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Date : 20030220

Dossier : T-1331-01

Référence neutre : 2003 CFPI 201

Ottawa (Ontario), le 20 février 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                              AVNER GORDON et DAVID GORDON

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'alinéa 33c) des Règles de la Cour fédérale (1998) et visant la décision datée du 21 mars 2001 par laquelle la Greffière de la citoyenneté canadienne (la greffière), Patricia Birkett, a refusé de délivrer des certificats de citoyenneté aux demandeurs nés à l'étranger.


Contexte

[2]                 Les demandeurs, Avner Gordon (Avner) et David Gordon (David) (les demandeurs), sont des frères qui sont citoyens et résidents d'Israël. Ils sont nés en Israël, le premier le 8 janvier 1956 et le second le 15 novembre 1952.

[3]                 Feu le père des demandeurs, Matthew Isaac Gordon (Matthew), était un citoyen canadien né à Kitchener (Ontario), le 22 décembre 1916. En vertu de la Loi de naturalisation de 1914, Matthew est devenu sujet britannique de naissance du fait de sa naissance au Canada. Il a été réputé citoyen canadien de naissance par effet de la loi, aux termes de l'alinéa 4(1)a) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1947 et qui l'est restée jusqu'au 14 février 1977.

[4]                 La naissance de David et celle d'Avner ont été enregistrées auprès du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, et chacun des demandeurs s'est vu délivrer un certificat de citoyenneté en vertu de l'alinéa 5(1)b) de l'ancienne Loi. Cet alinéa porte sur l'enregistrement des enfants de père canadien nés du mariage à l'étranger. Une fois ces enfants enregistrés, ils deviennent citoyens canadiens avec effet rétroactif à leur naissance. Les demandeurs ont également acquis la citoyenneté israélienne du fait de leur naissance en Israël.

[5]                 En décembre 1951, Matthew a déménagé en Israël dans l'intention de s'y installer. Selon des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur d'Israël, Matthew aurait pu obtenir automatiquement la citoyenneté israélienne par effet de la loi, en vertu de l'alinéa 2(b)(2) de la loi sur la nationalité israélienne 5712-1952, lorsqu'il est devenu résident permanent d'Israël en vertu de la loi sur le retour 5710-1950. Le 20 mai 1959, toutefois, Matthew a renoncé à la citoyenneté israélienne, en vertu de l'alinéa 2(c)(2) de la loi sur la nationalité israélienne.

[6]                 Matthew a travaillé comme gestionnaire pour une filiale de Israel Aircraft Industry, s'occupant de questions relatives à la sécurité nationale. Comme cet emploi concernait de l'information confidentielle, l'employeur de Matthew l'a informé qu'il lui faudrait devenir citoyen israélien. Le 8 février 1969, Matthew a adressé au « chef du Bureau de l'immigration et de l'enregistrement » du ministère de l'Intérieur d'Israël une lettre dans laquelle il demandait à obtenir la citoyenneté israélienne. Dans cette lettre, Matthew demandait également au ministre de l'Intérieur d'exercer ses pouvoirs de manière à ce qu'il puisse obtenir la citoyenneté israélienne sans avoir à renoncer à la citoyenneté canadienne.


[7]                 Matthew est devenu citoyen israélien en date de cette lettre. Des fonctionnaires de la citoyenneté canadiens ont établi qu'étant devenu citoyen israélien, Matthew avait cessé d'être citoyen canadien en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33 (l'ancienne Loi). Ce paragraphe prévoit qu'un citoyen canadien perd sa citoyenneté lorsqu'il acquiert la citoyenneté d'un autre pays par un acte volontaire et formel. David et Avner ont par conséquent chacun perdu leur statut de citoyen canadien, par application du paragraphe 20(1) de l'ancienne Loi. Selon ce paragraphe, lorsque le parent responsable d'un enfant mineur cesse d'être citoyen canadien, cet enfant cesse d'être citoyen canadien s'il est ou s'il devient, en vertu des lois d'un autre pays, citoyen de ce pays.

[8]                 À plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, des demandeurs ont contesté auprès de fonctionnaires de la citoyenneté canadiens la perte de leur citoyenneté canadienne. À chaque fois on les a informés qu'ils avaient cessé d'être citoyens canadiens par application automatique des paragraphes 15(1) et 20(1) de l'ancienne Loi. Le 15 mai 2000, les demandeurs ont présenté à l'extérieur du Canada une demande de certificat de citoyenneté. La greffière a rejeté cette demande au moyen d'une lettre datée du 21 mars 2001 :

[traduction]

Nous avons de nouveau examiné avec soin cette question et nous continuons d'estimer que feu M. Matthew Gordon ainsi que ses fils ont cessé d'être des citoyens canadiens. Les circonstances entourant la perte de leur statut de citoyen sont décrites en détail dans la lettre du 2 juin 1999 du précédent greffier.

À mon avis, la preuve la plus révélatrice étayant la conclusion que feu M. Gordon a demandé volontairement et formellement la nationalité israélienne consiste en sa lettre datée du 9 février 1969 adressée au ministre de l'Intérieur d'Israël. Dans cette lettre, feu M. Gordon demandait expressément à obtenir la citoyenneté israélienne. Dans une lettre, traduite, datée du 13 janvier 1985 et transmise par le ministère de l'Intérieur d'Israël à l'ambassade canadienne à Tel Aviv, les autorités israéliennes compétentes ont confirmé que feu M. Gordon avait obtenu la citoyenneté israélienne en date de sa lettre. M. Gordon et ses deux fils ont perdu leur citoyenneté canadienne par application automatique de la loi une fois que M. Gordon a acquis la nationalité d'un autre pays au moyen d'un acte volontaire et formel.

Compte tenu de ce qui précède, je réitère la demande déjà faite à plusieurs reprises de restitution, pour fins d'annulation, du certificat d'enregistrement d'une naissance à l'étranger délivré à chacun de vos clients.


Les demandeurs contestent cette décision dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

Analyse

[9]                 La situation des demandeurs attire la sympathie, mais je ne puis faire droit à leur demande pour les motifs que je vais maintenant énoncer.

[10]            Les demandeurs ne contestent pas le fait que leur père a « demandé volontairement et formellement » à obtenir la citoyenneté israélienne le 8 février 1969. La seule question en litige est celle de savoir si le paragraphe 20(1) de l'ancienne Loi a été appliqué correctement aux demandeurs qui à l'époque tel qu'ils le déclarent, étaient des mineurs frappés d'incapacité.

[11]            Les conditions prévues au paragraphe 15(1) de l'ancienne Loi ont été remplies lorsque Matthew a écrit sa lettre au ministère de l'Intérieur d'Israël, et la perte de la citoyenneté canadienne était conforme aux dispositions de ce paragraphe.

[12]            Par suite, David et Avner, qui étaient citoyens israéliens de naissance, ont perdu leur citoyenneté canadienne par application automatique du paragraphe 20(1). Toutes les conditions énoncées au paragraphe 20(1) étaient réunies en l'espèce :


·           lorsque Matthew a obtenu la citoyenneté israélienne, David et Avner étaient des mineurs soit, selon la définition de l'alinéa 2m) de l'ancienne Loi, des personnes n'ayant pas atteint l'âge de vingt et un ans;

·           leur parent responsable, soit leur père selon la définition de l'alinéa 2n) de l'ancienne Loi, a cessé d'être un citoyen canadien en vertu de l'article 15 de l'ancienne Loi;

·           à l'époque, les demandeurs étaient citoyens d'un autre pays, Israël.

Le paragraphe 20(1) de l'ancienne Loi a donc été appliqué correctement en l'espèce.

[13]            Les demandeurs ont soutenu qu'il était inéquitable, déraisonnable et abusif de priver une personne frappée d'une incapacité juridique de sa citoyenneté canadienne sans son consentement et sans qu'elle ait pris en tant qu'adulte de mesure en bonne et due forme, notamment de ratification, à cet égard. Les demandeurs ont cité à l'appui de leur prétention la décision du juge McKeown dans Katkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 549 (1re inst.) (QL). J'ai examiné cette décision, qui traite de l'établissement du pays de nationalité, et je n'ai rien trouvé qui puisse servir de fondement ou de référence pour la prétention des demandeurs. Le juge McKeown a bien abordé la question du consentement, mais dans le cadre de l'exigence prévue dans la loi sur le retour israélienne d'un désir de s'établir en Israël. L'analyse alors faite n'est donc pas applicable en l'espèce, et Katkova n'est d'aucune utilité pour les demandeurs.

[14]            Les demandeurs ont tiré une analogie entre leur situation et celle d'un résident permanent jugé ne pas avoir formé l'intention de renoncer à résider au Canada même s'il demeure à l'étranger depuis longtemps. Les demandeurs se sont fondés sur des décisions de la Section de l'immigration et de l'ancienne Commission d'appel de l'immigration, où il a été statué ce qui suit :

[...] il est possible pour une personne ayant le statut de résident permanent de rester à l'extérieur du Canada pendant des périodes prolongées sans avoir l'intention de cesser de résider en permanence au Canada. C'est ce que l'on a établi dans le cas de personnes d'âge mineur que leurs parents ou tuteurs avaient fait sortir du Canada, soit parce qu'au moment de leur départ du Canada, elles n'avaient pas la capacité de former l'intention de cesser de résider en permanence au Canada, soit parce qu'elles ne savaient pas qu'elles avaient le statut de résident permanent au Canada quand elles sont parties (Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] S.A.I. n ° 126, au paragraphe 13 (QL)).

[15]            En ce qui concerne la prétention des demandeurs, je note que les dispositions législatives sur la déchéance du statut de résident permanent diffèrent des dispositions en cause en l'espèce. En particulier, l'article 24 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 ne renferme pas de dispositions comparables à celles du paragraphe 20(1) de l'ancienne Loi. En outre, l'article 24 fait appel au concept d' « intention » , alors qu'il n'en est rien au paragraphe 20(1). Je conclus, par conséquent, que la situation susmentionnée d'un résident permanent n'est pas analogue à celle des demandeurs.

[16]            Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont également fait valoir un argument fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés, qu'ils n'ont cependant pas mentionné dans le cadre de leur plaidoirie.


[17]            Puisque les paragraphes 15(1) et 20(1) de l'ancienne Loi ont été correctement appliqués aux faits d'espèce, les demandeurs ont perdu leur citoyenneté canadienne le 8 février 1969. Par suite, la greffière n'a pas commis d'erreur en refusant de délivrer des certificats de citoyenneté aux demandeurs, le paragraphe 12(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 prévoyant que seuls les citoyens canadiens peuvent se faire délivrer un tel certificat. Je ne puis donc modifier la décision de la greffière.

                                           ORDONNANCE

LA COUR rejette l'appel.

             « Judith A. Snider »            

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            T-1331-01

INTITULÉ :                                           AVNER GORDON et DAVID GORDON

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MERCREDI 12 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :           LE JEUDI 20 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

M. Irvin H. Sherman                           Pour les demandeurs

Mme Leena Jaakkimainen                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

M. Irvin H. Sherman                           Pour les demandeurs

Martinello & Associates

Avocats

255, chemin Duncan Mill

Bureau 208

Don Mills (Ontario)

M3B 3H9

Morris Rosenberg                                 Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030220

                   Dossier : T-1331-01

ENTRE :

AVNER GORDON et DAVID GORDON

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                défendeur

                                                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                        

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