Date : 20030910
Dossier : T-1459-97
Référence : 2003 CF 1056
Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2003
En présence de Madame la juge Tremblay-Lamer
ENTRE :
ITV TECHNOLOGIES, INC.
demanderesse
ET
WIC TELEVISION LTD.
défenderesse
ET :
WIC TV AMALCO INC. et
GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED
demanderesses reconventionnelles
ET
ITV TECHNOLOGIES, INC.
défenderesse reconventionnelle
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente action résulte de l'utilisation par la demanderesse des lettres ITV dans sa dénomination sociale, son nom commercial et le nom de domaine de son site Web, malgré les objections de la défenderesse, qui a enregistré plusieurs marques de commerce où figurent ces mêmes lettres.
[2] La demanderesse (défenderesse reconventionnelle), ITV Technologies Inc. (ITV Technologies) est une société ayant un bureau à Vancouver (Colombie-Britannique). Depuis le 21 novembre 1995, elle exploite une entreprise Internet dont le nom commercial est ITV.net et l'adresse Web, www.itv.net. Elle archive sur ce site Web des séquences vidéo de natures diverses, et transmet en direct sur Internet des émissions audio et vidéo selon les sélections des utilisateurs qui accèdent à ce site au moyen de leurs ordinateurs.
[3] La défenderesse (demanderesse reconventionnelle), WIC Television Ltd. (WIC), est une société ayant un bureau à Vancouver (Colombie-Britannique). Elle travaille dans le domaine de la télédiffusion, de la production de programmes et des communications multimédias.
[4] WIC est le propriétaire inscrit des marques de commerce suivantes :
a) la marque de commerce no TMA 286,066 (lettres ITV et dessin-marque correspondant), employée depuis le 19 août 1982 et enregistrée le 23 décembre 1983, en liaison avec les films, les vidéodisques et vidéocassettes, les disques et les bandes audio et vidéo (marchandises), ainsi qu'avec les programmes de télévision et de radio, la télévision par câble et la production d'oeuvres d'animation (services);
b) la marque de commerce no TMA 467,002 (lettres ITV), employée depuis le 1er septembre 1974 en liaison avec l'exploitation d'une station de télévision et enregistrée le 3 décembre 1996;
c) la marque de commerce no TMA 490,009 (lettres ITV et dessin-marque correspondant), employée depuis le 1er juillet 1994 en liaison avec les services de télédiffusion et enregistrée le 17 février 1998.
[5] WIC est titulaire, sous le régime de la Loi sur la radiodiffusion, d'une licence relative à la station de télévision CITV, sise à Edmonton, qui est en exploitation depuis 1974 sous la dénomination « ITV » .
[6] Depuis le 20 janvier 1995, WIC exploite sous le nom de domaine « ITV.ca » un site Web offrant aux utilisateurs des actualités, des bulletins météorologiques, ainsi que de l'information financière et sur les spectacles.
[7] Vers la fin de 1996, WIC a découvert l'existence d'ITV Technologies et de son site Web. Elle a alors essayé de faire cesser l'usage de la marque ITV par ITV Technologies. L'avocat de WIC a ainsi écrit à celle-ci pour lui demander de cesser d'employer cette marque dans sa dénomination sociale et son nom de domaine. WIC a aussi écrit à Network Solutions Inc. (NSI), la société américaine qui attribue les noms de domaine de premier niveau. ITV Technologies a d'abord accepté, dans le cadre de la politique de règlement officiel des différends de NSI, d'adopter un nouveau nom de domaine, soit « eyetv.net » . Mais en juillet 1997, elle a changé d'avis et engagé la présente procédure devant la Cour fédérale.
[8] ITV Technologies a déposé sa déclaration le 4 juillet 1997. Elle y demande la radiation des marques de commerce de WIC aux motifs qu'elles n'étaient pas enregistrables et ne distinguent plus des autres les marchandises et services de cette entreprise.
[9] Le 24 octobre 1997, WIC a déposé une défense et demande reconventionnelle, ainsi qu'une demande d'injonction provisoire. Dans sa demande reconventionnelle, WIC poursuit ITV Technologies en passing-off, en violation du droit du propriétaire d'une marque à son emploi exclusif et en dépréciation de l'achalandage attaché à des marques déposées, sous le régime, respectivement, de l'alinéa 7 b) et des articles 20 et 22 de la Loi.
[10] Le 25 novembre 1997, WIC a obtenu une injonction provisoire qui a entraîné la fermeture du site Web www.itv.net. Il a été mis fin à l'effet de cette injonction lors d'une nouvelle audience trois semaines plus tard, au motif que WIC n'avait pu établir l'existence d'un préjudice irréparable.
[11] En 2000, WIC a vendu l'entreprise et les marques de commerce ITV à Global. En septembre 2000, ITV est devenue Global Edmonton, et Global a abandonné les marques de commerce ITV. La présente action ne porte donc que sur la période ayant précédé septembre 2000.
ANALYSE
A. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
i) L'utilisation d'Internet à l'instruction
[12] ITV Technologies a demandé l'autorisation d'utiliser Internet pour faire des démonstrations à l'instruction, dans le cadre des contre-interrogatoires et aux fins d'extraction de versions électroniques de documents pour usage à l'instruction. WIC a fait opposition à cette demande, soutenant que les documents communiqués sur Internet relevaient du ouï-dire et étaient inadmissibles pour faire la preuve de leur contenu. Si je suis d'accord avec WIC pour dire que de tels documents étaient inadmissibles comme preuve de leur contenu, j'ai autorisé sous réserve l'utilisation d'Internet dans les cas où les documents extraits de la Toile avaient été produits à la phase de la communication préalable.
[13] À mon avis, lorsqu'il s'agit d'examiner le contenu d'un site Web, l'original se trouve sur Internet et constitue une meilleure preuve qu'un imprimé. La Cour a ainsi pu voir les documents tels qu'ils figuraient sur Internet et examiner l'accomplissement de fonctions telles que l'établissement de liens hypertextes et la transmission interactive en temps réel, qui n'aurait pu être reproduit fidèlement sur papier.
[14] On s'est au départ inquiété de ce que les documents extraits d'Internet à l'instruction pourraient ne pas reproduire exactement l'état qui était le leur pendant la période considérée. Étant donné que les sites Web ne cessent de changer et d'évoluer, un site n'aurait pas nécessairement aujourd'hui le même contenu que, par exemple, en 1997. Afin de permettre l'examen de l'état antérieur du site, les deux parties ont eu recours au site Web www.archive.org, qui propose une bibliothèque numérique des sites Internet. Grâce à un dispositif appelé « Way Back Machine » , les parties ont pu accéder aux sites Web en question tels qu'ils existaient pendant la période considérée. J'estime que ce site d'archives est fiable et que la Cour pouvait compter sur sa bibliothèque numérique pour lui fournir une représentation exacte des sites Web en question durant la période considérée.
[15] Je suis d'avis que, dans l'ensemble, l'utilisation d'Internet à l'instruction ne présentait que des avantages et a permis, dans plusieurs cas, la production d'éléments de preuve dont la Cour n'aurait pu disposer autrement. Par exemple, l'avocat de WIC a utilisé Internet pour confirmer que la copie imprimée des métabalises (information essentielle sur un site Web) était conforme à l'information figurant sur le site Web d'ITV Technologies, ce qui n'aurait pas été possible sans accéder à Internet.
[16] Pour ce qui concerne la fiabilité d'Internet, je souscris à l'idée que, en général, les sites Web officiels, c'est-à-dire ceux qui sont créés et tenus à jour par l'organisme même, fournissent des renseignements plus fiables que les sites Web non officiels, c'est-à-dire ceux qui contiennent de l'information sur l'organisme mais sont offerts par des personnes physiques ou des entreprises.
[17] À mon avis, les sites Web officiels d'organismes connus peuvent fournir des renseignements fiables qui seraient admissibles en preuve, de la même façon que la Cour peut se fier à Carswell ou à C.C.C. pour ce qui concerne la publication des décisions judiciaires, sans avoir à exiger une copie certifiée conforme du texte publié par l'arrêtiste. Par exemple, il est évident que le site Web officiel de la Cour suprême du Canada propose une version exacte des arrêts de ce tribunal.
[18] Pour ce qui concerne les sites Web non officiels, je souscris à l'opinion de M. Carroll, selon laquelle la fiabilité de l'information provenant de tels sites dépend de divers facteurs, notamment une appréciation soigneuse de ses sources, la corroboration indépendante, le point de savoir si le contenu d'origine a pu être modifié et l'objectivité de la personne qui a mis cette information en ligne. Lorsque ces éléments ne peuvent être établis avec certitude, on ne devrait donner que peu de poids, voire aucun, à l'information provenant d'un site Web non officiel.
ii) Admissibilité de la preuve documentaire d'ITV Technologies
[19] ITV Technologies a produit en preuve documentaire des exemplaires de revues et de dictionnaires imprimés, ainsi que des extraits imprimés de cyberdictionnaires et de documents provenant de bibliothèques virtuelles. Dans ces imprimés, les lettres ITV étaient employées comme abréviation de diverses expressions anglaises, signifiant notamment télé-enseignement, télévision interactive, télévision Internet, télévision industrielle et télévision indépendante.
[20] WIC a contesté l'admissibilité de la plus grande partie des imprimés produits par ITV Technologies aux motifs que ces documents relevaient du ouï-dire et que les copies déposées n'étaient pas certifiées conformes. Il est vrai qu'il n'a pas été produit de copies certifiées conformes et que l'admission des exemplaires des documents en question aurait pu être refusée en vertu de la règle traditionnelle de la meilleure preuve. Cependant, l'exactitude des copies que permet la technologie contemporaine a diminué l'importance de la règle de la meilleure preuve. En effet, comme le font observer Sopinka, Lederman et Bryant aux pages 1013 et 1014 de The Law of Evidence in Canada, 2e édition, 1999 :
[traduction] (...) à l'ère des photocopies, des sorties sur imprimante et des vidéocassettes, la question de savoir quel document est l'original n'a pas nécessairement de réponse évidente. En outre, les règles de la preuve devraient refléter les pratiques de la société contemporaine. Lord Lloyd formulait à ce sujet les observations suivantes dans l'arrêt R. v. Governor of Pentonville Prison, ex Parte Osman :
[...] notre Cour ne demanderait pas mieux que de dire adieu à la règle de la meilleure preuve. Nous admettons qu'elle remplissait une fonction importante à l'époque du parchemin et des plumes d'oie. Mais depuis l'invention du papier carbone et, à plus forte raison, du photocopieur et du télécopieur, cette fonction a en grande partie disparu. Dans les cas de poursuite pour faux, le tribunal attribuera peu de poids, voire aucun, à quoi que ce soit d'autre que l'original; de même si l'exemplaire produit devant lui est illisible. Mais le maintien d'une règle d'exclusion générale à ces fins particulières ne se justifie guère à notre avis.
L'état contemporain de la common law, des lois, des règles de pratique et de la technologie a rendu cette règle désuète dans la plupart des cas, et la question qui se pose à ce propos est maintenant celle du poids et non de l'admissibilité.
[21] Par conséquent, je conclus que les exemplaires produits de revues, de dictionnaires et d'autres documents de même nature sont admissibles, comme preuve non pas de leur contenu, mais du fait que les lettres ITV ont pu revêtir diverses significations d'une période à l'autre. Cependant, l'admissibilité de ces documents n'établit pas que quiconque au Canada ait lu aucun d'eux ni que le grand public ait su ce que signifiaient les lettres ITV pendant la période considérée.
[22] En ce qui a trait aux résultats des recherches d'ITV Technologies sur Internet montrant qu'un grand nombre de sites Web emploient les lettres ITV, j'estime, là encore, que la simple existence de ces sites n'établit pas qu'ils aient été visités par des Canadiens ou fussent connus d'eux pendant la période considérée.
B. RÉSUMÉ DE LA PREUVE
Preuve de la demanderesse
[23] Mme Julie Zilber, associée en recherche universitaire, enseignante-chercheuse et codirectrice de Seventh Floor Media à l'Université Simon Fraser, a été admise comme témoin expert pour ce qui concerne la recherche dans le domaine de la télévision multimédia et interactive et l'évolution de ce domaine.
[24] Madame Zilber a déclaré dans son témoignage que le sigle ITV pouvait être employé au sens de télévision interactive ou de télévision Internet. C'est à la fin de 1994 ou au début de 1995 qu'elle a constaté pour la première fois l'usage des lettres ITV dans ce contexte. Le sigle ITV a été adopté parce qu'il est plus court que les expressions anglaises signifiant « télévision interactive » ou « télévision Internet » . L'essence de la notion désignée par ce sigle est la capacité à faire plus qu'une émission normale. Alors que, dans une émission normale, le spectateur regarde passivement le contenu visuel, l' « ITV » permet à l'utilisateur de « dialoguer » avec celui-ci, grâce à des fonctions telles que la transmission à la demande, la pause, le rebobinage, les sélections multiples, le partage en écrans de navigation virtuels multiples à contenus différents, les liens vers les sites apparentés, les guides de programmes, les commentaires alternatifs et le retour d'information de l'utilisateur.
[25] Elle a visité le site www.itv.net et constaté qu'il offrait divers documents vidéo datés de 1997 à 2001. Il constituait selon elle un exemple, en 1995 ou 1997, des sites Web de télévision interactive et de télévision Internet offrant un contenu de nature télévisuelle aux utilisateurs d'ordinateurs personnels connectés à Internet.
[26] Madame Zilber avait peine à croire qu'une quelconque entité travaillant dans le domaine de la télévision pût revendiquer des droits exclusifs sur les lettres ITV, étant donné que celles-ci sont largement employées au sens de télévision interactive et de télévision Internet au Canada, aux États-Unis et sur Internet depuis au moins 1995. ITV est un terme générique auquel tous les acteurs de ce secteur d'activité - sociétés de production de programmes de télévision, télédiffuseurs, câblodistributeurs ou entreprises Internet - attribueraient le sens de télévision Internet ou de télévision interactive.
[27] En contre-interrogatoire, Mme Zilber a reconnu que le sigle ITV pourrait revêtir un sens différent, selon le contexte de son emploi. La signification des expressions « télévision interactive » et « télévision Internet » dépendait elle aussi du type de projet ou d'industrie dont il s'agissait et de leur contexte d'emploi.
[28] M. William Mutual est le président d'ITV Technologies. En 1994, il a effectué une étude intensive des technologies des télécommunications et décidé que la transmission de documents multimédias sur Internet offrait des possibilités d'activité économique viable. En 1995, il a enregistré les noms de domaine « itv.net » et « internexperts.com » . Il a alors constitué la société Internexperts, dont la dénomination sociale est devenue un an plus tard ITV Technologies Inc. Il a décidé de changer la dénomination de l'entreprise parce que le sigle ITV était devenu associé à la télévision Internet, à la télévision interactive et au télé-enseignement, tous domaines qui correspondaient exactement aux possibilités d'activité économique dont il voulait tirer parti. Qui plus est, ce sigle correspondait étroitement au nom de domaine « itv.net » .
[29] Il avait rencontré le terme ITV pour la première fois au début des années 1990, en lisant la revue Byte. Il avait pris conscience du mouvement ITV en 1994 et 1995, époque où se faisaient d'énormes investissements pour intégrer cette technique dans le monde des affaires. Le seul autre emploi du terme ITV dont il eût connaissance était celui qu'en faisait une station de programmation britannique dans son générique après chacun de ses programmes.
[30] ITV Technologies s'est donc engagée dans la transmission de documents multimédias sur Internet, c'est-à-dire dans ce qu'on appelle le plus souvent diffusion Web ou diffusion réticulaire.
[31] La transmission de fichiers en temps réel sur Internet est une activité très différente de la radiodiffusion ou de la télédiffusion traditionnelles. Une station de télévision est pourvue d'une licence, dispose d'une fréquence ou d'un canal donnés et est autorisée à émettre pour un périmètre déterminé. Tous les téléspectateurs regardent le programme par le moyen du même signal, qui est télédiffusé. Mais dans la transmission sur Internet, chaque utilisateur regardant un train de données reçoit son propre signal et doit demander explicitement le train qu'il veut regarder. En outre, alors que le télédiffuseur supporte les mêmes frais quel que soit le nombre des téléspectateurs de son émission, l'entreprise qui transmet des fichiers sur Internet (comme ITV Technologies) doit payer chaque bande passante qu'elle utilise. Par conséquent, les frais du diffuseur Web sont proportionnés au nombre de spectateurs de son émission.
[32] Le fait qu'ITV Technologies ait pu obtenir un nom de domaine .net témoignait de ses capacités réseau. M. Mutual a expliqué que ces noms de domaine étaient réservés par règlement aux gros fournisseurs d'infrastructures de réseau et que son entreprise avait pu remplir les conditions requises en 1995.
[33] En juin 1997, M. Mutual avait participé au festival de télévision et de cinéma de Banff, où il s'était entretenu avec de nombreux télédiffuseurs. Aucun d'entre eux ne confondait Internet et la télévision : ils comprenaient tous qu'Internet était un domaine différent de la télévision. Lors de ce même festival, il avait conversé avec M. McDonald, le PDG de WIC, qui n'avait à aucun moment laissé entendre qu'il pensât qu'ITV Technologies fût liée à WIC. Il y avait aussi fait la connaissance de M. Terry DeBono, qui avait lancé une idée dont allait naître plus tard le programme « Investors On-line » .
[34] « Investors On-line » était un programme d'information financière diffusé le samedi matin sur le réseau de télévision de WIC et, en jumelé, sur Internet. ITV Technologies avait conçu le site Web de ce programme et diffusait en jumelé l'émission vidéo fournie par M. DeBono. M. McDonald était passé à la première émission de ce programme le 27 septembre 1997. Selon M. Mutual, M. McDonald savait ce qu'était la diffusion en jumelé et que celle-ci différait de la télédiffusion ordinaire.
[35] Monsieur Mutual n'avait jamais entendu parler de CITV avant le début du présent litige. Il en avait appris l'existence en 1995, lorsqu'il avait reçu une lettre de la compagnie, et il avait ignoré l'existence du nom de domaine « itv.ca » jusqu'à ce que, en janvier 1997, WIC lui écrivît au sujet de la prétendue violation de son droit sur ses marques de commerce. Il ne se doutait pas qu'on pût penser que son entreprise appartenait à WIC et il n'avait jamais reçu de plaintes relativement à une telle violation de qui ce soit à part WIC.
[36] Monsieur Mutual n'a jamais rencontré personne qui lui ait dit avoir confondu ITV Technologies avec CITV ou WIC Television Ltd. Il n'a reçu que deux ou trois courriels posant des questions sur des programmes de télévision. Dans chaque cas, il a répondu en précisant qu'ITV Technologies n'était pas liée à l'entreprise avec laquelle son correspondant souhaitait communiquer.
[37] Monsieur Mutual estimait qu'il ne portait atteinte aux droits de personne, étant donné l'emploi répandu et commun des lettres ITV, qu'on retrouvait chez de nombreuses entités. En novembre 1997, une recherche de ce groupe de lettres sur Internet avait donné 8 600 résultats avec le moteur Altavista et 2 006 avec Lycos. Une recherche au moyen de Who Is, moteur axé sur les noms de domaine de premier niveau, avait conduit à de nombreux sites où figuraient les lettres ITV. Une recherche de marques de commerce aux États-Unis avait aussi révélé l'existence d'un grand nombre de noms de domaine portant ces lettres.
[38] Au Royaume-Uni, on associait les lettres ITV à la télévision indépendante depuis plus de 40 ans.
[39] En 1997, l'Université Carleton avait offert un cours par télé-enseignement où cette méthode était désignée par le sigle ITV, et le Collège universitaire de la Caribou avait aussi offert un cours par « ITV » .
[40] Afin de démontrer le caractère générique de l'emploi des lettres ITV, ITV Technologies a produit une grande quantité de documents, notamment des dictionnaires imprimés britanniques et américains, des cyberdictionnaires, des revues, et des états de recherche en bibliothèque virtuelle portant des descriptions imprimées de livres et de bandes vidéo. Elle a aussi produit un certain nombre de brevets portant sur des inventions liées à la télévision industrielle, ainsi que sur des inventions dont les désignations comportaient le sigle ITV. La plus grande partie de ces éléments n'a pas été produite comme preuve de son contenu mais pour établir le caractère « générique » de l'emploi des lettres ITV.
[41] Mme Jennifer Blome est entrée au service d'ITV Technologies en avril 1997. Elle travaillait auparavant pour Apple, qui l'avait engagée en 1995 comme directrice de la promotion commerciale de sa division de télévision interactive. Elle était ensuite devenue chef de produit pour Quick Time, la norme de télévision ou de vidéo Internet d'Apple. Les lettres ITV étaient employées dans la boîte à outils médias d'Apple, c'est-à-dire le logiciel permettant le dialogue graphique avec les médias.
[42] M. Allan Pedersen a déclaré dans son témoignage que l'avocat d'ITV Technologies lui avait demandé de faire des recherches. Il avait cherché des pages Web sur le site www.archive.org, copié des extraits de documents de cette bibliothèque virtuelle, et cherché les occurrences du groupe de lettres ITV dans les brevets, ainsi que dans les noms de domaine de premier niveau sur Internet.
[43] M. Martin Triggs avait été étudiant à l'Université Carleton de 1992 à 1996. Il a déclaré dans son témoignage qu'il avait suivi plusieurs cours offerts par « ITV » . Ces cours étaient accessibles soit sur vidéo, soit sur une chaîne déterminée. Pour lui, le sigle ITV signifiait télé-enseignement (instructional television). Il avait aussi entendu parler de l'emploi des lettres ITV en Grande-Bretagne, où elles désignaient une chaîne de télévision.
Preuve de la défenderesse
[44] La preuve de M. James Carroll, un expert d'Internet, est contenue dans deux affidavits.
[45] Monsieur Carroll explique l'attribution des noms de domaine d'Internet à la page 7 de son affidavit :
[traduction] Les adresses des utilisateurs du Web sont fondées sur le DNS plutôt que sur le système d'adresse numérique TCP/IP. Dans le DNS, qui a été établi dans les années 1980, il y a deux groupes principaux de noms de domaine. Le premier, celui des noms de domaine de premier niveau, peut être employé par n'importe qui dans n'importe quel pays; ces noms se terminent en .com, .edu, .org, .net ou .gov (d'autres possibilités ont été ajoutées en 2001). Le second groupe est celui des noms de domaine par pays, tels que .ca pour le Canada, .us pour les États-Unis et .uk pour le Royaume-Uni.
Les entreprises ou les organismes peuvent décider de se faire attribuer et d'employer des noms de domaine constitués soit d'un nom de domaine de premier niveau, soit d'un nom de domaine par pays, soit des deux.
[46] À l'instruction, M. Carroll a déclaré que les critères d'attribution des noms de domaine de premier niveau avaient commencé à se relâcher en 1994. Les conditions d'enregistrement des noms de domaine .net relatives aux renseignements complémentaires avaient perdu de leur rigueur.
[47] Monsieur Carroll a aussi formulé, à la page 21 de son affidavit, les observations suivantes touchant la confusion créée par le site Web d'ITV Technologies :
[traduction] La demanderesse a été présente sur Internet avec le nom de domaine ITV.NET et son site Web www.itv.net de la fin de 1995 jusqu'à septembre 2000 au moins et elle a fait la promotion de cette présence. À mon avis, il y avait de fortes chances que ses activités incitent un grand nombre de Canadiens à croire que son site Web et son entreprise étaient assimilables ou liés à l'entreprise ITV, sise à Edmonton, de WIC. Il ne m'étonne pas du tout que la demanderesse ait reçu des courriels destinés à CITV.
[48] En contre-interrogatoire, M. Carroll a reconnu qu'il n'avait pas traité la question du relâchement des critères d'attribution des noms de domaine de premier niveau dans les éditions de 1995, 1996 et 1997 de son Canadian Internet Handbook. Il a aussi admis qu'il n'avait aucune connaissance directe du nombre de Canadiens qui croyaient que le site Web d'ITV Technologies était lié à WIC et il a reconnu que les pages Web www.itv.net et www.itv.ca n'avaient pas la même apparence.
[49] Monsieur Kirk a travaillé de 1974 à 1999 chez ITV, où il a occupé plusieurs postes, notamment ceux de vice-président et de directeur général. Il a confirmé que, en 1974, une nouvelle licence avait été accordée à M. Charles Allard relativement à ITV et que celle-ci avait été la première station de télévision de l'Ouest canadien à s'inscrire comme station indépendante. Cela voulait dire qu'elle était hors réseau et n'était affiliée ni à CBC ni à CTV, chose importante pour les annonceurs parce qu'elle avait pour conséquence que la totalité de sa programmation était à vendre, ce qui n'était pas le cas pour CBC ou CTV, qui refusaient une partie de leurs programmes aux annonceurs détaillants. Le slogan publicitaire « télévision indépendante » n'avait jamais été utilisé à l'intention du public.
[50] La station a été exploitée sous la dénomination ITV de 1974 à 2000. Les lettres ITV figuraient dans toute sa publicité. Elles apparaissaient à l'écran, sur les véhicules, en liaison avec les activités communautaires, les congrès et les exposés de vente, dans les journaux, à la radio, dans les transports en commun, sur les panneaux d'affichage, dans le matériel publicitaire et sur le papier à lettres. Elles étaient employées aussi bien comme marque verbale que comme dessin-marque.
[51] Des sommes considérables avaient été investies dans la publicité de la marque ITV. À compter de janvier 1996, ITV Edmonton avait affecté en moyenne un million de dollars par an à la publicité et à la promotion du nom commercial et de la marque ITV.
[52] De toute sa carrière, M. Kirk n'a jamais rencontré les expressions instructional television (télé-enseignement), Internet television (télévision Internet) ou industrial television (télévision industrielle). Il n'a jamais eu connaissance de l'emploi des lettres ITV comme sigle ou abréviation d'aucune de ces expressions sur le marché canadien. Personne n'a jamais employé les expressions télé-enseignement, télévision interactive ou télévision industrielle pour décrire l'activité de CITV. De même, il n'a jamais vu le signal correspondant à ITV UK au Canada et, à sa connaissance, ce signal n'est pas diffusé dans notre pays.
[53] Selon M. Kirk, Internet inquiétait beaucoup en 1996 l'industrie de la télévision, qui y voyait un média concurrent. Une des façons dont les stations de télévision ont réagi à cette crise en puissance fut de créer leurs propres sites Web. Le site www.itv.ca proposait des programmes, des actualités, des bulletins météorologiques et des comptes rendus de spectacles, ainsi que des sondages et des concours. Ce site a offert des contenus audio et vidéo, mais seulement pendant un mois.
[54] Monsieur Kirk a visité le site Web d'ITV Technologies, dont les opérations le préoccupaient. Il s'est avéré qu'ITV Technologies exerçait la même activité qu'ITV, soit la communication de programmes de divertissement et de spectacles destinés au grand public. Les désignations des deux entreprises étaient également semblables, ITV Technologies utilisant les lettres ITV. Certaines des émissions diffusées sur www.itv.net étaient aussi diffusées à la télévision. À son avis, il y avait probabilité de confusion du fait des ressemblances entre les deux entreprises. Cette confusion avait pour effet l'affaiblissement des marques ITV de WIC et la perte de contrôle de celle-ci sur ces marques.
[55] En contre-interrogatoire, M. Kirk a reconnu que le dessin utilisé par ITV.net, représentant un globe oculaire à l'intérieur d'un téléviseur, n'était identique à aucun dessin qu'eût jamais employé CITV. De même, la forme que revêtaient les lettres ITV dans les dessins-marques de WIC ne ressemblait pas à la façon dont ITV Technologies présentait ces mêmes lettres.
[56] M. Adam Finn a été admis comme témoin expert dans le domaine de la commercialisation des films, des programmes de télévision et des nouveaux médias au Canada, envisagé du point de vue économique et commercial, ainsi que sous l'angle des réactions et des perceptions des consommateurs.
[57] Il fait observer dans son affidavit que les services d'ITV Technologies et ceux de WIC se ressemblaient et qu'ITV Technologies employait une terminologie analogue à celle de la télédiffusion pour décrire les caractéristiques de son activité. Selon M. Finn, il est probable que l'usage par ITV Technologies de ses marques de commerce ITV au Canada en 1995 et jusqu'en 2000 inclusivement a incité un nombre considérable de Canadiens à croire que ses services et son activité étaient liés à WIC, comme le montraient les trois courriels destinés à WIC qu'elle avait reçus. Cette confusion a eu un effet défavorable sur la valeur du capital marque constitué par WIC relativement à ses marques de commerce ITV et a diminué le contrôle que WIC pouvait exercer sur ses marques. La transmission de fichiers vidéo en temps réel était une possibilité naturelle de diversification pour WIC; or, la présence d'ITV Technologies et le fait qu'elle employait les marques ITV réduisaient la valeur de cette possibilité.
[58] Monsieur Finn était au courant de l'emploi des lettres ITV par diverses entreprises de télévision au Royaume-Uni. Pour autant qu'il sache, ces entreprises n'avaient pas employé ces lettres de manière tant soit peu répandue dans le commerce au Canada. Bien que les programmes diffusés par la station ITV du Royaume-Uni fussent aussi diffusés au Canada, les génériques où figuraient les lettres ITV n'étaient pas présentés dans notre pays, de sorte que très peu de Canadiens pouvaient avoir connaissance de cette désignation en liaison avec le Royaume-Uni.
[59] D'après son expérience, il n'y a pas beaucoup de compagnies qui emploient ou aient employé les lettres ITV en liaison avec la télédiffusion ou Internet, et ces lettres n'ont pas acquis les significations de télévision interactive, de télévision Internet, de télé-enseignement ou de télévision indépendante.
[60] En contre-interrogatoire, M. Finn a admis que les sigles de trois lettres pouvaient avoir des significations multiples. Il a fait sur ce sigle une recherche en ligne qui a révélé de nombreuses significations, par exemple celles de télévision interactive, de télévision Internet, de télé-enseignement et de télévision indépendante. Il a également reconnu qu'il y avait des différences entre les activités d'ITV Technologies et celles de WIC et qu'il ne confondrait jamais le site www.itv.ca avec le site www.itv.net.
[61] Mme Ruth Godfrey était coordinatrice des commandes publicitaires à la Banque de Hong Kong du Canada. Elle a déclaré dans son témoignage que sa banque avait parrainé le B.C. Tel Pacific Open avec ITV. En 1996, elle avait reçu un envoi d'ITV Technologies et s'était demandée si celle-ci était ou non liée à WIC. Le logo ITV.net est la première chose qui avait attiré son attention.
[62] En contre-interrogatoire, elle a reconnu que le seul élément de l'envoi qui l'avait incitée à croire qu'il existait un lien entre WIC et ITV Technologies était l'emploi des lettres ITV. Elle n'avait pas visité le site www.itv.net.
C. LES MOTIFS INVOQUÉS PAR LA DEMANDERESSE POUR LA RADIATION
[63] Le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi) confère à notre Cour la compétence initiale exclusive pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée :
57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. |
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57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark. |
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[64] ITV Technologies demande la radiation des marques de commerce de WIC aux motifs qu'elles n'étaient pas enregistrables à la date de l'enregistrement et qu'elles n'étaient pas distinctives à l'époque où ont été entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement, aux termes des alinéas 18(1)a) et b) de la Loi :
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :
a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement; b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;
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18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if
(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,
b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced,
[...] |
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[65] Le paragraphe 12(1) recense les cas où une marque de commerce n'est pas enregistrable. ITV Technologies invoque à cet égard les alinéas 12(1)b), c) et e) et l'article 10 de la Loi :
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :
[...]
b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;
c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer;
[...]
e) elle est une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption; |
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12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not
[...]
(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;
(c) the name in any language of any of the wares or services in connexion with which it is used or proposed to be used;
[...]
e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10; |
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10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandises ou services, nul ne peut l'adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l'employer d'une manière susceptible d'induire en erreur, et nul ne peut ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre. |
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10. Where any mark has by ordinary and bona fide commercial usage become recognized in Canada as designating the kind, quality, quantity, destination, value, place of origin or date of production of any wares or services, no person shall adopt it as a trade-mark in association with such wares or services or others of the same general class or use it in a way likely to mislead, nor shall any person so adopt or so use any mark so nearly resembling that mark as to be likely to be mistaken therefor.
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[66] L'alinéa 18(1)a) dispose qu'il doit être répondu en fonction de la date d'enregistrement à la question de savoir si une marque de commerce est enregistrable. Les dates d'enregistrement à considérer dans la présente espèce sont le 23 décembre 1983 pour le numéro d'enregistrement TMA 286,066, le 3 décembre 1996 pour le numéro d'enregistrement TMA 467,002, et le 17 février 1998 pour le numéro d'enregistrement TMA 490,099.
[67] En ce qui concerne le premier motif invoqué par ITV Technologies, la marque, pour donner la description claire visée à l'alinéa 12(1)b), doit faire plus que suggérer ou évoquer la nature ou la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l'égard desquels on projette de l'employer. La description doit s'appliquer à la composition matérielle des marchandises ou services qui forment l'objet de la marque de commerce, ou se rapporter à une de leurs qualités intrinsèques évidentes, par exemple une caractéristique, une particularité ou un trait inhérents au produit [Provenzano c. Registraire des marques de commerce (1977), 37 C.P.R. (2d) 189].
[68] Ainsi, dans la décision A. Lassonde Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (2000), 180 F.T.R. 177, la Cour fédérale a statué que la marque BANANORANGE, pour usage en liaison avec des jus de fruits et des boissons aux fruits non alcoolisées, n'était pas enregistrable, étant donné que le consommateur ordinaire conclurait, à la lecture de ce mot-valise, qu'il désigne un mélange de bananes et d'oranges.
[69] De même, dans la décision Pac-Fab Inc. c. Registraire des marques de commerce (1982), 69 C.P.R. (2d) 250, la Cour fédérale a conclu que la marque HYDROPUMP, pour usage en liaison avec des pompes pour filtration de l'eau des piscines, n'était pas enregistrable, au motif de sa synonymie avec « pompe à eau » , expression donnant une description claire des marchandises à l'égard desquelles on projetait de l'employer.
[70] Par contre, dans l'arrêt Les Caves Jordan & Ste-Michelle Ltée c. T.G. Bright & Co., Ltd., [1984] 1 C.F. 964, la Cour d'appel fédérale a statué que la marque BRIGHTS CHILLABLE RED, pour emploi en liaison avec le vin rouge, ne donnait pas une description claire du produit, puisque le température à laquelle un vin peut être servi n'a aucun rapport avec la nature ou la qualité de ce vin.
[71] Le critère applicable au point de savoir si une marque de commerce enfreint l'alinéa 12(1)b) est celui de la première impression ou de l'impression immédiate. La décision ne doit pas être fondée sur les résultats d'une recherche ou d'une analyse critique touchant la signification des mots (Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 18). Le terme « claire » de l'alinéa 12(1)b) n'est pas synonyme d'exacte, mais signifie plutôt facile à comprendre, évident ou simple [Drackett Co. of Canada c. American Home Products Corp., (1968), 55 C.P.R. 29]. En outre, l'impression doit être appréciée du point de vue de l'acheteur ou de l'utilisateur ordinaire des marchandises ou services [Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25]. Le point de vue des experts ou des personnes possédant des connaissances spéciales n'est pas représentatif de celui du consommateur moyen (Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 C.F. 536).
[72] Qui plus est, le fait qu'un sigle puisse être dérivé de mots déterminés ne signifie pas qu'il donne nécessairement une description de ces mots ou d'un produit s'y rapportant.
[73] Dans l'affaire Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA - The Engineered Wood Assn. (2000), 184 F.T.R. 55, la marque APA - ENGINEERED WOOD ASSOCIATION a été analysée en liaison avec des produits de bois lamellé. La Cour a conclu que cette marque n'était pas descriptive au motif que les lettres APA étaient employées comme sigle par six organismes différents. Pour Monsieur le juge O'Keefe, les éléments établissant l'existence d'une pluralité de significations possibles étayent la thèse du caractère non descriptif du sigle. Si celui-ci est susceptible de recevoir plusieurs significations, il n'évoque pas une image immédiate dans l'esprit du grand public.
[74] Cependant, une abréviation employée comme marque peut être considérée comme descriptive dans le cas où il est établi qu'elle désigne notoirement une seule idée. Dans l'affaire Banque de Montréal c. Midland Walwyn Capital Inc.(1998), 86 C.P.R. (3d) 555, la demande d'enregistrement portait sur la marque NAFTA BOND FUND pour emploi en liaison avec des services de placement individuel et collectif et de courtage de valeurs. La Commission des oppositions des marques de commerce a conclu que le sigle NAFTA (ALENA) désignait notoirement au Canada l'Accord de libre-échange nord-américain et que le consommateur moyen de services d'investissement associerait la marque à cet accord et supposerait que les placements de l'organisme en question étaient liés à l'ALENA. En conséquence, il a été conclu que cette marque donnait une description claire des services et n'était donc pas enregistrable.
[75] Dans la présente espèce, je dois décider si, selon l'impression immédiate ou la première impression qui s'en dégage, la marque ITV donne une description claire des marchandises ou services de WIC pour le consommateur ordinaire.
[76] J'estime que la preuve n'a pas établi que le consommateur ordinaire arriverait à cette conclusion.
[77] Le premier dessin-marque de WIC est enregistré en liaison avec les films, les vidéodisques et vidéocassettes, les disques et les bandes audio et vidéo (marchandises), ainsi qu'avec les programmes de radio et de télévision, la câblodistribution et la production d'oeuvres d'animation (services). Son deuxième dessin-marque est enregistré en liaison avec les services de télédiffusion. Quant à sa marque verbale « ITV » , elle est enregistrée en liaison avec l'exploitation d'une station de télévision. À mon sens, la marque ITV ne décrit pas la composition matérielle de ces marchandises ou services ni ne se rapporte à une de leurs qualités intrinsèques.
[78] En outre, la preuve établit que les lettres ITV sont employées dans une pluralité de sens, par exemple ceux de télévision indépendante, de télévision interactive, de télévision Internet et de télé-enseignement. À mon avis, le fait que les lettres ITV puissent recevoir plusieurs significations constitue une autre indication que les marques de WIC ne donnent pas une description claire de ses marchandises ou services.
[79] Même si j'acceptais le fait que les lettres ITV signifient « télévision indépendante » , cette expression ne donne pas une description claire des marchandises ou services de WIC. Le consommateur moyen, voyant l'expression « télévision indépendante » , n'aurait pas comme impression immédiate ou première qu'elle donne une description claire de marchandises telles que les films et les disques ou de services tels que l'exploitation d'une station de télévision. Pour ne pas être enregistrables, les marques en question auraient dû donner une description claire des marchandises ou services de WIC, ce qui eût été le cas si elles avaient par exemple contenu les termes « station de télédiffusion » .
[80] Pour tous ces motifs, j'estime que la preuve n'étaye pas la thèse d'ITV Technologies selon laquelle les marques en question n'étaient pas enregistrables parce qu'elles donnent une description claire des marchandises ou services de WIC.
[81] Pour ce qui concerne le second motif invoqué par ITV Technologies, la Cour fédérale a établi que le critère applicable à l'alinéa 12(1)c) est plus étroit que celui qui concerne l'usage de termes descriptifs [Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 92 F.T.R. 161]. La marque, considérée dans son ensemble, doit être manifestement le nom des marchandises ou services du déposant selon l'impression immédiate ou première du consommateur ordinaire de ces marchandises ou services.
[82] Dans l'affaire Association canadienne des banquiers c. Northwest Bancorporation (1979), 50 C.P.R. (2d) 113, le requérant demandait l'enregistrement de la marque BANCO pour emploi projeté en liaison avec des services bancaires. La Commission des oppositions des marques de commerce a conclu que cette marque contrevenait à l'alinéa 12(1)c) et n'était pas enregistrable, au motif que le mot banco était l'équivalent espagnol des termes anglais bank (banque) et banking services (services bancaires).
[83] Inversement, dans la décision Horn Abbot Ltd. c. Thurston Hayes Development Ltd. (1997), 137 F.T.R. 206, la Cour fédérale a statué que la marque de commerce TRIVIAL PURSUIT (QUELQUES ARPENTS DE PIÈGES) n'était le nom d'aucun jeu, de table ou autre. Selon Madame la juge Reed, le fait que ce jeu fût fondé sur des questions anecdotiques (trivia en anglais) et que le mot trivia se retrouvât dans trivial ne suffisait pas à faire de cette marque de commerce le nom des marchandises en question.
[84] Dans l'examen du point de savoir si une marque est constituée du nom des marchandises ou des services à l'égard desquels elle est employée, la Cour peut se reporter à des dictionnaires ou à d'autres ouvrages de référence pour déterminer les significations possibles de cette marque. Monsieur le juge Nadon a ainsi invoqué les définitions de dictionnaires de langue française pour conclure que « brûlerie » était un terme générique notoirement employé au Canada dans le secteur de la torréfaction du café [Brûlerie Des Monts Inc. c. 3002462 Canada Inc. (1997), 132 F.T.R. 150]. Cependant, la Cour d'appel fédérale a entériné la thèse que les dictionnaires se trompent parfois et ne devraient servir que de guide [Bagagerie S.A. c. Bagagerie Willy Ltée (1992), 97 D.L.R. (4th) 684].
[85] Dans la présente espèce, ITV Technologies a produit des dictionnaires en ligne et imprimés comportant des définitions du terme ITV. À mon avis, le fait que le terme ITV soit susceptible de plusieurs définitions affaiblit l'argument d'ITV Technologies comme quoi la marque ITV est constituée du nom des marchandises ou services de WIC. En effet, si la marque ITV peut être comprise comme sigle d'expressions multiples, par exemple des expressions anglaises signifiant télévision Internet, télévision interactive, télé-enseignement ou télévision indépendante, il s'ensuit qu'elle ne peut être constituée du nom des marchandises ou services de WIC.
[86] Quoi qu'il en soit, même si je souscrivais à l'idée que les lettres ITV forment le sigle de l'expression independent television(télévision indépendante), ce n'est pas là le nom des marchandises ou services de WIC ni de sa station de télévision. Les services offerts par une station de télévision sont les actualités, les bulletins météorologiques, les dramatiques, les programmes éducatifs et ainsi de suite. Or, « télévision indépendante » n'est le nom d'aucun de ces services.
[87] Pour tous ces motifs, j'estime que la preuve n'étaye pas non plus la thèse d'ITV Technologies selon laquelle les marques de WIC n'étaient pas enregistrables sous le régime de l'alinéa 12(1)c) parce qu'elles sont constituées des noms des marchandises ou des services à l'égard desquelles elles sont employées.
[88] Le troisième motif invoqué par ITV Technologies à propos du caractère enregistrable est fondé sur l'alinéa 12(1)e) et l'article 10 de la Loi. Aux termes de l'article 10, l'adoption ou l'emploi d'une marque peuvent être interdits si, en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, elle devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandises ou services. Cette interdiction de la Loi a pour conditions que l'usage de la marque en question se fasse au Canada et que celle-ci ait été couramment employée au Canada à l'époque considérée comme désignant un aspect des marchandises ou services qui en forment l'objet (Unitel Communications Inc., précitée).
[89] La date pertinente pour l'établissement de la pratique commerciale ordinaire et authentique visée à l'article 10 est la date où l'auteur de la demande d'enregistrement a commencé à employer sa marque, ainsi que l'a établi Monsieur le juge Strayer dans la décision Carling Breweries Limited c. Molson Companies Limited et Registraire des marques de commerce, [1984] 2 C.F. 920.
[90] Dans l'affaire Banque de Montréal c. Merrill Lynch & Co. (1997), 84 C.P.R. (3d) 262, la requérante demandait l'enregistrement de la marque de commerce CASH MANAGEMENT ACCOUNT pour usage en association avec des services financiers. La preuve de l'opposante a établi que l'expression cash management account (compte de gestion de trésorerie), en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, était devenue reconnue au Canada, à l'époque considérée, comme désignant un type de services financiers permettant le regroupement et la gestion des investissements et du crédit de trésorerie dans un seul compte. La preuve établissait également que l'expression cash management (gestion de trésorerie) était devenue reconnue à l'époque considérée comme désignant un type de services financiers permettant de maximiser la valeur des liquidités ou de tirer un rendement optimal de l'encaisse. En conséquence, l'agent d'audition des marques de commerce a conclu que l'article 10 interdisait l'adoption ou l'emploi de la marque de la requérante.
[91] Cependant, on pourrait citer de nombreuses affaires dont la Commission des oppositions des marques de commerce a été saisie où celle-ci a conclu que la preuve n'établissait pas que la marque fût devenue reconnue comme désignant le genre, la qualité ou le lieu d'origine de marchandises ou services. Ainsi, dans la décision Sherwood Brands Overseas Inc. c. Linkletter (P.E.I.) Ltd. (2001), 15 C.P.R. (4th) 385, la Commission a conclu que la marque COW'S n'était pas devenue reconnue au Canada comme désignant le genre ou la qualité de bonbons contenant des produits laitiers; de même, dans la décision Anheuser-Busch Inc. c. John Labatt Ltée (2001), 14 C.P.R. (4th) 548, elle a statué que la marque ICE GOLD n'était pas devenue reconnue au Canada comme désignant la qualité de bières.
[92] Donc, le critère à remplir dans la présente espèce est le point de savoir si le terme ITV, par suite de son usage au Canada, était devenu reconnu comme désignant le genre, la qualité, la valeur ou le lieu d'origine : de l'exploitation d'une station de télévision (service) en septembre 1974, lorsque la marque verbale ITV a été employée pour la première fois; de films, vidéodisques, vidéocassettes, disques et bandes audio et vidéo (marchandises), ainsi que de programmes de télévision, programmes de radio, services de câblodistribution et services de production d'oeuvres d'animation (services) en août 1982, lorsque les lettres ITV et le dessin-marque correspondant ont été employés pour la première fois à cet égard; et d'activités de télédiffusion (service) en juillet 1994, lorsque les lettres ITV et le dessin-marque correspondant ont été employés pour la première fois à cet égard.
[93] La preuve ne m'a pas convaincue que le terme ITV fût couramment employé et reconnu au Canada comme désignant le genre, la qualité, la valeur ou le lieu d'origine des marchandises et services énumérés précédemment aux dates pertinentes d'adoption. L'article 10 n'interdisait donc l'adoption d'aucune des marques de commerce de WIC.
[94] Par conséquent, je suis d'avis que les marques de commerce de WIC étaient enregistrables au motif qu'elles ne relèvent pas des exceptions prévues aux alinéas 12(1)b), c) et e) et à l'article 10.
[95] ITV Technologies soutient en outre que les marques de commerce de WIC devraient être radiées au motif qu'elles n'étaient pas distinctives à l'époque où furent entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement. Dans la présente espèce, la date pertinente est la date du dépôt de la demande introductive d'instance, soit le 4 juillet 1997.
[96] Selon l'article 2 de la Loi, une « marque de commerce » est une marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou des services loués ou exécutés, par d'autres. Est dite « distinctive » la marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.
[97] Le caractère distinctif d'une marque de commerce se rapporte au point de savoir si cette marque, lorsqu'elle est employée en liaison avec les marchandises en question, distingue des autres la source de ces marchandises dans l'esprit du consommateur. La Cour doit se demander s'il est ou non probable que le consommateur ordinaire de ce genre de produits sera induit en erreur quant à leur source (Consorzio, précité).
[98] Pour être distinctive, il n'est pas nécessaire que la marque distingue les marchandises ou services partout au Canada. Dans certains cas, il peut être conclu au caractère distinctif d'une marque qui distingue les marchandises ou services de son propriétaire des marchandises ou services d'autres propriétaires dans une région déterminée du Canada (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145). La marque restera distinctive tant qu'elle représentera le propriétaire des marchandises ou services en question pour les habitants de cette région. On peut ainsi lire ce qui suit sous la plume de Monsieur le juge McKeown, au paragraphe 26 de la décision Consorzio, précitée :
Je note que la preuve du caractère distinctif d'une marque de commerce est établie lorsque des groupes représentatifs de la population qui habite la région visée par l'enregistrement perçoivent la marque comme étant distinctive.
[99] En outre, il n'est pas nécessaire, pour que soit établi le caractère distinctif d'une marque de commerce, que son propriétaire prouve qu'il en est le seul usager. S'il est vrai que l'usage de la même marque par d'autres en liaison avec des marchandises semblables est un facteur pertinent lorsqu'il s'agit de décider si une marque est en fait distinctive, l'exclusivité n'est pas une condition essentielle à l'établissement du caractère distinctif (Brasseries Molson, précité).
[100] WIC a produit des éléments tendant à prouver qu'elle a investi des sommes considérables dans la publicité et la promotion de ses marques de commerce ITV pendant plus de 20 ans. Selon le témoignage de M. Kirk, WIC a affecté en moyenne au moins un million de dollars par an à la promotion de ses marques de commerce de septembre 1974 à janvier 1996, ce qui fait au total au moins 21 millions de dollars pour l'ensemble de cette période. Ces efforts ont permis à WIC de maintenir constamment sa station au premier ou au deuxième rang sur le marché d'Edmonton durant la période considérée. Elle a développé une entreprise dont, en 1992, les produits d'exploitation dépassaient les 40 millions de dollars par an et dont le public comptait plus de deux millions de téléspectateurs d'un océan à l'autre.
[101] Qui plus est, la preuve établit sans ambiguïté que les marques de commerce ITV étaient mises en évidence dans le contexte de la prestation des services de WIC à l'époque considérée. En effet, les marques de commerce ITV de WIC apparaissaient à l'écran, sur les véhicules, en liaison avec les activités communautaires, les congrès et les exposés de vente, dans les journaux, à la radio, dans les transports en commun, sur les panneaux d'affichage, dans le matériel publicitaire et sur le papier à lettres.
[102] La preuve me convainc que les marques de commerce ITV de WIC étaient notoires et distinguaient ses services de télédiffusion de ceux des autres, en particulier en Alberta.
[103] ITV Technologies soutient que, à la date considérée, la marque ITV ne distinguait plus des autres les marchandises et services de WIC, étant donné l'usage répandu des lettres ITV. ITV Technologies a produit un témoin expert, Mme Zilber, qui a émis l'avis que les lettres ITV étaient devenues un terme générique signifiant « télévision interactive » ou « télévision Internet » dans la période considérée. Je n'estime pas le témoignage de Mme Zilber représentatif des opinions des consommateurs canadiens moyens des marchandises ou services en question.
[104] À mon avis, seul un faible pourcentage de la population aurait associé les lettres ITV à la télévision interactive ou à la télévision Internet. ITV Technologies n'a pas produit d'éléments de preuve qui me convainquent du contraire. Le terme ITV pouvait signifier « télévision interactive » ou « télévision Internet » pour les acteurs de l'industrie pourvus de connaissances spéciales tels que les télédiffuseurs, ou pour les membres d'entreprises Internet ou de câblodistribution. Mais il est peu probable que, au moment considéré (juillet 1997), le grand public assimilât les lettres ITV à la télévision interactive ou à la télévision Internet.
[105] Dans la décision Consorzio, précitée, le juge McKeown a souligné l'importance de se fonder sur des éléments de preuve témoignant du point de vue du consommateur moyen. Il écrivait ainsi ce qui suit au paragraphe 26 :
[...] la preuve par sondage concernant le caractère distinctif d'une marque de commerce devrait normalement évaluer la perception de cette marque par le consommateur moyen, et non par des consultants spécialisés dans le domaine. Une bonne partie de la preuve du demandeur a été fournie par des personnes ayant une connaissance particulière de l'industrie alimentaire italienne au Canada et en Italie. De plus, l'avocat du demandeur a présenté à la Cour le témoignage de personnes faisant partie de la famille proche d'un partenaire ou d'un associé de son cabinet. Dans l'ensemble, je ne considère pas cette preuve comme représentative des connaissances du consommateur canadien type ayant une intelligence et une éducation moyennes.
[106] ITV Technologies a également produit des extraits de livres, de revues et de sites Web contenant des occurrences du terme ITV. J'accepte le fait que les lettres ITV étaient ainsi employées, dans la plupart des cas comme sigle de la désignation de divers services ou marchandises, mais ces éléments ne suffisent pas à établir que le consommateur moyen associait ces lettres aux marchandises ou services cités dans les documents en question. On n'a guère produit d'éléments tendant à prouver que les Canadiens connaissaient ou lisaient ces documents. Je note qu'un grand nombre de ces articles étaient tirés de publications spécialisées, en principe inconnues du consommateur canadien moyen. On n'a guère produit non plus d'éléments pour établir que les Canadiens eussent visité l'un ou l'autre des sites Web dont ITV Technologies a déposé des extraits. M. Mutual a même reconnu en contre-interrogatoire qu'il n'avait pris connaissance pour la première fois d'un grand nombre de ces sites qu'au moment des recherches qu'il avait effectuées pour se préparer au présent procès.
[107] En outre, le caractère distinctif des marques de WIC doit être apprécié en fonction du seul marché canadien. Un grand nombre des sites Web et des articles produits par ITV Technologies provenaient de l'étranger. La consultabilité au Canada de documents étrangers - livres, périodiques ou sites Internet - n'a pas pour effet d'invalider l'enregistrement d'une marque de commerce au Canada.
[108] Dans l'affaire Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254, la demanderesse sollicitait la radiation de la marque de commerce de la défenderesse au motif que le déploiement de considérables efforts publicitaires aux États-Unis l'avait dépouillée de son caractère distinctif. La demanderesse soutenait que la campagne publicitaire américaine relative aux cigarettes Marlboro avait eu au Canada des retombées qui avaient réduit dans l'esprit des Canadiens l'aptitude à distinguer la marque américaine de la marque canadienne de ces cigarettes. Monsieur le juge Rouleau a formulé à ce sujet les observations suivantes aux pages 272 et 273 de sa décision :
[traduction] Après un examen attentif de cette question, je suis parvenu à la conclusion que le sondage et les éléments de preuve touchant la diffusion des publications américaines au Canada n'établissent pas, de façon à me convaincre, que la marque de commerce canadienne MARLBORO, dont la radiation est demandée, ait perdu son caractère distinctif. En effet, le critère à appliquer est le point de savoir si la marque de commerce employée par la défenderesse sur le marché canadien distingue ses marchandises des marchandises offertes sur le même marché au moment de la présente procédure.
[...] Je ne vois pas comment on pourrait dire que la marque de commerce canadienne MARLBORO a perdu son caractère distinctif sur le marché canadien. Les marchandises produites et vendues par la défenderesse peuvent encore être distinguées de celles d'autres entreprises vendues sur le marché canadien, ainsi que de celles portant la marque de la demanderesse et recourante. Il a été prouvé que les cigarettes américaines Marlboro sont bien et avantageusement connues, bien qu'elles ne soient en général pas disponibles sur le marché canadien. Ce fait démontre et établit l'influence qu'ont eue les retombées de la publicité américaine sur l'esprit des Canadiens. Ces cigarettes sont bien connues au Canada, et les Canadiens en achètent sans doute quand ils sont à l'étranger. Toutefois, le sondage et les campagnes publicitaires ne me convainquent pas que les fumeurs canadiens soient incapables de distinguer une marque américaine d'une marque canadienne de cigarettes.
[109] Conformément à cette jurisprudence, j'estime que l'emploi de la marque ITV sur les sites Web, dans les revues et dans les journaux n'a pas dépouillé de leur caractère distinctif les marques de commerce de WIC.
[110] Par conséquent, la preuve n'étaye pas la thèse d'ITV Technologies comme quoi les marques de commerce de WIC devraient être radiées sous le régime de l'alinéa 18(1)b) de la Loi au motif qu'elles n'étaient pas distinctives.
[111] Pour tous ces motifs, la demande d'ITV Technologies est rejetée avec dépens.
D. DEMANDE RECONVENTIONNELLE
[112] Dans sa demande reconventionnelle, WIC poursuit ITV Technologies en passing-off, en violation du droit du propriétaire d'une marque à son emploi exclusif et en dépréciation de l'achalandage attaché à des marques de commerce déposées, sous le régime, respectivement, de l'alinéa 7b) et des articles 20 et 22 de la Loi.
i) Violation du droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière
[113] WIC soutient que l'emploi de la marque ITV par ITV Technologies constitue une violation de son droit à l'emploi exclusif de cette marque sous le régime de l'article 20 de la Loi. Le paragraphe 20(1) porte que le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la Loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion :
20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne :
a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;
b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce :
(i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,
(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,
d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce. |
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20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making
(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or
(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,
(i) of the geographical name of his place of business, or
(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,
in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark. |
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[114] L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne. La Cour d'appel fédérale faisait observer ce qui suit à ce sujet à la page 58 de l'arrêt Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Assn. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 :
[...] la question à se poser est de savoir si un consommateur ordinaire, au vu de la marque postérieure, aura comme première impression que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées à celles de la marque antérieure.
[115] Il n'est pas nécessaire que les marchandises du demandeur et du défendeur soient de la même catégorie générale pour qu'il y ait vraisemblance de confusion. En effet, la Cour d'appel fédérale déclarait au paragraphe 14 de l'arrêt Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614 :
Pour que l'on conclue à la vraisemblance de la confusion, il n'est pas nécessaire que les parties exercent dans le même domaine ou la même industrie, ni que les services soient du même genre ou de la même qualité. Les marques de commerce utilisées en liaison avec des marchandises et des services d'une certaine qualité, destinées à une catégorie d'acheteurs, peuvent causer de la confusion avec les marques de commerce désignant des marchandises et des services d'un genre ou d'une qualité différents, destinés à une catégorie différente d'acheteurs.
[116] Pour établir s'il y a vraisemblance de confusion, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris de celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi :
[...]
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre de marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.
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[...]
(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;
(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;
(c) the nature of the wares, services or business;
(d) the nature of the trade; and
(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them. |
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[117] Dans l'examen des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, il n'est pas nécessaire de leur attribuer à tous le même poids. On peut être fondé, dans un cas particulier, à accorder plus d'importance qu'aux autres à l'un de ces facteurs [Polysar Ltd. c. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289]. En outre, il ne faut pas appliquer ces facteurs de manière mécanique, mais avec discernement et en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce [Garbo Garbo Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 176 F.T.R. 80].
Caractère distinctif inhérent et mesure dans laquelle les marques sont devenues connues
[118] Le premier facteur cité au paragraphe 6(5) de la Loi est la solidité de la marque. Cette solidité s'analyse en deux éléments : le caractère distinctif inhérent de la marque et son caractère distinctif acquis (Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534).
[119] Le caractère distinctif inhérent d'une marque est assimilable à son originalité. Le caractère distinctif inhérent d'une marque constituée d'un nom unique ou inventé, ne pouvant désigner qu'une chose, est supérieur à celui d'une marque constituée d'un mot d'usage courant dans le commerce.
[120] Il est bien établi que plus la marque est solide, plus grande est l'étendue de la protection qui lui sera accordée (Miss Universe, Inc., précité). Monsieur le juge Mahoney faisait remarquer au paragraphe 10 de l'arrêt Carson c. Reynolds, [1980] 2 C.F. 685 qu'une marque de commerce peut être :
[...] si généralement associée à [une personne] que l'emploi de celle-ci avec d'autres marchandises ou services, même s'ils n'ont absolument rien à voir avec des services de divertissement, créerait de la confusion en ce que ce double emploi donnerait vraisemblablement à entendre que toutes ces marchandises et services, quels qu'ils soient, ont un rapport direct avec [cette personne].
[121] Inversement, les marques faibles se verront accorder une protection moins étendue. La Cour suprême du Canada déclarait à ce sujet ce qui suit dans l'arrêt General Motors Corporation c. Bellows, [1949] R.C.S. 678 :
[traduction] (...) on doit accorder une protection de moindre étendue à l'entreprise qui a puisé dans le vocabulaire commun du commerce le ou les mots lui servant de marque qu'à celle dont la marque est constituée d'un mot inventé, unique ou non descriptif [...]
[122] Dans la présente espèce, WIC a fait enregistrer les lettres ITV comme marque verbale et comme dessins-marques. Ces lettres se présentent dans les dessins-marques de WIC sous une forme et suivant un modèle distinctifs, de sorte que je suis amenée à conclure qu'elles possèdent, jusqu'à un certain degré, un caractère distinctif inhérent.
Représentations de l'état antérieur des deux dessins-marques ITV
[123] Pour ce qui concerne l'enregistrement par WIC des lettres ITV comme marque verbale, la Cour fédérale a statué que les marques de commerce constituées seulement de lettres de l'alphabet sont en général considérées comme faibles et, à ce titre, n'ont droit qu'à une protection d'étendue restreinte. On lit par exemple les observations suivantes sous la plume de Monsieur le juge Cattanach aux pages 163 et 164 de la décision GSW Ltd. c. Great West Steel Industries (1975), 22 C.P.R. (2d) 154 :
En bref, lorsqu'un commerçant s'approprie des lettres de l'alphabet comme dessin-marque sans autre signe distinctif et tente d'empêcher d'autres commerçants de faire de même, la protection à donner à ce commerçant doit être plus réduite que dans le cas d'une marque de commerce unique et des différences relativement minimes suffisent à éviter la confusion. On s'attend normalement, dans ces circonstances, à ce que le public manifeste beaucoup plus de discernement.
[124] De même, dans la décision Alfred Glass Gesellschaft m.b. H. Metallwarenfabrik c. Grant Industries Inc. (1991), 47 F.T.R. 231, Monsieur le juge Cullen a statué que les marques verbales faibles n'ont droit qu'à une protection d'étendue restreinte et qu'il ne devrait pas être permis à un seul commerçant d'obtenir un droit de propriété exclusif sur une lettre ou un groupe de lettres de l'alphabet qui se trouvent être, selon le cas, l'initiale ou le sigle de sa dénomination, au détriment d'autres commerçants dont ce peut être aussi le cas.
[125] Pour revenir à la présente espèce, je suis d'avis que la marque verbale ITV enregistrée par WIC possède un caractère distinctif inhérent peu marqué et doit être considérée comme une marque faible. Cette faiblesse est aggravée par le fait que les lettres TV sont souvent employées comme sigle de « télévision » . La preuve établit que les lettres ITV étaient employées dans divers sens liés au domaine de la télévision, par exemple ceux de télévision indépendante, télévision Internet, télévision interactive et télévision d'information. Le fait que ces lettres fussent employées couramment comme sigle de nombreuses expressions constitue une preuve convaincante de la faiblesse de la marque verbale ITV.
[126] Qui plus est, la preuve révèle que la marque verbale ITV a été employée dans une mesure considérable par des tiers. Les recherches en bibliothèque virtuelle de M. Pedersen montrent que de nombreuses entreprises et autres entités employaient le sigle ITV dans leurs dénominations ou les désignations de leurs sites Web. ITV Technologies a aussi produit en preuve un certain nombre de brevets d'invention où les lettres ITV étaient employées. L'usage répandu des lettres ITV par des tiers me conforte dans ma conclusion selon laquelle la marque verbale ITV est une marque faible.
[127] Dans le cas où une marque ne possède pas de caractère distinctif inhérent, elle peut encore acquérir un caractère distinctif par un usage continu sur le marché. Pour établir l'existence de ce caractère distinctif acquis, il faut prouver que la marque est devenue connue des consommateurs comme provenant d'une source déterminée (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[128] La mesure dans laquelle la marque est devenue connue peut influer considérablement sur l'étendue de la protection qu'elle mérite, même lorsque son caractère distinctif inhérent est faible. Ainsi, la Cour d'appel fédérale formulait à ce sujet les observations suivantes au paragraphe 17 de l'arrêt Miss Universe, précité :
On aurait peut-être pu dire, il y a trente ans, qu'il n'y avait rien de particulièrement distinctif dans les mots « Miss » ou « Universe » et dans l'expression « Miss Universe » . Mais au fil des ans, l'emploi et la promotion des deux mots liés ensemble en une seule expression atteignant des proportions mondiales, l'expression a acquis, pour citer le juge de première instance, « un caractère distinctif considérable » . Le nom est aujourd'hui bien et avantageusement connu.
[129] J'estime que, lorsqu'il s'agit d'évaluer le caractère distinctif acquis d'une marque de commerce, la nature des marchandises ou services auxquels elle est associée constitue un facteur digne de considération.
[130] Dans l'affaire Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1990), 38 F.T.R. 96, l'intimée avait demandé l'enregistrement de la marque de commerce SEAGRAM REAL ESTATE LTD. en liaison avec son activité de courtier en immeubles et d'agent d'hypothèque. Cette demande a été contestée par l'appelante, entreprise bien connue dans le domaine de la fabrication et de la vente de boissons alcoolisées. À propos de la question du caractère distinctif acquis, Monsieur le juge Mackay a formulé les remarques suivantes à la page 102 de cet arrêt :
[traduction] Par conséquent, le mot Seagram, n'étant avant tout qu'un nom de famille, n'a pas de caractère distinctif inhérent. Il s'ensuit que le seul caractère distinctif que les appelantes puissent revendiquer doit être lié à la fabrication et à la distribution de boissons alcoolisées. L'intimée reconnaît dans la présente espèce l'existence de ce caractère distinctif. L'examen réaliste des faits de la présente espèce me convainc sans l'ombre d'un doute que les appelantes n'ont acquis aucune réputation dans le domaine de l'immobilier. En effet, elles ne prétendent pas posséder d'expérience dans le courtage en immeubles en liaison avec leurs marques de commerce ou noms commerciaux, et aucun élément de preuve ne donne à penser qu'elles aient l'intention de se faire une réputation dans cette branche d'activité.
[131] Dans l'affaire Cornell Trading Ltd. c. Saan Stores Ltd. (2000), 185 F.T.R. 198, l'intimée avait demandé l'enregistrement de la marque de commerce CACHE CREEK en liaison avec divers vêtements vendus dans ses magasins. L'appelante avait fait opposition à l'enregistrement, au motif que la marque de commerce projetée créait de la confusion avec sa propre marque de commerce LA CACHE. Le registraire avait conclu que cette dernière marque n'avait pas acquis de caractère distinctif en liaison avec le vêtement ou la vente au détail de vêtements. Madame la juge Heneghan a confirmé la décision du registraire et statué que la preuve n'établissait pas que les marques de l'appelante fussent connues en liaison avec le vêtement. Elle s'exprimait à ce sujet dans les termes suivants aux pages 209 et 210 de cet arrêt :
Compte tenu de cette preuve et de la preuve contenue dans l'affidavit de Karen Paquette-Adams, présentée par l'intimée et indiquant que les vêtements ne portaient pas la marque LA CACHE et portaient même d'autres étiquettes, je ne puis conclure, sur le fondement de la preuve dont je suis saisie, que l'appelante avait acquis une réputation significative au point que la marque LA CACHE aurait acquis un caractère distinctif en liaison avec les vêtements ou un magasin de vêtements.
Donc, malgré le fort volume des ventes de vêtements signalé par l'appelante, et les dépenses de publicité et de promotion qui ont été faites, je ne puis toujours pas conclure que c'est à tort que le registraire a décidé que les marques LA CACHE n'avaient pas acquis de caractère distinctif, en liaison avec les vêtements et la vente au détail de vêtements.
[132] Pour revenir à la présente espèce, j'estime que, s'il est vrai que la marque verbale ITV de WIC est une marque faible, elle a acquis jusqu'à un certain degré un caractère distinctif. La preuve établit que cette marque était notoire, en particulier en Alberta, du fait d'une publicité étendue.
[133] La preuve établit aussi que les marques ITV de WIC étaient notoires en liaison avec l'exploitation d'une station de télévision à Edmonton. Selon la preuve, en effet, la plus grande partie de la publicité de WIC se rapportait à ses services de télédiffusion.
[134] Je ne suis pas convaincue, cependant, que la preuve établisse que les marques de WIC fussent connues en liaison avec son site Web et Internet. WIC a commencé à exploiter son site www.itv.ca en mars 1995. Par conséquent, au moment du dépôt de la demande reconventionnelle, le site Web de WIC n'avait été en exploitation que deux ans. Cela ne suffit pas à mon avis pour que les marques de WIC fussent devenues connues en liaison avec son site Web et Internet.
Période pendant laquelle la marque a été en usage
[135] La période pendant laquelle la marque a été en usage est un facteur propre à contribuer à la confusion du consommateur quant à l'origine des marchandises ou services. On peut présumer qu'une marque de commerce d'adoption ou d'enregistrement récents n'est pas généralement connue du public [Triple G. Manufacturing Inc. c. Work Wear Corp. (1990), 35 F.T.R. 193]. Inversement, la marque qui a été en usage pendant une longue durée est présumée avoir créé une certaine impression chez les consommateurs, impression à laquelle il faut accorder un certain poids (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[136] La preuve établit que WIC a employé sa marque verbale ITV à partir de septembre 1974, et ses dessins-marques ITV à partir d'août 1982 et de juillet 1994 respectivement. ITV Technologies, quant à elle, a commencé à employer ses marques ITV en novembre 1995. On voit donc que la prise en compte de ce facteur favorise WIC.
Genre de marchandises, services ou entreprises
[137] Dans le cas où les marques de commerce se ressemblent, le degré de ressemblance des marchandises ou services en question est un facteur important dans l'examen du point de savoir s'il y a probabilité de confusion. Mais la ressemblance des marchandises ou services ne peut être considérée comme une condition sine qua non d'une conclusion positive à cet égard, étant donné que le paragraphe 6(2) porte qu'il peut y avoir confusion « que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale » . Cependant, le critère fondamental est la confusion, et le fait que le produit ne fait pas penser à un autre sera un signe convaincant que la confusion est peu probable. Par conséquent, le genre de marchandises, de services ou d'entreprises, s'il n'est pas toujours un facteur déterminant, a certainement toujours son importance (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[138] Les tribunaux ont adopté des stratégies d'analyse diverses dans l'examen des marchandises des parties et de leur effet sur la probabilité de confusion. Le fait que le critère fondamental comporte l'appréciation de l'impression faite par les marques sur le consommateur témoigne de la difficulté de l'élaboration d'une approche définitive et systématiquement applicable du concept de confusion (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[139] Par exemple, dans l'affaire Berry Bros. & Rudd Ltd. c. Planta Tabak-Manufactur Dr. Manfred Obermann, (1980), 53 C.P.R. (2d) 130, la requérante demandait l'enregistrement de la marque de commerce CUTTY SARK pour emploi en liaison avec des produits du tabac, alors que l'opposante possédait cette marque en liaison avec du scotch. Monsieur le juge Cattanach a conclu à l'existence d'un lien entre les boissons alcoolisées et les produits du tabac, de sorte que le consommateur pouvait présumer que le tabac Cutty Sark et le whisky Cutty Sark provenaient du même producteur.
[140] Par contre, dans l'affaire A. Lassonde & Fils c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 12 F.T.R. 231, Monsieur le juge Rouleau a statué que la marque de commerce OASIS de l'appelante, employée en liaison avec des jus de fruits et des boissons aux fruits, ne créait pas de confusion avec la marque identique de l'intimée, employée en liaison avec des produits du tabac.
[141] Les tribunaux ont aussi décidé que l'existence d'un lien entre les marchandises ou services des parties ne suffit pas à établir la probabilité de confusion.
[142] Dans l'affaire Oshawa Holdings Ltd. c. Fjord Pacific Marine Industries (1981), 36 N.R. 71, l'appelante employait la marque DUTCH BOY en liaison avec une entreprise de vente au détail de denrées alimentaires et avec deux produits laitiers, tandis que l'intimée employait la même marque en liaison avec du hareng saumuré. La Cour d'appel fédérale a conclu que les entreprises et les marchandises des parties étaient substantiellement différentes. Monsieur le juge Heald est arrivé à cette conclusion malgré le fait que les marchandises en question fussent de la même catégorie générale, soit les produits et les services alimentaires. [Voir aussi Man and His Home Ltd. c. Mansoor Electronics Ltd. (1999), 163 F.T.R. 270.]
[143] En outre, le fait qu'une partie affirme qu'elle pourrait s'engager dans un secteur déterminé de marchandises ou de services ne suffit pas à étayer une constatation de confusion.
[144] Dans l'affaire S.C. Johnson & Son, Inc. c. Esprit de Corp (1986), 8 F.T.R. 81, l'appelante avait demandé l'enregistrement de la marque de commerce ESPRIT pour emploi en liaison avec des produits de soins personnels, soit des shampooings, des après-shampooings, des cosmétiques et d'autres produits de toilette. L'intimée, qui était propriétaire de la marque de commerce ESPRIT DE CORP pour usage en liaison avec des vêtements de haute couture pour dames, a fait opposition à cette demande. Elle a fait valoir que les marchandises des deux parties étaient de la même catégorie générale, à savoir la mode, et qu'il se pouvait qu'elle s'engage un jour elle-même dans la vente de cosmétiques. Monsieur le juge Cullen a rejeté cet argument. Il écrit à ce propos aux pages 90 et 91 de cet arrêt :
À mon avis, si l'intimée a jamais entendu « entrer » dans le commerce des cosmétiques, cela aurait exigé une nouvelle demande de marque de fabrique pour ces marchandises ou une modification de la description actuelle. À mon avis, l'intimée ne peut pas, avec sa marque actuelle, jouir du monopole qui s'attache à une marque de commerce à moins de présenter une nouvelle demande.
[145] De même, le juge Mackay formulait la conclusion suivante à la page 104 de l'arrêt Joseph E. Seagram & Sons Ltd., précité :
[traduction] À mon avis, la prise en considération des événements futurs et des possibilités de diversification doit se limiter au développement potentiel des activités existantes. Elle ne doit pas s'étendre à la spéculation sur l'engagement éventuel dans des activités entièrement nouvelles, comportant de nouveaux genres de marchandises, de services ou d'entreprises.
[146] Dans la présente espèce, WIC fait valoir que son service de télédiffusion est semblable au service de diffusion Web d'ITV Technologies en ce qu'ils consistent tous deux en la communication de contenu audio et vidéo au grand public. Comme le fait remarquer M. Finn dans son affidavit, ITV Technologies employait une terminologie analogue à celle de la télédiffusion dans la description des caractéristiques de son activité.
[147] ITV Technologies, par contre, a produit des éléments tendant à établir les différences entre les services des deux parties.
[148] Madame Zilber a déclaré dans son témoignage que la télédiffusion consiste en la transmission d'un signal sur une fréquence ou un canal déterminé, tandis que la diffusion Web consiste en la transmission aux utilisateurs de trains de données pris isolément. L'expérience de l'utilisateur diffère aussi d'une activité à l'autre. Alors que le téléspectateur regarde passivement l'émission de télévision, la diffusion Web permet un certain degré d'interactivité entre le diffuseur et l'internaute.
[149] Monsieur Mutual a expliqué dans son témoignage que la nature économique des deux activités est très différente. Le télédiffuseur débourse la même somme quel que soit le nombre des téléspectateurs d'une émission; son intérêt est donc d'avoir le maximum de téléspectateurs. Le diffuseur Web, quant à lui, doit payer chaque bande passante qu'il transmet, de sorte que ses dépenses augmentent en proportion du nombre de personnes qui regardent un programme donné.
[150] ITV Technologies a aussi produit un communiqué de presse du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) où celui-ci déclare qu'il ne réglementera pas les nouveaux services médiatiques offerts sur Internet. À la question de savoir si le contenu diffusé sur Internet relève de la radiodiffusion au sens de la Loi sur la radiodiffusion, le CRTC apporte les réponses suivantes :
[traduction]
1. Tous les contenus transmis sur Internet qui consistent principalement en texte ou en chiffres sont exclus de la définition de la radiodiffusion sous le régime de la Loi sur la radiodiffusion.
2. Les documents transmis sur Internet qui, dans une mesure notable, peuvent être « personnalisés » ou adaptés aux besoins particuliers de l'utilisateur pris isolément ne relèvent pas de la transmission d'émissions destinées à être reçues par le public et, par conséquent, sont aussi exclus de ladite définition.
[151] Je souscris à l'idée que la télédiffusion et la diffusion Web sont liées en ce qu'elles offrent toutes deux un contenu audio-vidéo au grand public, mais je ne pense pas qu'elles soient semblables. La télédiffusion ne permet aucun dialogue entre le diffuseur et le spectateur, lequel regarde l'émission passivement, tandis que la diffusion Web permet dans une mesure notable le dialogue entre l'internaute et le diffuseur. La diffusion Web offre à l'utilisateur la possibilité de dialoguer avec le fichier vidéo, grâce à des fonctions comme la transmission à la demande, la pause, le rebobinage, les sélections multiples, le partage en écrans de navigation virtuels multiples à contenus différents, les liens vers les sites apparentés, les guides de programmes, les commentaires alternatifs et le retour d'information de l'utilisateur. À mon avis, le consommateur ordinaire aurait pu, à la date considérée, saisir ces différences entre la télédiffusion et la diffusion Web.
[152] Pour tous ces motifs, je suis d'avis que la télédiffusion et la diffusion Web sont des activités différentes et que, par conséquent, les services d'ITV Technologies ne sont pas semblables à ceux de WIC.
[153] Je formule cette conclusion en tenant compte du fait que WIC a exploité un site Web sur Internet. En effet, comme je l'ai dit plus haut, la preuve ne me convainc pas que WIC fût connue en liaison avec son site Web et Internet. À mon sens, le site www.itv.ca de WIC était un véhicule de promotion de ses services de télédiffusion. La preuve n'établit pas que WIC ait vu dans Internet une part substantielle de son activité. Il en va autrement pour ITV Technologies, dont l'activité dépendait d'Internet. Le site www.itv.ca de WIC était un site passif, où l'on se contentait d'afficher des renseignements pour consultation par les utilisateurs, alors que le site www.itv.net d'ITV Technologies était un site actif, par l'intermédiaire duquel se faisaient des échanges économiques et qui offrait un service de transmission de fichiers visuels et sonores en temps réel sur Internet suivant les sélections des utilisateurs qui y accédaient par le moyen de leurs ordinateurs.
[154] Qui plus est, je n'accepte pas l'affirmation de M. Finn comme quoi il allait de soi que WIC s'engagerait un jour dans la transmission de fichiers vidéo en temps réel. À mon avis, la preuve établit que WIC ne voyait pas d'intérêt à entreprendre cette activité. Ainsi, M. Kirk a déclaré dans son témoignage que le site www.itv.ca de WIC avait offert des contenus audio et vidéo, mais seulement pendant un mois. De plus, M. Mutual a déclaré avoir élaboré le site Web, et assuré la diffusion en jumelé des émissions vidéo, du programme « Investors On-line Show » , télédiffusé sur le réseau de WIC. À mon sens, le fait que WIC ait eu recours à un tiers pour assurer la diffusion en jumelé d'un programme de son réseau plutôt que de s'y essayer elle-même tend à prouver qu'elle n'avait pas l'intention de s'engager dans cette activité. Qui plus est, WIC n'a jamais demandé la modification de l'enregistrement de ses marques de commerce de manière à ajouter la diffusion sur Internet à sa liste de services.
Nature du commerce
[155] Du même ordre d'idées que le genre de marchandises ou de services relève la prise en considération de la nature du commerce dans le contexte duquel circulent ces marchandises ou sont fournis ces services. Le risque de confusion est plus grand dans le cas où les marchandises ou services, quoique dissemblables, sont distribués ou offerts dans le même genre d'établissements ou appartiennent à la même catégorie générale (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[156] La région où circulent les marchandises ou dans laquelle sont offerts les services peut aussi entrer en ligne de compte. Dans la décision Man and His Home, précitée, le juge Denault insiste sur le fait que les marchandises des parties sont distribuées dans des régions différentes. Il écrit ainsi à la page 276 :
Finalement, il y a des différences géographiques. Le commerce de la demanderesse se limite à la région du Grand Montréal, tandis que les produits de la défenderesse sont distribués dans toutes les provinces canadiennes, aux États-Unis, au Mexique et, par l'intermédiaire de sous-distributeurs, dans des pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud, ainsi qu'en Europe de l'Est. Les ventes réalisées au Québec ne représentent qu'une petite fraction du chiffre total.
[157] Dans la présente espèce, les services d'ITV Technologies et de WIC sont fournis par le moyen de deux véhicules différents. Le service de télédiffusion de WIC est offert au consommateur par l'intermédiaire de son poste de télévision, tandis que le service de diffusion Web d'ITV Technologies est fourni sur Internet, l'utilisateur accédant à ce service par son ordinateur. Ce fait réduit à mon sens la probabilité de confusion.
[158] En outre, les services des deux parties étaient offerts dans des régions différentes. S'il est vrai que les émissions de la station ITV pouvaient être vues partout au Canada, l'Alberta représentait la majorité de ses téléspectateurs. La preuve montre en effet que de 1990 à 2000, plus de 50 % des téléspectateurs d'ITV résidaient en Alberta. ITV Technologies, quant à elle, exerçait son activité à l'échelle internationale, ayant été reconnue pour sa diffusion Web d'événements tels que les Jeux olympiques d'Atlanta, le Festival du film de Cannes et les Grammy Awards. Ce fait réduit lui aussi la probabilité de confusion.
Degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent
[159] Le dernier facteur à examiner sous le régime du paragraphe 6(5) de la Loi est la ressemblance entre les deux marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent.
[160] Dans le cas où les marques sont semblables, la Cour doit évaluer l'impression qu'elles sont susceptibles de produire sur le public. Elle doit se mettre à la place d'une personne possédant un souvenir général de l'une des marques qui se trouve ultérieurement en présence de l'autre marque et établir s'il est vraisemblable que cette personne pensera qu'elles proviennent de la même source [Merrill Lynch & Co. c. Banque de Montréal (1996), 66 C.P.R. (3d) 150].
[161] Pour établir s'il y a probabilité de confusion entre deux marques, il faut les considérer dans leur ensemble et non pas les décomposer en leurs éléments constitutifs [Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 130 N.R. 223]. Toutefois, il reste possible de s'attarder sur des caractéristiques particulières de la marque qui peuvent avoir une influence déterminante sur la perception qu'en a le public [Ikea Ltd./Ikea Ltée c. Idea Design Ltd. (1987), 8 F.T.R. 215].
[162] En général, le premier mot ou la première syllabe d'une marque de commerce est l'élément de loin le plus important aux fins de distinction [Conde Nast Publications c. Union des Éditions Modernes, [1979] A.C.F. no 801 (Q.L.)]. Cependant, cette règle générale peut comporter des exceptions [Fonorola, Inc. c. Motorola, Inc. (1998), 144 F.T.R. 97].
[163] Lorsqu'on compare des marques, il est important d'examiner non seulement leur formulation, mais aussi leur apparence visuelle [Sum-Spec Canada Ltd. c. Imasco Retail Inc./Société de Détail (1990), 35 F.T.R. 44].
[164] Dans le cas des marques faibles ou dont le caractère distinctif inhérent est peu marqué, de petites différences peuvent être considérées comme distinctives. À ce sujet, Monsieur le juge Noël faisait observer ce qui suit à la page 1276 de la décision Cyanamid Co. c. Record Chemical Co., [1972] C.F. 1271 :
[traduction] On peut sans doute considérer de petites différences comme aptes à distinguer l'une de l'autre des marques faibles ou des marques au caractère distinctif inhérent peu marqué, mais cela ne veut pas dire qu'il faille écarter de telles parties faibles d'une marque lorsqu'on apprécie cette distinction.
[165] Dans l'affaire Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd., [1992] 3 C.F. 442, la Cour d'appel fédérale a conclu que, le préfixe « nutri- » n'ayant qu'un caractère distinctif inhérent peu marqué, il n'y avait pas de probabilité de confusion entre la marque de commerce NUTRI-VITE de l'appelante et les marques NUTRI-MAX ET NUTRI-FIBRE de l'intimée. La Cour est arrivée à cette conclusion en dépit du fait que toutes ces marques fussent employées en liaison avec des produits alimentaires.
[166] Dans l'affaire Merial LLC c. Novartis Animal Health Canada Inc., (2001) 11 C.P.R. (4th) 191, la Cour fédérale a infirmé la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce et autorisé l'enregistrement de la marque ELIMINEX, en dépit du fait que l'opposante employât la marque ELIMINATOR en liaison avec des marchandises semblables. Le juge Hansen écrivait à ce sujet à la page 198 :
À mon avis, la force du caractère distinctif du suffixe -EX, par opposition au suffixe -ATOR, lorsqu'il est employé en liaison avec le préfixe ELIMIN-, est importante. Dans le cas de la marque de la demanderesse, l'ajout du suffixe -EX crée un mot inventé alors que l'ajout du suffixe -ATOR à la marque de la défenderesse crée un mot que l'on trouve dans le vocabulaire courant. L'impact du suffixe -EX par opposition au suffixe -ATOR lorsqu'on examine les deux marques dans leur totalité est à mon avis significatif. L'impact du suffixe est plus important lorsque, comme en l'espèce, le préfixe commun est faible et n'a pas de caractère distinctif. Il s'ensuit également qu'on peut distinguer les marque sur le plan phonétique.
[167] Pour ce qui concerne les dessins-marques de WIC, je constate peu de ressemblance entre elles et la marque d'ITV Technologies. Le style des caractères, les couleurs et leur agencement, ainsi que l'apparence générale des marques de WIC sont complètement différents de ceux du dessin-marque d'ITV Technologies.
[168] Le premier dessin-marque de WIC se présente sous une forme et suivant un modèle uniques. Les lettres « itv » sont en minuscules, et leur apparence rappelle celle de caractères d'imprimerie. La lettre « i » est séparée des lettres « tv » , qui sont liées. Cette marque présente aussi une palette unique de couleurs : la lettre « i » est pleine et colorée, tandis que les lettres « tv » sont creuses.
[169] Le second dessin-marque de WIC, son logo de style « coup de pinceau » , se présente aussi sous une forme distinctive. La lettre « i » , en minuscule mais de taille disproportionnée, y est placée au-dessus des lettres « tv » , en majuscules. Les lettres « i » et « tv » se distinguent aussi par leurs couleurs : rouge pour l'une et blanc pour les autres.
[170] Les caractères « itv » du dessin-marque d'ITV Technologies sont quant à eux tous des minuscules et d'un type semblable à la police Times New Roman. Ce dessin-marque est d'une seule couleur, une nuance de turquoise. En outre, la marque d'ITV Technologies est souvent accompagnée de son logo Astro, lequel, comme l'a admis M. Kirk en contre-interrogatoire, n'est identique à aucun dessin qu'ait jamais employé WIC.
[171] La comparaison des représentations ci-dessous me convainc que le dessin-marque d'ITV Technologies n'est pas semblable à ceux de WIC.
Représentations de l'état antérieur des deux marques de WIC et de celle d'ITV Technologies - pourraient nécessiter plus d'espace
[172] La question suivante à trancher est celle du degré de ressemblance entre les usages respectifs qu'ont fait ITV Technologies et WIC des lettres ITV comme marque verbale.
[173] ITV Technologies a employé la marque ITV dans sa dénomination sociale - ITV Technologies Inc. -, dans son nom commercial - ITV.net - et comme nom de domaine pour son site www.itv.net.
[174] Si je reconnais que les lettres ITV forment la caractéristique principale des marques ci-dessus, j'estime que le mot « Technologies » et le suffixe « .net » suffisent à distinguer les marques d'ITV Technologies de celles de WIC.
[175] À mon avis, le mot « Technologies » dans la dénomination « ITV Technologies » suggère l'idée d'une entreprise travaillant dans le domaine de la technologie, soit qu'elle utilise de nouvelles machines ou procédures, soit qu'elle développe celles qui existent déjà. Cette dénomination communique un message différent de celui des marques ITV de WIC, qui étaient connues en liaison avec l'exploitation d'une station de télévision.
[176] De même, le suffixe « .net » dans le nom commercial « ITV.net » évoque une idée différente de celle que suggèrent les marques ITV de WIC. Ce suffixe est descriptif en ce qu'il indique qu'ITV.net est une entreprise Internet, engagée dans la vente de services Internet. M. Carroll a déclaré dans son témoignage que, à la date pertinente, les distinctions entre les noms de domaine de premier niveau s'étaient relâchées, mais cette observation est contredite par ses propres écrits. On peut en effet lire dans les éditions 1995, 1996 et 1997 de son Canadian Internet Handbook que le suffixe « .net » était [traduction] « souvent employé par les revendeurs de services Internet » . Je suis convaincue que, à la date pertinente, il y avait des distinctions entre les noms de domaine de premier niveau et que le suffixe « .net » indiquait au public qu'ITV.net était une entreprise Internet.
[177] En outre, le fait que WIC fût le propriétaire de la marque verbale ITV ne lui conférait pas, selon moi, le monopole sur tous les noms de domaine comportant le préfixe ITV. Monsieur le juge Wright de la Cour supérieure de justice de l'Ontario est parvenu à une conclusion semblable dans l'affaire Black c. Molson Canada, [2002] O.J. no 2820.
[178] Dans cette affaire, le demandeur avait enregistré le nom de domaine « canadian.biz » , qu'il prévoyait employer comme désignation d'un portail où les entreprises canadiennes puissent se rencontrer, dialoguer et faire des affaires ensemble. Molson Canada, propriétaire de la marque de commerce CANADIAN, enregistrée en liaison avec la bière, a fait opposition à cet enregistrement. Molson Canada a exigé que le demandeur lui transférât le nom de domaine en question et a entrepris une procédure dans le cadre de la politique de règlement des différends applicable aux noms de domaine « .biz » . L'arbitre désigné par l'organe de règlement des différends a ordonné le transfert du nom de domaine à Molson Canada. Le demandeur a alors sollicité de la Cour supérieure de justice de l'Ontario une déclaration comme quoi il était le déposant légitime du nom de domaine.
[179] Le juge Wright a accueilli cette demande et statué que le droit de propriété de Molson Canada sur la marque de commerce CANADIAN ne lui conférait pas la propriété de tous les noms de domaine comportant le préfixe « Canadian » . On peut lire les observations suivantes dans sa décision :
[traduction] Le problème fondamental découle de l'enregistrement du nom générique « Canadian » comme marque de commerce.
[...]
Il y a des centaines d'entreprises et autres entités canadiennes qui emploient le mot « Canadian » comme préfixe ou suffixe à des fins de désignation.
[...]
Je note en outre que d'autres noms de domaines contenant le mot « Canadian » ont été enregistrés, par exemple : < < canadian.ca > > , < < canadian.com > > , < < canadian.net > > et < < canadian.org > > . Ces noms de domaine appartiennent à d'autres personnes que Molson Canada.
[...]
Le simple fait qu'un nom de domaine soit identique ou semblable à une marque de commerce ne devrait pas entraîner le transfert de ce nom de domaine au propriétaire de la marque de commerce en question. À mon avis, à moins que des éléments de preuve n'établissent que l'usage du nom de domaine porte atteinte à l'usage de la marque de commerce, il devrait être permis à une personne autre que le propriétaire de la marque de commerce de continuer à employer ce nom de domaine.
[180] Dans la présente espèce, ITV Technologies a produit des éléments prouvant qu'il y avait, à la date pertinente, de nombreux sites Web dont la désignation comportait le préfixe ITV. Si ces éléments n'établissent pas que les Canadiens connaissaient l'existence de ces sites Web, ils indiquent que de nombreuses entreprises et autres entités employaient les lettres ITV à des fins de désignation et que, par conséquent, WIC n'avait pas de droit sur tous les noms de domaine comportant le préfixe ITV.
Toutes les circonstances de l'espèce
[181] Outre les cinq facteurs dont il doit être tenu compte pour décider s'il y a probabilité de confusion, la Loi prescrit au tribunal ou au registraire de prendre en considération toutes les circonstances de l'espèce (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[182] L'une des circonstances importantes dont les tribunaux tiennent compte est la présence d'éléments établissant une confusion réelle. S'il est vrai que la partie en question n'a pas à prouver l'existence d'une confusion réelle pour que le tribunal établisse qu'il y a probabilité de confusion, tout élément tendant à prouver l'existence d'une confusion réelle sera toujours pertinent (Pink Panther Beauty Corp., précité).
[183] Dans son témoignage en faveur de WIC, Mme Godfrey a déclaré qu'elle avait reçu des documents d'ITV Technologies et qu'elle s'était demandée s'ils étaient liés à WIC. Je pense aussi au témoignage de M. Mutual, qui a déclaré avoir reçu trois courriels destinés à une autre entreprise, vraisemblablement WIC.
[184] J'ai accordé peu de poids à ces éléments de preuve. La conclusion de Mme Godfrey était fondée sur l'emploi des lettres ITV. Elle n'a pas visité le site Web d'ITV Technologies et n'était pas au courant du genre d'activité de celle-ci. Selon moi, cette sorte de confusion est inévitable, et quiconque a adopté une marque de commerce faible, comme c'est ici le cas de WIC, doit s'y attendre.
[185] Pour ce qui concerne les quelques courriels reçus par M. Mutual, il est impossible d'établir si leurs expéditeurs confondaient l'entreprise d'ITV Technologies avec celle de WIC. Il est tout à fait possible que ces courriels aient été envoyés par suite d'une confusion entre des adresses électroniques semblables, plutôt que d'une confusion quant à la source de la marque de commerce. Qui plus est, le fait que WIC n'ait pas pris de mesures à propos de ces courriels me donne à penser que la confusion alléguée ne l'a pas particulièrement inquiétée.
[186] WIC a appelé M. Finn à témoigner pour étayer la thèse que l'emploi par ITV Technologies de ses marques ITV au Canada avait vraisemblablement induit un nombre considérable de Canadiens à penser que les services d'ITV Technologies étaient liés à ceux de WIC.
[187] Si j'admets qu'un expert peut formuler une opinion sur la question qui doit être en fin de compte tranchée par le juge des faits, je ne m'estime pas liée par ses conclusions. La Cour fédérale faisait observer ce qui suit à la page 219 de la décision Culinar Inc. c. Gestion Charaine Inc. et al. (1987), 16 F.T.R. 202 :
L'opinion de l'expert avait cependant été considérée comme recevable dans cette affaire, même si fondée sur un ouï-dire, car cette opinion n'était pas déterminante mais au contraire basée sur des faits que le juge était libre d'accepter ou de rejeter. Il m'apparaît par ailleurs qu'un expert peut certes émettre une opinion sur une question de fait qui doit être ultimement tranchée par la Cour mais il appartiendra au juge saisi de cette affaire de bien apprécier la crédibilité du témoin en regard de toutes les circonstances, et sans être évidemment lié par les conclusions de l'expert.
[188] Pour revenir à la présente espèce, j'ai accordé peu de poids à l'opinion de M. Finn touchant la question de la confusion. Sa conclusion n'était pas fondée sur des sondages ou des études qu'il aurait effectués, mais plutôt sur son opinion personnelle. Il prétend parler au nom des consommateurs canadiens ordinaires d'intelligence moyenne agissant avec une prudence ordinaire sur les marchés pertinents, mais il n'a pas été produit d'éléments de preuve provenant de tels consommateurs pour corroborer l'opinion de M. Finn.
[189] Ayant pris en considération et pesé toutes les circonstances de l'espèce en plus des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, je conclus que l'usage par ITV Technologies de ses marques ITV ne crée pas de confusion avec les marques déposées de WIC. En conséquence, il n'y a pas eu infraction à l'article 20 de la Loi.
ii) Achalandage
[190] WIC soutient en outre que l'usage par ITV Technologies de ses marques ITV a entraîné la diminution de la valeur de l'achalandage attaché aux marques de commerce déposées de WIC, en contravention de l'article 22 de la Loi. Le paragraphe 22(1) de celle-ci dispose en effet que nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.
22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.
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22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto. |
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[191] L'achalandage est la réputation édifiée par le propriétaire de la marque de commerce au prix de longues années de travail honnête ou de dépenses considérables, réputation qui comporte l'avantage d'une association à la marque de commerce des marchandises ou services fournis par son propriétaire. En faisant diminuer la valeur de l'achalandage attaché à une marque, on réduit d'une certaine façon l'avantage de la réputation associée à cette marque, ainsi que l'estime dont celle-ci fait l'objet [Clairol International c. Thomas Supply & Equipment Co., [1968] 2 Ex. C.R. 552; et S.C. Johnson & Son, Ltd. c. Marketing International Ltd., [1977] A.C.F. no 111 (Q.L.)].
[192] Pour délimiter le champ d'application de l'article 22, il est utile d'examiner certaines affaires où les tribunaux ont conclu à la dépréciation de l'achalandage.
[193] Dans l'affaire Source Perrier (Société Anonyme) c. Fira-Less Marketing Co. Ltd., [1983] 2 C.F. 18, la défenderesse commercialisait de l'eau en liaison avec le nom « Pierre Eh » , dans des bouteilles ressemblant beaucoup aux bouteilles de « Perrier » de la demanderesse. Le produit de la défenderesse s'inscrivait dans un canular à visée politique. La Cour a accordé à la demanderesse une injonction interdisant à la défenderesse de commercialiser son produit. Le juge Dubé expliquait ainsi cette décision à la page 23 :
Ce qui est encore plus important toutefois, c'est que la défenderesse diminue la valeur de la clientèle attachée aux marques Perrier, contrevenant ainsi au paragraphe 22(1) de la Loi. Le fait que la défenderesse vise seulement au canular n'enlève rien à la confusion qu'elle crée dans l'esprit des acheteurs. La défenderesse tente délibérément de tirer profit de la solide réputation de Perrier. La confusion qu'elle crée a pour effet, à mon avis, de diminuer la qualité des marques de commerce Perrier, de porter atteinte à la réputation d'intégrité professionnelle que Perrier s'est bâtie au fil des ans et de nuire à sa clientèle.
Il est évident que le client qui examinera de près les bouteilles de « Pierre Eh! » et leurs étiquettes découvrira le canular, mais le risque de confusion n'est pas le critère applicable en vertu de l'article 22; [traduction] « le critère est la probabilité d'une diminution de la valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce, conséquence qui ne découlerait pas nécessairement d'une supercherie et qui pourrait même exister sans cela » .
[194] Dans l'affaire Eye Masters Ltd. c. Ross King Holdings Ltd., [1992] 3 C.F. 625, la demanderesse sollicitait une injonction interlocutoire pour empêcher la défenderesse de citer sa marque de commerce dans un message de publicité comparative. Les parties pratiquaient toutes deux la vente au détail de lunettes, de verres de contact et de produits d'optique connexes. La défenderesse, estimant que la demanderesse vendait ses produits à des prix supérieurs aux siens, avait publié un message publicitaire dénonçant cet état de choses. Le juge Reed a conclu que cette publicité diminuait la valeur de l'achalandage attaché à l'entreprise de la demanderesse :
[...] La publicité montre le même mannequin, dans deux photos qui sont mises côte à côte. Dans l'une des photos, le mannequin fronce les sourcils et, en haut de la photo on peut lire, en caractères d'imprimerie : « Eye Masters [Ltd.], $208 Reg. Price ... » ([traduction] Eye Masters [Ltd.], prix courant 208 $). Dans l'autre photo, le mannequin sourit et la ligne imprimée en haut de la photo dit : « Shopper's Optical, $107 Reg. Price ... » ([traduction] Shopper's Optical, prix courant 107 $). Au-dessus des deux photos se trouve, en grosses lettres, cette phrase : « COMPARE THE VALUE - SHOPPERS'S OPTICAL » ([traduction] comparer la valeur - Shopper's Optical). Le mannequin porte des lunettes semblables dans les deux photos. Les lunettes ne sont pas identiques et les parties divergent considérablement d'opinion quant à leur qualité respective.
[...] La publicité laisse une impression très négative. Elle a pour objectif et conséquence probable la création d'une impression négative durable dans l'esprit du public quant à la valeur moindre [...] obtenue en achetant chez Eye Masters. Cette publicité vise principalement la clientèle de l'entreprise d'Eye Masters.
[195] S'il est vrai que la confusion n'est pas le critère applicable sous le régime de l'article 22, la possibilité de confusion peut avoir pour effet de déprécier l'achalandage attaché à une marque de commerce déposée. Le juge Strayer formulait à ce sujet les observations suivantes aux pages 318 et 319 de la décision Jercity Franchises Ltd. c. Foord (1990), 39 F.T.R. 315 :
Pour les mêmes raisons essentiellement, je conclurais qu'une forte présomption a été établie quant à la violation du paragraphe 22(1), parce que le défendeur a employé le nom JERSEY JOE'S dans des magasins de détail qui vendaient entre autres des vêtements de sport semblables. La confusion possible est susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage de la demanderesse et de ses marques de commerce déposées, pour lesquels la demanderesse a engagé d'importantes dépenses de publicité avant que le défendeur ne mette en train son entreprise.
[196] Me fondant sur cette jurisprudence, je conclus que deux conditions doivent être remplies pour que WIC puisse bénéficier de l'effet de l'article 22. Premièrement, le public doit voir un rapport entre les marques des deux parties. Deuxièmement, l'emploi par ITV Technologies de ses marques ITV doit avoir pour effet probable de créer dans l'esprit du public une impression défavorable propre à déprécier l'achalandage attaché aux marques de commerce de WIC.
[197] Pour ce qui est de la première condition, le public doit pouvoir se rendre compte que la défenderesse se réfère à la marque de commerce de la demanderesse. Par exemple, dans l'affaire Source Perrier, précitée, il ne faisait aucun doute que la marque de la défenderesse était une parodie de la marque employée par la demanderesse en liaison avec l'eau Perrier. De même, dans l'affaire Eye Master's, précitée, le public était conscient du fait que la défenderesse faisait référence à son concurrent dans les publicités en question.
[198] Mais il n'en va pas de même dans la présente espèce, où, selon moi, le consommateur ordinaire n'aurait pas immédiatement fait le lien avec WIC en voyant le nom commercial (ITV.net), la dénomination sociale (ITV Technologies Inc.) ou l'adresse Web (www.itv.net) d'ITV Technologies, vu les éléments de preuve établissant que de nombreuses entités employaient le sigle ITV à des fins de désignation. On ne peut dire, en l'absence d'un tel lien, que l'achalandage de WIC ait été déprécié.
[199] L'usage de la marque de commerce doit aussi avoir pour effet d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à une marque de commerce déposée. Dans la présente espèce, même en supposant que le consommateur ordinaire ait conclu à l'existence d'un lien entre ITV Technologies et WIC, je ne suis pas convaincue que la valeur des marques ITV de WIC en aurait été diminuée.
[200] La preuve établit qu'ITV Technologies était une entreprise innovante dans le domaine de la diffusion Web, un de ses pionniers en fait. ITV Technologies avait une réputation si enviable que WIC lui a même demandé sa collaboration pour le programme « Investor's On-line Show » . Par conséquent, même si le consommateur ordinaire avait eu l'impression qu'il existait un lien entre ITV Technologies et WIC, je ne crois pas qu'il se serait fait une idée défavorable de celle-ci à partir de l'activité et du site Web de celle-là.
[201] Pour tous ces motifs, je suis d'avis que l'usage par ITV Technologies de ses marques ITV n'a pas entraîné la diminution de la valeur de l'achalandage attaché aux marques déposées de WIC et qu'il n'y a pas eu infraction à l'article 22 de la Loi.
iii) Passing-off
[202] Enfin, WIC fait valoir que l'emploi par ITV Technologies de la marque ITV contrevient à l'alinéa 7 b) de la Loi, ainsi libellé :
7. Nul ne peut :
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
[...] |
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7. No person shall
(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;
[...] |
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[203] L'alinéa 7b) est l'expression dans la loi de l'action en passing-off classique relevant de la common law. Le passing-off (ou commercialisation trompeuse) est une forme de représentation trompeuse par laquelle un commerçant profite de l'achalandage d'une autre personne en prétendant que ses marchandises, services ou entreprises sont ceux de cette autre personne (MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134).
[204] Pour obtenir gain de cause dans une action en passing-off, le demandeur doit établir trois éléments : l'existence d'un achalandage, l'induction en erreur du public attribuable à la représentation trompeuse et des dommages réels ou possibles pour le demandeur (Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.[1992] 3 R.C.S. 120).
[205] Dans la présente espèce, si la preuve me convainc que les marques de commerce de WIC ont acquis un achalandage en liaison avec la station de télévision d'Edmonton, je ne pense pas qu'elle étaye la conclusion qu'il y aurait eu induction en erreur du public attribuable à la représentation trompeuse. M. Mutual a déclaré dans son témoignage qu'il avait fait un effort particulier pour faire suivre les trois courriels qu'il avait reçus et fait savoir expressément à leurs expéditeurs que son entreprise n'était pas liée à WIC. En outre, ITV Technologies avait affiché sur son site Web un avis informant le public qu'elle n'était pas liée à CITV. ITV Technologies n'a à aucun moment essayé de faire croire aux consommateurs qu'elle était WIC ou qu'elle avait quelque lien commercial que ce fût avec celle-ci. De plus, j'ai déjà conclu que les marques d'ITV Technologies ne créent pas de confusion avec celles de WIC. Étant donné que l'induction en erreur du public attribuable à la représentation trompeuse constitue un élément essentiel de l'action en passing-off, WIC ne peut obtenir gain de cause à cet égard.
[206] En conséquence, je suis d'avis que l'emploi par ITV Technologies de ses marques ITV ne contrevient pas à l'alinéa 7b) de la Loi.
[207] Pour toutes ces raisons, la demande reconventionnelle de la défenderesse WIC est rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE la demande d'ITV Technologies soit rejetée avec dépens. La demande reconventionnelle de la défenderesse WIC est rejetée avec dépens.
« Danièle Tremblay-Lamer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1459-97
INTITULÉ : ITV TECHNOLOGIES, INC.
c.
WIC TELEVISION LTD.
WIC TV AMALCO INC. ET AL.
c.
ITV TECHNOLOGIES, INC.
(demande reconventionnelle)
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 28 avril 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Madame la juge Tremblay-Lamer
DATE DES MOTIFS : Le 10 septembre 2003
ONT COMPARU :
Paul D. Gornall POUR LA DEMANDERESSE
Brian Edmonds
Barry Fraser POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McCarthy Tetrault POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario) /
Vancouver (Colombie-Britannique)
Paul G. Gornall POUR LA DÉFENDERESSE
Vancouver (Colombie-Britannique)