Date : 20031118
Dossier : T-1473-03
Référence : 2003 CF 1360
ENTRE :
L'ACTION DES NOUVELLES CONJOINTES DU QUÉBEC
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:
Introduction
[1] Par le biais d'une requête mue essentiellement en vertu de la règle 208 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), la défenderesse demande à la Cour de radier la déclaration d'action déposée dans le présent dossier par la demanderesse ainsi que celle déposée dans le dossier T-1474-03 par trois autres demanderesses au motif que l'une ou l'autre de ces demanderesses n'a pas la qualité pour agir dans l'intérêt public au sens essentiellement de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 R.C.S. 236 (le Conseil des Églises). [1]
Contexte factuel
[2] Les présents motifs de même que l'ordonnance les accompagnant s'appliqueront mutatis mutandis au dossier T-1474-03 puisque la défenderesse a présenté la requête à l'étude tant dans le présent dossier que dans le dossier T-1474-03. Les parties ont débattu la requête de la défenderesse avec clairement cette compréhension en tête.
[3] Dans le présent dossier T-1473-03, la demanderesse (parfois ci-après l'ANCQ) se décrit ainsi à sa déclaration d'action ainsi qu'à l'affidavit qu'elle a déposé en réponse à la requête à l'étude :
The Plaintiff, L'Action des Nouvelles Conjointes du Québec, is a corporation registered under the laws of Quebec. The organization's objective is to rally and give assistance to couples formed by previously married spouses where in the formation of their new union they suffer iniquities within the judicial system.
[4] Autrement dit, la demanderesse regroupe et vise à aider des individus qui ont subi des iniquités lors de leurs procédures de divorce devant la cour s'occupant des procédures de divorce (ci-après, pour plus de commodité, "la cour supérieure") en vertu de la Loi sur le divorce, L.R. (1985), ch. 3 (2e suppl.), telle que modifiée (la Loi).
[5] Quant à l'objet de l'action, l'ANCQ indique ce qui suit à la face même de sa déclaration d'action :
The claim made against you involves the Divorce Act, R.S.C. 1985, c. 3 ("Act") and the Child Support Guidelines ("Guidelines") enacted by the Governor General in Council pursuant to section 26.1 of the Act, as set out in the following pages.
[6] L'article 26.1 de la Loi se lit comme suit :
26.1 (1) Le gouverneur en conseil peut établir des lignes directrices à l'égard des ordonnances pour les aliments des enfants, notamment pour_: a) régir le mode de détermination du montant des ordonnances pour les aliments des enfants; b) régir les cas où le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il rend des ordonnances pour les aliments des enfants; c) autoriser le tribunal à exiger que le montant de l'ordonnance pour les aliments d'un enfant soit payable sous forme de capital ou de pension, ou des deux; d) autoriser le tribunal à exiger que le montant de l'ordonnance pour les aliments d'un enfant soit versé ou garanti, ou versé et garanti, selon les modalités prévues par l'ordonnance; e) régir les changements de situation au titre desquels les ordonnances modificatives des ordonnances alimentaires au profit d'un enfant peuvent être rendues;
|
26.1 (1) The Governor in Council may establish guidelines respecting the making of orders for child support, including, but without limiting the generality of the foregoing, guidelines (a) respecting the way in which the amount of an order for child support is to be determined; (b) respecting the circumstances in which discretion may be exercised in the making of an order for child support; (c) authorizing a court to require that the amount payable under an order for child support be paid in periodic payments, in a lump sum or in a lump sum and periodic payments; (d) authorizing a court to require that the amount payable under an order for child support be paid or secured, or paid and secured, in the manner specified in the order; (e) respecting the circumstances that give rise to the making of a variation order in respect of a child support order;
|
f) régir la détermination du revenu pour l'application des lignes directrices; g) autoriser le tribunal à attribuer un revenu pour l'application des lignes directrices; h) régir la communication de renseignements sur le revenu et prévoir les sanctions afférentes à la non-communication de tels renseignements.
(2) Les lignes directrices doivent être fondées sur le principe que l'obligation financière de subvenir aux besoins des enfants à charge est commune aux époux et qu'elle est répartie entre eux selon leurs ressources respectives permettant de remplir cette obligation.
(3) Pour l'application du paragraphe (1), « _ordonnance pour les aliments d'un enfant_ » s'entend_: a) de l'ordonnance ou de l'ordonnance provisoire rendue au titre de l'article 15.1; b) de l'ordonnance modificative de l'ordonnance alimentaire au profit d'un enfant; c) de l'ordonnance ou de l'ordonnance provisoire rendue au titre de l'article 19.
1997, ch. 1, art. 11. |
(f) respecting the determination of income for the purposes of the application of the guidelines; (g) authorizing a court to impute income for the purposes of the application of the guidelines; and (h) respecting the production of income information and providing for sanctions when that information is not provided.
(2) The guidelines shall be based on the principle that spouses have a joint financial obligation to maintain the children of the marriage in accordance with their relative abilities to contribute to the performance of that obligation.
(3) In subsection (1), "order for child support" means (a) an order or interim order made under section 15.1; (b) a variation order in respect of a child support order; or (c) an order or an interim order made under section 19.
1997, c. 1, s. 11. |
[7] L'attaque que porte l'ANCQ sur l'article 26.1 de la Loi ainsi que sur les lignes directrices édictées en vertu de cet article regroupe un vaste éventail d'allégations d'inconstitutionnalité qu'il est difficile de résumer en peu de mots.
[8] Sans qu'ils reflètent l'ensemble des angles ou nuances contenus dans la déclaration d'action, je pense que les paragraphes 5 à 7 et 35 de la déclaration d'action de l'ANCQ nous permettent de suffisamment bien comprendre, à ce stade-ci, la nature des intérêts invoqués par la demanderesse.[2]
[9] Ces paragraphes se lisent comme suit :
III. The Case
5. The Plaintiff hereby challenges the constitutional validity of section 26.1 of the Act and the Guidelines. The Act and the Guidelines infringe the guarantee of equality in the Bill of Rights and Charter. The Act and the Guidelines are also beyond the jurisdiction of the Parliament of Canada under the Constitution Act, 1867. Furthermore, the Guidelines are arbitrary and not consistent with the Act or the common law of Canada.
IV. Introduction
Statistically, custody and child support awards favour the mother
6. In the Survey of Child Support Awards: Interim Analysis of Phase 2 Data presented to, and published by, the Department of Justice (by the Canadian Research Institute for Law and the Family), Her Majesty the Queen in Right of Canada (2001), a total of 14,067 custody cases in Canada were analyzed and it was determined that custody was allocated on the following basis:
a. the mother (sole custody): 80.4 %;
b. the father (sole custody): 8.6%
c. shared custody: 5.3%
d. split custody: 5.0%
The father was the paying parent ("Paying Parent") in 93.6% of cases with a valid child support award, while the mother was the Paying Parent in 5.7% of cases. Information was not available or was inapplicable in 0.6% of cases with child support awards.
Guidelines are unlawful
7. Current child support laws and regulations are deliberately or negligently skewed to maximize child support payments. This is in contrast to a genuine calculation and sharing of the costs of raising children. The Guidelines have resulted in a massive transfer of wealth; a transfer unrelated to the purpose of child support. Child support payments have become a new tax - a tax on being a father and divorced. This claim lays out the legal and constitutional reasons why the current child support system is unlawful.
(....)
XIV. Conclusion
35. The Guidelines and section 26.1 of the Act should be declared of no force or effect or, in the alternative, should be read down to limit any infringement of:
a. property and equality rights in section 1(a) and (b) of the Bill of Rights;
b. life, liberty and privacy rights in section 7 of the Charter;
c. equality rights in sections 15 and 28 of the Charter;
d. provincial jurisdiction over property and civil rights in a province set forth in section 92(13) of the Constitution Act, 1867;
e. the jurisdiction of the House of Commons to impose a tax or impost; and,
f. the common law right to make arrangements regarding one's children.
[10] Dans le dossier T-1474-03, les demanderesses indiquent ce qui suit à la face même de la déclaration :
The claim made against you involves the Best Interests Test under the Divorce Act, R.S.C. 1985, c. 3 ("Act") and is set out in the following pages.
[11] Quant aux parties demanderesses et aux intérêts qu'elles invoquent dans ce dossier T-1474-03, les paragraphes 2 à 4 et 6 et 7 de la déclaration nous renseignent suffisamment comme suit :
II. The Parties
2. The Plaintiff, L'Après-Rupture, is a corporation registered under the laws of Quebec. The organization's mission is to defend and promote the rights of children, in maintaining strong and essential relationships with their biological parents and extended family, to develop and put in place mechanisms designed to maintain strong and affective relationships with their biological parents and extended families, to assist fathers and groups of fathers and parents in the promotion of fatherhood and the family, and to develop a social conscience regarding the negative effects on society and the family of the rupture of the conventional family.
3. The Plaintiff, Fathers Are Capable Too: Parenting Association, also known as F.A.C.T., is a non-profit company registered under the laws of Ontario. The organization's objective is to provide support and counselling to non-custodial parents involved in the divorce or separation process, and to promote shared parenting.
4. The Plaintiff, Legal Kids, is a non-profit company registered under the laws of Alberta. The organization's objective is to ensure children's legal rights are respected, maintained and protected during the divorce of their parents.
(...)
III. Introduction
Current system imbalanced
6. There exists an imbalance in child custody laws and their implementation favouring the mother over the father in the name of the best interests of the child. This claim lays out the legal and constitutional reasons why the current system for determining child custody on family break-up cannot be constitutionally maintained.
IV. The Case
7. The fundamental freedoms and the principles of equality, privacy and parental responsibility embedded in the Charter, the Bill of Rights and the common law protect and preserve the custodial rights of parents, even after the dissolution of their marriage. The test ("Current Test") for determining questions of custody and access in the event of a divorce action or in any proceedings relating thereto set forth in sections 16(1), 16(2), 16(8) and 16(10) of the Act is inconsistent with the Charter and the Bill of Rights. Furthermore, common law principles require the courts to interpret the Act in a manner that does not unnecessarily undermine parental responsibilities.
Analyse
[12] Pour les fins des motifs qui suivent, la Cour se concentrera sur le présent dossier de l'ANCQ, soit le dossier T-1473-03. Tel que mentionné précédemment, l'approche y contenue ainsi que l'ordonnance en découlant sont applicables au dossier T-1474-03 mutatis mutandis.
[13] Au départ, tous reconnaissent que l'ANCQ en tant que corporation ne saurait être sujette à une ordonnance pour les aliments des enfants en vertu de l'article 26.1 de la Loi. Elle n'a donc pas un intérêt direct pour agir.
[14] Partant, la demanderesse doit se voir reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public (la qualité pour agir).
[15] Je considère que c'est en vertu des enseignements dégagés par la Cour suprême dans Conseil des Églises que cette question à l'égard de la demanderesse doit être tranchée.
[16] Dans cet arrêt, le Conseil canadien des Églises, une organisation faisant valoir les intérêts d'Églises membres, y compris la protection et le rétablissement des réfugiés, a cherché devant la Cour fédérale, puis en Cour suprême, à faire déclarer que plusieurs dispositions modifiant la Loi sur l'immigration de 1976, S.C.1976-77, ch. 52, contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et à la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), app. III. Les modifications portaient sur les dispositions visant à déterminer si un requérant est un réfugié au sens de la Convention.
[17] Dans Conseil des Églises, la Cour énonce ainsi en page 253 les trois aspects dont il faut tenir compte pour déterminer la qualité pour agir :
On a vu qu'il faut tenir compte de trois aspects lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public. Premièrement, la question de l'invalidité de la loi en question se pose-t-elle sérieusement? Deuxièmement, a-t-on démontré que le demandeur est directement touché par la loi ou qu'il a un intérêt véritable quant à sa validité? Troisièmement, y a-t-il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour?
(Mon soulignement.)
[18] Pour les fins de la présente requête, la défenderesse concède que l'action de la demanderesse lui permet de rencontrer les deux premiers aspects du test établi ci-dessus, soit la présence d'une question sérieuse et le fait que la demanderesse présente un intérêt véritable.
[19] Toutefois, comme entre autres dans l'arrêt Conseil des Églises, c'est à l'égard du troisième aspect, soit la présence d'une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux, que les parties divergent de point de vue.
[20] Je pense que pour bien saisir les propos que la Cour suprême énonce sous ce troisième aspect aux pages 254 à 256, il faut revenir sur ce qu'elle a à dire en pages 248 et suivantes, sur, entre autres, les avantages sans contredit d'approcher les tribunaux sous une conception traditionnelle, soit par le biais de litiges impliquant des particuliers afin que les tribunaux puissent prendre leurs décisions en fonction de faits clairement établis, et ce, afin de s'assurer qu'il n'y a pas surutilisation des ressources judiciaires. Voici du reste comment la Cour suprême dans Conseil des Églises s'exprime à cet égard en pages 248 et suivantes :
La question de la qualité pour agir au Canada
À l'instar des autres ressorts de common law, les tribunaux canadiens ont traditionnellement tranché des litiges touchant des particuliers. Par exemple, les tribunaux déterminent si une personne est coupable d'un acte criminel, ils tranchent les droits entre les particuliers et ils déterminent les droits des particuliers dans tous leurs rapports avec l'État. Un grand avantage de cette conception traditionnelle est que les tribunaux peuvent prendre leurs décisions en fonction de faits clairement établis. C'est ainsi que les tribunaux ont établi la primauté du droit et constitué un mode pacifique de règlement des différends. Oeuvrant principalement, sinon presque exclusivement de la façon traditionnelle, les tribunaux de la plupart des régions fonctionnent à pleine capacité. Les tribunaux jouent un rôle important dans notre société. Si l'on veut qu'ils continuent d'assumer ce rôle, on doit s'assurer qu'il n'y a pas surutilisation des ressources judiciaires. C'est là un facteur dont on doit toujours tenir compte quand on envisage d'étendre la qualité pour agir.
Et en page 251 :
Le critère énoncé par notre Cour quant à la reconnaissance de la qualité pour agir à des parties d'intérêt public tient également compte de la question de l'affectation judicieuse des ressources judiciaires. À cette fin, le tribunal limite la reconnaissance de la qualité pour agir aux cas où il s'attend qu'aucune personne directement lésée n'intentera de poursuite.
(Mes soulignements.)
[21] Dans une affaire suivant de peu sa décision dans Conseil des Églises, la majorité de la Cour suprême a rappelé de nouveau l'importance de se méfier d'attaques sous la Charte lorsque ces attaques ne proviennent pas de cas qui ressortent de la situation factuelle particulière de demandeurs. Dans Hy and Zel's Inc. c. Ontario (P.G.), [1993] 3 R.C.S. 675, le juge Major énonce en page 694 :
Plus récemment, dans l'arrêt Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la page 1093, notre Cour a prévenu que « l'échec d'une contestation trop diffuse pourrait faire obstacle à des contestations ultérieures des règles en question, par certaines parties qui auraient des plaintes précises fondées sur des faits. » Cela reflète la vigilance dont notre Cour fait preuve pour s'assurer qu'elle entend les arguments des parties qui sont le plus directement touchées par une question. L'absence de faits propres aux appelants compromet la capacité de la Cour de s'assurer qu'elle entend ceux qui sont le plus directement touchés et que les questions relatives à la Charte sont tranchées dans un contexte factuel approprié.
[22] Quant au but premier et central pour accorder la qualité pour agir, soit d'éviter qu'une loi soit à l'abri de contestations judiciaires, voici les propos de la Cour suprême dans Conseil des Églises, tels qu'ils se retrouvent en pages 252-253 :
La reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d'empêcher que la loi ou les actes publics soient à l'abri des contestations. Il n'est pas nécessaire de reconnaître qualité pour agir dans l'intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on peut établir qu'un particulier contestera la mesure. Il n'est pas nécessaire d'élargir les principes régissant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public établis par notre Cour. La décision d'accorder la qualité pour agir relève d'un pouvoir discrétionnaire avec tout ce que cette désignation implique. Les demandes sans mérite peuvent donc être rejetées. Néanmoins, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut interpréter les principes applicables d'une façon libérale et souple.
[23] Revenant maintenant à l'analyse spécifique que la Cour tient par après sous le troisième aspect du test qu'elle adopte, soit la présence d'une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux, la Cour suprême, en pages 254-255, s'exprime comme suit :
C'est cette troisième question qui soulève la véritable difficulté en l'espèce. La loi contestée est de nature réglementaire et elle touche directement tous les demandeurs du statut de réfugié au pays. Chacun d'entre eux a qualité pour contester la constitutionnalité de la loi afin de faire assurer le respect des droits que lui garantit la Charte. Le Conseil requérant reconnaît que ces actions pourraient être intentées, mais soutient que les désavantages que subissent les réfugiés en tant que groupe les empêchent d'utiliser efficacement l'accès qu'ils ont aux tribunaux. Je ne peux accepter cette prétention. Depuis que le Conseil a intenté la présente action, un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié ont, conformément aux dispositions de la loi, interjeté appel de décisions administratives les concernant. Selon les intimés, presque 33 000 demandes de statut de réfugié ont été présentées au cours des quinze premiers mois suivant l'adoption de la loi. En 1990, quelque 3 000 demandes ont été présentées chaque mois. La Cour d'appel fédérale a une vaste expérience dans ce domaine. Le juge MacGuigan, s'exprimant au nom de la cour, a admis d'office que des demandeurs de statut intentaient déjà couramment des actions semblables à celles intentées par le Conseil. J'accepte cette observation sans hésitation. Il est donc évident que de nombreux demandeurs de statut peuvent interjeter appel contre les décisions administratives prises en vertu de la loi et qu'ils l'ont fait. Les tribunaux ont fréquemment été saisis de ces demandes. Chaque dossier renfermait un contexte factuel concret sur lequel le tribunal pouvait fonder sa décision.
(...)
Il ressort des documents présentés que des demandeurs individuels du statut de réfugié, qui ont le droit de contester la loi, s'en sont prévalu. Il existe donc d'autres méthodes raisonnables de saisir la cour de la question. Pour ce motif, le Conseil requérant ne peut avoir gain de cause. Je m'empresserais d'ajouter que cette décision ne devrait pas être interprétée comme le résultat d'une application mécaniste d'une exigence technique. On doit plutôt se rappeler que l'objet fondamental de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public est de garantir qu'une loi n'est pas à l'abri de la contestation. En l'espèce, la loi ne l'est pas puisque des demandeurs du statut de réfugié la contestent. En conséquence, le motif à la base même de la reconnaissance à une partie de la qualité pour agir dans l'intérêt public disparaît. Le Conseil n'a donc pas qualité pour agir relativement à chacun des énoncés de la déclaration. Cela suffit pour trancher le présent pourvoi.
(Mes soulignements.)
[24] Ces propos de la Cour s'adaptent très bien à la situation en litige ici. Tout comme la situation de tout demandeur du statut de réfugié dans Conseil des Églises, toute personne devant acquitter une pension alimentaire pour le bénéfice d'un enfant a la qualité pour lancer une attaque similaire à celle de la demanderesse.
[25] La demanderesse a soulevé dans ses représentations écrites et en plaidoirie qu'il est illusoire, voire irréaliste, de penser qu'une attaque constitutionnelle telle celle de la demanderesse puisse être entreprise dans un litige entre particuliers. Toujours selon ces mêmes représentations les particuliers à un divorce sont et doivent demeurer préoccupés par des éléments plus terre-à-terre tels la garde concrète des enfants et le paiement même des pensions alimentaires pour les enfants. Selon la demanderesse, aucun parent responsable ne voudrait voir une attaque systémique telle celle de la demanderesse se joindre à un litige privé.
[26] Ces allégations de la demanderesse ne sont toutefois pas valablement appuyées en preuve par des allégations concrètes provenant clairement d'une ou de personnes pouvant attester des difficultés soulevées par la demanderesse.
[27] Au support de sa contestation de la requête à l'étude, la demanderesse a produit un court affidavit de sa présidente dans lequel un seul paragraphe, soit le paragraphe 6, appert être pertinent. Ce paragraphe se lit comme suit :
6. The passage of time will not represent a difficulty or hindrance to the Plaintiff as it might if the Plaintiff were a litigant in a divorce action involving children, nor are there any children involved in this action who would be detrimentally impacted by the passage of time.
[28] Tel qu'on le voit, ce paragraphe touche simplement au fait que la durée d'une action n'affecterait pas la demanderesse de la même manière que s'il s'agissait d'un particulier ou d'enfants impliqués dans un divorce.
[29] On note premièrement que cet allégué dans l'affidavit de la demanderesse ne vient pas corroborer ou appuyer l'allégation qu'en réalité et en pratique il est impensable de voir une attaque systémique prendre place dans le cadre d'un litige privé.
[30] Deuxièmement, bien que l'on sache que c'est la présidente de la demanderesse qui souscrit l'affidavit, l'on ne sait toutefois rien sur la situation ou expérience personnelle de cette dernière qui lui permet de s'exprimer avec autorité sur l'effet du passage du temps sur un particulier ou des enfants.
[31] Par ailleurs, la défenderesse a soulevé une série d'arrêts de jurisprudence où justement des litiges en matière de divorce ont soulevé des attaques sous la Charte contre des dispositions de la Loi (voir à titre d'exemples Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; P.(D.) c. S.(C.), [1993] 4 R.C.S. 141; S.-L.(L.) v. S.(C) (1997), 154 D.L.R. (4th) 1). Dans bien de ces situations, ces attaques ont amené le Procureur général du Canada ou certains de ses homologues provinciaux à intervenir et à participer aux débats. Cette présence de joueurs institutionnels dans un litige privé n'est donc pas sans précédent et on ne peut dire qu'elle va à l'encontre de l'intérêt de l'enfant ou de la justice.
[32] On peut donc en conclure, tout comme la Cour suprême dans Conseil des Églises à l'égard de dossiers de demandeurs de statut de réfugiés, que la réalité démontre que des individus touchés par des aspects de la Loi l'ont attaquée sous la Charte sur la base d'un contexte factuel concret sur lequel le tribunal, dans notre cas la Cour supérieure ou son équivalent, pouvait fonder sa décision.
[33] Tel que l'affirme la défenderesse aux paragraphes 23 et 24 de ses représentations écrites soumises à l'appui de la requête à l'étude :
23. Put simply, child support payers themselves are the parties with a direct interest in matters relating to child support orders and they can effectively provide the factual context necessary to answer the constitutional challenge raised by the plaintiff.
24. Furthermore, the effective way to address these issues raised in the Plaintiff's statement of claim should be before the court within a divorce proceeding. To do otherwise, would deprive the court from the fundamental and essential factual context emanating from the child support recipient and further prejudice their interests.
[34] On doit donc en conclure que l'on ne peut reconnaître à la demanderesse la qualité pour agir puisqu'elle n'a pas écarté le fait qu'il existe à tout le moins une autre manière raisonnable et efficace de soumettre les prétentions de la demanderesse, soit dans le cadre d'un divorce entre particuliers devant la Cour supérieure.
[35] Cette conclusion doit donc entraîner l'accueil de la requête de la défenderesse, le tout avec un jeu de dépens pour les deux dossiers T-1473-03 et T-1474-03. On ne saurait également, vu cette conclusion, faire droit à la demande de la demanderesse et permettre que l'un de ses membres puisse agir comme demandeur devant notre Cour. Notre conclusion sous l'aspect du test élaboré dans Conseil des Églises rend cette Cour un forum non approprié. Le bon forum est la Cour supérieure agissant en matière de divorce.
[36] D'autre part, à titre de position alternative, en vue vraisemblablement d'échapper au test retenu par la Cour suprême dans Conseil des Églises, la demanderesse a cherché à s'en remettre à la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Canadian Bar Association, British Columbia Branch v. British Columbia, [1993] B.C.J. No. 407 (l'arrêt CBA).
[37] Dans cet arrêt, l'Association du Barreau canadien et la Law Society de la Colombie-Britannique cherchaient à attaquer la validité constitutionnelle d'une loi provinciale imposant une taxe de 6% sur tout service juridique. Le Procureur général de la Colombie-Britannique a contesté la qualité pour agir de ces deux entités.
[38] Bien que reconnaissant que l'arrêt de principe sur la question de la qualité pour agir soit l'arrêt Conseil des Églises, le juge Lysyk de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a préféré suivre un autre arrêt de la Cour suprême rendu dans les semaines précédant Conseil des Églises, soit l'arrêt Conseil du Patronat du Québec c. Québec (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 685 (l'arrêt Conseil du Patronat).
[39] Je n'entends pas suivre la demanderesse sur cette piste.
[40] Premièrement, dans l'arrêt CBA, la Cour reconnaît que la décision de la Cour suprême dans Conseil du Patronat n'est point mentionnée par cette même Cour dans Conseil des Églises et que Conseil du Patronat semble être une décision isolée. Je partage ce caveat.
[41] Deuxièmement, il m'appert qu'à l'instar de l'étendue du membership présent dans Conseil du Patronat (70% de la force travailleuse dans la province de Québec), la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'arrêt CBA fut grandement impressionnée par le fait que l'Association du Barreau canadien et la Law Society représentaient tous les avocats dans cette province de l'ouest canadien. La Cour s'est donc montrée prête à laisser l'intérêt direct de cette vaste base remonter jusqu'aux entités cherchant à se voir confirmer la qualité pour agir. Le juge Lysyk s'est exprimé comme suit :
In Council of Churches, the corporation seeking standing represented the interests of a group of member churches none of which, of course, were actually or potentially directly affected as applicants for refugee status. In contrast, many of the employers represented by the Conseil du Patronat were directly affected, at least potentially. Here, the Bar Association and the Law Society claim as members all barristers and solicitors engaged in the private practice of law in British Columbia, each of whom is or can expect to be directly affected by the impugned legislation.
Like the Conseil du Patronat, the Bar Association and the law Society are non-profit organizations whose function is to represent the interests of their members. The Conseil du Patronat decision does not appear to turn on a point of procedural law distinct to Quebec. On the contrary, the analysis undertaken clearly turns on decisions of the Supreme Court of Canada establishing the general principles which govern public interest standing to challenge the constitutional validity of legislation, including the test as formulated in Borowski.
There is room for debate concerning the scope of the principle upon which the Conseil du Patronat decision rests. However, to the extent that the Conseil drew upon the interest of its members, the claims to standing of the Bar Association and the Law Society in the present proceeding would seem to be at least as compelling. The Conseil represents many but not all employers in Quebec. The Bar Association and the Law Society represent all practising lawyers in British Columbia.
I conclude that the Conseil du Patronat decision is not distinguishable in principle and that it governs the present proceeding. Accordingly, the petitioners will be accorded standing in this constitutional challenge.
(Mes soulignements.)
[42] Dans le cas qui nous occupe, bien que l'on puisse penser que l'ANCQ représente des individus ayant un intérêt direct dans les questions soulevées, on ne sait en preuve absolument rien de concret quant à l'ampleur de l'appartenance à l'ANCQ chez ces mêmes individus. Parle-t-on ici d'une vaste base telle celle rencontrée dans les arrêts Conseil du Patronat ou CBA ? L'on n'en sait absolument rien. L'affidavit souscrit par la demanderesse en opposition à la présente requête de même que la déclaration d'action déposée par cette dernière ne nous permettent pas de tirer un parallèle acceptable entre le présent dossier et ces arrêts cherchant à se distinguer de la décision de la Cour suprême dans Conseil des Églises.
[43] Enfin, la demanderesse a porté à l'attention de la Cour une vaste série d'arrêts où les tribunaux ont accepté d'accorder à des organismes ou corporations la qualité pour agir (voir le paragraphe 16 des représentations écrites de la demanderesse). Toutefois, il ressort que ces arrêts dans leur ensemble se situent dans le milieu du droit de l'environnement où finalement on pouvait démontrer qu'essentiellement aucun individu en particulier n'avait un intérêt à poursuivre qui soit plus précis que celui d'un autre. La situation ici est différente.
[44] Tel que discuté en Cour, vu ma conclusion quant à la non qualité pour agir de la demanderesse, je n'ai pas à regarder la déclaration d'action de la demanderesse pour déterminer s'il est clair et évident qu'elle révèle en tout ou en partie une cause raisonnable d'action en vertu de la règle 221.
[45] Une ordonnance sera émise en conséquence.
Richard Morneau
protonotaire
Montréal (Québec),
le 18 novembre 2003
COUR FÉDÉRALE
Date : 20031118
Dossier : T-1473-03
Entre :
L'ACTION DES NOUVELLES CONJOINTES DU QUÉBEC
demanderesse
et
SA MAJESTÉLA REINE
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
INTITULÉ:
T-1473-03
L'ACTION DES NOUVELLES CONJOINTES DU QUÉBEC
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :le 6 octobre 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
EN DATE DU :18 novembre 2003
ONT COMPARU:
Me Gerald D. Chipeur |
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pour la demanderesse |
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Me André Lespérance |
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pour la défenderesse |
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PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
Marchand, Magnan, Melançon, Forget Montréal (Québec) |
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pour la demanderesse |
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Chipeur Advocates Calgary (Alberta) |
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pour la demanderesse |
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Me Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada |
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pour la défenderesse
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[1]Bien que la défenderesse fasse référence également à la règle 221 dans son avis de requête, je pense que les aspects à apprécier suivant le Conseil des Églises pour déterminer si l'on doit octroyer ici la qualité pour agir dans l'intérêt public ressortent plus d'un débat en vertu de la règle 208 que d'un débat sous la règle 221. De fait ici, le fardeau d'établir les trois éléments du test rappelé par le Conseil des Églises revient aux demanderesses et non à la défenderesse comme cela serait le cas traditionnellement sous la règle 221.
[2]C'est là la mesure que doit posséder la Cour pour se prononcer sur la qualité pour agir : voir l'arrêt Conseil des Églises, p. 692.