Date : 20030117
Dossier : T-2282-01
Référence neutre : 2003 CFP1 40
OTTAWA (ONTARIO), le 17 janvier 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
PFIZER CANADA INC.
et PFIZER INC.
demanderesses
- et -
APOTEX INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE SNIDER
[1] Il s'agit d'une requête présentée par la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) visant à faire annuler l'ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch en date du 16 décembre 2002, qui rejetait la requête présentée par Apotex demandant la production par les demanderesses (Pfizer) de certains documents et pièces qui, allègue Apotex, lui sont nécessaires afin de rédiger un affidavit en réponse pour sa preuve. Une prorogation de l'échéancier dans la présente affaire a également été refusée.
Contexte
[2] Par lettre datée du 12 novembre 2001, Apotex a présenté un avis d'allégation en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement), à l'égard des comprimés d'azithromycine en vue de l'administration par voie orale en doses de 250 mg. Dans cet avis d'allégation, Apotex a notamment allégué que la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par Apotex de ses comprimés d'azithromycine ne contreferaient aucune revendication du médicament lui-même et aucune revendication de l'emploi du médicament prévu au brevet canadien no 1 314 876 (le brevet 876).
[3] Pfizer est titulaire du brevet 876 qui revendique des droits exclusifs sur le produit dihydrate d'azithromycine sous forme de cristaux.
[4] Par demande datée du 27 décembre 2001 et conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, Pfizer a présenté une demande afin d'empêcher la délivrance d'un avis de conformité.
[5] La question principale relativement à la demande présentée en vertu de l'article 6 est de savoir si, en cours de fabrication, d'utilisation ou de vente du produit d'Apotex, sera fabriqué ou formé du dihydrate d'azithromycine.
[6] À la suite de l'ordonnance et des motifs de l'ordonnance prononcés par le juge O'Keefe en date du 3 mai 2002, Apotex a fourni des extraits de sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) et de la fiche maîtresse du médicament ainsi que des échantillons du produit en vrac et de comprimés déposés auprès du ministre de la Santé (le Ministre).
[7] La preuve de Pfizer a été produite le 25 octobre 2002. Le contenu de la requête instruite et décidée par la protonotaire Aronovitch provient d'affidavits qui constituent en partie ladite preuve.
Questions présentées à la protonotaire Aronovitch
[8] Dans sa requête présentée à la protonotaire Aronovitch, Apotex a dit craindre que la preuve du Dr Stahly et du Dr Bugay n'ait pas révélé les étapes, détails et méthodologies spécifiques des expériences et des analyses qu'ils avaient faites. Apotex a fait valoir que pour préparer sa preuve, il lui était nécessaire de disposer d'échantillons des produits finaux et intermédiaires, de la divulgation complète des procédures suivies par les experts ainsi que d'autres renseignements concernant le procédé. À l'heure actuelle, la preuve d'Apotex doit être produite au plus tard le 17 janvier 2003.
[9] Devant la protonotaire Aronovitch, Apotex s'est appuyée sur la règle 3 des Règles de la Cour fédérale (1998) pour justifier la production des pièces et documents demandés. Apotex a toutefois reconnu que les Règles de la Cour fédérale (1998) ne donnent pas spécifiquement droit à une partie de demander la production de documents avant d'avoir produit en preuve un affidavit en réponse.
[10] Apotex a également reconnu qu'elle aurait le droit de vérifier les affidavits et de demander des précisions au moment du contre-interrogatoire qui aurait lieu après la production de sa preuve par affidavit. Or, Apotex est d'avis qu'agir dans cet ordre ne constitue pas la manière la plus efficace de procéder. Apotex a aussi soutenu qu' [traduction] « il serait injuste de permettre aux demanderesses de s'appuyer sur des éléments de preuve auxquels Apotex ne peut pas répondre de façon appropriée » .
[11] Pfizer s'est opposée à la requête.
Décision de la protonotaire Aronovitch
[12] L'inscription dans l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch énonce les motifs du rejet de la requête en ces termes :
[traduction] Je vais rejeter la requête, en grande partie pour les motifs exposés aux observations des demanderesses.
Je reconnais que les demanderesses s'appuient sur des décisions qui sont antérieures à la modification du Règlement ayant ajouté le paragraphe 6(7). Cette modification autorise une plus grandecommunication de documents que celle qui était possible auparavant. Bien qu'il soit question de contrefaçon et qu'il y ait des motifs pour que la Cour soit saisie d'une preuve plus abondante, la nature de la procédure ne se trouve pas modifiée. Faite en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement, la demande de contrôle judiciaire en l'espèce reste une procédure sommaire, régie par les Règles de la Cour fédérale applicables qui visent à accélérer le processus, et elle est de plus assujettie aux contraintes de temps cruciales qu'impose le Règlement.
Apotex soutient que le fait de disposer de ces éléments de preuve avant de produire ses propres éléments de preuve accélérera en fait le déroulement de l'affaire. L'argument d'Apotex, comme je le comprends, a deux volets. En premier lieu, il convient dans les présentes circonstances de déroger partiellement à la suite des événements que prévoient les Règles parce qu'Apotex ne dispose pas des renseignements nécessaires pour répondre de manière adéquate à la preuve produite par Pfizer. En second lieu, comme corollaire, si Apotex devait attendre les contre-interrogatoires pour avoir les renseignements requis, il s'ensuivrait inévitablement des requêtes en autorisation de déposer des éléments de preuve additionnels.
En me fondant sur la preuve et sur l'argumentation qui ont été présentées, je ne suis pas convaincue qu'Apotex devrait obtenir la production demandée en passant outre à l'ordre prévu. Dans les circonstances, on ne peut pas dire qu'Apotex ne connaît pas les exigences auxquelles elle doit répondre ou qu'elle est empêchée de présenter ses éléments de preuve afin d'étayer la demande sous-jacente. Il revient évidemment à Apotex de préciser les éléments de preuve qu'elle souhaite présenter, mais elle ne fait pas valoir un manque de preuve, notamment la connaissance des étapes ou des conditions additionnelles qui, selon elle, doivent être suivies pour éviter la production de dihydrate et la transformation en dihydrate.
Également, je n'accepte pas que des requêtes pour présenter des éléments de preuve additionnels suivront invariablement. Cela dépendra sûrement de la preuve produite par Apotex et de la mesure dans laquelle Apotex peut justifier, au moyen d'une preuve par affidavit appropriée, la nécessité d'autres éléments de preuve.
Quant à l'argument concernant l'équité, dans les circonstances, il favorise autant les demanderesses qu'Apotex, sinon davantage.
Analyse
[13] La norme de révision dans le cas de l'appel de la décision d'un protonotaire comme en l'espèce a été établie par le juge d'appel MacGuigan dans la décision Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, p. 463 (C.A.) :
[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,
b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.
[14] L'ordonnance en l'espèce ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. En conséquence, pour avoir gain de cause, Apotex doit démontrer que la décision de la protonotaire était fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.
[15] À mon avis et pour les motifs énoncés ci-dessous, la protonotaire Aronovitch n'a pas fondé sa décision sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. Conséquemment, il n'y a aucun fondement justifiant une modification de l'ordonnance.
Nature de la procédure
[16] Une procédure en vertu de l'article 6 du Règlement est en fait une procédure de contrôle judiciaire. Il ne s'agit pas d'une action pour contrefaçon de brevet au cours de laquelle la communication de documents et la tenue d'un interrogatoire préalable seraient possibles. La protonotaire Aronovitch l'a reconnu lorsqu'elle a écrit que [traduction] « la demande de contrôle judiciaire en l'espèce reste une procédure sommaire » .
[17] Comme en ont convenu les parties, aucune règle de la Cour fédérale n'autorise spécifiquement la divulgation. Apotex fait cependant valoir que la Cour doit s'assurer que la partie qui n'a pas fait les analyses (en l'espèce, Apotex) a la possibilité réelle et raisonnable d'y réagir. Cela suppose, selon les observations présentées par Apotex, que la Cour autorise la divulgation comme partie inhérente de son devoir d'exercer sa compétence avec impartialité. En l'absence d'une règle spécifique, la règle 3 des Règles de la Cour fédérale (1998) devrait, de l'avis d'Apotex, s'appliquer en l'espèce. La règle 3 est rédigée comme suit :
These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits. |
|
Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. |
|
|
|
[18] Quant à ces arguments, je constate d'abord que ladite règle 3 constitue une règle d'interprétation et non une procédure « très générale » . Comme les parties l'ont reconnu, il ne s'agit pas d'interpréter une règle particulière car une telle règle est totalement absente. Il est donc difficile de comprendre l'utilisation de la règle 3 dans ce contexte.
[19] Même si la règle 3 était applicable, son application dans une situation donnée serait discrétionnaire. J'ai lu et écouté les observations d'Apotex et je suis convaincue que la protonotaire Aronovitch a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. Plus particulièrement :
1. Je ne crois pas qu'il soit [traduction] « pratiquement impossible » pour Apotex de produire [traduction] « des éléments de preuve significatifs en réponse » . À cette étape-ci de la procédure, il est possible pour Apotex de produire des éléments de preuve démontrant que son procédé ne générera pas ou que son produit ne contiendra pas de dihydrate. Cette question est abordée plus loin aux paragraphes 20 et 22.
2. Compte tenu de la nature de la procédure sommaire en l'espèce, tout pouvoir discrétionnaire susceptible de découler de la règle 3 devrait être exercé avec modération, surtout lorsque l'exercice de cette discrétion entraînerait une modification importante de la nature même de la procédure. En l'espèce, s'il y avait un droit à la divulgation, la nature de la présente procédure se rapprocherait d'une action en contrefaçon de brevet. Je remarque en fait que la plupart des cas mentionnés par Apotex s'inscrivaient dans un contexte d'actions en contrefaçon de brevet. Des différences manifestes existent entre des affaires en contrefaçon de brevet et des affaires concernant le Règlement. Il faut respecter ces différences le plus possible.
3. En suivant l'ordre normal, Apotex produira ses éléments de preuve et les parties passeront ensuite à l'étape du contre-interrogatoire. À cette étape, il est possible (même s'il ne s'agit pas nécessairement d'une « quasi-certitude » ) qu'Apotex présente une demande pour produire des éléments de preuve supplémentaires. En ce sens, le droit d'Apotex à l'équité procédurale continue d'être protégé.
Incapacité d'Apotex à répondre de façon appropriée
[20] Apotex a fait valoir que l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch constituait une erreur de principe et une mauvaise appréciation des faits. Suivant l'argumentation d'Apotex, la question en litige [traduction] « n'est pas sa capacité à produire sa preuve positive, mais plutôt sa capacité à répondre de façon cohérente à la preuve produite par les demanderesses » .
[21] À mon avis, la protonotaire Aronovitch a bien répondu à cet argument en déclarant ce qui suit :
[traduction] Dans les circonstances, on ne peut pas dire qu'Apotex ne connaît pas les exigences auxquelles elle doit répondre ou qu'elle est empêchée de présenter ses éléments de preuve afin d'étayer la demande sous-jacente. Il revient évidemment à Apotex de préciser les éléments de preuve qu'elle souhaite présenter, mais elle ne fait pas valoir un manque de preuve, notamment la connaissance des étapes ou des conditions additionnelles qui, selon elle, doivent être suivies pour éviter la production de dihydrate et la transformation en dihydrate.
[22] Je partage cet avis. Il revient à Apotex de faire sa preuve comme elle le juge nécessaire. La réalisation de cette preuve « positive ou affirmative » relève entièrement d'Apotex. Dans la mesure où elle donne des résultats qui diffèrent de ceux de Pfizer, cette preuve constituera une réponse. De plus, je ne peux pas accepter qu'il soit impossible de donner une réponse significative à la preuve produite par Pfizer. Même si la réponse peut ne pas être aussi complète ou aussi détaillée que le souhaiterait Apotex, il ne s'agit pas d'une raison suffisante pour modifier la nature de la procédure sommaire en l'espèce.
Prolongation de la procédure
[23] Apotex soutient que la protonotaire Aronovitch [traduction] « a omis de reconnaître que son ordonnance retarderait davantage la demande et entraînerait davantage de requêtes interlocutoires injustifiées » . À mon avis, il ne s'agit là que de spéculation de la part d'Apotex. On pourrait aussi spéculer sur le fait que le contre-interrogatoire au sujet des affidavits fournira des réponses claires aux préoccupations actuelles d'Apotex ou que la production des pièces requises entraînera encore plus de requêtes interlocutoires. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue qu'il soit justifié de modifier une procédure bien établie en matière de questions sommaires.
Pertinence du paragraphe 6(7) du règlement
[24] Le paragraphe 6(7) du Règlement est rédigé comme suit :
(7) On the motion of a first person, the court may, at any time during a proceeding, (a) order a second person to produce any portion of the submission for a notice of compliance filed by the second person relevant to the disposition of the issues in the proceeding and may order that any change made to the portion during the proceeding be produced by the second person as it is made; and (b) order the Minister to verify that any portion produced corresponds fully to the information in the submission. |
|
(7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l'instance : a) ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l'instance;
b) enjoindre au ministre de vérifier que les extraits produits correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans la demande d'avis de conformité. |
|
|
|
[25] Apotex soutient que l'introduction en 1998 du paragraphe 6(7) qui autorise la production en certaines circonstances, a rendu non pertinente une partie de la jurisprudence existante. Apotex s'est particulièrement référée aux décisions qui ont clairement établi que les parties à une action en vertu de l'article 6 du Règlement n'ont pas droit à la communication. [À titre d'exemples, voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1994] A.C.F. no 662 (C.A.) (QL); Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1996] A.C.F. no 348 (C.F. 1re inst.) (QL)].
[26] Je partage l'avis de la protonotaire Aronovitch qui a conclu que [traduction] « la nature de la procédure ne se trouve pas modifiée » par l'introduction du paragraphe 6(7). Les cas exceptionnels dans lesquels la production est requise sont clairement précisés dans ce paragraphe et leur nombre ne devrait pas être augmenté en l'absence d'une indication claire dans la loi.
Conclusion
[27] L'ordonnance de la protonotaire Aronovitch n'est pas, à mon avis, entachée d'erreur flagrante et elle devrait être maintenue.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. la requête d'Apotex est rejetée;
2. Apotex pourra signifier et déposer sa preuve jusqu'au 22 janvier 2003;
3. les dépens suivront l'issue de la cause.
« Judith A. Snider »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 17 janvier 2003
Traduction certifiée conforme
Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2282-01
INTITULÉ : PFIZER CANADA INC. ET AL. c.
APOTEX INC. ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA
DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 JANVIER 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MADAME LE JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 17 JANVIER 2003
COMPARUTIONS :
ANTHONY CREBER POUR LES DEMANDERESSES
ANDREW BRODKIN POUR LA DÉFENDERESSE
APOTEX INC.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP POUR LES DEMANDERESSES
OTTAWA
GOODMANS LLP POUR LA DÉFENDERESSE
TORONTO APOTEX INC.
MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL LE MINISTRE DE LA SANTÉ
DU CANADA