Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 20050216

                                                                                                                             Dossier : T-776-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 252

ENTRE :

                                     Dr SHIV CHOPRA, Dr MARGARET HAYDON

                                                      et Dr GÉRARD LAMBERT

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 17 mars 2004 d'un comité d'appel nommé en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (la Loi). Dans cette décision, le comité a rejeté un appel des demandeurs relativement à trois concours en vue de combler des postes au sein de Santé Canada. Les demandeurs n'ont pas été reçus dans ces concours.


Les faits

[2]                Il y avait quatre postes de chef de division au Bureau des médicaments vétérinaires à Santé Canada. Dans chacun des concours, un test connu sous le nom de « In-Basket » pour la gestion 810 (le test 810) a été utilisé pour présélectionner les candidats. Ces tests comportaient la présentation de problèmes hypothétiques au candidat et on s'attendait à ce qu'il démontre de quelle façon, en tant que gestionnaire, il traiterait de tels problèmes.

[3]                Il ressort du dossier que les agents du personnel à Santé Canada (SC) ont demandé conseil aux agents de la Commission de la fonction publique (la CFP) concernant l'utilisation du test 810 et ils ont cherché à obtenir l'assurance que [traduction] l' « effet défavorable » sur les minorités visibles serait négligeable. Un courriel du 17 juillet 2000 de la CFP à SC mentionnait en partie ce qui suit :

[traduction]

Il y a un certain effet défavorable pour les minorités visibles avec le 810. L'effet est moindre lorsque la note de passage est plus basse. Le test devient toutefois moins efficace lorsque la note de passage est trop basse. Par suite de ma discussion avec Bastian, je suggérerais de ne pas établir la note de passage en dessous de 14/25. Il semble que l'effet soit minime à ce niveau et que le test demeure efficace [...]

Dans l'intervalle, ces candidats avaient fait les tests 810 mais ils n'avaient pas été notés. Ils ont par la suite été notés sur la base d'une note de passage de 14. Sur les quatorze candidats qui ont fait le test, sept ont été reçus et sept ne l'ont pas été à l'étape de la présélection. Sur les sept candidats reçus, deux s'étaient identifiés comme appartenant à des minorités visibles. Sur les sept qui n'ont pas été reçus, il y en avait également deux qui s'étaient identifiés comme appartenant à des minorités visibles.


[4]                Les demandeurs en l'espèce ont interjeté appel à un comité d'appel en vertu de l'article 21 de la Loi. Le défendeur, le procureur général du Canada n'a pas divulgué l'ensemble du courriel du 17 juillet 2000. Le texte complet n'a été divulgué que vers la fin de l'audience devant le comité. Les demandeurs ont sollicité un ajournement dans le but de mieux répondre à ce nouvel élément de preuve mais le comité a refusé l'ajournement. Le comité a rejeté l'appel des demandeurs. Ils ont alors introduit une demande de contrôle judiciaire à la Cour et le juge Kelen a annulé la décision du comité au motif que le président n'avait pas donné aux demandeurs une possibilité suffisante de répondre à ce nouvel élément de preuve. L'affaire a été renvoyée au comité.

[5]                Lors d'une nouvelle audience devant le comité, la question essentielle portait sur le contenu du courriel en cause ainsi que sur la preuve que cela représentait, selon les demandeurs, comme quoi le test 810 avait un effet défavorable sur les minorités visibles. Bien que le courriel ait exprimé l'idée qu'avec une note de passage de 14 l'effet serait [traduction] « minime » , cela suffirait, de l'avis des demandeurs, à établir que le test ne respectait pas le principe du mérite prescrit au paragraphe 10(1) de la Loi. Lors de la deuxième audience devant le comité, les demandeurs n'ont produit aucune preuve. Le défendeur a fait entendre deux témoins. Tout d'abord, Mme Trish Worgan était conseillère en ressources humaines à SC et était chargée de la dotation de ces trois postes. Elle a établi la note de passage à 14, conformément à l'avis reçu de la CFP. En contre-interrogatoire, elle a admis que, même en établissant la note à 14, il pouvait y avoir un [traduction] « effet minime » sur les membres de minorités visibles.


[6]                Le défendeur a également présenté un témoin expert, M. Jean-Pierre Thivierge, un psychologue du personnel à l'emploi du Centre de psychologie du personnel de la CFP. Il a témoigné qu'une étude complète effectuée par la CFP relativement à l'utilisation du test 810 sur un certain nombre d'années démontrait la validité et la fiabilité du test. Des études longitudinales effectuées par la Commission ont démontré que le test 810 prédisait l'avancement professionnel ultérieur dans des postes de gestion. Il a aussi largement fait référence au rapport Hunter, préparé en 1991 par le professeur John Hunter du département de psychologie de la Michigan State University, concernant la validité et la fiabilité du test 810. Le Dr Hunter a également conclu que le test, ou son équivalent, établissait une forte corrélation entre les résultats et l'avancement professionnel.


[7]                M. Thivierge a également témoigné quant à la [traduction] « règle des 80 p. 100 » . Il s'agit d'une règle adoptée en 1978 par l'Equal Employment Opportunity Commission des États-Unis afin de protéger les groupes minoritaires contre la discrimination dans l'embauche. Cette règle signifie que si un test donné sélectionne des candidats de minorités visibles à un taux se situant à au moins 80 p. 100 du taux de réussite des candidats de race blanche, il est, à première vue, acceptable. Autrement dit, s'il produit moins de 80 p. 100 de candidats reçus parmi les minorités visibles comparativement aux candidats reçus au sein du reste de la population, il est alors, à première vue, imparfait et l'employeur a le fardeau de démontrer qu'il existe une raison autre que la couleur du candidat. Selon lui, cette règle a été généralement acceptée dans le domaine de la psychologie du personnel, tant aux États-Unis qu'au Canada, et elle est utilisée par la CFP depuis au moins 1983. D'autres experts canadiens ont été cités à l'appui de cette règle. Il a également témoigné au sujet de [traduction] « l'analyse de scores " D " » , laquelle est une mesure de la différence entre la moyenne des scores de test de la minorité visible et celle des autres groupes. Selon les résultats des candidats de la CFP qui ont fait le test 810 entre le 1er avril 1996 et le 26 juillet 2000, l'écart entre les candidats de minorité visible et les autres était inférieur au tiers de ce qui est considéré par les psychologues du travail comme étant un écart-type.

[8]                Le comité a conclu que le test avait « forcément mené à la sélection des candidates et candidats les plus aptes » et il a donc rejeté les appels. Les demandeurs visent en l'espèce à obtenir le contrôle judiciaire, ainsi qu'une ordonnance annulant la décision du 17 mars 2004 du comité d'appel et une ordonnance renvoyant les appels au comité d'appel avec une directive pour que les appels soient accueillis ou une ordonnance les renvoyant pour qu'ils soient entendus par un autre comité d'appel et traités conformément aux motifs prononcés par la Cour.

Analyse

                                                             La norme de contrôle


[9]                Je suis convaincu que la norme de contrôle convenant à une telle décision du comité d'appel est celle de la raisonnabilité. Il s'agit d'appliquer le principe du mérite à un ensemble particulier de faits, à savoir le processus de sélection utilisé en l'espèce. Le principe du mérite est énoncé au paragraphe 10(1) de la Loi qui prévoit que :


10.(1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission [...]

10.(1) Appointment to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission . . . .


Comme l'a mentionné la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 42, on devrait tenir compte de l'expertise du comité d'appel, de l'objet de sa loi habilitante et de la nature de la question en litige pour décider si un degré plus élevé de déférence que la norme de la décision correcte est nécessaire. Dans la présente situation, je crois que l'on doit considérer que le comité d'appel possède de l'expertise dans l'application du principe du mérite. L'objet de l'article 10 de la Loi, qui est de s'assurer que la sélection est fondée sur le mérite, et la question en litige, à savoir la conduite d'un concours pour combler certains postes dans la fonction publique, indiquent tous les deux que la Cour devrait faire preuve d'une déférence considérable à l'égard des opinions du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Bien que les demandeurs aient fait valoir que la norme de la décision correcte devrait s'appliquer, je crois que la présente affaire porte sur une question mixte de fait et de droit pour laquelle le comité d'appel possède une certaine expertise. Avec égards, je souscris à l'opinion de plusieurs juges de la Cour qui ont appliqué la norme de contrôle de la raisonnabilité à de telles décisions : voir, par exemple, les décisions Hains c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1238, au paragr. 27; Gawlick c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 795, au paragr. 20, et Fox c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1172, au paragr. 14.


                                    La décision du comité d'appel était-elle raisonnable?

[10]            Essentiellement, en décidant si le concours respectait le principe du mérite, le comité d'appel devait trancher la question de savoir si le test employé était pertinent pour déterminer la capacité pour les candidats d'occuper le poste. Autrement dit, le test portait-il vraiment sur les qualités liées au poste? Comme la Cour l'a affirmé dans la décision Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, [1977] 1 C.F. 562, à la page 568, il est nécessaire qu'il y ait un « lien rationnel » entre les exigences imposées aux candidats et la sélection selon le mérite relativement au poste en question. Dans l'arrêt Le procureur général du Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806 (C.A.), le juge Pratte a décrit le principe du mérite comme signifiant « qu'il faut trouver les personnes les plus aptes à remplir les différents postes de la Fonction publique [...] » .

[11]            Il convenait donc que le comité d'appel examine la question de savoir si le test employé en l'espèce, le 810, pouvait raisonnablement être considéré comme étant une mesure assez juste de la capacité d'occuper les postes en cause. Il va sans dire que le comité devait être vigilant face à tout élément de preuve selon lequel le test éliminait, pour une raison non liée au poste, des membres des minorités visibles ou de tout autre segment de la société, parce que cela ne serait pas conforme au principe du mérite.


[12]            En l'espèce, toutefois, le comité disposait d'une preuve d'expert selon laquelle ce test avait été étudié et qu'on avait démontré qu'il avait une « validité du contenu » élevée (c'est-à-dire qu'il posait des problèmes semblables à ceux traités par un gestionnaire sur une base quotidienne), qu'il avait une « validité conceptuelle » (il mesure les compétences pour lesquelles il a été conçu) et qu'il avait une « validité prédictive » élevée (c'est-à-dire que les résultats obtenus par les candidats reflétaient avec précision leurs réalisations professionnelles ultérieures).

[13]            En même temps, il disposait également d'éléments de preuve selon lesquels, d'après les normes de la psychologie du personnel, tant aux États-Unis qu'au Canada, l'effet défavorable que le test pourrait avoir sur les minorités visibles n'était pas à un niveau permettant de contester la validité du test sur ce fondement. Il y avait une preuve d'une étude faite par la Commission de la fonction publique relativement aux taux de réussite des minorités visibles comparativement aux autres sur une période de quatre ans (1996 à 2000) où la note de passage pour le test 810 était établie à des nombres variant de 10 à 19. En ce qui concerne toutes les notes autres que 18, le taux de réussite des minorités visibles était de 80 p. 100 ou plus de celui du reste de la population. Dans le cas de la note de 14, laquelle a été utilisée dans le test en question en l'espèce, le taux de réussite des minorités visibles était de 83,8 p. 100. Selon les experts en psychologie du personnel, un taux de réussite de cet ordre ne donne pas à penser que le test est intrinsèquement invalide pour mesurer les capacités pour occuper le poste en question et l'employeur n'aurait habituellement pas le fardeau de démontrer que les résultats ne sont pas liés aux caractéristiques raciales du candidat.

[14]            Je suis convaincu que, eu égard à cette preuve, le comité d'appel a agi raisonnablement en concluant comme il l'a fait et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée avec dépens.


                                                                                                                                   « B. L. Strayer »           

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-776-04

INTITULÉ :                                                                Dr SHIV CHOPRA, Dr MARGARET HAYDON et Dr GÉRARD LAMBERT

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 25 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

DATE DES MOTIFS :                                               LE 16 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

D. Yazeck                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Anne T. Turley                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven Allen                                                                   POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.