Date : 20000121
Dossier : IMM-231-99
OTTAWA (ONTARIO), le 21 janvier 2000
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION
demandeur
et
MANUEL DE JESUS CORTEZ
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision, datée du 17 décembre 1998, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et de statut de réfugié a rejeté la demande du ministre visant à obtenir qu"elle réexamine et annule sa décision selon laquelle le défendeur est un réfugié au sens de la Convention est rejetée, et l"affaire est renvoyée à une formation différemment constituée de la SSR pour qu"elle statue à son tour sur celle-ci.
" Yvon Pinard "
juge
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
Date : 20000121
Dossier : IMM-231-99
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION
demandeur
et
MANUEL DE JESUS CORTEZ
défendeur
MOTIFS DE L"ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 69.2(2) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985) ch. 28 (4e suppl.) (la Loi), contre la décision, datée du 17 décembre 1998, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et de statut de réfugié a rejeté la demande du ministre visant à obtenir qu"elle réexamine et annule sa décision selon laquelle le défendeur est un réfugié au sens de la Convention.
Les faits
[2] Voici un résumé des faits pertinents :
1991
26 août Manuel de Jesus Cortez, le défendeur, qui est citoyen du El Salvador, arrive au Canada et dépose sa revendication du statut de réfugié. Les responsables du centre canadien de l"Immigration (CIC) consultent la banque de données informatique américaine concernant les accusations criminelles et y repèrent le nom d"une personne qui est le même que celui du défendeur, qui a la même date de naissance que ce dernier et qui, en 1989, a été accusé de s"être enfui après avoir causé des dommages à une propriété en Californie (l"infraction). Le défendeur nie avoir été arrêté en Californie en 1989, soutenant qu"il se trouvait alors au El Salvador. Les empreintes digitales du défendeur ont été prises dans le cadre du traitement normal de sa revendication. |
1992
17 mars Audition de la revendication du statut de réfugié du défendeur. |
20 mai Le demandeur reçoit de la GRC une confirmation que les empreintes digitales du défendeur sont les mêmes que celles dont dispose le Federal Bureau of Investigation américain relativement à l"infraction de 1989, dont les dossiers établissent que le défendeur a des antécédents criminels. |
13 juillet Le défendeur se voit accorder le statut de réfugié au sens de la Convention. |
? décembre Le demandeur reçoit une copie de la décision rendue concernant l"accusation en cause. La décision mentionne que le défendeur a plaidé coupable. |
7 décembre Selon le demandeur, Paula Schetzsle, du CIC de Douglas, a avisé par télécopieur Paul Littlefield, du service des enquêtes du CIC, qu"une recherche auprès du Department of Justice Immigration and Naturalization Service des États-Unis (USINS) avait permis de déterminer que le défendeur avait été admis aux É.-U. dans le cadre du Amnesty Program, le 1er avril 1977. Le défendeur décrit cette télécopie comme étant du " ouï-dire de troisième niveau ". |
1993
26 janvier En réponse à ses demandes, le demandeur reçoit une lettre du USINS mentionnant que le défendeur a obtenu le statut de résident temporaire des É.- U. le 3 octobre 1988. |
1997
7 mai Le demandeur cherche à obtenir, conformément au paragraphe 69.2(3) de la Loi, l"autorisation de demander, en vertu du paragraphe 69.2(2), que la SSR réexamine la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordé au défendeur et qu"elle annule cette reconnaissance. |
2 juin Autorisation accordée. |
28 novembre Le demandeur dépose un avis de requête conformément au paragraphe 69.2(2) de la Loi. |
1998
29 octobre Au début de l"audition, le défendeur dépose une requête visant à obtenir l"exclusion de la déclaration solennelle, datée du 7 mai 1997, de M. John Gardner, agent d"interventions de Citoyenneté et Immigration Canada, et le rejet de la demande fondée sur le paragraphe 69.2(2). Selon le demandeur, cette audition a eu lieu en 1997, mais le dossier certifié indique qu"elle s"est déroulée en 1998. |
17 décembre Requête du défendeur accueillie. |
La décision de la SSR
[3] La SSR a rejeté la demande du ministre visant à obtenir qu"elle réexamine et annule sa décision selon laquelle le défendeur est un réfugié au sens de la Convention. Ce rejet a résulté de la décision de la SSR d"accueillir la requête par laquelle le défendeur avait cherché à obtenir que les documents que John Gardner avait déposés dans le cadre de sa déclaration solennelle ne soient pas admis en preuve et que la demande du ministre soit rejetée.
[4] Premièrement, la SSR a décidé de ne pas admettre en preuve les documents que John Gardner avait déposés dans le cadre de sa déclaration solennelle, ce qui constituait le fondement de la demande en annulation de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Cette décision était fondée sur la conclusion que le défendeur avait subi un retard injuste qui équivalait à un abus de procédure touchant la sécurité de sa personne. Plus particulièrement, la SSR a déduit que, compte tenu de la preuve produite à l"audition originale concernant ses problèmes psychologiques et les circonstances du retard, le défendeur avait subi un préjudice et il avait été porté atteinte à ses droits. La SSR a conclu que :
a) Les documents déposés dans le cadre de la déclaration de M. Gardner sont surannés et ils remontent à 1991-1992. Le ministre n"a pas fourni d"explication raisonnable du retard, que la formation a considéré comme étant [TRADUCTION] " au pire, une période d"environ six ans et demi ou, au mieux, d"environ cinq ans ". |
b) Dans Ratzlaff c. British Columbia (Medical Services Commission), [1996] 5 W.W.R. 532 (C.A. C.-B.) et Blencoe c. British Columbia (Human Rights Commission), [1998] 9 W.W.R. 457 (C.A. C.-B.) (en appel devant la Cour suprême du Canada, dossier no 26789), il a été conclu que les audiences faisant intervenir des corporations professionnelles ont une incidence sur des droits de la personne en cause et que des retards peuvent porter atteinte à ces droits. Un droit que confère le statut de réfugié est un droit similaire à celui de personnes dont le statut professionnel peut être touché. Les réfugiés ont le droit de ne pas être renvoyés vers le pays qu"ils ont fui, sauf dans certaines situations que prévoit la Loi. |
c) Dans R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, une affaire criminelle, la Cour suprême du Canada a conclu qu"un retard excessif entraîne en soi un préjudice. Les tribunaux de juridiction inférieure paraissent se diriger dans cette direction pour ce qui est de l"effet de l"article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) sur les instances civiles. |
[5] Deuxièmement, la SSR a rejeté la demande du ministre fondée sur le paragraphe 69.2(2). Cette décision était fondée sur les motifs suivants :
a) Les parties ont convenu que, dans le cas où la SSR déterminerait que les documents déposés pour étayer la demande en annulation de la reconnaissance du statut de réfugié n"étaient pas admissibles, la formation ne disposait d"aucun autre élément de preuve. |
b) Il incombe au demandeur d"établir le bien-fondé de son cas. |
c) Il n"y avait pas suffisamment d"éléments de preuve pour accueillir la demande en annulation. |
Les questions litigieuses
[6] La présente affaire soulèvent trois questions litigieuses :
i) La SSR a-t-elle commis une erreur en déterminant la durée du retard? |
ii) La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant que les droits que l"article 7 de la Charte garantit au défendeur ont été violés? |
iii) La SSR a-t-elle commis une erreur en considérant que le retard à déposer la demande en annulation constituait un abus de procédure? |
L"analyse
[7] Le droit du ministre de chercher à obtenir l"annulation d"une décision ayant reconnu le statut de réfugié est prévu au paragraphe 69.2(2) de la Loi, que voici :
(2) The Minister may, with leave of the Chairperson, make an application to the Refugee Division to reconsider and vacate any determination made under this Act or the regulations that a person is a Convention refugee on the ground that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, whether exercised or made by that person or any other person. |
(2) Avec l'autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordée en application de la présente loi ou de ses règlements et d'annuler cette reconnaissance, au motif qu'elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important, même si ces agissements sont le fait d'un tiers. |
Dans le cas où l"autorisation est accordée, la Section du statut de réfugié doit tenir une audition conformément au paragraphe 69.3(1). Sa compétence est prévue aux paragraphes 69.3(4) et (5):
(4) The Refugee Division shall approve or reject the application and shall render its decision as soon as possible after completion of the hearing and send a written notice of the decision to the Minister and the person who is the subject of the application. (5) The Refugee Division may reject an application under subsection 69.2(2) that is otherwise established if it is of the opinion that, notwithstanding that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, there was other sufficient evidence on which the determination was or could have been based. |
(4) La section du statut accepte ou rejette la demande le plus tôt possible après l'audience et notifie sa décision, par écrit, au ministre et à l'intéressé. (5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l'un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut. |
[8] La première question litigieuse est de savoir si la SSR a commis une erreur de fait en déterminant la durée du retard. À mon avis, le mémoire du demandeur est quelque peu trompeur à cet égard. Premièrement, le demandeur pose la question suivante : [TRADUCTION] " La SSR a-t-elle commis une erreur de fait en concluant que le retard en l"espèce était de six ans et demi au lieu de trois ans et demi? ". En page 2 de ses motifs, cependant, la SSR dit que [TRADUCTION] " en fait, il se pourrait que le retard était, au pire, une période d"environ six ans et demi ou, au mieux, d"environ cinq ans ". De la même façon, la SSR mentionne, en page 6, [TRADUCTION] " un retard inexpliqué d"au plus six ans et demi ". À mon avis, la SSR n"a jamais déterminé que la durée du retard était de six ans et demi : elle a simplement dit qu"il se pouvait que le retard ait été de cette durée.
[9] Deuxièmement, le demandeur lui-même dit que la demande en annulation a été présentée [TRADUCTION] " environ quatre ans et demi " après que le CIC a appris que le défendeur a été admis aux États-Unis dès 1977. Le demandeur ne produit dans son mémoire aucun élément de preuve étayant sa prétention que le retard a pu être de trois ans et demi seulement. L"argument du demandeur doit donc être rejeté.
[10] La deuxième question litigieuse que soulève la présente affaire est de savoir si la SSR a commis une erreur de droit en concluant que le défendeur peut invoquer ce retard pour établir que ses droits garantis à l"article 7 de la Charte ont été violés. Dans le contexte criminel, il est probable qu"on puisse déduire qu"un retard déraisonnable entre le dépôt d"une accusation et la tenue de l"audition entraîne un préjudice. (voir l"arrêt Askov , précité). Cependant, dans le cas où le retard en question est la période qui s"est écoulée entre le moment où l"infraction aurait été commise et celui où l"accusation a été portée, le seul retard ne justifiera pas une conclusion qu"il y a eu déni de justice (voir R. c. L. (W.K.) , [1991] 1 R.C.S. 1091).
[11] Dans l"arrêt Akthar c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 39, la Cour d"appel fédérale a conclu qu"un revendicateur du statut de réfugié n"est pas, du point de vue juridique, dans la même position qu"une personne accusée, étant donné que le revendicateur du statut de réfugié cherche à faire valoir une revendication contre l"État et qu"il lui incombe d"établir que sa revendication a un fondement crédible. La Cour d"appel a en outre dit que " l"accusé dont l"affaire n"est jamais jugée est et demeure innocent; le demandeur du statut de réfugié, dans les mêmes circonstances, n"atteint jamais le statut de réfugié ". La Cour d"appel fédérale a conclu dans cette affaire que toute demande, fondée sur la Charte, invoquant une violation de la Charte du fait d"un retard dans le cadre d"une affaire non criminelle devait être étayée par des éléments de preuve, ou, à tout le moins, par une inférence, faite à partir des circonstances de l"affaire, selon laquelle le revendicateur a, en fait, subi un préjudice ou un manque d"équité en raison du retard.
[12] Dans l"arrêt Hernandez c. M.C.I. (1993), 154 N.R. 231, la Cour d"appel fédérale a de nouveau abordé la question du retard de traitement d"une revendication du statut de réfugié. Le juge Robertson de la Cour d"appel a prévenu les avocats que, compte tenu du cadre énoncé dans l"arrêt Akthar , précité, " il est bien clair que l'argument "retard abusif" ne saurait être perçu comme un motif fécond d'annulation des décisions judiciaires. Sur le plan juridique, il est probablement plus réaliste de présupposer que cet argument sera rarement, voire jamais invoqué avec succès ".
[13] Dans l"arrêt Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) , [1996] 1 C.F. 638 (demande d"autorisation de pourvoi devant la C.S.C. rejetée (1996), 205 N.R. 399), la Cour d"appel fédérale a traité de la question de savoir si un retard de quatre ans et demi entre le dépôt d"une plainte et une décision de la Commission canadienne des droits de la personne de nommer les membres du tribunal chargé de faire enquête était déraisonnable. Le juge Décary a adopté les propos de la Cour d"appel du Manitoba dans Nisbett c. Manitoba (Human Rights Commission) (1993), 101 D.L.R. (4th) 744, aux pages 756 et 757 :
[traduction] "il n'est désormais pas possible de douter que les principes de justice naturelle et le devoir d'équité qui font partie de toute procédure civile de nature administrative incluent le droit à une audition équitable et que le retard dans l'exécution d'une obligation imposée par la loi peut constituer un abus auquel la loi peut remédier" (à la page 756); que [traduction ] "s'il y a eu préjudice tel, en nature et en degré, que la possibilité pour une partie d'obtenir une audition équitable en est sérieusement compromise, le tribunal administratif peut effectivement perdre sa compétence" (à la page 756); que [traduction ] "dans certaines circonstances, un retard excessif peut constituer un abus de procédure" (à la page 756); et que [traduction ] "La question est tout simplement de savoir si, selon le dossier, il y a des preuves manifestes de l'existence d'un préjudice suffisamment grave pour compromettre l'équité de l'audition" (à la page 757) (non souligné dans l'original). |
Le juge Décary a poursuivi :
Selon nous, le retard dans la procédure d'un tribunal administratif qui n'est pas causé par le requérant ne donnera lieu à une interdiction que s'il est tel qu'il empêche le tribunal de remplir correctement son mandat législatif conformément aux principes de justice naturelle. Ainsi, un tribunal peut, en raison de son incapacité à procéder avec célérité, se trouver incapable de remplir son mandat conformément à ces exigences s'il y a preuve que le préjudice causé par le retard est tel qu'il prive une partie de son droit à une défense pleine et entière. Il convient de s'intéresser à la nature du préjudice subi par une partie plus qu'à la cause ou à la durée du retard. Comme le critère relatif aux procédures non pénales est distinct de celui qui s'applique aux procédures pénales, il peut être utile de parler de retard "excessif" lorsqu'il est question de droits selon la Charte et de retard "inadmissible" lorsqu'il s'agit des règles de justice naturelle. |
[14] En l"espèce, le ministre a demandé l"annulation de la décision selon laquelle le défendeur est un réfugié au sens de la Convention. Dans ses motifs, la SSR s"est fondée sur la prémisse selon laquelle le défendeur est un réfugié au sens de la Convention dont le statut lui donne le droit de ne pas être renvoyé au El Salvador. La SSR a ensuite conclu que vu qu"une décision favorable au ministre pourrait entraîner le renvoi du défendeur au El Salvador, les droits que l"article 7 de la Charte garantit à ce dernier avaient été violés.
[15] Il s"agit d"un raisonnement circulaire. Si la demande en annulation avait été accueillie, on aurait peut-être commencé à exécuter la mesure de renvoi prise contre le défendeur. Cependant, son renvoi au El Salvador dans ce contexte ne priverait pas le défendeur de sa vie, sa liberté ou la sécurité de sa personne vu que, n"étant pas un réfugié, il n"aurait pas à craindre d"y être persécuté. De la même façon, l"article 53 ne s"appliquerait pas vu que le défendeur ne serait pas, en vertu de la Loi, un réfugié au sens de la Convention.
[16] L"article 53 protège le défendeur contre un renvoi au El Salvador jusqu"à ce que la demande en annulation soit tranchée. En d"autres termes, à l"instar du médecin dans l"affaire Ratzlaff , précitée, il peut se prévaloir des droits que lui confère son statut. À mon avis, le défendeur ne peut invoquer son droit de ne pas être renvoyé au El Salvador pour s"opposer à la demande en annulation de la décision selon laquelle il est un réfugié au sens de la Convention au motif que si cette demande était accueillie, il pourrait y être renvoyé.
[17] La SSR a également conclu, en page 5 de ses motifs, que dans le contexte criminel, le retard excessif entraîne en soi un préjudice. Elle a conclu que les tribunaux de juridiction inférieure tendent à reconnaître que l"article 7 de la Charte a également une incidence sur les instances civiles. Bien que l"article 7 s"applique certainement aussi dans le contexte non criminel, il est clair que le seul retard ne suffit pas à établir qu"il a été porté atteinte à l"article 7 dans une instance civile.
[18] Enfin, la SSR a conclu que le retard avait une incidence sur les problèmes psychologiques préexistants du défendeur. Ces problèmes étaient liés à l"incapacité du défendeur de s"établir de façon permanente au Canada et d"y rejoindre les membres de sa famille. La SSR a déduit, à la page 2 de ses motifs, que le retard avait fait perdurer ces problèmes, faisant subir au défendeur des difficultés excessives et un stress tels que les droits que lui garantit l"article 7 ont été violés.
[19] À mon avis, la question de savoir si la Commission a commis une erreur à cet égard dépend de celle de savoir si le préjudice que le défendeur a subi était de nature à établir une violation de l"article 7. L"incidence de l"arrêt Lignes aériennes Canadien International Ltée , précité, et, dans le contexte pénal, de l"arrêt R. c. L. (W.K.) , précité, est que le préjudice que la personne prétend avoir subi doit être intrinsèquement lié à l"équité de l"audience. Le défendeur, cependant, n"a pas soutenu avoir subi un préjudice qui aurait pu le priver de son droit à une audience équitable. Il est également révélateur qu"en vertu de l"arrêt R. c. L. (W.K.) , précité, aucun délai de prescription ne s"applique aux demandes fondées sur le paragraphe 69.2(2) de la Loi. Rejeter la demande en raison du seul retard imposerait un délai de prescription d"origine judiciaire.
[20] Je suis donc d"avis que la SSR a commis une erreur lorsqu"elle a conclu que les droits que l"article 7 de la Charte garantit au défendeur ont été violés.
[21] Enfin, pour ce qui est de la troisième question litigieuse, celle de savoir si la SSR a commis une erreur en considérant que le retard à déposer la demande en annulation constituait un abus de procédure, les deux parties ont soutenu que l"arrêt Lignes aériennes Canadien International Ltée , était l"arrêt pertinent en la matière. Dans cet arrêt, il a été jugé que, dans certaines circonstances, un retard déraisonnable pouvait constituer un abus de procédure, et que la question était de savoir s"il avait été établi ou non qu"un préjudice suffisamment important avait eu une incidence sur l"équité de l"audience. Comme le dossier n"indique pas que le défendeur a été privé de son droit à une audience équitable du fait que le ministre a tardé à déposer sa demande en annulation, je suis d"avis qu"il n"y a pas eu d"abus de procédure en l"espèce.
[22] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision, datée du 17 décembre 1998, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et de statut de réfugié a rejeté la demande du ministre visant à obtenir qu"elle réexamine et annule sa décision selon laquelle le défendeur est un réfugié au sens de la Convention est rejetée, et l"affaire est renvoyée à une formation différemment constituée de la SSR pour qu"elle statue à son tour sur celle-ci.
" Yvon Pinard "
juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 21 janvier 2000
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-231-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : MCI
c.
MANUEL DE JESUS CORTEZ
LIEU DE L"AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L"AUDIENCE : LE 16 DÉCEMBRE 1999
MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE PINARD
EN DATE DU : 21 JANVIER 2000
ONT COMPARU :
M. VICTOR CAUX POUR LE DEMANDEUR
M. GUY RIECKEN POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MME BRENDA CARBONELL POUR LE DEMANDEUR
M. GUY RIECKEN POUR LE DÉFENDEUR
M. Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada