Date_: 20030206
Dossier_:_IMM-888-02
Référence neutre_: 2003 CFPI 129
ENTRE_:
RICHARD RYLOTT et
NATALY GAVRILOW,
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE LAYDEN-STEVENSON_:
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration, rendue le 24_octobre_2001, de refuser la demande présentée par Mme Nataly Gavrilow, sous le régime du paragraphe 114(2) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C._1985, ch._I-2, modifiée_(la Loi), en vue d'être dispensée pour des raisons d'ordre humanitaire d'obtenir un visa d'immigrant avant de venir au Canada.
[2] Bien que l'intitulé de la cause mentionne Richard Rylott (le mari de Mme Gavrilow), Mme Gavrilow est une demanderesse aux termes d'une ordonnance rendue par le juge MacKay le 1er_mai_2002. Par conséquent, l'intitulé de la cause sera modifié selon les termes de l'ordonnance.
[3] Madame Gavrilow est une ressortissante d'Israël. Elle a deux filles nées d'un mariage antérieur. Le dossier de la Cour indique qu'elle est arrivée au Canada en_1994 avec sa famille. À son arrivée, elle a revendiqué le statut de réfugié, revendication qui fut finalement rejetée. Mme Gavrilow a rencontré M. Rylott le 6_juin_1998 à Wasaga Beach en Ontario. Il est citoyen canadien. À l'époque de leur rencontre, elle était mariée.
[4] En 1998, la demanderesse a été expulsée vers Israël. Elle est revenue au Canada le 31_juillet_1999 et elle a de nouveau revendiqué le statut de réfugié. Elle s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention le 9_mai_2000. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire qu'elle a faite a été rejetée le 22_août_2000.
[5] Le divorce de Mme Gavrilow d'avec son premier mari a été prononcé le 15_septembre_1999 et elle a épousé M. Rylott le 12_décembre_1999. Par la suite, elle a soumis une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Le couple ainsi que la plus jeune fille de la demanderesse, Olga, ont été interrogés par un agent d'immigration le 13_février_2001. Au moment de l'entrevue, Mme Gavrilow et M. Rylott n'habitaient pas la même ville.
[6] La demande de dispense a été refusée et la demanderesse a été informée de cette décision
par lettre datée du 24_octobre_2001. La lettre ne fait pas mention des motifs de la décision.
[7] La demanderesse soutient que l'agent d'immigration a commis des erreurs susceptibles de révision. Étant donné que j'ai conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, je ne me pencherai que sur les allégations qui concernent les « _motifs_ » . Les principaux arguments présentés à ce sujet peuvent être énoncés succinctement. Premièrement, Mme Gavrilow soutient que le défendeur a fait défaut de fournir les motifs de la décision, ce qui constitue un manquement à l'obligation d'équité. Elle invoque l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S._817 (Baker), à l'appui de sa position.
[8] Le deuxième argument de la demanderesse porte sur les notes de l'agent d'immigration jointes comme pièce à l'affidavit de l'avocat du Bureau régional de l'Ontario du ministère de la Justice, lequel a été déposé avec les prétentions écrites du défendeur. Madame Gavrilow allègue que des explications ont été données pendant l'entrevue en ce qui concerne les préoccupations dont l'agent fait état dans ses notes et que ce dernier a fait défaut d'indiquer que l'information avait été fournie. Ainsi, l'agent n'aurait pas pris en considération l'ensemble de la preuve. Elle soutient essentiellement que l'agent a omis de tenir compte du fait que, bien qu'ils n'habitent pas la même ville, la demanderesse et son mari se voient toutes les fins de semaine et que leur courte « _séparation_ » a pour but de permettre à M. Rylott de s'établir. Si des vérifications avaient été faites entre le mois de février et le mois d'octobre_2001, les préoccupations de l'agent concernant les conditions de leur vie commune auraient pu être dissipées. Enfin, la demanderesse allègue que l'agent a commis une erreur en déclarant que les difficultés causées par une séparation ne constituent plus un facteur pertinent lorsque les conjoints n'habitent pas ensemble. La demanderesse soutient que la situation d'une personne séparée de son conjoint par une distance correspondant à un trajet de deux heures en voiture ne peut certes être comparée à la situation d'une personne vivant au Canada tandis que son conjoint vit en Israël.
[9] Quant à l'omission de fournir des motifs, je suis d'accord avec l'argument du ministre défendeur. Dans l'affaire Baker, la Cour a décidé que l'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Or, il n'est pas contesté que Mme Gavrilow n'a pas été informée des motifs de la décision dans la lettre de refus.
[10] Dans l'arrêt Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada (2000), 258 N.R 112 (C.A.F.) qui est postérieur à l'arrêt Baker, le juge Rothstein mentionne ce qui suit :
Suivant le raisonnement suivi dans l'arrêt Baker, bien qu'ils n'y soient pas obligés dans tous les cas, les tribunaux administratifs devraient en règle générale adopter l'habitude salutaire de motiver leurs décisions. Il n'est cependant pas nécessaire en l'espèce de décider s'il s'agit d'un cas dans lequel le Conseil devait motiver sa décision. La demanderesse admet qu'elle n'a pas demandé au Conseil de motiver sa décision. De fait, bien qu'elle ait demandé au Conseil de réexaminer sa décision, l'absence de motifs ne faisait pas partie des moyens invoqués par la demanderesse pour réclamer ce réexamen.
Dans le jugement Liang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1999) F.C.J. 1301, le juge Evans a déclaré, au paragraphe 31 :
Toutefois, à mon avis, l'obligation d'équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l'absence d'une telle demande, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité.
Nous sommes d'accord avec le juge Evans. Avant de demander le contrôle judiciaire d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, l'intéressé doit d'abord demander au tribunal en question de motiver sa décision. Si le tribunal administratif refuse de motiver sa décision ou fournit des motifs insuffisants, la personne visée peut recourir à notre Cour. On compliquerait toutefois inutilement l'administration de la justice si l'on permettait à l'intéressé de s'adresser à la Cour pour obtenir l'annulation d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, sans avoir d'abord demandé à celui-ci de motiver sa décision.
Le Conseil peut répondre à cette demande en motivant sa décision ou en exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'il n'est pas nécessaire de le faire, compte tenu des circonstances de l'espèce. À notre avis, le fait d'obliger une partie à demander au tribunal administratif de motiver sa décision avant d'introduire une instance en contrôle judiciaire devant notre Cour ne la lèse aucunement.
Nous tenons à préciser que, bien qu'habituellement, la partie visée doive d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision, il peut exister des situations dans lesquelles l'obligation du tribunal administratif de motiver sa décision est tellement évidente que l'intéressé peut recourir à la Cour sans devoir d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision. Il existe peut-être aussi des circonstances dans lesquelles une partie se trouve dans l'impossibilité de demander au Conseil de motiver sa décision. Ces circonstances seraient, à notre avis, extrêmement rares.
En l'espèce, le défaut de la demanderesse de demander au Conseil de motiver sa décision entraîne nécessairement le rejet de cet aspect de sa demande de contrôle judiciaire. Bien que la question revête peut-être beaucoup d'importance pour elle, la demanderesse n'a invoqué aucune raison satisfaisante pour expliquer pourquoi elle n'avait pas demandé au Conseil de motiver sa décision. Ce moyen de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est mal fondé.
[11] Les commentaires du juge Rothstein sont décisifs quant au défaut du défendeur de donner des motifs. En effet, rien ne permet de conclure que la demanderesse a demandé au défendeur de motiver sa décision, et à mon avis, nous ne sommes pas en présence de l'une des situations extrêmement rares ou inhabituelles visées par les propos du juge Rothstein.
[12] Toutefois, même si la lettre de refus qui a été envoyée à Mme Gavrilow n'énonçait pas de motifs, les notes de l'agent constituent des motifs en l'espèce. Ainsi, ces notes peuvent être considérées comme des motifs dans le cadre de l'examen des autres arguments de la demanderesse. Toutefois, étant donné que les notes ne sont pas appuyées d'un affidavit attestant de leur véracité, elles ne peuvent servir de preuve concernant ce qui s'est passé pendant l'entrevue : voir Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000) 190 F.T.R. 78, confirmé par (2001), 285 N.R. 188 (C.A.F.).
[13] À la lecture des notes, il ne fait aucun doute que la demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qu'a présentée Mme Gavrilow a été rejetée parce que l'agent n'était pas convaincu que son mariage avec M. Rylott était véritable. Il était plutôt d'avis que le mariage avait été contracté à des fins d'immigration. Les raisons sur lesquelles il s'appuie pour conclure qu'il ne s'agit pas d'un mariage véritable comportent trois volets : les conjoints ne vivaient pas ensemble, ils se connaissaient peu et ils étaient [TRADUCTION] « mal assortis » , car ils n'ont rien en commun [TRADUCTION] « sur les plans culturel et intellectuel et sur le plan des connaissances et des expériences » .
[14] Pour ce qui est de la conclusion selon la quelle le couple ne vivait pas ensemble, tant la demanderesse que son mari témoignent qu'ils ont expliqué à l'agent d'immigration que leur séparation n'était que temporaire. En résumé, ils ont fourni les explications suivantes : le mari n'avait pu trouver un emploi stable à Wasaga Beach, mais il en avait obtenu un à Kitchener; son déménagement était récent; sa femme continuerait à travailler à Wasaga jusqu'à ce qu'il se soit installé et qu'il ait trouvé un domicile qui leur convient; il était nécessaire que la demanderesse travaille pour payer les frais de scolarité de sa fille qui fréquente l'école privée, et le couple vivait ensemble les fins de semaine. Ces explications ne figurent nulle part dans les notes de l'agent. Ce qui s'en rapproche le plus se trouve dans l'extrait suivant :
[TRADUCTION]
- quelles que soient les raisons alléguées ou les questions financières invoquées, il n'en reste pas moins qu'ils vivent séparés
- ainsi, la dimension humanitaire ne peut vraiment exister, et au Canada pour accorder une DDE il y a lieu de se fonder sur les difficultés que cause une séparation ce qui n'est plus un facteur pertinent s'ils n'habitent pas ensemble
[15] Laissant de côté toute distinction pouvant être faite entre la situation d'une personne qu'un trajet de deux heures en voiture sépare de son conjoint et celle d'un couple séparé par un océan, ce qui est le plus significatif en l'espèce est le fait que les explications fournies par la demanderesse et son mari ne sont pas rapportées dans les notes de l'agent. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, ces notes peuvent seulement être considérées comme des motifs, et elles ne peuvent servir de preuve de ce qui a été dit pendant l'entrevue. Par conséquent, les déclarations de la demanderesse et de son mari sur ce point demeurent non contredites et je dois conclure que l'agent a rendu sa décision sans tenir compte de cette preuve. Il semble que malgré leur pertinence, les renseignements fournis concernant les raisons pour lesquelles le couple ne vivait pas ensemble à l'époque de l'entrevue n'ont pas été pris en considération.
[16] Le fait que le couple vivait séparé n'était que l'un des trois facteurs sur lesquels s'est fondé l'agent d'immigration pour conclure que le mariage n'était pas authentique, mais on ne peut dire qu'il n'a pas pesé dans sa décision. Ce facteur semble avoir joué un rôle important, en particulier parce que l'agent a estimé préférable de demander qu'une autre visite ait lieu avant de rendre sa décision. Je me réfère au passage suivant de ses notes :
[TRADUCTION]
- ayant à l'esprit les principes de justice naturelle, j'ai décidé de retarder ma décision et de demander de nouveau aux responsables de l'exécution de la Loi d'effectuer une visite après un certain temps; je doutais qu'on les trouve ensemble
- j'ai renvoyé le dossier aux responsables de l'exécution de la Loi en mai et en juin, mais pour des raisons internes, ils n'ont pu effectuer la visite
-j'ai tenté de joindre les intéressés par téléphone au 519-745-3420 en juillet, mais je n'ai pas obtenu de réponse et j'étais absent durant le mois d'août
- j'avais l'intention de poursuivre mes démarches pour que les responsables de l'exécution de la Loi fassent une autre visite, mais cela fut impossible vu les événements du 11 septembre
- étant persuadé que mon analyse concernant leur relation était fondée, j'ai choisi, à ce stade, de rendre ma décision
[17] Il est bien possible qu'en définitive l'agent d'immigration ait raison. Toutefois, là n'est pas la question que je dois trancher aujourd'hui. Il est allégué que l'agent a commis une erreur parce qu'il a fait défaut de prendre en considération des éléments de preuve pertinents pour en arriver à sa conclusion et que cette omission constitue une erreur de droit. Pour les motifs déjà exposés, je conclus qu'une telle erreur a été établie. La demande de contrôle judiciaire est en conséquence accueillie et la demande sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. L'avocat de la demanderesse n'a proposé aucune question pour certification. Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.
« _Carolyn Layden-Stevenson_ »
____________________________________
Juge
Toronto (Ontario)
Le 6 février 2003
Traduction certifiée conforme
Ghislaine Poitras, LL.L.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-888-02
INTITULÉDE LA CAUSE : RICHARD RYLOTT ET NATALY GAVRILOV
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 5 FÉVRIER 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE LAYDEN-STEVENSON
DATE DES MOTIFS : LE JEUDI 6 FÉVRIER 2003
COMPARUTIONS : M. Edward Corrigan
pour les demandeurs
M. Martin Anderson
pour le défendeur
AVOCATSINSCRITS AU DOSSIER : M. Edward Corrigan
M. Rodney Woolf
Avocats
1474, rue Bathurst, bureau 100
Toronto (Ontario) M5P 3G9
pour les demandeurs
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20030206
Dossier : IMM-888-02
ENTRE :
RICHARD RYLOTT et NATALY GAVRILOV
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Date : 20030206
Dossier : IMM-888-02
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
RICHARD RYLOTT et
NATALY GAVRILOW,
demandeurs
- et -
LE MINISTRE
DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La Cour accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie la demande à un autre agent d'immigration pour nouvel examen.
« _Carolyn Layden-Stevenson_ »
___________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Ghislaine Poitras, LL.L.