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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Nikolayeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.) [2003] 3 C.F. 708

Date : 20030226

Dossier : IMM-1335-02

Ottawa, Ontario, le mercredi 26 février 2003

En présence de :                     MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                                              OLENA NIKOLAYEVA

            Demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l'objet du contrôle est annulée.

Aucune question n'est certifiée.

Aucune ordonnance n'est rendue pour ce qui est des dépens.

__________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20030226

Dossier : IMM-1335-02

Référence neutre : 2003 CFPI 246

ENTRE :

                                                              OLENA NIKOLAYEVA

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

INTRODUCTION


[1]                 La demanderesse demande un contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent de révision des revendications refusées (ARRR) selon laquelle elle ne tombe pas dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (catégorie « DNRSRC » ), conformément à la définition de l'expression au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978[1]. La décision qui fait l'objet d'un contrôle est datée du 1er mars 2002.

CONTEXTE

[2]                 La demanderesse est née à Odessa, en Ukraine, au moment où ce pays faisait partie de l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). Depuis le démantèlement de l'URSS, la demanderesse est citoyenne de l'Ukraine.

[3]                 La demanderesse a donné le récit de sa fuite au Canada.


[4]                 À partir de 1974, la demanderesse occupait un emploi avec « Aeroflot » . En 1990, tout en travaillant pour Aeroflot, la demanderesse a fondé sa propre petite entreprise. Elle achetait des vêtements et des chaussures en Roumanie, en Pologne et en Turquie qu'elle mettait en vente sur le marché d'Odessa dans un kiosque loué. À la fin de 1995, la demanderesse a rencontré une personne qui disait occuper un poste supérieur dans un magasin de détail d'Odessa. Cette personne offrit de contribuer financièrement à l'entreprise de la demanderesse à condition que celle-ci vende des articles que cette personne lui fournirait. On avait convenu que la demanderesse prendrait livraison des articles en Turquie et qu'elle les mettrait en vente dans son kiosque avec ses propres articles. La demanderesse a accepté cette entente. Après plusieurs voyages en Turquie, à la suite desquels elle a ramené avec ses propres achats des articles fournis par son partenaire, elle s'est mise à soupçonner qu'elle aidait en fait son partenaire à faire entrer des articles en contrebande en Ukraine.

[5]                 La demanderesse a alors cherché à couper ses liens avec son partenaire, mais ce dernier l'a menacée de représailles économiques. La demanderesse n'a pas déclaré sa situation à la police du fait qu'elle croyait avoir participé à un réseau d'escrocs qui pourraient l'agresser ou la tuer si elle parlait.

[6]                 Après avoir fait l'objet de mesures d'extorsion, la demanderesse a finalement informé son partenaire, directement ou par l'entremise de ses représentants, qu'elle déclarerait à la police qu'elle était victime d'extorsion et qu'elle le soupçonnait de faire partie d'un réseau de contrebande. Le jour suivant, deux jeunes hommes se sont présentés au domicile de la demanderesse. La demanderesse a reconnu l'un deux qui était à l'emploi de son partenaire. Ils lui ont demandé de continuer à faire affaire avec son partenaire. Elle a refusé. Ils ont alors agressé le frère de la demanderesse et abusé physiquement et sexuellement d'elle. La demanderesse s'est évanouie. Lorsqu'elle a repris conscience, les hommes avaient quitté son domicile. Elle s'est alors enfui et a trouvé refuge au domicile d'un ami aux abords d'Odessa. Elle s'est présentée à l'hôpital, où un examen médical a confirmé qu'elle avait été agressée sexuellement. Elle est demeurée un mois au domicile de son ami.

[7]                 La demanderesse a déclaré son agression à la police. Elle a donné une description de ses assaillants et donné le nom de l'un d'eux. Elle n'a dit mot de ses soupçons au sujet du réseau de contrebande de peur de représailles de son partenaire et de ses associés. Pendant son séjour chez son ami, son kiosque au marché d'Odessa a été incendié et toute sa marchandise a été détruite.

[8]                 Un mois après qu'elle a rapporté l'incident, la police l'a informée que la personne qu'elle avait identifiée comme l'un de ses assaillants n'avait pas d'adresse à Odessa ou dans la région d'Odessa. La police ne pouvait donc pas retracer ses assaillants.

[9]                 Pour échapper à son ancien partenaire et à ses associés, la demanderesse a vendu sa maison, marié son ami, changé son nom de famille et déménagé à Krementchoug, une autre ville d'Ukraine. Après son mariage, la demanderesse est partie pour Krementchoug en quête d'un emploi et d'une maison, alors que son conjoint est demeuré à Odessa. Le frère de la demanderesse a aussi quitté Odessa après avoir été à nouveau agressé, cette fois par des individus à la recherche de la demanderesse.

[10]            À Odessa, le conjoint de la demanderesse a été menacé par des individus à la recherche de la demanderesse. Lors de leur dernière visite, ils l'ont battu et lui ont demandé de vendre sa maison pour rembourser les sommes d'argent que la demanderesse leur avait prétendument empruntées.

[11]            La demanderesse a décidé alors de quitter l'Ukraine. Son conjoint a refusé et a demandé le divorce. Le divorce a été prononcé le 24 septembre 1997.

[12]            La demanderesse s'est réfugiée au domicile de son fils, en Lettonie, où elle a obtenu un permis de résidence temporaire. Elle a découvert que son ex-mari était emprisonné sous ce qu'elle considérait être de « fausses accusations » . On l'a informé que la véritable raison de l'emprisonnement de son ex-mari était de connaître l'endroit où elle se trouvait. Craignant à nouveau pour sa sécurité, elle a quitté le domicile de son fils et s'est réfugiée dans la résidence d'été des beaux-parents de son fils.

[13]            Lors de son séjour à la résidence d'été, son fils a reçu la visite de personnes à la recherche de la demanderesse. Informée de cet incident, la demanderesse a quitté la Lettonie pour le Canada.

[14]            Après son arrivée au Canada, on a informé la demanderesse que son fils avait été visité et que son domicile avait été placé sous surveillance. L'ex-mari de la demanderesse a été contraint de déménager.

[15]            En décembre 1999, la demanderesse a appris que son frère avait été trouvé pendu dans un cimetière d'Odessa.

[16]            La demanderesse revendique le statut de réfugié au Canada au sens de la Convention.

DÉCISION SUR LA REVENDICATION DE LA DEMANDERESSE DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[17]            La Section du statut de réfugié (SSR), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a établi que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention. Dans sa décision, la SSR déclare :

[Traduction]

En matière de crédibilité, le comité est d'avis que la demanderesse est généralement crédible. Son témoignage est raisonnablement cohérent et explicite. Dans son rapport et lors de son témoignage, le Dr Marc Nesca a déclaré qu'il est d'avis que la demanderesse a vécu un incident traumatisant qui a engendré le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Lors de son témoignage, le Dr Nesca a déclaré qu'il a interviewé la demanderesse pendant deux heures, qu'il la considère crédible et que ses symptômes sont liés à son comportement. Le comité accepte le diagnostic selon lequel elle souffre de SSPT engendré par un incident traumatisant comme le viol dont elle a été victime.

Le comité accorde aussi foi à la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle a été menacée par les individus avec qui elle faisait affaire et que les sévices qu'elle a subis constituent des actes de persécution.

Toutefois, le comité est d'avis que les actes de persécution qu'elle a subis de la part de M. Bulackh, son partenaire, et de ses « représentants » , ne cadrent pas avec la définition des motifs d'obtention du statut de réfugié au sens de la Convention[2].


[18]            En résumé, la SRR a établi que la demanderesse était crédible, que le rapport psychologique présenté en son nom, appuyé par le témoignage de l'auteur du rapport, était persuasif, et elle a admis le diagnostic de l'auteur selon lequel la demanderesse souffre de stress post-traumatique et que sa condition était probablement due à un incident traumatisant comme le viol dont elle avait été victime. La SRR a admis que la demanderesse avait été menacée par des personnes avec qui elle faisait affaire et qu'elle avait été persécutée. La SRR a établi que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention du fait que les actes de persécution dont elle a fait l'objet n'ont aucun lien avec un motif cité dans la Convention.

LA DÉCISION SOUS CONTRÔLE JUDICIAIRE

[19]            Dans son analyse de risque/décision[3], l'ARRR a noté avoir obtenu des renseignements sur la violence faite aux femmes en Ukraine. L'ARRR a conclu que ces renseignements d'ordre général ne peuvent pas à eux seuls prouver l'existence d'un risque pour la défenderesse. [Le soulignement est de nous.]

[20]            L'ARRR a noté que les documents présentés montrent que la violence faite aux femmes est omniprésente en Ukraine. L'ARRR a noté que la même documentation fait état que la corruption qui sévit au sein de la police en Ukraine est un sérieux problème.

[21]            L'ARRR écrit :

[Traduction] Lorsque je constate l'omniprésence du crime organisé en Ukraine et de la corruption qui sévit au sein de la police dans ce pays, la demanderesse n'a présenté aucune preuve convaincante que ces deux éléments s'appliquent à son cas. [C'est nous qui soulignons.]                                                                                                                                                     


Je fais remarquer en passant la distinction entre cette conclusion et celle de la SRR. L'ARRR semble considérer comme convainquant le fait que la police d'Odessa n'ait pu poursuivre l'enquête sur la plainte de la demanderesse parce que le violeur ne résidait pas à Odessa.

[Traduction] [...] Je ne peux établir de lien de causalité entre le fait que la police n'ait pu poursuivre son enquête et la corruption qui règne au sein de la police l'associant au milieu criminel en Ukraine.

[22]            L'ARRR note que l'on dispose de peu de renseignements sur la protection qu'offre le gouvernement de l'Ukraine aux personnes menacées par le crime organisé. L'ARRR conclut que la demanderesse n'a pas fourni de preuves factuelles suffisantes pour prouver que cette réalité s'applique dans son cas.

[23]            L'ARRR ajoute :

[Traduction]

Aucune preuve indépendante n'a été présentée liant ces incidents irrévocablement, [soit les menaces contre son conjoint, les inconnus visitant le domicile de son fils en Lettonie et les renseignements d'un tiers donnés à l'ami de la demanderesse concernant l'emprisonnement de son conjoint], et dans l'ensemble, ces incidents ne constituent pas un risque objectivement identifiable pour la demanderesse.

[24]            Pour ce qui est du rapport psychologique dont fait référence la SRR et les lettres du fils de la demanderesse, l'ARRR écrit :

[Traduction]


J'ai tenu compte des lettres du fils de la demanderesse concernant les menaces et je ne peux leur accorder aucune valeur probante. De plus, j'ai lu le rapport psychologique du Dr Marc Nesca. J'ai noté que le comité était satisfait du diagnostic du médecin selon lequel la demanderesse souffre du syndrome de stress post-traumatique, mais ce renseignement par lui-même ne peut me convaincre que la demanderesse fera face à un risque objectivement identifiable à son retour en Ukraine.

[C'est nous qui soulignons.]

[25]            L'ARRR conclut :

[Traduction]

Après avoir effectué une analyse approfondie des preuves et des circonstances présentées, je suis d'avis que la demanderesse n'a pu établir un lien entre sa situation et les conditions qui règnent dans son pays pour conclure que sa sécurité sera menacée si elle est renvoyée en Ukraine, conformément à la définition d'un DNRSRC. La demanderesse ne tombe pas dans la catégorie de DNRSRC.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]            En ce qui a trait aux priorités, la première question que l'on m'a soumise était d'établir si la décision faisant l'objet d'un examen ne revêt qu'un caractère théorique en raison de l'entrée en vigueur, en juin 2002, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[4] et, de ce fait, de l'élimination de la catégorie DNRSRC.


[27]            Si nous établissons que cette demande de contrôle judiciaire ne revêt pas un caractère théorique ou qu'il faille l'examiner quel qu'en soit le caractère théorique, la demanderesse a soulevé les questions suivantes : premièrement, il s'agit de déterminer si l'ARRR a erré en droit en ignorant la preuve forte et pertinente présentée et en n'expliquant pas pourquoi elle l'a été; deuxièmement, il s'agit de déterminer si l'ARRR a outrepassé sa compétence en réévaluant la revendication du statut de réfugié de la demanderesse, plutôt que d'établir si la demanderesse courait un risque objectivement identifiable si elle était renvoyée en Ukraine; troisièmement, si l'ARRR a manqué d'impartialité envers la demanderesse en ne lui fournissant pas d'exemplaire de l'évaluation du risque avant que cette évaluation ne soit émise, privant ainsi la demanderesse de la possibilité de répondre à l'évaluation du risque.   

ANALYSE

           a)         Le caractère théorique

[28]            Dans l'affaire Borowski c. Canada (procureur général)[5], le juge Sopinka, de la Cour, écrit en page 353 :

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel » . Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.

[29]            Dans l'affaire dont je suis ici saisi, l'avocat du défendeur a fait valoir qu'en raison de l'entrée en vigueur prochaine de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de l'élimination de la catégorie DNRSRC, aucun « litige actuel » n'existe entre la demanderesse et le défendeur en ce qui a trait à la décision faisant l'objet d'un examen, du fait que d'établir si la demanderesse entre ou non dans la catégorie DNRSRC n'est plus pertinent. L'avocat du défendeur a aussi fait valoir que ce fait est renforcé par les éléments de preuve qui m'ont été soumis selon lesquels le défendeur convient que la demanderesse a droit à une évaluation des risques avant le renvoi (ERAR), en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ce qui lui permettrait de soumettre son cas en tant que personne ayant besoin de protection. J'accueille la présentation du défendeur à ce sujet, mais la question ne s'arrête pas là. J'aborde le deuxième élément que le juge Sopinka a décrit comme une « analyse en deux temps » , c'est à dire la question de connaître si oui ou non les circonstances en cause justifient par eux-mêmes la demande de contrôle judiciaire, nonobstant le caractère théorique.

[30]            Dans l'affaire Ramoutar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[6], le juge Rothstein écrit en page 377 :

Dans la présente affaire, une décision qui porte gravement préjudice au requérant figure maintenant dans le dossier d'immigration de ce dernier. Cette décision pourrait avoir un effet négatif sur le requérant dans toute action qu'il pourrait vouloir intenter ultérieurement sous le régime des lois d'immigration du Canada.

[31]            Le juge Rothstein poursuit en page 378 :

Même si l'affaire était sans objet, j'exercerais le pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré pour la trancher. La relation d'opposition entre les parties subsiste. La décision qui fait l'objet d'un appel, si elle est maintenue, aura des conséquences secondaires pour le requérant. Et nous n'avons pas affaire en l'espèce à un cas où l'on pourrait considérer d'une manière raisonnable qu'une décision de la présente Cour s'immisce dans les fonctions du pouvoir législatif du gouvernement.

[32]            Bien que l'on puisse questionner l'existence de la « relation d'opposition » entre la demanderesse et le défenseur dans les circonstances présentes, je suis convaincu qu'elle ne s'applique pas ici. Je suis convaincu que la décision faisant l'objet d'un examen en est une qui porte « grandement préjudice à la demanderesse » et qu'elle est maintenant inscrite au dossier d'immigration de la demanderesse. Dans la mesure où la demande demeure soustraite à l'examen, il est très possible qu'elle puisse influencer le jugement d'un agent qui entreprend d'effectuer un profil de projet et évaluation des risques (PPER) concernant la demanderesse. Si la décision ne fait pas l'objet d'un examen et que, par conséquent, elle demeure inchangée, elle pourrait avoir des « conséquences secondaires [négatives] pour la demanderesse » .

[33]            En fin de compte, bien que je sois convaincu que la décision faisant l'objet d'un examen revêt un caractère théorique, j'en conclus que je doive malgré tout recevoir cette demande de contrôle judiciaire.

[34]            J'effectuerai une brève analyse des deux (2) premières questions en litige soulevées par la demanderesse, questions que j'examinerai ensemble.


b)         Ignorer la preuve forte et pertinente sans expliquer pourquoi elle l'a été

[35]            Au préalable, j'ai donné certains détails sur l'analyse effectuée par l'ARRR. Il est important de noter que la SSR, lorsqu'elle a examiné la demande de statut de réfugié de la demanderesse, a bénéficié d'un avantage, celui d'entendre le témoignage oral de la demanderesse et, semble-t-il, du psychologue qui a rédigé le rapport sur l'état psychologique de la demanderesse. Les parties n'ont pas contesté devant moi que l'ARRR n'a pas bénéficié de l'avantage d'entendre le témoignage oral de la demanderesse et du psychologue. La SSR a établi que la demanderesse était « généralement crédible » et que son témoignage était « raisonnablement cohérent et explicite » . Lors de son témoignage, le psychologue a déclaré que selon lui, la demanderesse était crédible. À partir de la documentation et des témoignages dont elle disposait, la SSR a accepté le diagnostic du psychologue et les documents qu'il a présentés à l'appui. La SSR a de plus reconnu le fait que la demanderesse avait été menacée et que les torts qu'elle avait subis relevaient de la persécution. C'est un principe élémentaire de droit que les actes passés de persécution peuvent engendrer des risques de persécution, si les personnes persécutées retournent dans le milieu où elles les ont subis.

[36]            En dépit de ces faits, l'ARRR a minimisé la valeur accordée à la documentation présentée par la demanderesse ou en son nom et a considéré à part le témoignage du psychologue lorsqu'il écrit :             

[Traduction] [...] mais ces renseignement par eux-mêmes ne peut me convaincre que la demanderesse fera face à un risque objectivement identifiable à son retour en Ukraine.

[37]            Essentiellement, l'ARRR, quelle qu'en soit la raison, semble avoir refusé de tenir compte du témoignage du psychologue dans le contexte de tous les autres éléments de preuve qui ont été présentés.

[38]            En dépit de la valeur considérable de la documentation à l'appui des conditions faites en Ukraine à des personnes se trouvant dans la même situation que la demanderesse, l'ARRR encore une fois a minimisé la portée de ces éléments de preuve. La violence envers les femmes est examinée à part. Ici encore l'ARRR note que « ces renseignements d'ordre général » ne sont pas probants « par eux-mêmes » .

[39]            L'ARRR semble avoir établi comme constituant une réaction acceptable le refus de la police d'Odessa de poursuivre l'enquête du fait que le violeur suspect ne résidait pas à Odessa ou dans la région d'Odessa. Essentiellement, l'ARRR a conclu qu'un violeur, pour utiliser son propre terme, pouvait éviter une enquête policière tout simplement en résidant à l'extérieur du champ de compétence de la police d'Odessa. Je trouve cette conclusion bien étrange.

[40]            Bien que l'ARRR reconnaisse « que l'on dispose de peu de renseignements sur la protection qu'offre le gouvernement de l'Ukraine aux personnes menacées par le crime organisée » , il n'en conclut pas moins que la demanderesse n'a pas fourni d'éléments probants factuels suffisants pour prouver que cette réalité s'applique dans son cas. L'ARRR ne mentionne pas ce qui constitue, d'après lui, des « éléments probants factuels suffisants » . Dans le paragraphe suivant, l'ARRR voit d'un oeil critique le fait que la demanderesse n'a pas fourni d' « éléments de preuve indépendantes » justifiant que la demanderesse courait un risque identifiable.

[41]            L'ARRR n'accorde aucune valeur probante aux lettres du fils de la demanderesse. L'ARRR ne fournit aucune explication motivant cette décision.

[42]            Tenant compte des faits précités, je suis convaincu que l'ARRR a outrepassé sa compétence en contredisant carrément les conclusions auxquelles était arrivé la SSR après avoir entendu le témoignage oral de la demanderesse et qu'il a erré en plaçant sur la demanderesse un fardeau de preuve excédant de beaucoup ce qu'elle était raisonnablement capable de produire, en raison des conditions existant en Ukraine, pour établir son besoin de protection.

[43]            Dans Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], le juge Tremblay-Lamer écrit au paragraphe 23 :            


Dans la présente affaire, l'ARRR a en fait substitué sa propre opinion à celle de la section du statut de réfugié. L'ARRR a analysé à nouveau la revendication du statut de réfugié plutôt que de procéder à une analyse du risque, en réévaluant la crédibilité du demandeur, et elle a ainsi outrepassé sa compétence.

Bien que je sois convaincu que l'énoncé précité exemplifie les faits qui me sont présentés, il n'en demeure pas moins qu'il est applicable aux éléments de l'analyse de l'ARRR qui font l'objet du présent examen. Le juge Tremblay-Lamer poursuit son raisonnement au paragraphe 25 :

Nous avons en l'espèce un exemple idéal du rôle de filet de sécurité que joue le processus d'attribution de la qualité de DNRSRC. Il se peut que la crainte du demandeur déborde la portée de la Convention et que son renvoi au Bangladesh l'expose bel et bien au risque que sa vie soit menacée.

[44]            Je suis convaincu que l'énoncé précité s'applique directement aux faits de la présente affaire, il suffit de substituer Ukraine à Bangladesh. Je suis convaincu que l'ARRR a oublié que le processus DNRSRC est un « filet de sécurité » , particulièrement du fait que la SSR avait établi que la peur qu'éprouvait la demanderesse n'était pas un motif pour se mettre sous la protection de la Convention, mais qu'elle n'en était pas moins engendrée par la persécution.

c)         Manque d'équité

[45]            L'avocat de la demanderesse s'est fondé sur Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8] pour démontrer que l'ARRR avait manqué à l'obligation d'équité du fait de n'avoir pas fait part des conclusions de son analyse avant de la terminer et de n'avoir pas donné l'occasion à la demanderesse d'y répondre.

[46]            Dans la cause Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9], le McKeown écrit au paragraphe 11 :

En toute déférence, je ne crois pas que les principes d'équité obligent un ARRR qui procède à une évaluation du risque pour savoir si le demandeur est membre de la catégorie DNRSRC à divulguer l'évaluation en question avant d'en arriver à sa décision. À mon sens, reconnaître l'existence de cette obligation équivaudrait pour ainsi dire à contraindre un décideur à communiquer les motifs de sa décision à des fins de commentaires avant de prendre sa décision finale. Dans la présente affaire, la personne qui a examiné les éléments de preuve a pris la décision. Aucune autre personne n'a participé au processus. Il ne s'agit pas d'un cas où le décideur reçoit des renseignements de personnes autres que le demandeur [...]

Je préfère la décision du juge McKeown dans ce cas. Je ne vois pas de motif de remettre en question la décision de l'ARRR sous prétexte d'un manquement à l'obligation d'équité envers la demanderesse.

CONCLUSION


[47]            En me basant sur l'analyse des faits précités, cette demande de contrôle judiciaire sera reçue. Puisqu'il n'existe plus de disposition légale pour déterminer si la demanderesse satisfait ou non aux critères de la catégorie de DNRSRC, j'ordonne que l'on ne tienne pas compte de la décision faisant présentement l'objet d'un examen. La demande de la demanderesse ne sera pas soumise à un autre examen.

[48]            Lorsqu'ils ont été informés du dénouement de cette demande de contrôle judiciaire, aucun des avocats en présence n'ont demandé la certification d'une question. Je suis convaincu qu'aucune question ne revêt une importance d'ordre général. Aucune question ne sera certifiée.

[49]            Aucune ordonnance n'est rendue pour ce qui est des dépens, nonobstant le fait que l'avocat du répondeur en avait fait la demande au cas où je déciderais, comme c'est le cas, que la présente demande de contrôle judiciaire revêt un caractère théorique.

CONSIDÉRATIONS SUPPLÉMENTAIRES

[50]            D'après les renseignements dont je dispose, plusieurs des anciens ARRR du Ministère du défendeur effectuent maintenant les évaluations du risque avant le renvoi, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Si mes renseignements sont exacts, je conseille au défendeur de confier l'évaluation du risque avant le renvoi, à laquelle il convient que la demanderesse a droit, à un autre agent que celui qui a émis la décision faisant présentement l'objet d'un examen.

[51]            Le préambule de l'article 113 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et le paragraphe a) de cet article s'énonce comme suit :


113. Il est disposé de la demande comme il suit_:

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

...


113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

...


[52]            Si j'interprète correctement la disposition précitée, lorsque la demanderesse reçoit l'évaluation du risque avant le renvoi à laquelle le défendeur convient qu'elle a droit, l'agent effectuant l'évaluation du risque avant le renvoi devra fonder sa décision uniquement sur les nouveaux renseignements obtenus après le rejet de la revendication du statut de réfugié de la demanderesse ou sur des éléments de preuve raisonnablement accessibles ou que l'on ne pouvait raisonnablement exiger de la demanderesse qu'elle produise au moment où sa revendication du statut de réfugié était examinée.


[53]            Dans le cadre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'alinéa 113a) s'applique logiquement, puisque le comité de la Section du statut de réfugié qui examine une revendication du statut de réfugié doit aussi déterminer si une personne a besoin de protection. Ce ne fut pas le cas lorsque la revendication du statut de réfugié de la présente demanderesse a été examinée. Ainsi, la SSR n'a pas tenu compte du besoin de protection de la demanderesse, alors qu'elle en avait la preuve, besoin dont l'évaluation a été déterminé par l'ARRR et dont la décision fait présentement l'objet du présent examen, décision que j'ai jugé erronée. Je suis pleinement conscient que ce n'est pas mon rôle de conseiller au défendeur d'ignorer l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais je ne peux m'empêcher de commenter que si ce paragraphe est appliqué à la lettre à l'évaluation du risque avant le renvoi de la demanderesse, celle-ci n'aura reçu aucune décision quant à son besoin de protection lié à un retour en Ukraine.

________________________________

      J.C.F.C

Ottawa (Ontario)

Le 26 février 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.                                                               


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-1335-02

INTITULÉ :                                           OLENA NIKOLAYEVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                 13 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE :                                                  26 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS

Rishma N. Shariff                                    POUR LA DEMANDERESSE

Kerry Franklin                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Caron & Parners, LLP              POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Calgary (Alberta)

Ministère de la Justice              POUR LE DÉFENDEUR

Bureau régional d'Edmonton

Edmonton (Alberta)



[1]         DORS/78-172.

[2] Dossier du demandeur, page 088.

[3] Dossier du demandeur, pages 007 à 009.

[4] C.S. 2001, ch. 27.

[5]         [1989] 1 R.C.S. 342.

[6]         [1993] 3 C.F. 370 (1ère inst.).

[7]         [2001] 1 C.F. 483 ((1ère inst.).

[8]         [2001] A.C.F n ° 1207 (en ligne : QL) (C.F. 1ère inst.).

[9]         [2001] A,C. F. n ° 1584 (en ligne : QL) (C.F. 1ère inst.).

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