Date : 20021113
Dossier : T-1986-01
OTTAWA (ONTARIO), LE 13 NOVEMBRE 2002
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN
ENTRE :
BRIAN KEATING
demandeur
et
LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du défendeur en date du 9 octobre 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée au défendeur pour qu'un examen soit effectué conformément aux exigences de la justice naturelle.
Le demandeur aura droit à ses dépens.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20021113
Dossier : T-1986-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1174
ENTRE :
BRIAN KEATING
demandeur
et
LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS 1
défendeur
INTRODUCTION
[1] M. Brian Keating (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. Herb Dhaliwal, ministre des Pêches et des Océans (le défendeur), en date du 9 octobre 2001. Dans sa décision, le défendeur a rejeté la demande que le demandeur avait faite pour que son permis supplémentaire de pêche au crabe soit rétabli.
LES FAITS
[2] La demande découle de la décision par laquelle le défendeur a refusé la demande que le demandeur avait faite pour que son permis supplémentaire de pêche au crabe soit rétabli, à la suite d'une recommandation favorable de l'Office des appels relatifs aux permis de pêche de l'Atlantique (l'Office des appels), selon laquelle le permis devrait être rétabli.
[3] Le demandeur est un pêcheur établi à Terre-Neuve et au Labrador. Avant le mois d'avril 1990, il exploitait une entreprise à l'égard de laquelle il détenait un permis de pêche au poisson de fond pour un bateau de 38 pieds de longueur ainsi qu'un permis supplémentaire de pêche au crabe, portant le numéro NF-40715, pour le même bateau. Ce bateau était enregistré au nom du demandeur, mais il appartenait en fait au beau-frère de celui-ci, William Morris.
[4] Au mois d'avril 1990, M. Morris a vendu le bateau à David Lear. À la demande de M. Morris et de M. Lear, le demandeur a signé plusieurs documents pour mener l'opération à bonne fin. Le demandeur est analphabète et affirme avoir alors inconsciemment et involontairement transféré à M. Lear son permis de pêche au poisson de fond. Le demandeur ne savait pas qu'il avait transféré son permis de pêche au poisson de fond tant que M. Lear n'en a pas fait mention lors d'une conversation qu'il a eue avec lui, en 1998.
[5] En 1998, le demandeur a entendu parler d'une procédure d'appel interne concernant le refus de délivrer des permis. Toutefois, le ministère des Pêches et des Océans (le ministère) a refusé d'autoriser le demandeur à en appeler à l'égard de la présumée cession du permis de pêche au crabe pour le motif qu'il n'avait pas interjeté appel dans le délai de trois ans prévu dans la Politique d'émission des permis pour la pêche commerciale dans l'est du Canada (1996) (la Politique d'émission des permis). Au chapitre 7 de cette politique, le paragraphe 34(1) prévoit que pareil appel doit être interjeté dans les trois ans qui suivent la date du refus d'émettre le permis. En outre, le ministère a pris la position selon laquelle, au mois de mars 1993, les permis supplémentaires de pêche au crabe ne seraient plus émis.
[6] Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire contre cette décision dans le dossier no T-2348-00. Par la suite, le défendeur a renvoyé la demande que le demandeur avait faite en vue d'interjeter appel à l'Office des appels, conformément au paragraphe 35(8) de la Politique d'émission des permis.
L'AUDIENCE TENUE PAR L'OFFICE DES APPELS ET LE RAPPORT DE L'OFFICE DES APPELS
[7] Le 24 mai 2001, l'Office des appels a entendu l'appel que le demandeur avait interjeté pour que son permis supplémentaire de pêche au crabe soit rétabli. L'Office des appels a par la suite rédigé un rapport à l'intention du défendeur. Le rapport était composé d'un résumé des arguments soumis par le demandeur et par le ministère, suivi de la recommandation de l'Office des appels.
[8] Le demandeur et son frère, Gary Keating, ont témoigné devant l'Office. Le demandeur était représenté par une avocate. Dans le rapport qui a été préparé après l'audience, l'Office des appels a conclu que si le permis de pêche au poisson de fond n'avait pas été transféré avec le bateau en 1990, le demandeur aurait pu conserver son permis de pêche au poisson de fond pour une période de deux ans. Il aurait alors été obligé de remplacer son bateau.
[9] M. Robin Smith était le porte-parole du ministère à l'audience; il a d'abord déclaré qu'avant le mois d'avril 1990, le demandeur exploitait une entreprise dans le cadre de laquelle il utilisait un bateau de 39 pieds de longueur, le CFV 129391, un permis annuel fixe de pêche au poisson de fond pour un bateau de plus de 35 pieds de longueur hors tout et un permis supplémentaire de pêche au crabe. M. Smith a soutenu qu'au mois d'avril 1990, le demandeur avait obtenu un nouveau permis de pêche au poisson de fond pour un bateau de moins de 35 pieds de longueur, étant donné que de nouveaux permis de pêche au poisson de fond étaient mis à la disposition des personnes qui exerçaient à plein temps des activités de pêche. Selon M. Smith, par suite de l'acquisition de ce permis, le demandeur a cessé d'avoir droit à un permis supplémentaire de pêche au crabe étant donné que ces permis étaient mis à la disposition des pêcheurs qui détenaient un permis de pêche au poisson de fond et qui avaient droit à un bateau de plus de 35 pieds de longueur.
[10] Les permis supplémentaires de pêche au crabe étaient mis à la disposition des pêcheurs qui exploitaient des bateaux de 35 à 65 pieds de longueur jusqu'au 3 mars 1993, après quoi la pêche du crabe devenait une pêche à accès limité.
[11] Selon l'Office des appels, M. Smith [TRADUCTION] « croyait » que le demandeur avait demandé que son permis soit de nouveau émis pour son bateau de pêche de plus de 35 pieds de longueur en 1990, de sorte qu'il n'avait plus droit à un permis supplémentaire de pêche au crabe puisqu'il ne remplissait pas les conditions prévues dans la politique. M. Smith a apparemment dit qu'il était difficile de confirmer les renseignements qui avaient été communiqués au demandeur au moment où le permis avait été transféré et que la question du rétablissement du permis de pêche au crabe ne s'était posée qu'en 1998.
[12] M. Smith a pris la position selon laquelle le demandeur avait été traité d'une façon équitable par le ministère et conformément à la Politique d'émission des permis, mais que malheureusement, selon cette politique, il n'avait pas droit à un permis supplémentaire de pêche au crabe.
[13] Des observations ont également été présentées pour le compte du demandeur. Le rapport préparé par l'Office des appels indique que l'exposé qui a été soumis pour le compte du demandeur commençait par des demandes de renseignements faites par l'avocate du demandeur au sujet des circonstances dans lesquelles un nouveau permis de pêche au poisson de fond avait été délivré à son client le 29 août 1991, alors que ce dernier n'avait pas demandé ce permis et qu'aucune demande de nouveau permis n'existait au dossier. Selon le rapport de l'Office des appels, le permis a été délivré au demandeur parce qu'on s'était déjà engagé à le faire.
[14] M. Gary Keating a informé l'Office des appels que lorsque son frère, le demandeur, avait participé à la vente du bateau de 35 pieds de longueur, il croyait être encore titulaire du permis de pêche au poisson de fond pour un bateau de plus de 35 pieds de longueur.
[15] L'avocate qui représentait le demandeur devant l'Office des appels, Mme Patricia Carpenter, a présenté à l'Office des appels des lettres soumises par le demandeur au ministère des Pêches et des Océans les 9 février, 20 avril et 12 juillet 1999 ainsi que le 14 janvier 2000.
[16] Pour le compte du demandeur, Mme Carpenter a informé l'Office des appels que son client avait quitté l'école en quatrième année. Il pouvait signer son nom, mais il comptait par ailleurs sur son frère pour lui lire son courrier et pour lui dire s'il devait signer des chèques.
[17] Mme Carpenter a informé l'Office des appels qu'avant le mois d'avril 1990, le demandeur exploitait deux bateaux, l'un de 18 pieds de longueur et l'autre de 38 pieds de longueur. Son permis de pêche au poisson de fond et son permis supplémentaire de pêche au crabe étaient conservés à bord du bateau de 38 pieds de longueur. Toutefois, ce bateau appartenait au beau-frère du demandeur, William Morris, et en 1990, M. Morris a vendu le bateau à un certain David Lear. Étant donné que le bateau était enregistré au nom du demandeur, celui-ci devait signer divers documents pour donner effet à la vente et il a signé les documents qui ont été placés devant lui. Personne n'a informé le demandeur qu'il transférait son permis de pêche au poisson de fond.
[18] Selon Mme Carpenter, M. Lear croyait que le permis de pêche au poisson de fond était inclus dans la vente du bateau, mais le demandeur, M. Keating, n'a jamais eu l'intention de transférer le permis de pêche au poisson de fond à M. Lear.
[19] En 1991, le permis du demandeur devait être renouvelé. Selon les notes que l'Office des appels a prises, le demandeur croyait qu'il détenait encore le permis qu'il avait transféré à M. Lear, mais qu'il ne pouvait pas l'utiliser parce qu'il ne possédait plus de bateau d'une longueur de plus de 35 pieds.
[20] L'avocate du demandeur a en outre informé l'Office des appels que son client croyait que s'il conservait son permis supplémentaire de pêche au crabe et s'il ne l'utilisait pas, le permis serait révoqué. Le demandeur a donc envoyé au ministère des Pêches et des Océans une lettre qu'il a signée et dans laquelle il expliquait qu'il ne pouvait pas alors utiliser son permis supplémentaire de pêche au crabe, mais qu'il avait l'intention de le faire dès qu'il achèterait un autre bateau. Selon le rapport de l'Office des appels, le demandeur croyait que cette lettre le protégerait contre la révocation du permis supplémentaire de pêche au crabe. Le demandeur n'a jamais eu l'intention de céder le permis d'une façon permanente.
[21] L'avocate du demandeur a informé l'Office des appels que son client avait fait de nombreuses tentatives pour interjeter appel à l'égard du rétablissement de son permis supplémentaire de pêche au crabe. Elle a dit que les demandes avaient été refusées notamment parce que le délai de trois ans prévu aux fins de l'introduction d'un appel était expiré. Elle a fait savoir que son client avait tenté de faire examiner son cas en 1993 et qu'on lui avait dit qu'il n'était pas possible d'interjeter appel à cause du délai de prescription prévu dans la Politique d'émission des permis.
[22] L'avocate du demandeur a en outre informé l'Office des appels que son client avait perdu le droit de faire rétablir son permis supplémentaire de pêche au crabe lorsqu'il avait transféré son permis de pêche au poisson de fond à David Lear en 1990. Son client n'avait été mis au courant du transfert du permis qu'au cours d'une conversation qu'il avait eue avec M. Lear en 1998.
[23] Devant l'Office des appels, le demandeur a sollicité le rétablissement de son permis supplémentaire de pêche au crabe en invoquant des circonstances atténuantes. Son avocate a soutenu qu'il avait démontré qu'il avait des engagements financiers envers l'industrie et qu'il avait acheté un nouveau bateau en croyant être encore titulaire d'un permis de pêche au poisson de fond pour un bateau de plus de 35 pieds de longueur ainsi que d'un permis supplémentaire de pêche au crabe.
[24] Pour le compte du demandeur, Mme Carpenter a demandé à l'Office des appels de rétablir le permis supplémentaire de pêche au crabe ou d'émettre un nouveau permis en vertu des Politiques et lignes directrices qui existaient avant le mois de mars 1993.
[25] Un membre de l'Office des appels a demandé si le demandeur pouvait mettre son permis de pêche au poisson de fond en réserve dans le cas où ce permis n'était pas transféré avec le bateau en 1990. M. Tom Perry l'a informé que si le permis n'avait pas été transféré avec le bateau, le demandeur aurait pu le maintenir et remplacer son bateau dans un délai de deux ans.
[26] Mme Dwyer, membre de l'Office des appels, a ensuite demandé au demandeur de confirmer qu'il avait de fait pratiqué la pêche au poisson de fond après le mois d'avril 1990. L'Office des appels a demandé ce renseignement pour confirmer que le demandeur croyait qu'il détenait encore son permis de pêche au poisson de fond.
[27] Les 25 mai et 30 mai 2001, le demandeur a remis des copies de bordereaux d'achat à l'Office des appels pour démontrer qu'il avait vendu de la morue en 1990 et qu'il en avait également vendu en 1991.
[28] Le 15 juin 2001, l'Office a tenu une conférence téléphonique pour examiner les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur et a recommandé que l'appel soit accueilli, que le permis supplémentaire de pêche au crabe soit rétabli et que le demandeur puisse faire enregistrer un bateau d'une longueur d'au plus 44 pieds et onze pouces et de 6 000 pieds cubes. L'Office a recommandé de ne jamais délivrer de nouveau le permis supplémentaire de pêche au crabe dans l'avenir.
[29] Selon le rapport qu'il a présenté au défendeur, l'Office des appels a conclu qu'après avoir examiné le dossier et les nouveaux éléments de preuve, le demandeur avait démontré qu'il avait été actif dans l'industrie de la pêche en 1990 et en 1991. Cette participation confirmait la conviction qu'il avait, à savoir qu'il détenait encore le permis de pêche au poisson de fond.
[30] L'Office des appels a également conclu que le fait que le demandeur était analphabète constituait une circonstance atténuante. À cause de son analphabétisme, le demandeur n'aurait pas compris les points complexes se rattachant aux nombreuses questions d'émission de permis qui le concernaient.
[31] La recommandation de l'Office a été envoyée au défendeur. Il semble que le rapport de l'Office des appels ait initialement été vu par le sous-ministre du ministère des Pêches et des Océans qui avait préparé une note de service datée du 21 août 2001 à l'intention du défendeur. L'auteur de la note de service demandait au défendeur de prendre une décision au sujet de la recommandation de l'Office des appels. Dans la note d'accompagnement, le sous-ministre a indiqué que le ministère ne souscrivait pas à la recommandation dans le cas du demandeur. Dans la note de présentation, le sous-ministre faisait certaines remarques à l'appui de la position qui avait été prise à l'égard du demandeur et disait notamment ce qui suit :
[TRADUCTION] M. Keating interjette appel à l'égard du rétablissement d'un permis supplémentaire de pêche au crabe qu'il détenait en 1990. L'Office a recommandé le rétablissement du permis. À notre avis, la recommandation va clairement à l'encontre de la politique et suscitera de nombreuses critiques de la part des pêcheurs de crabe titulaires de permis de la région, compte tenu en particulier de l'état actuel de la ressource en cause.
[32] Par une lettre en date du 9 octobre 2001, rédigée par P.S. Chamut, sous-ministre adjoint au ministère, le défendeur a communiqué sa décision. La lettre dit notamment ce qui suit :
[TRADUCTION] Le ministre a pris une décision fondée sur un examen approfondi de tous les renseignements disponibles. J'ai le regret de vous informer qu'il a rejeté votre appel. Le ministre a conclu que, dans votre cas, le ministère des Pêches et des Océans avait correctement interprété et appliqué la Politique d'émission des permis.
ARGUMENTS DU DEMANDEUR
[33] Le demandeur soutient que le défendeur a violé les principes de justice naturelle en rejetant l'appel et affirme en outre que la décision était manifestement déraisonnable.
[34] Le demandeur reconnaît que le défendeur a un pouvoir discrétionnaire absolu en matière de délivrance de permis de pêche. Dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, la Cour suprême du Canada a dit que ce pouvoir discrétionnaire absolu est restreint uniquement par les exigences de la justice naturelle. Or, la délivrance d'un permis de pêche comporte l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Le demandeur reconnaît que dans la mesure où le décideur désigné par la loi a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, cette décision est à l'abri de l'intervention d'une cour de justice.
[35] Toutefois, l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi doit être fondé sur des considérations qui se rapportent à l'objet de la loi et le décideur doit tenir compte des éléments de preuve pertinents dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. À cet égard, le demandeur se fonde sur les décisions Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 313 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 9 et 15, et Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et autre (1997), 130 F.T.R. 241; confirmé (1999) 245 N.R. 397 (C.A.F.).
[36] Dans la lettre du 9 octobre 2001, le défendeur a rejeté l'appel du demandeur. Cette lettre contenait l'énoncé suivant :
[TRADUCTION] Le ministre a conclu que, dans votre cas, le ministère des Pêches et des Océans avait correctement interprété et appliqué la Politique d'émission des permis.
[37] Le demandeur soutient que cet énoncé ne constitue pas un motif de décision. Il craint donc avec raison que le défendeur n'ait pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents ou, subsidiairement, qu'il ait tenu compte d'éléments de preuve non pertinents.
[38] Le demandeur soutient que le défendeur a tenu compte de considérations étrangères et non pertinentes en arrivant à sa décision, y compris la note de service du sous-ministre, qui a déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION] L'Office a recommandé le rétablissement du permis. À notre avis, la recommandation va clairement à l'encontre de la politique et suscitera de nombreuses critiques de la part des pêcheurs de crabe titulaires de permis de la région. [Non souligné dans l'original.]
[39] Le demandeur affirme que la possibilité de critiques de la part d'autres pêcheurs titulaires de permis de la région n'avait absolument rien à voir avec la question de savoir si son permis devait être rétabli.
[40] En outre, le demandeur soutient que le défendeur n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents en décidant de refuser la demande de rétablissement. Il affirme en particulier que le défendeur n'a pas tenu compte des conclusions et recommandations de l'Office des appels, que les conclusions de l'Office des appels, à savoir que le demandeur croyait être encore titulaire d'un permis de pêche au poisson de fond après avoir transféré ce permis et que son analphabétisme constituait une circonstance atténuante l'empêchant de comprendre qu'il avait transféré son permis de pêche au poisson de fond ou d'être informé plus tôt de la procédure d'appel. Enfin, le demandeur dit que la recommandation de l'Office des appels était pertinente et que le défendeur n'en a fait aucun cas.
[41] Le deuxième point soulevé par le demandeur est que la décision du défendeur était manifestement déraisonnable. À cet égard, le demandeur affirme que la décision en question ne peut pas être maintenue selon une interprétation raisonnable des faits ou du droit et il invoque l'arrêt National Corn Growers' Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324.
[42] Le demandeur soutient que rien ne montre que la décision du défendeur soit conforme aux politiques du ministère des Pêches et des Océans. La Politique prévoit la constitution d'un Office des appels et autorise également l'Office des appels à recommander le rétablissement d'un permis lorsqu'une personne peut démontrer l'existence de circonstances atténuantes. L'Office des appels a signalé que le demandeur est analphabète et le défendeur ne conteste pas la chose. Le demandeur soutient qu'il est manifestement déraisonnable de conclure qu'une personne analphabète n'agit pas sous l'influence d'une déficience ou que cela constitue une circonstance atténuante.
[43] Une simple déclaration selon laquelle le ministère des Pêches et des Océans [TRADUCTION] « avait correctement interprété et appliqué » des politiques pertinentes ne veut pas dire que la décision du défendeur était raisonnable. L'absence de motifs, dans la lettre du 9 octobre 2001, étaye raisonnablement la conclusion selon laquelle la décision en question était fondée sur une interprétation manifestement déraisonnable des faits.
[44] Le demandeur affirme que, dans ces conditions, la décision devrait être annulée et qu'une ordonnance devrait être rendue en vue d'enjoindre au défendeur de lui délivrer un permis de pêche au crabe.
ARGUMENTS DU DÉFENDEUR
[45] Le défendeur soulève une question préliminaire au sujet de l'étendue de la preuve et affirme que, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour est liée par le dossier dont disposait le décideur. Dans ce cas-ci, le défendeur conteste l'affidavit déposé par le demandeur dans la présente instance pour le motif que cet affidavit introduit une preuve dont le décideur ne disposait pas.
[46] Le défendeur sollicite une ordonnance radiant les paragraphes 2 à 34 de l'affidavit du demandeur et se fonde sur l'arrêt Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees' Union (1999), [2000] 1 C.F. 135 (C.A.) de la Cour d'appel fédérale à l'appui de l'argument selon lequel la preuve extrinsèque au dossier mise à la disposition du décideur dont la décision est examinée ne peut pas être soumise à moins que la question à l'égard de laquelle la preuve est présentée se rapporte à la compétence de l'office fédéral en cause.
[47] Le défendeur nie qu'il est arrivé à sa décision sans tenir compte des principes de justice naturelle ou en violation des principes de justice naturelle. Il affirme que les motifs de la décision ont été fournis et que dans la mesure où il a tenu compte des recommandations du sous-ministre, il pouvait à bon droit le faire; voir Pure Spring Co. Ltd. c. Minister of National Revenue, [1947] 1 D.L.R. 501, à la page 530 (C. de l'É.).
[48] Le défendeur soutient que l'Office des appels n'agit qu'à titre consultatif. Cet organisme a été créé conformément à la Politique d'émission des permis comme procédure d'appel interne visant à permettre de faire des recommandations sur la question de l'émission des permis. Ce n'est pas un organisme d'origine législative, mais un organisme destiné à permettre au défendeur de recevoir des conseils au sujet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, dans sa forme modifiée (la Loi sur les pêches). Toutefois, le défendeur n'est pas tenu de suivre les recommandations de l'Office des appels et le fait qu'il ne suit pas pareilles recommandations ne veut pas dire qu'il y a eu manquement à la justice naturelle.
[49] Le défendeur affirme que la note de service du sous-ministre ne renfermait qu'une opinion au sujet de la recommandation que l'Office des appels avait faite. La note de service ne renfermait aucun nouvel élément de preuve.
[50] En outre, les observations que le sous-ministre a faites au sujet des préoccupations possibles au sein de l'industrie sont pertinentes et conformes à la nécessité de répondre aux questions de politique immédiates qui se posent dans le domaine des pêches. La chose a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Limited c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), précité, à la page 25.
[51] De plus, le défendeur affirme que les lignes de conduite énoncées dans la Politique d'émission des permis n'ont pas force de loi. Les lignes directrices en tant que telles ne sont pas assujetties au contrôle judiciaire s'il n'y a pas eu mauvaise foi ou omission de respecter la justice naturelle ou encore si l'on ne s'est pas fondé sur des considérations non pertinentes. En l'espèce, le défendeur se fonde sur l'arrêt Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548, à la page 561 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (1998), 230 N.R. 398n (C.S.C.) et Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 6 et 7.
[52] Subsidiairement, le défendeur affirme que si le dossier ne renferme pas de facteurs non pertinents, le fait que ces facteurs non pertinents ont été pris en considération ne met pas en péril une décision de principe. Une décision n'est vulnérable que si elle est entièrement ou principalement fondée sur des facteurs non pertinents; voir Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247, à la page 260 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (1994), 176 N.R. 75n (C.S.C.).
[53] Quant à la norme de contrôle, le défendeur affirme que sa décision devrait être appréciée par rapport à la norme de la décision manifestement déraisonnable; à cet égard, il se fonde sur l'arrêt Jada Fishing Co. Limited et Evco Fishing Limited c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2002), 288 N.R. 237 (C.A.F.), [2002] A.C.F. no 436 (QL), de la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 14, autorisation de pourvoi à la C.S.C. demandée, [2002] C.S.C.R. no 209.
[54] Le défendeur affirme qu'il n'était pas manifestement déraisonnable de rejeter l'appel interjeté par le demandeur. Le défendeur a pris sa décision en se fondant sur les renseignements dont il disposait, y compris les conclusions que l'Office des appels avait tirées au sujet de l'analphabétisme du demandeur. Il soutient que la Cour ne peut pas annuler sa décision, et ce, bien qu'elle eût peut-être tiré une conclusion différente eu égard aux faits, à moins que la décision ne soit si manifestement déraisonnable qu'elle n'est pas étayée par les faits.
[55] Le défendeur soutient que pareilles circonstances n'existent pas en l'espèce et que la demande devrait être rejetée.
ANALYSE
[56] Cette demande de contrôle judiciaire est présentée conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. Les paragraphes 18.1(3) et 18.1(4) sont pertinents; ils sont ainsi libellés :
(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut_: |
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(3) On an application for judicial review, the Trial Division may |
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a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable; |
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(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or |
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b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral. |
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(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal. |
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(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_: |
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(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal |
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a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer; b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter; c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier; d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose; e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages; f) a agi de toute autre façon contraire à la loi. |
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(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction; (b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe; (c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record; (d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it; (e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or (f) acted in any other way that was contrary to law.
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[57] La décision ici en cause a été prise par le défendeur conformément à la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, dans sa forme modifiée, dont le paragraphe 7(1) est ainsi libellé :
7. (1) En l'absence d'exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries - ou en permettre l'octroi -, indépendamment du lieu de l'exploitation ou de l'activité de pêche. |
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7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on. |
[58] Le défendeur soulève un argument préliminaire au sujet de la preuve dont il convient de tenir compte dans la présente demande. Il s'oppose aux paragraphes 2 à 34 de l'affidavit du demandeur qui a été déposé à l'appui de la demande, pour le motif que l'étendue de la preuve à prendre en considération dans une demande de contrôle judiciaire est limitée à la preuve dont disposait le décideur, sauf en certaines circonstances. À cet égard, le défendeur se fonde sur l'arrêt Gitxsan Treay Society, précité, où la Cour d'appel fédérale a statué que la preuve extrinsèque au dossier mise à la disposition du tribunal fédéral dont la décision est examinée peut être présentée dans le cadre d'un contrôle judiciaire lorsque c'est le seul moyen d'attaquer le défaut de compétence.
[59] En l'espèce, la compétence du défendeur de prendre la décision ici en cause n'est nullement remise en question. Le principe énoncé dans l'arrêt Gitxsan, précité, ne s'applique donc pas dans ce cas-ci.
[60] En l'espèce, l'affidavit ne présente pas de faits pertinents qui ne faisaient pas partie du dossier dont disposait le ministre et il n'est donc pas nécessaire de rendre une ordonnance radiant l'affidavit. Je songe au principe établi selon lequel, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la présente cour est liée par le dossier dont disposait le décideur fédéral en cause.
[61] On a demandé au défendeur de prendre une décision au sujet de la demande que le demandeur avait faite pour faire rétablir son permis supplémentaire de pêche au crabe, à la suite d'une recommandation favorable de l'Office des appels. Cet organisme est constitué conformément à la Politique d'émission des permis pour la pêche commerciale dans l'est du Canada (1996). Des extraits de la Politique ont été versés au dossier en tant que pièces jointes à l'affidavit de Robin Smith, administrateur régional, Délivrance des permis, pour le ministère des Pêches et des Océans, à Grand Bank (Terre-Neuve et Labrador). Les paragraphes 35(7) et (8) de la Politique sont pertinents; il sont ainsi libellés :
(7) L'Office des appels relatifs aux permis de pêche de l'Atlantique n'entend que les appels présentés par des pêcheurs dont les appels ont été refusés suite à des audiences tenues par un comité d'appel régional relatif à la délivrance des permis.
[...]
(c) L'Office formule des recommandations au Ministre sur les appels refusés conformément à l'application du processus d'appel régional et, pour ce faire :
(i ) détermine si le requérant a été traité équitablement conformément aux politiques, méthodes et procédures du Ministère;
(ii) détermine si des circonstances atténuantes justifient de déroger aux politiques, méthodes ou procédures établies.
[(d)- ne fait pas partie de la Politique]
(e) Lorsque l'Office recommande de déroger à une politique, une pratique ou une procédure, il accompagne sa recommandation au Ministre de raisons détaillées.
[...]
(8) Nonobstant le paragraphe (7), le Ministre peut présenter à l'Office toute décision qu'il veut voir examiner.
[62] L'Office des appels n'exerce pas de fonctions d'origine législative; il existe conformément à une politique adoptée par le ministère des Pêches et des Océans. Toutefois, selon l'énoncé de politique, cet office agit comme organisme consultatif en vue de faire des recommandations. Cependant, le défendeur conserve le pouvoir décisionnel.
[63] Les motifs que l'Office des appels a fournis à l'appui de la recommandation de rétablir le permis de pêche au crabe du demandeur ne sont pas en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire. Dans l'arrêt Jada Fishing Co., précité, la Cour d'appel fédérale a fait des remarques au sujet du rapport existant entre la recommandation qui est faite par un comité d'appel et la décision finalement prise par le ministre. Aux paragraphes 12 et 13, la Cour a dit ce qui suit :
Il est clair que le ministre a le pouvoir, en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, de rendre, à discrétion, des décisions au sujet des licences d'exploitation de pêcheries. En revanche, la formation n'avait pas cette compétence en vertu de la loi et elle a simplement formulé des recommandations que le ministre était en droit d'accepter ou de rejeter. À première vue, les recommandations de la formation ne sont donc pas, de par leur nature, susceptibles de contrôle. En l'espèce, en raison de l'ampleur de l'avis de demande de contrôle judiciaire présenté au juge Pelletier, je suis convaincu que la Cour peut contrôler une décision discrétionnaire du ministre qui se fonde, en partie, sur une recommandation de la formation.
Dans le présent appel, les appelantes cherchent à faire annuler l'ordonnance du juge qui a siégé en révision et elles ne font référence qu'à la « décision » de la formation et à la conduite de cette dernière; il n'y est pas fait mention du ministre. La décision du ministre, en date du 3 avril 1998, est cependant toujours valide. De toute façon, la décision ou recommandation de la formation, qui est inexorablement liée à la décision du ministre, est sans effet juridique, à moins que le ministre ne l' « adopte » en tant qu'un des fondements de sa décision. Je suis d'avis que le présent appel ne peut se poursuivre qu'en tant que contrôle de la décision du ministre fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi, bien que l'appel soit présenté sous le couvert d'une contestation de la recommandation de la formation. La Cour contrôle donc, dans le présent appel, l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.
[64] Le défendeur exerce un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, conformément au paragraphe 7(1) de la Loi sur les Pêches, lorsqu'il détermine si un permis doit être délivré. Dans la mesure où il exerce le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi conformément aux principes de justice naturelle, les cours de justice n'interviendront pas dans l'exercice de ce pouvoir. Ce point a été examiné dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd., précité, où la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, au paragraphe 37 :
Cette interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire du Ministre est conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches. Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l'obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l'intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l'arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l'accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d'imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d'autres aspects de la pêche commerciale.
[65] À mon avis, le règlement de la présente demande dépend de la question de savoir si le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux exigences de la justice naturelle. Cette question découle de la note de service dans laquelle le sous-ministre exprime une opinion au sujet de la recommandation de l'Office des appels.
[66] Le demandeur a soutenu que si le défendeur s'est fondé sur les opinions exprimées par le sous-ministre, il a tenu compte de considérations non pertinentes, en particulier en ce qui concerne la remarque relative aux critiques que pourraient faire d'autres pêcheurs titulaires de permis de la région si un permis était délivré au demandeur. Le demandeur considère qu'il s'agit d'une question de politique et affirme que cela n'a absolument rien à voir avec la décision que le défendeur était tenu de prendre au sujet du rétablissement de son permis supplémentaire de pêche au crabe.
[67] Les cours de justice ont reconnu qu'il convient pour un ministre de tenir compte de la politique générale d'une loi lorsqu'il détermine la façon dont il doit exercer un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, comme dans l'affaire Comeau's Sea Foods Limited, précité, au paragraphe 37, mais je ne reconnais pas que le fait de se fonder sur des considérations politiques équivaut à se fonder sur des questions de politique. À mon avis, la mention par le sous-ministre des critiques que pourraient faire d'autres intéressés au sein de l'industrie de la pêche n'est pas une considération appropriée aux fins de l'examen de la demande que le demandeur a faite au ministre.
[68] Les remarques du sous-ministre permettent de craindre que la demande du demandeur soit appréciée compte tenu de la réaction et de la controverse possible qu'une décision favorable peut causer parmi d'autres intéressés au sein de l'industrie. Cette considération n'avait rien à voir avec la situation individuelle du demandeur. Des considérations politiques et économiques plus générales sont des considérations appropriées dans bien des cas, mais lorsqu'un organisme gouvernemental prend une décision au sujet d'une personne, en particulier lorsque l'intérêt de cette personne est fortement en jeu, le décideur n'agit pas d'une façon équitable en fondant sa décision, du moins dans une certaine mesure, sur le désir de mettre fin aux critiques des autres.
[69] La lettre du défendeur en date du 9 octobre 2001 ne démontre pas clairement que la décision en question a été prise sans qu'il soit tenu compte de ce facteur non pertinent. Il a été statué que les exigences de la justice naturelle, en ce qui concerne une décision discrétionnaire autorisée par la loi, exigent que le décideur fournisse des motifs adéquats à l'appui de la décision. À cet égard, voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 43.
[70] Le dossier qui a été produit conformément à l'article 317 des Règles de la Cour fédérale (1998) est composé de la note de service du sous-ministre en date du 21 août 2001, du rapport de l'Office des appels et du bref paragraphe renfermant les motifs de la décision du défendeur, dans sa lettre du 9 octobre 2001.
[71] Dans la mesure où le dossier du tribunal est réputé renfermer des motifs à l'appui de cette décision, il existe à mon avis une crainte raisonnable que le défendeur se soit fondé sur des questions étrangères et non pertinentes en arrivant à cette décision défavorable. Les éléments étrangers non pertinents sont les remarques susmentionnées du sous-ministre.
[72] Dans ces conditions, je ne suis pas convaincue que les exigences de la justice naturelle aient été respectées de la façon dont la décision ici en cause a été prise. Une ordonnance annulant cette décision sera donc rendue.
[73] Le demandeur sollicite en outre une ordonnance de mandamus, enjoignant au défendeur de délivrer un permis supplémentaire de pêche au crabe. Cette réparation ne relève pas de la compétence de la Cour; sur ce point, voir Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 386, à la page 387 (C.A.). La question de la délivrance de permis relève du pouvoir discrétionnaire absolu du défendeur; voir Carpenter Fishing Corp. c. Canada, précité, aux pages 566 et 567.
[74] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du défendeur en date du 9 octobre 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée au défendeur pour être examinée conformément aux exigences de la justice naturelle.
[75] Le demandeur aura droit à ses dépens.
« E. Heneghan »
Juge
OTTAWA (ONTARIO),
le 13 novembre 2002.
1. Sur présentation d'une requête, l'intitulé a été modifié à l'audition de la présente demande.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1986-01
INTITULÉ : BRIAN KEATING
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : ST. JOHN'S (TERRE-NEUVE ET LABRADOR)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 27 SEPTEMBRE 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 13 NOVEMBRE 2002
COMPARUTIONS :
M. GREGORY PITTMAN POUR LE DEMANDEUR
Mme KATHLEEN McMANUS POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MILLS HUSSEY ET PITTMAN POUR LE DEMANDEUR
MINISTÈRE DE LA JUSTICE POUR LE DÉFENDEUR
HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)