Date :19981211
Dossier : T-522-89
ENTRE:
CLAUDE CÔTÉ
Demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
Défenderesse
MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE BLAIS
[1] Le demandeur Claude Côté fait appel de la décision de l'honorable juge J.C.I. Tremblay, lequel a maintenu la cotisation émise par la défenderesse.
[2] En tout début d'audience, le demandeur Claude Côté a admis que le seul point en litige était à savoir si le demandeur était un employé ou s"il était un entrepreneur autonome et que à cet effet, la dépense de 12 815,19 $ puisse être considérée comme une dépense au sens de l'article 18 (1)(a) de la Loi de l'impôt sur le revenu , lequel se lit comme suit:
18.(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d"une entreprise ou d"un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles: (a) débours ou une dépense sauf dans la mesure où elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise; |
18.(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of (a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property; |
[3] Le demandeur admet d'emblée que s'il ne peut être considéré comme étant un entrepreneur la dépense n'est pas admissible face à son revenu pour l'année 1985.
LES FAITS
[4] Le demandeur a expliqué qu'à la suite de ses études doctorales aux États-Unies et ses études post-doctorales en Europe, il avait soumis un projet de recherche à plusieurs centres universitaires québécois et avait manifesté son intérêt à venir travailler au Québec.
[5] Après quelques discussions, le "Lady Davis Institute for Medical Research of Sir Mortimer B. Davis", institut rattaché au "Jewish General Hospital" de Montréal manifestait son intérêt et, après certaines discussions et négociations, le Dr. Claude Côté acceptait de se joindre à l'équipe de chercheurs du "Lady Davis Institute".
[6] Cet institut regroupe un certain nombre de chercheurs qui ont chacun un programme de recherche pour lequel chacun reçoit, de son côté, des fonds de la part de différents fonds de recherche canadiens et internationaux.
[7] Chacun des chercheurs s'occupe de son programme de recherche et de l'administration de ce programme, une fois qu'il a été accepté par l'organisme subventionnaire.
[8] Pour l'année 1985, le Dr. Claude Côté avait déposé une demande de subvention auprès du Conseil de recherche médicale du Canada, en date du 31 octobre 1983.
[9] Pour que la demande soit recevable, la demande de subvention doit être faite conformément au guide de subventions et bourses, lequel guide émane du Conseil de recherche médicale du Canada.
[10] Il est impératif que le chercheur qui dépose la demande de subvention démontre qu'il est rattaché à un centre de recherche qui est susceptible de lui fournir la logistique et les équipements nécessaires pour réaliser le programme de recherche.
[11] Pour l'année 1985, le Dr. Claude Côté a déposé sa demande de subvention, appuyé par M. Arche Deskin, directeur exécutif et M. N. Kalant, m.d., tous deux rattachés au "Lady Davis Institute for Medical Research of Sir Mortimer B. Davis" et au "Jewish General Hospital".
[12] Suivant le témoignage du Dr. Côté, il apparaît que l'institut ne fait que regrouper les chercheurs qui se réunissent de temps à autre pour prendre des décisions de logistique quant à la gestion des locaux utilisés par l'institut.
[13] Quant à l'institut lui-même, il reçoit une subvention de l'ordre de quatre à six cent milles dollars du fonds de recherche en santé du Québec, laquelle subvention sert à payer les frais généraux de l'institut et à couvrir notamment une rémunération de subsistance pour un ou deux chercheurs qui n'ont pas d'autre moyen de subsistance.
[14] Quant aux autres chercheurs membres de l'institut, certains sont professeurs dans différents centres universitaires, d'autres reçoivent des bourses d'autres sources pour effectuer leurs recherches, d'autres bénéficient de contrats rémunérés de recherche.
[15] Quant au Dr. Côté, il recevait une somme qui au départ au début de l'année 1980, était autour de vingt milles dollars comme rémunération de subsistance, laquelle somme était de l'ordre de quarante milles dollars pour l'année 1985.
[16] Pour des fins d'administration, la subvention affectée au programme de recherche du Dr. Côté, et suivant la notification d'octroi expédiée au Dr. Claude Côté en date du 4 juin 1984 "cette subvention sera versée dans la caisse commune des subventions du Conseil sous la gestion du trésorier de l'institution où vous conduisez vos travaux, pour couvrir vos dépenses au fur et à mesure que vous autoriserez les paiements".
[17] Suivant l'approbation de chaque subvention annuelle, les dépenses sont autorisées par le Dr. Côté ou son adjointe à l'époque, Mme Boulet, lesquels transmettent les autorisations au service d'achat du "Jewish Hospital" qui s'occupe d'effectuer les paiements suivant les autorisations données par le Dr. Côté ou son adjointe, agissant en cela comme fiduciaire des sommes versées par le Conseil de recherche médicale du Canada.
[18] Le Dr. Côté a témoigné à l'effet que le programme de recherche qu'il supervise depuis 1980 constitue une entreprise en elle-même, visant à générer de la propriété intellectuelle susceptible de déboucher sur une capacité de commercialiser les produits biomédicaux développés ou encore de générer des retombées économiques par la notoriété du projet, présentation de séminaires, etc.
[19] Le Dr. Côté a clairement témoigné à l'effet qu"il ne pouvait recevoir une rémunération à l'intérieur de l'octroi remis par le Conseil de recherche médicale du Canada pour l'année 1985, mais que sa rémunération de subsistance lui venait des fonds généraux de l'institut qui reçoit des sommes d'une autre source, soit le Fonds de recherche en santé du Québec.
[20] Le Dr. Côté a témoigné également à l'effet qu'il n'avait aucun lien hiérarchique avec le "Jewish Hospital" et que ce dernier n'avait qu'un rôle de fiduciaire pour les sommes versées par le Conseil de recherche médicale du Canada et que c'est le "Jewish Hospital" qui s'occupait de préparer les chèques et de les expédier aux fournisseurs pour et au nom du chercheur responsable du programme de recherche.
[21] Quant au procureur de la défenderesse, il prétend que tout dans la preuve tend à démontrer que le Dr. Côté était un employé de l'hôpital, qu'il était payé de cette façon et que les articles 8(1)(b) et 8(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent et que la dépense de 12 815,19$ constituant la somme des frais judiciaires engagés par le demandeur dans le cadre d"une action en injonction devant la Cour supérieure du Québec visant à préserver son contrat avec le "Lady Davis Institute" et le "Jewish General Hospital", ne peut être acceptée comme dépense admissible au sens de l'article 18(1)(a) de la Loi de l'impôt sur le revenu .
LE DROIT
[22] L'article 8(1)(b) et 8(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu précise:
8(1)(b) Les sommes payées par le contribuable dans l"année à titre de frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par lui en recouvrement du traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou son ancien employeur; 8(2) En dehors des déductions permises par le présent article, aucune autre déduction ne doit être faite lors du calcul du revenu d"un contribuable tiré, pour une année d"imposition, d"une charge ou d"un emploi. |
8(1)(b) Amounts paid by the taxpayer in the year as or on account of legal expenses incurred by him in collecting salary or wages owed to him by his employer or former employer; 8(2) Except as permitted by this section, no deductions shall be made in computing a taxpayer"s income for a taxation year from an office or employment. |
[23] De son côté l'article 18(1)(a) de la Loi précise:
18.(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d"une entreprise ou d"un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles: (a) débours ou une dépense sauf dans la mesure où elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise; |
18.(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of (a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property; |
[24] Le Dr. Côté prétend que la dépense de 12 815,19$ engagée dans la procédure en injonction contre l'institut et l'hôpital, procédure engagée avec succès d'ailleurs, constitue une dépense admissible puisqu'elle lui a permis ultimement de poursuivre son programme de recherche, de procéder de façon organisée au déménagement de son entreprise, d'abord de façon temporaire à l'hôpital Ste-Justice et ensuite à l'Université du Québec à Montréal, pour poursuivre de façon efficace son programme de recherche pour les années subséquentes.
[25] En ce sens, la dépense de 12 815,19$ est une dépense admissible puisqu'elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens et à l'entreprise.
[26] Il n'est pas rare que les contribuables déclarent pour une année fiscale donnée des revenus provenant à la fois d'une somme gagnée à titre de salaire et un autre revenu à titre de revenu d'entreprise.
[27] En effet, le Dr. Côté a témoigné à l'effet que la grande majorité de son temps, particulièrement pour l'année 1985 où des difficultés sont survenues avec ses associés, était occupé au développement et à la coordination de son programme de recherche.
[28] Cela constitue une entreprise bien que pour l'année 1985, cette entreprise n'ait pas produit de revenu pour l'entrepreneur, le Dr. Côté.
[29] Il n'y a pas de doute dans mon esprit, que lorsque le Dr. Côté a pris la décision d'entreprendre une procédure en injonction à l'encontre du "Jewish Hospital" et du "Lady Davis Institute", il l'a fait en tout bonne foi pour protéger la continuité de son programme de recherche, soit son entreprise.
[30] Et à ce titre cette dépense engagée, très utilement d'ailleurs, l'a été en vue sinon de tirer un revenu de l'entreprise, sûrement dans le but de faire produire un revenu à l'entreprise suivant en cela les dispositions de l'article 18(1)(a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
[31] Les dépenses engagées dans une entreprise dans le but de faire produire un revenu à ladite entreprise ne sont pas toujours efficaces.
[32] Dans le cas qui nous occupe, bien que l'entreprise du Dr. Côté n'est pas produit le revenu escompté au cours de l'année 1985, il est bien évident que ce type d'entreprise ne peut voir les bénéfices qu'à long terme.
[33] En cela, si l'on réfère aux grandes entreprises du secteur pharmaceutique par exemple, les programmes de recherche peuvent s'étendre sur plus de dix ans avant qu'un produit pharmaceutique puisse être mis en marché et les sommes engagées aux fins de la recherche de l'entreprise tout au cours de ces dix années sont considérées comme des dépenses engagées par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise.
[34] POUR CES MOTIFS:
- J'accueille l'action du demandeur; |
- Je déclare que la dépense de 12 815,19$ est une dépense engagée par le contribuable Claude Côté en vue de faire produire un revenu à son entreprise; |
- J"ordonne à la défenderesse d'émettre une nouvelle cotisation pour l'année 1985, tenant compte de cette dépense; |
- Je condamne la défenderesse à payer au demandeur les dépens fixés dans les circonstances à la somme de 3 000,00$. |
Pierre Blais
Juge
OTTAWA, ONTARIO
Le 11 décembre 1998