Date : 20021113
Dossier : IMM-4416-01
Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2002
En présence de monsieur le juge Pinard
Entre :
LIGIA INES ARIAS ORTIZ
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section du statut de réfugiéde la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 23 août 2001, par laquelle celle-ci a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, est rejetée.
« Yvon Pinard »
JUGE
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.
Date : 20021113
Dossier : IMM-4416-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1163
Entre :
LIGIA INES ARIAS ORTIZ
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD :
La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugiéde la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 23 août 2001, par laquelle celle-ci a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, selon la définition prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).
La demanderesse est citoyenne de l'Équateur. Elle craint d'être persécutée par son ancien employeur car, en 1994, elle a dénoncédes irrégularités dans le service de comptabilitéde la société pour laquelle elle travaillait aux fonctionnaires du bureau de l'Inspecteur du Travail. Elle craint de ne plus être en mesure d'obtenir un emploi raisonnable dans son domaine d'expérience et même de conserver un emploi inférieur, et redoute des actes de violence de la part de son ancien employeur.
La Commission a résumé les allégations de la demanderesse aux pages 1 et 2 de sa décision :
La revendicatrice a travaillé pour la famille qui est propriétaire de la société Juan Eljuri àCuenca, en Équateur, de 1989 à 1995. Après avoir commencé àtravailler dans le service de comptabilité, la revendicatrice déclare qu'elle-même et plusieurs collègues ont pris conscience d'irrégularités financières. La revendicatrice a informé l'Inspecteur du Travail de ces irrégularités en septembre 1994. Des représentants de l'Inspecteur du Travail se sont présentés sur les lieux et ont mené une enquête. La revendicatrice allègue que son patron a versé un pot-de-vin aux fonctionnaires de l'État et que, par conséquent, la société n'a pas subi les conséquences de l'enquête. Après l'enquête, selon la revendicatrice, son patron l'aurait accusée d'essayer de former un syndicat à la société et l'a menacée en lui disant de faire attention.
La revendicatrice dit qu'en novembre 1994, elle a étéattaquée par deux hommes, dont un qu'elle a reconnu comme étant le chauffeur de son patron. Elle dit que ses agresseurs lui ont intimé l'ordre de quitter son poste sous peine de mort. Elle a été frappée et abandonnée inconsciente, blessée au nez et aux oreilles. Elle n'a pas déclaré cette agression à la police.
La revendicatrice soutient que son employeur lui a dit de quitter le pays en décembre 1994. Elle a continué de travailler à la société Juan Eljuri pendant environ deux mois après l'agression. Elle dit qu'elle a continué de travailler à la société parce qu'elle voulait obtenir sa prime de cessation d'emploi, ses titres de compétence et des références. Elle a fini par quitter son travail en janvier 1995 sans avoir reçu sa rémunération finale, pas plus que ses documents ou des références.
La revendicatrice dit qu'elle n'a pas pu trouver un autre emploi en comptabilité après avoir quitté la société Juan Eljuri parce qu'elle n'avait ni titres de compétence ni références. Elle s'est donc contentée de postes de domestique dans différentes villes du pays. Elle allègue que son ancien employeur découvrait toujours où elle était, communiquait avec son nouvel employeur et convainquait ce dernier de la congédier.
La revendicatrice a finalement renoncé àtrouver du travail et est retournée à La Cuenca à la fin de 1995 pour y demeurer jusqu'en juillet 1999, date à laquelle elle a quitté l'Équateur.
La Commission a jugé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, celle-ci n'ayant pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour démontrer sa crainte fondée de persécution en raison de son défaut d'établir un fondement objectif àcette crainte. Toujours selon la Commission, il n'existait aucune possibilité raisonnable que la demanderesse soit persécutée par son ancien employeur advenant son retour en Équateur.
La Commission a étayé ses conclusions par les motifs suivants :
- La revendicatrice n'a pas expliquéde façon raisonnable pourquoi la société Juan Eljuri (son « ancien employeur » ) aurait conservé ses documents originaux en dossier après son embauche plutôt que de les lui restituer et pourquoi elle n'a pu obtenir de documents de remplacement auprès des autorités.
- La revendicatrice n'a pas expliqué de façon convaincante pourquoi elle n'avait pu trouver un poste de réceptionniste ou de secrétaire, qui sont d'autres fonctions pour lesquelles la revendicatrice avait de l'expérience et des compétences avant de travailler pour son ancien employeur.
- La revendicatrice n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour prouver que son employeur intervenait pour l'empêcher de conserver divers emplois et, par conséquent, la revendicatrice n'a pas établi un fondement objectif quant àsa crainte de ne pas pouvoir gagner sa vie.
- La revendicatrice n'a pas eu à subir d'autres actes de violence dans les quatre ans et demi qui ont suivi l'agression de novembre 1994.
La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de droit en ne traitant pas des éléments de preuve d'ordre psychologique et des facteurs émotionnels, qui constituaient le point central de sa revendication.
Dans l'affaire Taher c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (7 septembre 2000), IMM-5255-99, le juge Denault a tenu les propos suivants, au paragraphe 14, quant à l'appréciation de la preuve présentée au tribunal :
Il s'agit d'un principe élémentaire de droit que l'on doive présumer qu'un tribunal a tenu compte de l'ensemble de la preuve dont il était saisi. Pourtant, un tribunal n'a pas l'obligation de mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve dont il a tenu compte avant de rendre sa décision. Par surcroît, le fait que certains éléments de preuve ne soient pas mentionnés dans les motifs du tribunal ne veut pas dire qu'il n'en a pas été tenu compte.
Dans l'affaire Taher c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (25 novembre 1998), IMM-265-98, le juge Rothstein a statué qu'un tribunal est tenu d'expliquer, même très brièvement, pourquoi la preuve précise et importante pour la cause d'un demandeur ne le convainc pas.
En l'espèce, après avoir passéen revue le rapport psychologique et l'ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu qu'il s'agissait là du point central de la revendication de la demanderesse. La Commission n'était pas tenue d'en traiter expressément, compte tenu des autres éléments de preuve et du reste de ses motifs. L'énoncé suivant de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 598 (QL), s'applique en l'occurrence :
Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.
Enfin, en ce qui a trait à l'appréciation des faits, il ne faut pas non plus perdre de vue le fait que notre Cour ne peut substituer sa décision à celle du tribunal lorsque, comme c'est le cas ici, le demandeur n'a pu établir que le tribunal a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7). La demanderesse était tenue de prouver que sa crainte de persécution était fondée. J'ai examiné les éléments de preuve dont disposait la Section du statut de réfugié et je ne suis pas d'avis que les inférences tirées par ce tribunal spécialisé n'auraient pas pu raisonnablement avoir été tirées (voir Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315). En dernier lieu, comme la Cour d'appel fédérale en a fait état dans l'arrêt Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, àla page 244, la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible relativement à un élément de preuve pertinent de sa revendication du statut de réfugié équivaut en fait à la conclusion qu'aucun élément de preuve crédible ne pourrait fonder cette revendication.
La demanderesse fait valoir en outre que la Commission a commis une erreur de droit en ne concluant pas à l'existence d'une crainte fondée de persécution eu égard aux empêchements à sa capacité de gagner sa vie et en interprétant mal les éléments de preuve s'y rapportant.
La crainte de persécution doit se fonder sur l'un des cinq motifs énumérés au paragraphe 2(1) de la Loi. L'incapacité de gagner sa vie n'y figure pas. La demanderesse invoque deux décisions pour étayer sa thèse que l'incapacité de gagner sa vie constitue un motif valable de persécution, dont aucune n'est pertinente. L'affaire N.K. c. Canada (Solliciteur général)(9 juin 1995), IMM-809-94 (C.F.P.I.), a été infirmée, [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.) (QL), au motif que la juge des requêtes avait substitué son opinion quant à la preuve àcelle de la Section du statut de réfugié. Dans l'affaire He c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1er juin 1994), IMM-3024-93, le juge Simpson a statuéque le fait de priver de façon permanente une enseignante de sa profession et convertir à jamais une jeune femme instruite en une ouvrière agricole équivalait à de la persécution, mais que cette persécution était due aux opinions politiques de la demanderesse.
Enfin, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en droit en n'examinant pas et en n'appliquant pas le paragraphe 2(3) de la Loi.
Le paragraphe 2(3) de la Loi constitue l'exception à la règle relative à la déchéance du statut de réfugié au sens de la Convention, prévue au paragraphe 2(2). On ne saurait s'y référer sans qu'il y ait eu un « changement de la situation du pays d'origine en l'absence duquel le requérant serait réfugié au sens de la Convention » (Corrales c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (3 octobre 1997), IMM-4788-96). Ce n'est pas le cas en l'espèce et, en conséquence, la Commission n'était pas tenue de se pencher sur le paragraphe 2(3).
Pour tous les motifs qui précèdent et eu égard à l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que la décision rendue par la Commission était justifiée. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
« Yvon Pinard »
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 13 novembre 2002
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4416-01
INTITULÉ : LIGIA INES ARIAS ORTIZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 16 octobre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 13 novembre 2002
COMPARUTIONS :
M. Daniel M. Fine POUR LA DEMANDERESSE
M. Robert Bafaro POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel M. Fine POUR LA DEMANDERESSE
Avocat
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)