Date : 20041029
Dossier : IMM-2722-03
Référence : 2004 CF 1535
Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 octobre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
VEYSEL TURKCAN, ENGIN TURKCAN
BEYHAN PEKTAS, ERSIN TURKCAN
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Veysel Turkcan (le demandeur principal), son épouse, Beyhan Pektas, et leur fils mineur, Ersin Turkcan, (les demandeurs) et leur fils adulte Engin Turkcan (le fils adulte) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 21 mars 2003. Dans cette décision, la Commission a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger suivant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et modifications (LIPR).
[2] Les demandeurs sont citoyens de la Turquie. Le fondement de la demande présentée par le demandeur principal était sa crainte à l'égard du Hezbollah. Dans son formulaire sur les renseignements personnels (FRP), il a donné des détails à l'égard de ce qui avait provoqué cette crainte, soit des visites faites à son lieu d'affaires à la fin de l'automne 1998 par des inconnus qui voulaient l'aider à [TRADUCTION] « élargir » son entreprise. Il y a eu d'autres visites et les hommes se sont finalement identifiés comme des membres de l' « Hezbollah Salvation Association » . Le demandeur principal a déclaré que ces hommes étaient revenus en 2000 et l'avaient forcé à signer six chèques en blanc en le menaçant de le tuer s'il refusait. Il avait auparavant reçu une autre menace de mort, pour lui et sa famille, s'il s'adressait aux policiers.
[3] En juin 2000, le demandeur s'est rendu aux États-Unis. Il est entré au Canada le 1er août 2000 et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[4] Le demandeur a commencé à faire déménager fréquemment sa famille et il a finalement divorcé de son épouse afin de la protéger et de protéger ses enfants.
[5] En janvier 2001, le fils adulte est retourné à Ankara après ses études. Il a déménagé d'une maison à une autre, chez divers parents, et il n'a pas vécu avec sa mère et son frère. Il a déclaré avoir reçu du Hezbollah des menaces et des demandes à l'égard des allées et venues de son père. Il a quitté la Turquie en direction du Canada le 28 février 2001 et il est entré au Canada le 1er mars 2001.
[6] L'épouse a déclaré qu'elle est allée vivre chez ses parents après qu'un membre du Hezbollah lui a rendu visite et l'a questionnée à l'égard de son époux. Elle a déclaré qu'elle sortait rarement de la maison et que son jeune fils allait rarement à l'école. Après avoir obtenu des passeports et des visas pour les États-Unis, elle et le fils mineur ont quitté la Turquie le 9 août 2001 et sont entrés au Canada le 10 août 2001. Elle a alors revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[7] Le demandeur principal, son épouse et le fils adulte ont témoigné devant la Commission. L'épouse assistait à la première séance, mais elle a commencé à être malade et elle a été transportée à l'hôpital en ambulance. Par la suite, elle a été examinée par un psychologue qui a recommandé une remise de l'audience. La Commission a refusé la remise parce que rien ne garantissait que l'état de l'épouse s'améliorerait plus tard.
[8] Par la suite, l'avocat de l'épouse a demandé une nouvelle audience au motif que l'épouse serait traumatisée par le fait de comparaître devant la même formation. Cette demande a été rejetée.
[9] Quelques semaines plus tard, l'avocat des demandeurs a fait certaines suggestions afin de répondre aux préoccupations de la demanderesse. L'une des suggestions était de séparer les demandes du demandeur principal et de son épouse afin de dissiper le stress causé par le fait d'entendre le témoignage de l'époux. La Commission a refusé ces suggestions et a informé l'avocat que l'épouse pourrait décider de renoncer à son droit d'être présente durant toute l'audience, mais qu'elle s'attendait toutefois à ce qu'elle témoigne le 15 octobre 2002.
[10] Après avoir consulté son avocat, l'épouse a informé la Commission qu'elle souhaitait renoncer à son droit d'être présente durant toute l'audience. Elle s'est absentée pendant que son époux témoignait et elle est revenue pour rendre son témoignage. Elle a choisi de ne pas assister à la dernière séance de l'audience.
[11] La Commission a accepté que les demandeurs soient des citoyens turcs, mais elle a rejeté la demande présentée par le demandeur principal compte tenu de conclusions quant à la crédibilité, notamment à l'égard de la prétention se rapportant aux actions et aux menaces du Hezbollah. Elle a conclu que les demandes de l'épouse et du fils mineur dépendaient de sa reconnaissance du récit du demandeur principal à l'égard du Hezbollah. Étant donné qu'elle a rejeté cet élément de preuve, elle a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité raisonnable que l'épouse et le fils mineur soient persécutés par le Hezbollah s'ils retournaient en Turquie.
[12] La Commission a en outre rejeté la demande du fils adulte. Cette demande était fondée sur la crainte du Hezbollah et sur le fait qu'il s'opposait à servir dans l'armée. La Commission a conclu qu'il ne serait pas appelé à participer à des combats au cours de son service militaire. Elle a mentionné que dans son FRP, le fils adulte n'a pas déclaré être un pacifiste et un objecteur de conscience. Elle a conclu que son témoignage lors de l'audience traitait de prétentions plus larges que celles inscrites dans l'exposé narratif de son FRP dans lequel il a énoncé précisément être opposé à l'armée turque. Elle a rejeté son témoignage qu'elle n'estimait pas digne de foi.
[13] Les demandeurs prétendent maintenant que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a traité de la preuve fournie par le demandeur principal et le fils adulte.
[14] Les demandeurs prétendent en outre que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a refusé d'accorder à la demanderesse une nouvelle audience. Les demandeurs prétendent qu'étant donné que l'audience a commencé le 2 avril 2002, avant la mise en application de la LIPR, l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications (la Loi), s'applique. Le paragraphe 69(2) de la Loi prévoit ce qui suit :
69(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (3.1), la section du statut tient ses séances à huis clos ou, sur demande en ce sens, en public, et dans la mesure du possible en présence de l'intéressé. |
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69(2) Subject to subsections (3) and (3.1), proceedings before the Refugee Division shall be held in the presence of the person who is the subject of the proceedings, wherever practicable, and be conducted in camera or, if an application therefor is made, in public. |
[15] Les demandeurs s'appuient en outre sur le paragraphe 348(6) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui prévoit ce qui suit :
348(6) La légalité de la décision ou de la mesure prise sous le régime de l'ancienne loi faisant l'objet de la demande de contrôle judiciaire ou de l'appel visé au paragraphe (1) est décidée sous le régime de l'ancienne loi. |
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348(6) The validity or lawfulness of a decision or act made under the former Act that is the subject of a judicial review procedure or appeal referred to in subsection (1) is determined in accordance with the provisions of the former Act. |
[16] La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a refusé de lui accorder une nouvelle audience et lorsqu'elle l'a en fait forcée à renoncer à son droit d'assister à l'audience. Elle prétend qu'en l'espèce la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a interprété les mots « dans la mesure du possible » et, à cet égard, elle s'appuie sur les décisions Phillip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 159 F.T.R. 49, et Azakir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1521.
[17] Subsidiairement, la demanderesse prétend que si sa présence physique n'est pas requise par l'ancienne Loi sur l'immigration, précitée, elle est une exigence de « justice fondamentale » suivant l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R.-U.) (la Charte). À cet égard, elle s'appuie sur l'arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951.
[18] La présente demande soulève deux questions distinctes. Premièrement, celle de savoir si la Commission a commis une erreur en refusant les remises sollicitées par la demanderesse et en obligeant par conséquent cette dernière à renoncer à son droit d'être présente durant toute l'audience. Deuxièmement, celle de savoir si la Commission a mal interprété les éléments de preuve ou a omis d'en tenir compte et si elle a tiré des conclusions potentiellement déraisonnables à l'égard du demandeur principal et du fils adulte.
[19] Après avoir examiné le dossier, y compris la transcription de l'audience, je suis convaincue que la Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a refusé la demande de la demanderesse visant l'obtention d'une longue remise ou d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. La Commission a le droit d'établir ses propres procédures, dans les limites de la loi applicable, soit l'ancienne Loi sur l'immigration, précitée, et des règlements. Ce droit coexiste avec le paragraphe 69(2) de cette loi qui prévoit un droit fondamental, mais moins qu'absolu, pour la personne intéressée à être présente au cours d'une audience. Les mots « dans la mesure du possible » , à mon avis, donnent à la Commission un pouvoir discrétionnaire à l'égard de la question de savoir si un intéressé sera présent durant toute l'audience.
[20] Je n'accepte pas la prétention subsidiaire de la demanderesse selon laquelle le fait qu'elle n'ait pas assisté à toute l'audience a porté atteinte à ses droits garantis par l'article 7 de la Charte. L'instance devant la Commission était une instance de nature administrative, non un procès pour une accusation en matière criminelle comme c'était le cas dans l'arrêt Tran, précité.
[21] Quant aux prétentions soulevées par le demandeur principal et le fils adulte, elles constituent essentiellement des désaccords avec les conclusions tirées par la Commission. La Commission a le mandat d'apprécier la preuve dont elle dispose. La norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Je suis convaincue que la Commission disposait d'éléments de preuve appuyant sa décision. Les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer qu'il était justifié que la Cour intervienne.
[22] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est soulevée aux fins de la certification.
ORDONNANCE
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est soulevée aux fins de la certification.
_ E. Heneghan _
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2722-03
INTITULÉ : VEYSEL TURKCAN, ENGIN TURKCAN, BEYHAN PEKTAS, ERSIN TURKCAN
demandeurs
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 29 AVRIL 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 29 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
Micheal Crane POUR LES DEMANDEURS
Marcel Larouche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane POUR LES DEMANDEURS
Avocat
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada