Date : 20031008
Dossier : T-933-02
Référence : 2003 CF 1169
Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
LARRY De WOLFE
demandeur
et
LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Introduction
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Doug Malanka, agent d'appel (l'agent d'appel), le 9 mai 2002 en vertu de la partie II du Code canadien du travail (le Code). Le Code porte sur des questions de santé et sécurité au travail et s'applique aux employés de la fonction publique fédérale conformément au paragraphe 11(1.1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la Loi).
[2] Le défendeur ne s'est pas opposé à ce que la Cour entende la demande comme si elle avait été présentée par les agents de correction James Schellenberg et Daniel Woods. De toute évidence, M. De Wolfe a été désigné d'une façon inappropriée à titre de demandeur dans la présente instance. Il n'est pas contesté que les parties intéressées ayant qualité pour engager la présente instance sont les agents de correction James Schellenberg et Daniel Woods. Conformément à l'article 103 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS-98-106, et compte tenu de la jonction erronée, j'accorderai une ordonnance modifiant l'intitulé désignant James Schellenberg et Daniel Woods à titre de demandeurs dans la présente instance et radiant Larry De Wolfe à titre de demandeur. Dans ces motifs, les agents de correction James Schellenberg et Daniel Woods seront désignés comme étant les « demandeurs » .
[3] À l'audition de la demande, les parties ont également consenti à ce que le nom du défendeur, « le Service correctionnel du Canada » , soit remplacé par le « procureur général du Canada » et j'ordonnerai qu'il en soit ainsi. Dans ces motifs, le « procureur général du Canada » sera désigné comme étant le « défendeur » .
Historique
[4] Le 10 mai 2001, les demandeurs ont invoqué le droit de refuser de travailler, qui leur est reconnu à la partie II du Code, à l'établissement de Drumheller (l'établissement).
[5] Le refus de travailler était fondé sur le fait que les pratiques de dotation dans les unités résidentielles nos 8 et 11 de l'établissement mécontentaient les demandeurs. En effet, les demandeurs soutenaient que ces unités manquaient de personnel compte tenu des tensions accrues qui, selon eux, existaient dans l'établissement les 9 et 10 mai 2001 par suite des menaces que les détenus proféraient contre les agents. L'agent de santé et de sécurité qui a enquêté sur le refus a donné des instructions le 14 mai 2001; il a ordonné à l'établissement de prendre immédiatement des mesures pour remédier à la situation étant donné que cela constituait un danger pour les agents de correction.
[6] Le Service correctionnel du Canada (le SCC) en a appelé des instructions le 7 juin 2001, conformément au paragraphe 146(1) de la partie II du Code. Le 14 août 2001, M. Fader, avocat du SCC, a demandé qu'une audience soit tenue pour régler l'appel. Le 11 octobre 2001, l'agent d'appel a tenu une conférence téléphonique pour déterminer la date de l'audience. M. Larry De Wolfe, un agent de correction qui était employé et coprésident du Comité mixte de la santé et de la sécurité au travail (le CMSST) à l'établissement, tout en affirmant ne pas être lié à un syndicat national, et qui ne se considérait pas comme un porte-parole des syndicats, a néanmoins accepté de représenter les demandeurs à l'audience. Il a demandé que l'audience ait lieu à bref délai, alors que M. Richard Fader, avocat du SCC, a demandé que l'audience ait lieu plus tard. Il a été convenu que l'audience serait tenue le 12 décembre 2001 à Drumheller, étant donné que l'agent d'appel avait exprimé l'intention de visiter l'établissement. Pendant la conférence téléphonique, M. De Wolfe a fait savoir qu'on pourrait avoir recours à des avocats qui comparaîtraient à l'audience. Vers la fin de la conférence téléphonique, l'agent d'appel a déclaré qu'il fournirait aux parties une confirmation écrite de la décision de tenir l'audience à Drumheller, le 12 décembre, à 9 h, ainsi que du lieu exact de l'audience.
[7] L'appel a été entendu le 12 décembre mais le lieu a été changé, l'audience devant être tenue à Calgary plutôt qu'à Drumheller, comme on l'avait auparavant fait savoir lors de la conférence téléphonique du 11 octobre. MM. De Wolfe, Woods et Schellenberg ont tous affirmé avoir reçu la confirmation écrite du changement de lieu le 12 décembre seulement, mais dans un témoignage ultérieur, M. De Wolfe a reconnu que M. Woods avait reçu sa lettre de confirmation deux jours plus tôt, soit le 10 décembre. Une lettre de notification en date du 4 décembre 2001 a été envoyée à M. Fader, avocat du SCC, et des copies de la lettre que M. Fader avait reçue ont été envoyées aux demandeurs à leur lieu de travail, à l'établissement, plutôt qu'à leur adresse domiciliaire. La preuve montre également que l'employeur, le SCC, a lui aussi reçu une notification par télécopieur.
[8] Le 12 décembre, M. De Wolfe, qui ne s'était pas rendu compte du changement du lieu de l'audience, s'est présenté à Drumheller. L'audience avait commencé à Calgary à 9 h. M. De Wolfe s'est finalement présenté à l'audience à Calgary à 12 h 30, en affirmant ne pas avoir été avisé du changement de lieu. Lorsque M. De Wolfe est arrivé à l'audience, l'avocat du SCC avait déjà produit les témoins et avait procédé à l'interrogatoire principal en l'absence de M. De Wolfe. L'agent d'appel, reconnaissant que l'avis suscitait peut-être des problèmes, a remis à M. De Wolfe des enregistrements de ce qui s'était produit à l'audience avant son arrivée. Les enregistrements se sont avérés [TRADUCTION] « plutôt difficiles à comprendre » et ils étaient parfois [TRADUCTION] « peu clairs » . Le lendemain matin, M. De Wolfe s'est opposé au cours que prenait l'audience et a demandé qu'on la reprenne depuis le début. L'avocat du SCC s'y est opposé pour le motif que les deux demandeurs avaient eu la possibilité de présenter leur preuve et qu'ils avaient décidé de ne pas le faire. En fin de compte, il a été convenu que M. De Wolfe recevrait les notes préparées par l'agent d'appel au sujet de ce qui s'était passé à l'audience jusqu'à son arrivée. L'audience a été suspendue pendant une heure en vue de donner à M. De Wolfe la possibilité d'examiner les notes, et elle a ensuite repris. M. De Wolfe a pleinement eu la possibilité de contre-interroger les témoins et de citer ses propres témoins.
[9] Le 9 mai 2002, l'agent d'appel a décidé que les demandeurs n'étaient pas en danger; il a révoqué les instructions données par l'agent de santé et de sécurité.
[10] Le 19 juin 2002, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire, pour le motif que l'agent d'appel avait commis une erreur en interprétant l'article 128 du Code et qu'il n'avait pas observé les principes d'équité procédurale.
Décision de l'agent d'appel
[11] L'agent d'appel a conclu qu'il s'agissait de savoir s'il existait peut-être une situation qui constituait pour les demandeurs un danger au sens du Code. Il a conclu que les dangers décrits par les demandeurs, à savoir les menaces proférées par les détenus et les tensions accrues au sein de l'établissement, étaient de nature conjecturale, qu'il n'existait aucun élément de preuve à l'appui de la présumée menace d'agression de la part des détenus par le passé ou dans l'avenir et qu'il s'agissait d'une assertion hypothétique.
[12] L'agent d'appel a d'abord examiné la question des menaces proférées par les détenus. Il a conclu qu'il n'y avait pas de preuve convaincante que les détenus allaient donner suite à leurs menaces au moment où les demandeurs avaient refusé de travailler ou par la suite. Il a donc conclu que la menace demeurait une menace hypothétique ou conjecturale.
[13] L'agent d'appel n'a pu trouver aucun élément de preuve confirmant que les tensions étaient inhabituellement élevées le jour où les demandeurs ont refusé de travailler. Les comptes rendus de l'incident ne faisaient pas état de pareille situation non plus que les témoignages de M. Goruik et de M. Yemen, deux agents ayant plus d'expérience que les demandeurs, qui avaient qualifié de normal le niveau de tension qui régnait le soir en question.
[14] L'agent d'appel a conclu que la dotation pour les unités nos 8 et 11 le soir en question était conforme à la pratique qui avait été suivie par le passé au sein de l'établissement. Le sous-directeur Goruik a affirmé que l'affectation de trois agents à l'unité était conforme à la consigne et que telle était l'interprétation qui avait été donnée et la pratique qui avait été suivie sans problème à l'établissement pendant vingt à trente ans. Cela étant, l'agent d'appel n'était pas convaincu, eu égard à la preuve, que cette pratique de longue date constituait le soir en question un danger possible qui risquait raisonnablement de causer un préjudice avant qu'il soit possible d'y remédier.
[15] Pour les motifs susmentionnés, l'agent d'appel a conclu qu'il n'existait pour les demandeurs aucun danger au sens du Code et il a annulé les instructions que l'agent de santé et de sécurité Campbell avait données à l'établissement le 14 mai 2001.
Points litigieux
[16] Les demandeurs soulèvent deux questions dans le cadre du contrôle judiciaire. La première est de savoir si l'agent d'appel a manqué aux règles d'équité procédurale. La deuxième est de savoir si la décision de l'agent d'appel doit être annulée pour le motif qu'elle est déraisonnable. Compte tenu de ma conclusion, l'omission de fournir un avis approprié viciait la procédure. Je n'ai pas à examiner la deuxième question.
Analyse
[17] Les demandeurs soutiennent que l'agent d'appel a omis de s'acquitter de l'obligation qui lui incombait sur le plan de l'équité procédurale lorsqu'il a entendu l'appel même si l'avis d'audience qui avait été donné était inadéquat. Les demandeurs soutiennent qu'ils n'ont pas reçu d'avis approprié de l'audition de l'appel, qu'ils n'ont pas été informés de la preuve à réfuter en appel et qu'ils n'ont pas eu la possibilité de participer d'une façon valable à l'audition de l'appel, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas assisté à toute l'audience et qu'ils n'étaient pas représentés.
[18] Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada, en traitant des principes sous-tendant l'obligation relative à l'équité procédurale, a dit ce qui suit : « [...] les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision. » Les règles d'équité procédurale sont variables et dépendent du contexte de chaque affaire, mais l'application des critères énoncés dans l'arrêt Baker à l'égard de l'équité procédurale montre que les parties auraient dû se voir donner (1) un avis des questions visées par l'appel et communication de tout document pertinent; (2) un avis écrit de la date, de l'heure et du lieu de l'audience; et (3) une possibilité valable de présenter des éléments de preuve et des observations à l'audition de l'appel ainsi que d'être représentés par la personne sur laquelle elles ont arrêté leur choix.
[19] Les demandeurs soutiennent qu'une meilleure protection procédurale aurait dû être accordée pour plusieurs raisons. Premièrement, l'alinéa 146.2h) du Code prévoit qu'une fois qu'il décide de tenir une audience, l'agent d'appel donne à chaque partie la possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations. L'agent d'appel a notifié l'employeur par la poste et par télécopieur, mais il a uniquement avisé les employés en envoyant par la poste une copie de la lettre adressée à l'employeur et en avisant simplement verbalement le vice-président national du syndicat. Deuxièmement, l'agent d'appel a agi avec discernement et, puisque sa décision est définitive, il aurait fallu assurer une protection plus étendue sur le plan de la procédure. Troisièmement, la décision a énormément d'importance pour les demandeurs en cause étant donné que leur réputation sera ternie s'il est conclu que le refus de travailler n'était pas justifié. Enfin, M. De Wolfe pouvait légitimement s'attendre à recevoir un avis écrit de l'audience.
[20] Les demandeurs soutiennent qu'un avis des questions visées par l'appel aurait dû être donné et que tous les documents pertinents auraient dû être communiqués, étant donné en particulier que l'avocat du SCC avait accès à un certain nombre de documents, comme des carnets de notes et des journaux. Étant donné que la réputation des demandeurs était en jeu, il fallait assurer un degré plus élevé de communication.
[21] Les demandeurs soutiennent également qu'aucun avis adéquat de la date et du lieu de l'audience n'a été donné. Les lettres qui ont été envoyées par la poste aux demandeurs étaient datées du 4 décembre 2001 et ne constituaient qu'un préavis de huit jours par la poste régulière et en fait un préavis d'une durée encore plus courte. L'avis oral qui a été donné à M. Langlois, vice-président national du syndicat, par M. Wladyka, directeur, Bien-être au lieu de travail, SCC, était insuffisant puisque M. Langlois ne participait à l'audience et qu'il a été informé que l'audience aurait lieu à Calgary la veille de l'audience seulement.
[22] Enfin, les demandeurs soutiennent que les dispositions qui ont été prises à l'audience ne réglaient pas d'une façon équitable le problème que posait leur absence initiale. Les enregistrements de l'audience n'étaient pas clairs; de plus, M. De Wolfe, M. Woods et M. Schellenberg n'avaient pas eu le temps de les écouter et de les examiner à fond. M. De Wolfe s'est opposé à deux reprises à ce que l'audience se poursuive avant de finalement convenir d'examiner les notes de l'agent d'appel et de reprendre l'audience une heure plus tard. Les demandeurs affirment que, bien que M. De Wolfe eût participé à l'audience, ils n'ont pas renoncé à leurs droits puisqu'ils ne l'avaient pas choisi comme représentant. L'absence d'avis privait les demandeurs de leur droit d'être représentés par une personne qu'ils choisissaient, du droit d'être présents à l'audience et de la capacité de se préparer. Cela étant, les demandeurs ne se sont pas vu accorder le degré approprié d'équité procédurale qu'exigeait la gravité de la situation.
[23] Le défendeur soutient qu'à cause du contexte législatif et factuel de la demande de contrôle judiciaire, les demandeurs avaient uniquement droit à un degré minimal d'équité procédurale et que l'équité dont ils ont bénéficié excédait de beaucoup ce qui était nécessaire. Étant donné que l'article 146.1 du Code prévoit qu'un appel est mené sans délai au moyen d'une enquête sommaire, pareil examen non contradictoire de la décision rendue par un agent de sécurité ne devrait donner lieu qu'à un degré minimal d'équité procédurale. De plus, contrairement aux prétentions de M. De Wolfe, la décision n'aura pas énormément de conséquences pour les demandeurs puisque leur droit de refuser de travailler dans l'avenir n'est pas en cause et qu'une décision défavorable n'influe pas en soi sur le bien-fondé de leur décision de refuser de travailler. (Voir Fletcher c. Canada (Conseil du Trésor), [2002] A.C.F. no 1541 (C.A.F.) (QL).)
[24] Le défendeur a avancé un certain nombre d'arguments à l'appui de ses prétentions. Premièrement, la cause des demandeurs repose sur la prétention erronée selon laquelle M. De Wolfe ne les représentait pas. Le défendeur affirme que le dossier montre que M. De Wolfe a reconnu qu'il représentait les demandeurs et qu'il a été désigné en tant que représentant à plusieurs reprises. Lorsqu'on lui a demandé, lors d'une conférence téléphonique, le 11 octobre 2001, s'il allait représenter les demandeurs, M. De Wolfe a convenu qu'il les représenterait; de plus, dans le rapport de l'agent de sécurité, il était désigné à titre de représentant des employés. M. De Wolfe a donné à Terrel Roberts un avis verbal lui enjoignant de comparaître comme témoin à l'audience; de plus, une lettre en date du 3 juillet 2001 que le bureau des appels avait envoyée à M. De Wolfe et dont une copie avait été transmise aux demandeurs désignait clairement M. De Wolfe à titre de représentant des demandeurs. En outre, M. De Wolfe a agi comme représentant des demandeurs à l'audience; il a contre-interrogé les témoins et a cité ses propres témoins; il a en outre présenté ses observations finales. Par conséquent, puisque les demandeurs ont eu la possibilité de retenir les services d'un avocat et ont clairement choisi M. De Wolfe, ils devraient s'adresser à leur représentant, M. De Wolfe, s'ils sont mécontents et il ne devrait pas y avoir contrôle judiciaire.
[25] Deuxièmement, le défendeur soutient que le Code n'exige pas qu'il y ait communication, quelle qu'elle soit, avant l'audience et n'exige pas non plus que des précisions soient données. Indépendamment de cela, le rapport d'enquête préparé par l'agent de sécurité indiquait les questions qui étaient en litige et les exigences auxquelles il fallait satisfaire sur le plan juridique ainsi que les droits, les recours et les interdictions. Les demandeurs ont reçu ce rapport et ils étaient parfaitement au courant de la preuve qu'ils devaient réfuter. Une lettre en date du 3 juillet 2001 adressée à Larry De Wolfe et aux demandeurs informait ceux-ci de l'appel qui avait été interjeté et des modalités de réponse et donnait le numéro de la personne-ressource avec laquelle ils devaient communiquer s'ils se posaient des questions. Il est soutenu que les demandeurs ont donc eu un préavis suffisant au sujet de la nature de la preuve à présenter.
[26] Troisièmement, le défendeur soutient qu'il n'y avait pas de confusion au sujet de la date de l'audience. La date avait été fixée au cours de la conférence téléphonique du 11 octobre 2001. Des lettres avaient été envoyées par la poste à tous les participants le 4 décembre, même si les demandeurs ont nié avoir reçu ces lettres avant le 12 décembre 2001. En passant, M. De Wolfe a dit que M. Woods avait reçu sa lettre deux jours plus tôt, soit le 10 décembre, de sorte qu'il était au courant de la date de l'audience et du nouveau lieu de l'audience. En outre, le défendeur affirme que même si l'avis était irrégulier, il y a été remédié à l'audience. Les demandeurs avaient eu la possibilité d'écouter un enregistrement de l'audience ainsi que de lire les notes de l'agent d'appel. Ils avaient pleinement eu la possibilité de citer et de contre-interroger des témoins ainsi que de présenter des observations finales. Les demandeurs n'ont donc subi aucun inconvénient par suite de leur arrivée tardive, dont ils sont les seuls responsables.
[27] Le défendeur affirme que, compte tenu des prétentions susmentionnées, il n'y a pas eu déni d'équité procédurale et que les demandeurs ont eu la possibilité de participer à l'audience d'une façon valable.
[28] Au départ, je conclus que le premier argument des demandeurs, à savoir la prétention selon laquelle M. De Wolfe ne les représentait pas, est dénué de fondement. La preuve montre clairement que M. De Wolfe agissait en sa qualité de représentant des demandeurs, et ce, dès le début. En outre, le Code permet la représentation par une personne qui n'est pas avocat.
[29] Je conclus également que l'argument selon lequel les demandeurs n'ont pas été avisés des questions et qu'ils n'ont pas reçu communication des documents pertinents est dénué de fondement. Sur ce point, je souscris essentiellement aux arguments du défendeur. Les demandeurs ont été avisés de la preuve qu'ils devaient réfuter.
[30] Toutefois, il ressort de la preuve que les demandeurs n'ont pas été avisés de la façon appropriée et en temps opportun du changement de lieu de l'audience. La connaissance de la date de l'audience n'est pas un renseignement particulièrement utile pour la partie qui répond lorsque cette partie n'est pas informée du lieu de l'audience. Il ressort clairement de la preuve que, pendant la conférence téléphonique qui a eu lieu le 11 octobre, l'agent d'appel a fixé la date et le lieu de l'audience, à savoir le 12 décembre 2001, à Drumheller. L'agent d'appel s'est également engagé à remettre à M. De Wolfe, par l'entremise de son adjoint, une confirmation écrite de la décision de tenir l'audience à Drumheller le 12 décembre, à 9 h, ainsi que du lieu exact de l'audience. Il n'y a rien dans la preuve qui explique pourquoi l'agent d'appel a changé d'idée au sujet du lieu de l'audience. Toutefois, nous savons que l'audience a de fait commencé à 9 h le 12 décembre à Calgary, plutôt qu'à Drumheller. Le défendeur, qui avait été avisé par télécopieur, le 4 décembre 2001, et qui avait reçu une notification écrite du changement de lieu était représenté par un avocat. M. De Wolfe n'a pas comparu à Calgary parce qu'il n'avait pas été avisé du changement de lieu de l'audience. Sa comparution à Drumheller le 12 décembre 2001 est compatible avec la prétention selon laquelle il n'avait pas été avisé du changement de lieu. Il était donc absent pendant une bonne partie de l'audience, lorsque la preuve à l'encontre de la position des demandeurs a été présentée. Même si je reconnaissais que les demandeurs avaient uniquement droit à un degré minimal d'équité procédurale dans les circonstances, je suis d'avis qu'en omettant d'aviser les demandeurs ou leur représentant en temps opportun du changement de lieu de l'audience, l'agent d'appel n'a pas reconnu aux demandeurs ce degré minimal d'équité procédurale.
[31] En outre, on ne saurait répondre en affirmant qu'il a été remédié à l'audience aux [TRADUCTION] « soi-disant irrégularités » de l'avis. J'estime que lorsqu'il est décidé de convoquer une audience, les principes de justice naturelle exigent qu'un avis soit donné en temps opportun au sujet de la date et du lieu de l'audience. Tout autre avis aurait pour effet de rendre inutile la tenue de l'audience. M. De Wolfe, en sa qualité de représentant des demandeurs, était autorisé à prendre la parole en leur nom. Toutefois, eu égard aux circonstances, le fait qu'il a hésité à participer à l'audience ne peut pas être considéré comme constituant une renonciation aux droits des demandeurs à l'équité procédurale. M. De Wolfe s'est clairement opposé à maintes reprises à ce que l'audience ait lieu en son absence, et il a insisté pour que l'audience soit reprise depuis le début. Je conclus que M. De Wolfe a agi sous toute réserve à l'audience. Le temps qui a été accordé aux demandeurs afin de leur permettre d'écouter les enregistrements et d'examiner les notes de l'agent d'appel était clairement inadéquat. Au minimum, l'audience aurait dû être ajournée en vue de permettre aux demandeurs d'examiner convenablement les documents et de se préparer et, ce qui est encore plus important, en vue de leur permettre d'être présents. Je conclus que les tentatives que l'agent d'appel a faites pour remédier au fait qu'aucun avis approprié n'avait été donné en temps opportun en l'espèce ne répondait pas aux exigences minimales relatives à l'équité procédurale.
[32] Le défendeur affirme que les demandeurs ont indirectement été mis au courant du changement de lieu de l'audience. Sur ce point, il n'y a rien dans la preuve qui indique clairement que M. De Wolfe ait été mis au courant du changement de lieu avant la date de l'audience. Je me demande pourquoi il se serait rendu à Drumheller, s'il avait su que l'audience allait se dérouler à Calgary. La question de savoir si l'avis écrit a été signifié en temps opportun me préoccupe également, étant donné en particulier que le lieu de l'audience avait changé. Pourquoi l'avis a-t-il uniquement été donné dans les sept jours qui ont précédé l'audience alors que, lors de la conférence téléphonique du 11 octobre, une date ferme avait été fixée, près de neuf semaines plus tôt. En outre, l'agent d'appel a choisi d'envoyer une télécopie à l'employeur le jour où la lettre a été envoyée, mais il ne l'a pas fait dans le cas des demandeurs. À mon avis, les circonstances relatives au caractère adéquat de l'avis sont d'autant plus graves que les avis donnés aux demandeurs sont des copies de la lettre envoyée à l'avocat de l'employeur. Les demandeurs n'ont pas reçu de lettres distinctes. En outre, les lettres en question ont été envoyées à l'établissement plutôt que chez les demandeurs. Je ne retiens pas l'argument avancé par l'avocat du défendeur, à savoir que l'avis oral qui a été donné à M. Langlois, vice-président national du syndicat, constituait un avis adéquat et remédiait de quelque façon à la situation. Je suis d'accord avec les demandeurs pour dire que cet avis était clairement insuffisant eu égard aux circonstances.
[33] Les efforts que l'agent d'appel a faits à l'audience n'ont pas remédié à la situation, pour ce qui est de l'insuffisance de l'avis. Je conclus que l'agent d'appel ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait sur le plan de l'équité procédurale, lorsqu'il a entendu l'appel sans signifier aux demandeurs un avis adéquat du changement du lieu de l'audience. Ce faisant, l'agent d'appel a dénié aux demandeurs leur droit à une audience équitable.
[34] Les tribunaux judiciaires ont toujours reconnu que la négation du droit à une audience équitable a pour effet d'invalider une décision. Même l'absence de tout préjudice réel immédiat ne peut pas remédier à pareille violation. Monsieur le juge Le Dain, dans les motifs qu'il a prononcés au nom de la Cour suprême à l'unanimité dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, page 661, a dit ce qui suit :
[...], j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.
Conclusion
[35] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que l'agent d'appel ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait sur le plan de l'équité procédurale, de sorte que les demandeurs se sont vu refuser une audience équitable. Cela étant, l'appel sera accueilli, la décision que l'agent d'appel Malanka a rendue le 9 mai 2002 sera annulée et l'affaire sera renvoyée pour qu'une nouvelle audience soit tenue devant un agent d'appel différent. Étant donné cette décision, il ne sera pas nécessaire ni souhaitable d'examiner la deuxième question portant sur le bien-fondé de la décision.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. L'intitulé est modifié, de façon à désigner James Schellenberg et Daniel Woods à titre de demandeurs et à radier Larry De Wolfe à titre de demandeur.
2. L'intitulé est en outre modifié, de façon à désigner le « procureur général du Canada » à titre de défendeur et à radier le « Service correctionnel du Canada » à titre de défendeur.
3. La demande de contrôle judiciaire de la décision que Doug Malanka, agent d'appel, a rendue le 9 mai 2002 en vertu de la partie II du Code canadien du travail est accueillie.
4. La décision que l'agent d'appel Malanka a rendue le 9 mai 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée pour qu'un agent d'appel différent l'entende de nouveau conformément à ces motifs.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-933-02
INTITULÉ : Larry De Wolfe
c.
Le Service correctionnel du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : le mercredi 17 septembre 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Blanchard
DATE DES MOTIFS : le 8 octobre 2003
COMPARUTIONS :
John R. Carpenter pour le demandeur
Richard E. Fader pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chivers Kanee Carpenter pour le demandeur
101 - 10426, 81e Avenue
Edmonton (Alberta) T6E 1X5
Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada
300, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0R5
COUR FÉDÉRALE
Dossier : T-933-02
ENTRE :
LARRY De WOLFE
demandeur
et
LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE