T-2815-96
OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 11 AVRIL 1997
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NADON
E N T R E :
MELSA INTERNATIONAL INC.,
demanderesse,
ET :
ADECON SHIPPING LINES INC.
- et -
WEST ISLAND SHIPPING CO. LTD.
- et -
NAVIERA POSEIDON
- et -
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES
AYANT UN DROIT SUR LES NAVIRES WEST ISLANDS
ET PINE ISLANDS
- et -
LE NAVIRE WEST ISLANDS
- et -
LE NAVIRE PINE ISLANDS,
défendeurs.
ORDONNANCE
La requête des défendeurs est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.
" MARC NADON "
Juge
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
T-2815-96
E N T R E :
MELSA INTERNATIONAL INC.,
demanderesse,
ET :
ADECON SHIPPING LINES INC.
- et -
WEST ISLAND SHIPPING CO. LTD.
- et -
NAVIERA POSEIDON
- et -
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES
AYANT UN DROIT SUR LES NAVIRES WEST ISLANDS
ET PINE ISLANDS
- et -
LE NAVIRE WEST ISLANDS
- et -
LE NAVIRE PINE ISLANDS,
défendeurs.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE NADON
Les défendeurs cherchent à obtenir un jugement sommaire rejetant l'action de la demanderesse pour les motifs suivants :
1. Selon l'interprétation correcte de la charte-partie en date du 19 septembre 1996 conclue par la demanderesse et la défenderesse Adecon Shipping Lines Inc., modifiée par l'addenda no 1 en date du 30 septembre 1996, la déclaration ne révèle aucune cause d'action. |
2. À titre subsidiaire, la demanderesse a mis fin à la charte-partie par voie de lettre en date du 1er novembre 1996 et cette résolution a éteint la réclamation en dommages-intérêts de la demanderesse. |
Les faits pertinents nécessaires pour statuer sur la présente requête sont simples et peuvent être résumés de la manière suivante. La défenderesse West Island Shipping Co. Ltd. est propriétaire des navires WEST ISLANDS et PINE ISLANDS. La défenderesse Naviera Poseidon gère ces deux navires.
Le 19 septembre 1996 ou vers cette date, la demanderesse et la défenderesse Adecon Shipping Lines Inc. (Adecon) ont conclu un contrat d'affrètement Gencon pour le transport d'étais de mines entre les ports de Valleyfield (Québec) et de Bayside (Nouveau-Brunswick), d'une part, et le port de Bandar Abbas, en Iran, d'autre part. Selon la case 5 de la charte-partie, la cargaison devait être transportée par le navire WEST ISLANDS ou un [TRADUCTION] " navire jumeau ". Selon la case 9 de la charte-partie, le navire était censé être en état de chargement à Valleyfield entre le 15 octobre et le 25 octobre, et à Bayside entre le 25 octobre et le 10 novembre 1996. Selon la case 19 de la charte-partie, la demanderesse, en tant qu'affréteur, se voyait accorder l'option de résilier la charte-partie à partir du 25 octobre 1996. La clause 10 de la charte-partie, intitulée [TRADUCTION] " clause de résiliation ", est ainsi libellée :
[TRADUCTION] Si le navire n'est pas en état de chargement (à poste ou non) au plus tard à la date précisée dans la case 19, les affréteurs ont l'option de résilier le présent contrat; la levée de cette option doit être déclarée, si demandé, au moins quarante-huit heures avant l'arrivée prévue du navire au port de chargement. Si le navire est retardé à cause d'une avarie ou pour une autre raison, les affréteurs en seront avisés dans les plus brefs délais possibles, et si le navire est retardé pendant plus de dix jours à compter de la date à laquelle il est censé être en état de chargement, les affréteurs peuvent résilier le présent contrat, à moins qu'une date de résiliation n'ait été convenue. |
La clause 1 de la charte-partie est également pertinente. En voici le libellé :
[TRADUCTION] Il est convenu entre la partie mentionnée dans la case 3 comme les propriétaires du navire à propulsion mécanique ou du navire à moteur mentionné dans la case 5, dont les tonneaux de jauge brute/nette sont indiqués dans la case 6, dont la portée utile de marchandises lourdes est mentionnée dans la case 7, qui se trouve actuellement à l'endroit mentionné dans la case 8 et qui est censé être en état de chargement en vertu de la présente charte-partie vers la date indiquée dans la case 9, et la partie mentionnée comme les affréteurs dans la case 4 que : |
Ledit navire se rendra au port de chargement ou aussi près de là qu'il pourra parvenir en sécurité et y demeurer toujours à flot et chargera une pleine et entière cargaison (si le chargement de marchandises en pontée est autorisé, il est fait aux risques des affréteurs) constituée des marchandises mentionnées dans la case 12 (les affréteurs doivent fournir toutes les matelassures et/ou tout le bois de fardage et les séparations nécessaires, les propriétaires autorisant l'utilisation de bois de fardage à bord au besoin) que les affréteurs arriment eux-mêmes sur le navire qui, ainsi chargé, se rend au port de déchargement ou à l'endroit indiqué dans la case 11 qui est ordonné au moment de la signature des connaissements ou aussi près de là qu'il pourra parvenir en sécurité et y demeurer toujours à flot et livrera la cargaison sur paiement du fret applicable à la quantité livrée ou reçue qui est mentionné dans la case 13 au taux mentionné dans la case 13. |
Le 30 septembre ou vers cette date, la demanderesse et Adecon ont convenu que la cargaison de la demanderesse serait chargée au port de Bayside, et non à Valleyfield et à Bayside comme convenu antérieurement. Il n'est pas contesté que, le 10 octobre 1996, la cargaison de la demanderesse était prête à être chargée sur le navire prévu, à Bayside.
Le 23 octobre 1996, la demanderesse a été avisée que le navire désigné pour transporter sa cargaison était maintenant le MV ALAMINOS. Ce navire devait quitter un port cubain le 25 octobre 1996 et arriver à Bayside entre le 8 novembre et le 10 novembre 1996.
Le lendemain, le transitaire de la demanderesse, Vandick International Forwarders Ltd. (Vandick), a avisé le courtier d'Adecon par télécopie que la date probable d'arrivée du navire à Bayside, soit entre le 8 novembre et le 10 novembre, ne convenait pas à la demanderesse. La télécopie de Vandick se terminait ainsi :
[TRADUCTION] Nous vous prions d'aider à faire en sorte que ce navire arrive à Bayside avant le 31 octobre et nous pouvons tous espérer poursuivre notre collaboration. |
Le 1er novembre 1996, la demanderesse a exercé son droit de résilier la charte-partie. Les défendeurs concèdent, dans le cadre de la présente requête, que la demanderesse a correctement levé l'option de résiliation prévue dans la charte-partie au voyage Gencon. Le 2 novembre 1996, la demanderesse et Desgagnés Shipping International Inc. ont conclu un contrat d'affrètement au voyage Gencon en vertu duquel Desgagnés Shipping a désigné le navire ANNA DESGAGNÉS pour transporter la cargaison de la demanderesse entre le port de Bayside et le port de Bandar Abbas.
Le 20 décembre 1996, la demanderesse a intenté une action in rem et in personam contre les défendeurs et le navire WEST ISLANDS afin de réclamer la différence entre le fret payable en vertu de la charte-partie en date du 19 septembre 1996 conclue avec la défenderesse Adecon et le fret payable en vertu de la charte-partie en date du 2 novembre 1996 conclue avec Desgagnés Shipping. Selon la demanderesse la différence entre le fret payable en vertu des deux chartes-parties au voyage s'élève à 125 000 $ US, c'est-à-dire 173 750 $ CAN. Le 3 mars 1997, les défendeurs ont déposé leur défense à l'action de la demanderesse et, de plus, la défenderesse Adecon a déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle réclame la somme de 500 000 $ US à la demanderesse pour résolution illicite de la charte-partie.
ANALYSE
Je vais d'abord analyser le deuxième motif invoqué par les défendeurs pour demander un jugement sommaire, à savoir la résolution par la demanderesse, le 1er novembre 1996, de la charte-partie Gencon en date du 19 septembre 1996 et l'extinction du droit de la demanderesse à des dommages-intérêts.
Les défendeurs affirment que lorsque les propriétaires respectent les conditions de la charte-partie, les affréteurs peuvent quand même lever leur option de résiliation si le navire prévu n'arrive pas ou ne peut pas arriver au port de chargement au plus tard à la date de résiliation. Au soutien de cette prétention, les défendeurs invoquent la décision rendue par la Cour d'appel anglaise dans l'affaire The Democritos, [1976] 2 Ll. L. Rep. 149, et plus particulièrement l'extrait du jugement rendu par lord Denning, M.R., dans lequel celui-ci déclare, à la page 152 :
[TRADUCTION] Venons-en maintenant à la clause de résiliation. Son effet est le suivant : bien que les propriétaires n'aient peut-être manqué à aucune obligation, les affréteurs ont malgré tout le droit, pour leur propre protection, de résilier la charte-partie si le navire n'est pas livré en bon état au plus tard à la date de résiliation. C'est son seul effet. |
Plus loin à la page 152, après avoir examiné trois décisions traitant de l'obligation du propriétaire de navire de présenter le navire prévu au plus tard à la date de résiliation, lord Denning conclut :
[TRADUCTION] Il ressort de ces décisions que tant que le propriétaire fait preuve de diligence, il n'agit pas en violation, mais l'affréteur a le droit de résilier la charte-partie si le navire n'est pas livré au plus tard à la date de résiliation. |
Me Pollock s'est reporté à plusieurs chartes-parties au voyage dans lesquelles une " date probable d'arrivée " était prévue. Il a toujours été statué que la date probable doit être fixée de bonne foi et pour des raisons valables, et que le navire doit quitter son dernier port lors de son voyage d'approche de manière à arriver à l'endroit convenu à temps. Il s'agit d'une obligation absolue. Toutefois, ces décisions ne s'appliquent nullement à une charte comme celle dont nous sommes saisis, qui ne renferme pas la moindre promesse de livrer le navire à une certaine date, mais uniquement une option de résiliation si le navire n'est pas ainsi livré. |
En l'espèce, une date probable d'arrivée au port de chargement avait été fixée, ce qui n'était pas le cas dans la charte-partie soumise à la Cour d'appel dans l'affaire The Democritos. Initialement, la charte-partie prévoyait que le navire désigné serait en état de chargement à Valleyfield entre le 15 octobre et le 25 octobre, et à Bayside entre le 25 octobre et le 10 novembre. La charte-partie a été modifiée le 30 septembre 1996, date à laquelle les parties ont convenu que toute la cargaison de la demanderesse serait chargée à Bayside.
Les défendeurs invoquent l'arrêt The Democritos au soutien de l'affirmation que la demanderesse a mis fin à la charte-partie lorsqu'elle a levé l'option de résiliation le 1er novembre 1996 et qu'elle ne peut donc pas réclamer des dommages-intérêts aux défendeurs. Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que, le 1er novembre 1996, la demanderesse a résilié la charte-partie [TRADUCTION] " sans faire de réserve sur ses droits ". Les défendeurs affirment en outre que puisqu'ils ont accepté la décision de la demanderesse de résilier la charte-partie, il y a eu libération mutuelle des droits et des obligations prévus dans la charte-partie.
L'avocat de la demanderesse, Me Buteau, prend le contre-pied de cette thèse. Premièrement, il soutient que l'option de résiliation qui a été accordée à la demanderesse n'empêche pas cette dernière de réclamer des dommages-intérêts aux défendeurs. À l'appui de cet argument, Me Buteau m'a renvoyé à la page 409 de l'ouvrage de J. Cooke et autres, intitulé Voyage Charters (New York: Lloyd's of London Press Inc., 1993), dans lequel les auteurs affirment :
[TRADUCTION] Par ailleurs, l'exercice du droit de résiliation ne prive pas l'affréteur du droit de réclamer des dommages-intérêts s'il peut démontrer que le défaut du navire d'arriver au plus tard à la date de résiliation est attribuable à un manquement par le propriétaire à l'obligation qui lui incombait d'être en état de chargement à une date précise. |
Me Buteau m'a également renvoyé à la page 66 de l'ouvrage précité, où les auteurs affirment :
[TRADUCTION] Par conséquent, la combinaison d'une clause de " date probable de mise en état de chargement " et d'une obligation expresse de se rendre au port de chargement impose au propriétaire l'obligation absolue de se diriger vers le port de chargement à un moment où il est raisonnablement certain que le navire arrivera au port de chargement à la date prévue ou vers cette date. |
Cette affirmation reçoit l'approbation de lord Denning à la page 152 du jugement qu'il a rendu dans l'affaire The Democritos mentionnée plus haut. Si je comprends bien ces textes, l'affréteur qui lève l'option de résilier une charte-partie aura également le droit de réclamer des dommages-intérêts au propriétaire du navire si, compte tenu des faits particuliers de l'espèce, le défaut du navire d'arriver au plus tard à la date de résiliation est attribuable à un manquement du propriétaire à son obligation de présenter un navire en état de chargement à une date précise. En l'espèce, la charte-partie prévoit une date " probable de mise en état de chargement " et l'obligation expresse de se diriger vers le port de chargement. (Voir la clause 1 de la charte-partie.)
Me Buteau fait valoir que les défendeurs ont manqué à leur obligation de se diriger vers Bayside à un moment où il était raisonnablement certain que le navire arriverait au plus tard à la date de résiliation. Au soutien de cet argument, Me Buteau invoque l'affidavit du président de la société demanderesse, M. Gerry O'Connor. Plus particulièrement, Me Buteau s'appuie sur les paragraphes 15, 16 et 17 de cet affidavit. M. O'Connor déclare que même si le navire ALAMINOS a été désigné le 23 octobre 1996, avec la mention qu'il quitterait Cuba le 25 octobre 1996 et arriverait à Bayside entre le 8 novembre et le 10 novembre 1996, l'ALAMINOS n'avait pas encore terminé le déchargement de sa cargaison à Cuba le 23 octobre 1996. Par conséquent, selon M. O'Connor, l'ALAMINOS n'était pas en mesure de respecter la date " probable de mise en état de chargement " à Bayside. Pour faire cette affirmation, M. O'Connor s'est reporté à une télécopie que les courtiers Lewis et Clark ont envoyée aux courtiers de Domtar Inc., Ocean International Transport Limited, qui avaient conclu avec la défenderesse Adecon un contrat appelé note d'engagement de fret dans le cadre duquel le navire désigné était également l'ALAMINOS. Dans leur envoi par télécopieur, daté du 30 octobre 1996, Lewis et Clark informaient Ocean International que puisque l'ALAMINOS n'avait pas encore terminé l'exécution d'un engagement d'affrètement antérieur, il serait incapable de respecter la date de résiliation convenue entre Adecon et Domtar Inc.
Pour parler comme lord Denning dans l'arrêt The Democritos, à la page 152, on peut dire que l'argument de la demanderesse est que la date prévue n'a pas été fixée de bonne foi et pour des raisons valables, et que les défendeurs n'ont pas pu quitter le dernier port de leur voyage d'approche de manière à arriver à Bayside à temps. C'est, selon moi, l'essentiel de l'argument que la demanderesse oppose aux défendeurs.
Dans l'arrêt The Baleares, [1993] 1 Lloyd's Rep. 215, la Cour d'appel anglaise a fait l'affirmation suivante à la page 227 :
[TRADUCTION] La combinaison de la clause relative à la date probable d'arrivée et de la promesse d'agir avec toute la célérité voulue s'est soldée par une obligation " de commencer à temps ". La perte est attribuable au manquement à cette obligation. |
La requête des défendeurs tend à l'obtention d'un jugement sommaire en application des règles 432.1 à 432.7 des Règles de la Cour fédérale, qui sont entrées en vigueur le 13 janvier 1994. Les règles 432.1(2), 432.3(1) et 432.3(4) sont ainsi libellées :
432.1(2) Le défendeur peut, après avoir déposé et signifié une défense, et à tout moment avant que l'heure et la date de l'instruction soient fixées, présenter au juge une requête, appuyée d'un affidavit ou d'un autre élément de preuve, en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration comportant [sic] allégués. |
432.3(1) Lorsque le juge est convaincu qu'il n'existe aucune question sérieuse à instruire à l'égard d'une réclamation ou d'une défense, il rend un jugement sommaire en conséquence. |
432.3(4) Lorsque le juge décide qu'il existe une question sérieuse à l'égard de la réclamation ou de la défense, il peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question ou en général, sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants : |
a) l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour qu'il puisse trancher les questions de fait ou de droit; |
b) il estime injuste de trancher les questions dans le cadre de la requête en vue d'obtenir un jugement sommaire. |
Dans l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. Le navire Sharla, [1995] 184 N.R. 307, la Cour d'appel fédérale a examiné la procédure d'obtention d'un jugement sommaire prévue par les nouvelles règles. Après avoir examiné les décisions pertinentes rendues par des tribunaux ontariens concernant la règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario, dont s'inspirent les règles 432.1 à 432.7, le juge Stone cite avec approbation une partie du jugement rendu par le juge Henry de la Cour de l'Ontario (Division générale) dans l'affaire Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 45 C.P.C. (2d) 168, dans lequel il déclare à la page 183 :
À mon avis, il existe une norme minimale moins exigeante établie par la nouvelle Règle 20 et la jurisprudence qui se développe. Selon cette norme, la Cour doit, en examinant minutieusement le bien-fondé d'une instance, décider si l'affaire mérite d'être renvoyée à un juge qui l'instruira. Il ne fait aucun doute que l'affaire sera instruite s'il existe de véritables questions de crédibilité qui doivent absolument être tranchées pour qu'une décision sur les faits soit rendue. Hormis ces éléments, la règle prévoit maintenant que le juge chargé des requêtes aura accès à des témoignages rendus sous serment au moyen des affidavits et à d'autres documents exigés par la règle dans lesquels les parties présentent leur cause sous son meilleur jour. On s'attend donc que le juge chargé des requêtes soit en mesure d'évaluer la nature et la qualité de la preuve à l'appui d'une "question litigieuse"; le critère à appliquer ne consiste pas à savoir si la partie demanderesse n'a aucune chance d'avoir gain de cause à la suite de l'instruction; il s'agit plutôt de savoir si la Cour parvient à la conclusion que l'affaire est douteuse au point de ne pas mériter d'être examinée par le juge des faits lors d'une instruction ultérieure; le cas échéant, il faut épargner aux parties "les souffrances et les dépenses liées à une instruction longue et coûteuse après une attente indéterminée" (le juge Farley, dans Avery ). |
Le juge Stone énonce ensuite sa compréhension de ce que le critère devrait être. À la page 315, il déclare :
Selon moi, le nouveau processus autorisé par les Règles 432.1 à 432.7 ne doit pas être interprété de façon à empêcher le juge chargé des requêtes de faire ce qu'il prévoit de façon certaine - soit de permettre le prononcé d'un jugement sommaire dans les circonstances appropriées et, partant, des économies par rapport au temps et à l'argent qu'il faudrait autrement consacrer à l'instruction. L'intention qui est en ressort est celle d'éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense sont manifestement non fondés. [...] |
J'accepte, comme il se doit, le critère proposé par le juge Stone. La déclaration en l'espèce est-elle " manifestement non fondé[e] " de sorte qu'on devrait " éviter les délais et les frais liés à un procès "? J'estime qu'il faut répondre à cette question par la négative.
Les faits qui m'ont été soumis me convainquent qu'il existe une question sérieuse à instruire quant au droit de la demanderesse de réclamer des dommages-intérêts aux défendeurs parce qu'ils n'ont pas envoyé le navire désigné au port de chargement. Pour trancher cette question, il faudra nécessairement évaluer la preuve factuelle que les parties présenteront. La preuve de M. O'Connor, en particulier les paragraphes 15, 16 et 17 de son affidavit, donne un aperçu de ce que la demanderesse a l'intention de présenter en preuve. Même si l'avocat des défendeurs, Me Jones, a contesté quelques-unes des déclarations faites par M. O'Connor dans son affidavit, cela n'empêche pas qu'il semble y avoir une question sérieuse qui, selon moi, peut uniquement être tranchée au moyen d'un procès.
Il convient également de faire remarquer qu'aux paragraphes 18, 19, 20 et 21 de son affidavit, M. O'Connor déclare qu'à aucun moment la demanderesse n'a renoncé à son droit de réclamer des dommages-intérêts aux défendeurs et que, dans les circonstances, la demanderesse n'a pas eu d'autre choix que d'affréter un navire de remplacement à un taux de fret sensiblement plus élevé que celui convenu dans la charte-partie en date du 19 septembre 1996. Ces déclarations, dans l'état actuel des choses, n'ont pas été contestées ni contredites par les défendeurs et, dans le cadre de la présente requête, je dois les accepter. Par conséquent, le deuxième motif des défendeurs est mal fondé.
J'en viens maintenant au premier argument invoqué par les défendeurs pour obtenir une ordonnance de jugement sommaire. Cet argument, on s'en souviendra, est que selon une interprétation correcte de la charte-partie pertinente, la déclaration ne révèle aucune cause d'action.
À mon avis, ce motif est mal fondé. La requête des défendeurs n'est pas une requête en radiation de la déclaration fondée sur la règle 419(1)a), mais une requête en jugement sommaire fondée sur les règles 432.1 à 432.7. Dans l'affaire Feoso Oil, précitée, le juge Stone a clairement expliqué, à la page 315, que lorsqu'une requête en jugement sommaire est présentée, la partie requérante et la partie intimée doivent produire " les éléments de preuve auxquels elles ont raisonnablement accès relativement aux questions soulevées par les actes de procédure et à partir desquels la Cour peut déterminer s'il existe une question sérieuse à instruire ".
Par conséquent, si je comprends bien les règles et la décision du juge Stone dans l'affaire Feoso Oil, un juge devant statuer sur une requête en jugement sommaire doit le faire sur la base des affidavits ou des autres éléments de preuve produits par les parties. La règle 432.2(1) dispose :
432.2(1) En réponse à un affidavit ou à un autre élément de preuve présenté à l'appui d'une requête en vue d'obtenir un jugement sommaire, la partie intimée ne peut s'appuyer sur les seules allégations ou dénégations contenues dans ses plaidoiries écrites; elle doit énoncer, dans un affidavit ou à l'aide d'un autre élément de preuve, des faits précis démontrant l'existence d'une question sérieuse à instruire. |
J'ai été saisi de l'affidavit du président de la société demanderesse, M. O'Connor. Eu égard aux déclarations faites par M. O'Connor et aux pièces jointes à son affidavit, dont la charte-partie pertinente, je suis d'avis qu'il existe des questions sérieuses qui justifient une instruction. De toute évidence, lorsque, comme en l'espèce, une requête en jugement sommaire est présentée, cette requête doit être jugée en fonction de la preuve produite par les parties. Les défendeurs ne peuvent pas, selon moi, transformer leur requête en jugement sommaire en une requête en radiation fondée sur la règle 419(1)a). Si telle est l'intention des défendeurs, ils ont certainement le droit de présenter pareille demande. Toutefois, comme je l'ai indiqué, je n'ai pas été saisi d'une requête semblable.
Par ces motifs, la requête des défendeurs est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.
" MARC NADON "
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 11 avril 1997
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : T-2815-96
INTITULÉ DE LA CAUSE : MELSA INTERNATIONAL INC. c. ADECON SHIPPING LINES INC. ET AUTRES |
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 MARS 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON en date du 11 avril 1997
ONT COMPARU :
M. LOUIS BUTEAU POUR LA DEMANDERESSE
M. MARC DE MAN POUR LE NAVIRE PINE ISLANDS DÉFENDEUR ET SES PROPRIÉTAIRES |
M. PETER JONES POUR LES DÉFENDEURS, |
SAUF LE NAVIRE PINE ISLANDS ET SES PROPRIÉTAIRES |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
SPROULE, CASTONGUAY, POLLACK POUR LA DEMANDERESSE
MONTRÉAL (QUÉBEC)
GOTTLIEB & PEARSON POUR LE NAVIRE PINE |
MONTRÉAL (QUÉBEC) ISLANDS DÉFENDEUR ET SES |
PROPRIÉTAIRES
PATERSON, MACDOUGALL POUR LES DÉFENDEURS, |
TORONTO (ONTARIO) SAUF LE NAVIRE PINE ISLANDS ET SES PROPRIÉTAIRES |