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                                                                                                                                            Date : 20030626

                                                                                                                                       Dossier : T-1374-01

                                                                                                                           Référence : 2003 CFPI 783

Entre :

                                                                       Balwant NAIK

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                       Le Procureur général du Canada

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), datée du 27 juin 2001, dans laquelle celle-ci a rejeté, aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), une plainte déposée par le demandeur contre le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, pour le motif que les allégations de discrimination formulées par le demandeur n'étaient pas fondées.

[2]         L'appelant est un citoyen canadien qui réside à Montréal depuis 1990. Le demandeur est le seul membre de sa famille à résider au Canada et il avait promis à sa mère que, selon la coutume indienne, il essaierait de trouver un bon mari pour sa nièce, Pannaben Shashivadan Patel (Mme Patel).


[3]         Le demandeur a fait connaissance de M. Uttambhai Patel, un résident canadien, à Montréal et par la suite, il l'a présenté à Mme Patel. Le 30 avril 1996, M. Uttambhai Patel et Mme Patel se sont mariés en Inde. Le couple a cohabité en Inde pendant un mois avant que M. Patel retourne au Canada, d'où il a présenté une demande de parrainage pour que son épouse le rejoigne au Canada. M. Patel a par la suite retiré son parrainage et présenté une demande de divorce.

[4]         Le demandeur a retenu les services d'un avocat québécois pour représenter sa nièce dans sa demande reconventionnelle dans l'instance de divorce, dans le but de récupérer la valeur des cadeaux de mariage qui avaient été donnés par sa famille.

[5]         Mme Patel a présenté trois demandes de visa de visiteur pour pouvoir assister à l'instruction de son divorce au Canada qui ont débouché sur trois refus du Haut Commissariat du Canada de New Delhi, datés des 17 septembre, 12 octobre et 9 novembre 1998.

[6]         Lorsque Mme Patel a présenté une quatrième demande de visa de visiteur, elle a obtenu une entrevue au Haut Commissariat canadien de New Delhi, le 8 mars 1999. Sa quatrième demande a été refusée par la suite. Le 22 mars 1999, la Cour supérieure du Québec a prononcé le divorce et rejeté la demande reconventionnelle de Mme Patel.

[7]         Mme Patel a demandé à la Cour fédérale du Canada d'examiner le refus dont elle a fait l'objet. Le juge Muldoon a rejeté la demande de Mme Patel pour le motif que la question était devenue théorique, le demande de divorce ayant déjà été entendue.


[8]         Le 5 novembre 1999, le demandeur a déposé une plainte pour discrimination fondée sur la situation de famille et le sexe auprès de la CCDP. Dans un rapport daté du 20 février 2001, Mélanie Morier a recommandé le rejet de la plainte. La CCDP a rejeté la plainte dans une lettre datée du 27 juin 2001 et adressée au demandeur.

[9]         La CCDP a fourni l'explication suivante à l'appui du rejet de la demande du demandeur :

[traduction]

Avant de prononcer sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a été communiqué et les observations que vous avez pu produire en réponse à ce rapport. Après avoir examiné ces éléments, la Commission a décidé de rejeter la plainte, conformément à l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, pour les raisons suivantes :

les preuves ne confirment pas les allégations selon lesquelles les agents des visas ministériels ont agi de façon discriminatoire à l'endroit de la nièce du plaignant en refusant (à plusieurs reprises) de lui accorder un visa de visiteur;

les preuves indiquent que la nièce du plaignant n'a pas convaincu les agents des visas qu'elle remplissait les conditions prévues par la Loi sur l'immigration, ni qu'elle retournerait en Inde après sa visite.

[10]       Le demandeur soutient que la CCDP a refusé d'exercer ses pouvoirs, parce qu'elle n'a pas pris de décision à l'égard de sa plainte fondée sur la discrimination mais semble plutôt s'être attachée à vérifier les allégations de discrimination présentées par sa nièce. La CCDP a toutefois clairement rejeté la plainte du demandeur. Pour ce faire, elle a été obligée de mentionner la discrimination alléguée dont faisait l'objet la nièce du demandeur, étant donné que le refus de lui accorder un visa de visiteur était à la base de la plainte du demandeur.


[11]       À titre subsidiaire, le demandeur soutient que la CCDP n'a pas suffisamment motivé sa décision. Cependant, étant donné que la CCDP n'est pas tenue de fournir des motifs pour une décision prise aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi (Brochu c. Banque de Montréal (1999), 251 N.R. 207 (C.A.F.)), l'explication fournie dans la lettre est suffisante. En outre, la CCDP n'a pas souscrit expressément au rapport de l'enquêteur, que le demandeur avait en sa possession et au sujet duquel il a présenté des commentaires, mais l'on peut déduire du fait qu'elle a adopté dans sa lettre deux des recommandations de l'enquêteur que la Commission a adopté les parties du rapport qui se rapportaient à ces recommandations. Il faut donc penser que la CCDP a adopté le raisonnement de l'enquêteur sur ce point, ce qui vient compléter les motifs laconiques figurant dans la lettre de rejet (voir Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, page 134 (C.A.)).

[12]       Le demandeur soutient également que la CCDP a omis d'examiner en détail sa plainte conformément aux dispositions de la Loi et des règles en matière de droits de la personne, et qu'une telle omission constitue une violation de l'équité procédurale. Il soutient que l'enquêteur a commis une erreur dans son interprétation de la jurisprudence applicable aux motifs de discrimination que la CCDP avait le pouvoir d'examiner. Je retiens cet argument.

[13]       Les parties pertinentes du rapport de l'enquêteur se lisent comme suit (pages 122 et 123 du dossier du demandeur) :

[traduction]

Cependant les décisions Canada (Secrétaire d'État) c. Menghani et Menghani c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada précisent que, si une personne qui se trouve dans la situation de M. Naik peut déposer une plainte fondée sur la situation de famille, il n'y a pas lieu de faire enquête sur les motifs de discrimination reliés à la situation des membres de sa famille, puisque ces personnes n'ont aucun statut juridique au Canada. Par conséquent, les allégations de discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille (divorcée) et l'origine nationale ou ethnique (indienne) dans le cas de Mme Patel ne peuvent pas être prises en considération ni examinées. La seule allégation sur laquelle il y a lieu de faire enquête est la possibilité que les refus (répétés) de la CIC d'accorder un visa de visiteur à la nièce du plaignant aient été irrégulièrement fondés sur sa situation de famille.

[. . .]

Il est recommandé que, conformément à l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission rejette la plainte pour les raisons suivantes :

_              les décisions Canada (Secrétaire d'État) c. Menghani et Menghani c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada précisent que le seul motif de discrimination dont il faut tenir compte et sur lequel porte l'enquête est la situation de famille, parce que c'est le seul qui soit relié à la personne qui se trouve légalement au Canada et qui possède le droit de déposer une plainte auprès de la Commission . . .


[14]       Le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) ni la Cour fédérale n'ont jamais déclaré dans les affaires citées ci-dessus que le seul motif de discrimination susceptible d'être pris en compte et de faire l'objet d'une enquête était la situation familiale. En fait, le TCDP déclare ce qui suit dans la décision Menghani c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1992), 17 C.H.R.R. D/236 :

[63]      L'objectif avoué de la Loi sur l'immigration de réunir les proches parents ne doit pas bénéficier uniquement au seul requérant présentant une demande d'immigration. Il doit également profiter au garant ou au répondant en assurant la réunion de sa famille dans leur nouveau pays, le Canada. Tout acte qui empêche un garant de jouer un rôle dans la demande porte atteinte aux droits et aux avantages qui lui sont conférés par la Loi sur l'immigration. Lorsque cet acte est jugé discriminatoire, le garant au Canada est tout autant une victime que le requérant. Si on se fonde sur cette interprétation, Jawahar a fait personnellement l'objet d'une discrimination par suite de l'exigence des autorités de l'Immigration et on peut le qualifier de victime directe.

[64]      En conséquence, le Tribunal estime que Nandlal s'est vu imposer des conditions restrictives (exigences quant aux documents à fournir) qui ont eu un effet disproportionné sur lui du fait de son origine nationale (l'impossibilité d'obtenir les documents) en violation de l'art. 5 de la LCDP. Nous conclurions que Jawahar a lui aussi été victime de cet acte discriminatoire et qu'en conséquence, le Tribunal a compétence pour se prononcer sur la plainte formulée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

         (Non souligné dans l'original)


[15]       La décision du TCDP a été confirmée sur ce point par la Cour fédérale dans Canada (Secrétaire d'État aux Affaires extérieures) c. Menghani, [1994] 2 C.F. 102 (1re inst.). La relation familiale qui existait entre la personne qui demandait la résidence (Nandlal) et son frère (Jawahar), un citoyen canadien qui l'aidait dans sa demande, a été utilisée pour établir que Jawahar avait le statut de « victime » aux termes de la Loi et que, par conséquent, le TCDP avait le pouvoir de faire enquête sur sa plainte. La plainte de Jawahar était fondée sur la situation de famille mais le Tribunal a dû faire enquête sur la discrimination commise à l'égard de Nandlal en raison de son origine nationale pour déterminer si, par extension, il y avait eu également discrimination contre Jawahar. De la même façon, dans Naqvi c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration et Ministère des Affaires extérieures) (1993), 19 C.H.R.R. D/139 (TCDP), les plaignants étaient la soeur et le beau-frère d'une femme pakistanaise, Naz Jaffery, à qui l'on avait refusé un visa de visiteur pour venir au Canada. Le TCDP a non seulement examiné les motifs de discrimination mentionnés par les plaignants, à savoir leur race et leur couleur, leur origine nationale ou ethnique et la situation de famille de Naz Jaffery mais a également ajouté le sexe et l'âge de cette dernière personne pour déterminer s'il y avait eu discrimination contre elle et si, par extension, l'agent des visas avait commis un acte discriminatoire contre les membres canadiens de sa famille. Manifestement, dès qu'il est établi que le TCDP a le pouvoir d'entendre une plainte dans de telles circonstances, il doit faire enquête sur tous les motifs de discrimination possible dont a pu faire l'objet un membre de la famille du plaignant pour déterminer si le plaignant a lui-même été victime de discrimination.

[16]       La confusion qu'a faite l'enquêteur sur ce point transparaît dans l'interprétation qu'a donnée le défendeur de l'arrêt Singh, [1989] 1 C.F. 430, à la page 442, dans lequel la Cour d'appel fédérale n'a pas déclaré qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte ou de faire enquête sur les motifs de discrimination reliés à la situation des membres de la famille. En fait, d'après le juge Hugessen, les pratiques discriminatoires exercées contre des membres de la famille peuvent constituer des pratiques discriminatoires contre des citoyens canadiens :

J'irais cependant beaucoup plus loin. La question de savoir qui est la « victime » de l'acte discriminatoire reproché est presque exclusivement une question de fait. La législation sur les droits de la personne ne tient pas tant compte de l'intention à l'origine des actes discriminatoires que de leur effet8. L'effet n'est d'aucune façon limité à la « cible » présumée de l'acte discriminatoire et il est tout à fait concevable qu'un acte discriminatoire puisse avoir des conséquences qui sont suffisamment directes et immédiates pour justifier qu'on qualifie de « victimes » des personnes qui n'ont jamais été visées par l'auteur des actes en question. Ainsi donc, même dans le cas d'un refus de délivrer des visas de visiteur, il est loin d'être impossible que les plaignants qui se trouvent au Canada et qui désirent recevoir la visite de parents se trouvant à l'étranger soient eux-mêmes victimes d'actes discriminatoires qui sont dirigés contre les parents en question. Un exemple simple illustrera la chose. Pourrait-on sérieusement prétendre qu'un citoyen canadien qui a besoin d'une visite d'un frère ou d'une soeur pour obtenir la transplantation d'un organe vital n'est pas victime du refus de délivrer, pour des motifs illicites, un visa de visiteur à ce frère ou à cette soeur?

                               

8Voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Limited et autres, [1985] 2 R.C.S. 536.


[17]       En l'espèce, l'enquêteur a manifestement fondé sa recommandation sur le principe que la seule allégation susceptible de faire l'objet d'un examen était que les refus des agents des visas constituaient des actes discriminatoires fondés sur la situation de famille. C'est une erreur de droit et en se contentant d'adopter les recommandations de l'enquêteur, la CCDP a fondé sa décision sur la même erreur de droit.

[18]       Je souscris également à l'argument du demandeur selon lequel l'enquêteur a commis une erreur en restreignant son enquête à la seule discrimination directe et intentionnelle. Au paragraphe 27 de son rapport, l'enquêteur énonce ce qui suit :

Par conséquent, c'est la motivation des agents des visas, qui ont refusé d'accorder un visa à Mme Patel parce qu'ils ont conclu que cela serait contraire à la Loi et au Règlement sur l'immigration qui sera examinée. . .

Cette affirmation a pour effet, intentionnel ou non, d'exclure la possibilité de soustraire de l'enquête la possibilité qu'il y ait eu discrimination involontaire ou discrimination indirecte. En outre, l'enquête ne porte aucunement sur les mobiles des agents des visas (Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, et Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695), ni sur leur compréhension de la culture et de la société indiennes. L'enquêteur n'a pu examiner correctement la question de savoir si les refus opposés aux demandes de visas de visiteur présentées par Mme Patel constituaient de la discrimination, parce qu'il s'est principalement fondé sur des aspects non pertinents.

[19]       En se contentant d'adopter les recommandations de l'enquêteur, la CCDP a elle aussi fondé sa décision sur la même erreur de droit qu'avait commise l'enquêteur.


[20]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la CCDP, datée du 27 juin 2001 annulée, et l'affaire renvoyée à un tribunal de la CCDP différemment constitué pour nouvel examen, conformément aux motifs ci-dessus. Les dépens sont accordés au demandeur.

                                                                                                                                             « Yvon Pinard »            

                                                                                                                                                                 Juge                     

OTTAWA (ONTARIO)

le 26 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1374-01

INTITULÉ :                                           Balwant NAIK c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 27 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                        le 26 juin 2003

COMPARUTIONS:

Mme May Chiu                                                                               POUR LE DEMANDEUR

M. Michel Pépin                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mme May Chiu                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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