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                                                                                                                                           Date : 20020531

                                                                                                                             Dossier : IMM-3081-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 628

Toronto (Ontario), le vendredi 31 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                                                   

                                                    ACHETA EMMANUEL OJAKOL

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 M. Acheta Emmanuel Ojakol (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié (la Commission), en date du 28 mai 2001. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


Les faits

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Ouganda, en provenance de la partie nord-est du pays. Il est membre de la communauté ethnique Iteso. Sa famille et sa communauté étaient de fervents partisans de l'Uganda People's Congress (l'UPC) et le demandeur a participé aux activités de l'UPC alors qu'il était étudiant à l'université Makerere à Kampala.

[3]                 Le demandeur a quitté l'Ouganda en 1996, après avoir été informé que son nom figurait sur la liste de l'Organisation de la sécurité intérieure, et après qu'on ait abattu son chien en lui laissant une menace de mort en note. Il déclare aussi avoir été agressé, avec des membres de sa famille, par des soldats en uniforme, dont deux armés.

[4]                 C'est alors que le demandeur a quitté l'Ouganda pour se rendre en Zambie, où il était un réfugié sans statut. Il est retourné en Ouganda pour un séjour de trois semaines en décembre 1998, afin de rencontrer les membres de son ancienne section de l'UPC, mais il est reparti après avoir été informé que sa présence avait été détectée.

[5]                 Le demandeur est arrivé au Canada avec un visa de visiteur le 13 avril 1999. Le 24 août 1999, il a déclaré vouloir obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Son Formulaire de renseignements personnels (FRP) a été déposé le 12 mai 2000.

[6]                 Le demandeur a témoigné devant la Commission le 25 janvier 2001. Par la suite, la Commission a délivré les motifs pour lesquels elle avait conclu que le revendicateur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Dès le début de l'audience, la Commission avait soulevé les questions suivantes qui la préoccupaient au premier chef : la crédibilité, l'identité, y compris l'identité politique, et les fondements subjectifs de la crainte fondée de persécution.

[7]                 Dans ses motifs, la Commission a conclu que le revendicateur n'était ni crédible, ni digne de foi, à cause de la présentation de son témoignage, des contradictions internes de sa preuve et d'une histoire peu plausible qui reposait sur des spéculations.

[8]                 La Commission a aussi dit douter de l'existence d'une crainte subjective de persécution chez l'intéressé, au vu du fait qu'il avait attendu quatre mois avant de revendiquer le statut de réfugié.

[9]                 La Commission a spécifiquement noté le fait que le revendicateur n'avait pas présenté de preuve à l'appui de sa prétention qu'il était membre de l'UPC. Pour en décider ainsi, la Commission s'est appuyée sur sa conclusion au sujet du rôle de M. George Okurapa.


Les prétentions

[10]            Le demandeur soutient que la Commission a agi de façon inéquitable en changeant sa position quant à ses préoccupations au sujet de son statut de membre de l'UPC. Le demandeur soutient que la Commission, au début de l'audience, a indiqué qu'elle était convaincue qu'il était membre de ce parti politique, ce qui l'a mené à croire qu'il n'était plus nécessaire de présenter de preuve à ce sujet. Le demandeur déclare que ce fait constitue un manquement à l'équité procédurale.

[11]            De plus, le demandeur soutient que c'est de façon arbitraire et en nette contradiction avec les éléments dont elle disposait que la Commission est arrivée à sa conclusion de fait au sujet de la liberté de mouvement de M. Okurapa en Ouganda. Selon le demandeur, cette conclusion de fait arbitraire vicie toute conclusion subséquente de la Commission portant sur l'affiliation politique et les activités politiques du demandeur. Or, il s'agit d'un des fondements clés qui appuient sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.


[12]            Le défendeur soutient qu'il y a lieu de s'en remettre aux conclusions de la Commission, puisqu'elles sont appuyées sur les éléments de preuve dont elle disposait. Dans la mesure où les arguments du demandeur portent sur le poids à accorder à la preuve, c'est là une question qui est de la compétence de la Commission et que la présente Cour ne peut contrôler. Le défendeur s'appuie à ce sujet sur la décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300.

Analyse

[13]            La présente demande de contrôle judiciaire est déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, tel que modifié. Le paragraphe 18.1(4) énonce comme suit les motifs en vertu desquels la Cour peut accorder une réparation :

4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou                    refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou                   de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or                   perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to                   law.

  

[14]            Les alinéas 18.1(4)b) et d) sont pertinents en l'instance.

[15]            J'accepte comme fondées les prétentions du demandeur au sujet des conclusions de fait tirées arbitrairement par la Commission, ainsi que de la mauvaise interprétation par cette dernière de la preuve portant sur M. George Okurapa. Cette conclusion a influé sur la conclusion de la Commission portant sur l'identité politique du demandeur.

[16]            Dans ses motifs, la Commission a déclaré que le revendicateur avait témoigné que M. Okurapa, une personne bien placée au sein de l'UPC, se rendait régulièrement en Ouganda. Cette déclaration est manifestement erronée.

[17]            La transcription indique que le demandeur n'a pas témoigné en ce sens. La Commission a tiré une conclusion de fait qui ne s'appuie pas sur la preuve et qui est manifestement liée à la question de l'identité politique du demandeur, question que la Commission a identifiée spécifiquement comme la préoccupant. La Commission a tiré une conclusion de fait abusive ou arbitraire, clairement sans tenir compte des éléments dont elle disposait.


[18]            Le dossier fait aussi ressortir d'autres problèmes. Un examen de la transcription indique que peu de temps après le début de l'interrogatoire principal du revendicateur, l'un des membres de la formation ou les deux ont constamment posé des questions. L'interrogatoire principal est consigné à partir de la page 184, ligne 45, du dossier du tribunal. La première question d'un des membres de la Commission se trouve à la page 185 et elles se continuent durant tout l'interrogatoire principal, jusqu'à la page 247. Les questions en provenance de la Commission reprennent au cours du nouvel interrogatoire du revendicateur par son avocat : voir les pages 271 et 272.

[19]            Bien que certaines des questions des membres de la Commission semblent ne porter que sur des points à clarifier, plusieurs autres questions sont d'une nature différente. Selon moi, ces questions mettent en doute l'équité de l'audience.

[20]            À ce sujet, je renvoie notamment de la page 182, ligne 70, jusqu'à la page 183, ligne 1, où la Commission a déclaré que l'identité était en cause. Tout de suite après le début de l'interrogatoire du demandeur par son avocat sur la question de l'identité, on a posé des questions au demandeur quant à l'utilisation du nom de son père. À la page 186, ligne 20, un des membres de la Commission s'est interrogé sur la pertinence de ces questions. La même question a été reprise par le deuxième membre de la Commission.

[21]            Selon moi, la Commission s'est ingérée de façon incorrecte et non équitable dans l'interrogatoire de l'avocat du demandeur en réponse à une question précise soulevée par la Commission.

[22]            On trouve d'autres exemples d'une participation excessive des membres de la Commission dans l'interrogatoire du demandeur aux pages 193, 194, 195, 196, 199, 200, 202, 203, 207, 208, 209, 211, 212, 213, 216, 217, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 238, 239, 242, 243 et 247.

[23]            À la page 232, lignes 10 à 20, un des membres de la Commission a posé toute une série de questions en une seule fois, comme suit :

[Traduction]

WRIGHT : Au vu de l'implication des responsables des services de sécurité, du fait que le président lui-même atterrissait au moment où vous décolliez d'Entebbe, du fait que les agents de l'OSI vous recherchaient - tous ces facteurs - rien n'est arrivé? Vous avez pu quitter le pays sans difficulté? Je veux dire que si l'OSI vous recherche - selon moi, vous représentez une forme de risque de sécurité. Comment avez-vous pu quitter Entebbe sans avoir la moindre difficulté?

  

[24]            À la page 232, il semble que la situation était si confuse que l'agent chargé de la revendication a demandé des clarifications, aux lignes 63 à 65, et il a déclaré ceci, à la page 233 : [Traduction] « Donc, je ne sais pas ce que l'on cherche » .

[25]            En réponse, un des membres de la Commission a déclaré : [Traduction] « Bien, nous ne cherchons pas, je suppose. Merci, monsieur Di Vecchia » .

[26]            La discussion entre un membre de la Commission et le demandeur, qui se trouve à la page 243, aux lignes 33 à 45, illustre encore une fois l'intervention excessive de la formation de la Commission dans la présentation faite par le revendicateur de son cas :


[Traduction]

KITCHENER : Quel était le dernier effort désespéré pour sauver votre vie? Vous avez dit, « C'était le dernier effort désespéré... » C'est ce que j'ai compris.

REVENDICATEUR : Oui. De.. de...

KITCHENER : Puis-je terminer, s'il vous plaît?

REVENDICATEUR : Oui, madame. Je vous prie de m'excuser.

[27]            Comme je l'ai fait remarquer, il y a eu beaucoup d'interruptions au cours de l'interrogatoire du demandeur. La transcription indique que la Commission est intervenue deux fois durant le contre-interrogatoire de l'agent chargé de la revendication. À ce sujet, je renvoie à la page 262, lignes 7 à 20, comme suit :

[Traduction]

ACR : Pourriez-vous simplement répondre par « oui » ou par « non » .

KITCHENER : La question était -

ACR : Pourriez-vous simplement répondre par « oui » ou par « non » -

KITCHENER : Répondez à la question tout simplement.

[28]            En plus des questions déjà posées lors de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire du demandeur, les membres de la Commission ont posé leurs propres questions, comme on peut le voir aux pages 267 à 271.


[29]            C'est une chose que de s'en remettre aux conclusions de fait d'une formation de la Commission qui a entendu la preuve, ne posant des questions que lorsque nécessaire pour clarifier la situation. C'est une toute autre chose que de dire qu'il faut s'en remettre aux conclusions d'une formation de la Commission qui a participé de façon active à la recherche de la preuve, assumant le rôle d'inquisiteur plutôt que celui d'arbitre.

[30]            Les membres de la Commission ont aussi fait valoir leurs inquiétudes au sujet d'un observateur qui se trouvait dans la salle d'audience, même si cet observateur était présent du consentement du demandeur et que sa présence avait été discutée plus tôt au cours de l'audience, comme on peut le voir aux pages 176 et 177. Les déclarations suivantes se trouvent aux pages 274 et 275 du dossier du tribunal, comme suit :

[Traduction]

KITCHENER : Nous sommes tous les deux un peu inquiets au sujet - le mot inquiet est peut-être incorrect. Nous nous demandons ce que l'observateur a dans son sac et nous songeons à demander à M. Di Vecchia de l'examiner -

ACR : Je n'en ferai rien.

KITCHENER : Vous ne le ferez pas?

ACR : Non. Non.

KITCHENER : H'mm.

ACR : S'il y a une inquiétude, je ne sais pas trop quoi faire, mais je ne vais pas examiner le contenu du sac de quelqu'un.

KITCHENER : Eh bien, et c'est -

WRIGHT : Il serait peut-être mieux de demander à la sécurité de s'en charger.

ACR : Oui. C'est tellement - c'est tellement loin de (inaudible)...

WRIGHT : Parce qu'il met la main dans ce sac beaucoup trop souvent.

[31]            C'était la deuxième intervention de la Commission au sujet de cet observateur. Aux pages 217 et 218, un des membres de la Commission a demandé à l'observateur s'il avait une enregistreuse dans son sac. L'observateur a répondu que non, ajoutant qu'il ne faisait que nettoyer ses lunettes. La vérification de sécurité n'a trouvé que des cartes routières.

[32]            Cette inquiétude manifestée par la Commission au sujet du contenu d'un sac en possession d'un observateur dans la salle d'audience, qui était présent au su et au vu du demandeur et de la Commission avec leur consentement, laisse supposer que les membres de la Commission ne se concentraient pas vraiment sur ce qui se passait à ce moment-là, savoir la présentation par le demandeur de son cas.

[33]            Prise dans son ensemble, la transcription soulève un doute sérieux quant à l'équité procédurale de l'audience du demandeur.

[34]            Pour ces motifs, je conclus qu'il y a lieu d'accueillir la demande de contrôle judiciaire. La question est renvoyée à la Commission pour examen par une formation différente.

[35]            Les avocats ont déclaré qu'il n'y avait pas de question à certifier dans le cadre de cette demande.


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par une formation différente.

     

                                                                                         « E. Heneghan »                   

                                                                                                             Juge                             

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                              COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

No DU GREFFE :                    IMM-3081-01

INTITULÉ :                              ACHETA EMMANUEL OJAKOL

                                                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 29 MAI 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DU :     JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :                        VENDREDI 31 MAI 2002

  

ONT COMPARU :

M. Davies Bagambiire                                        pour le demandeur

Mme Kareena Wilding                                           pour le défendeur

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Bagambiire                                                pour le demandeur

Avocat

National Building

347, rue Bay

Pièce 1202

Toronto (Ontario)

M5H 2R7

Morris Rosenberg                                                 pour de défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           Date : 20020531

Dossier : IMM-3081-01

ENTRE :

ACHETA EMMANUEL OJAKOL

                     demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                     défendeur

                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                     

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