait remarquer qu'il incombe aux tribunaux de prendre dûment en compte « a resolution of the Assembly concerning the nature of a privilege respecting witnesses, particularly if it were accompanied by reasons why the privilege is considered essential to the proper functioning of committees » : Report on Witnesses before Legislative Committees, précité, à la p. 106.

[3]    Report on Witnesses before Legislative Committees, précité, à la p. 100, en citant May, Erskine, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 19th ed. (London : Butterworths, 1976), at 201.

[4]    Je note que le texte de l'article 13 de la Charte précise que « [c]hacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres instances, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires » . Cette exception ne se retrouve pas à l'article 9 du Bill of Rights de 1689. Bien que j'aie insisté sur le fait que les termes de l'article 9 ne définissaient pas la portée du privilège de la liberté de parole au Canada, je crois malgré tout qu'il est important de noter cette différence dans le texte si l'on veut appliquer le raisonnement de l'affaire Kuldip, précitée, à la présente affaire.

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