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Date : 20030526

Dossier : T-1628-01

Référence : 2003 CFPI 654

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER                                   

ENTRE :

                                                       NUNAVUT TUNNGAVIK INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LA MUNICIPALITÉ D'IQALUIT

                                                                                                                                                                       

défendeurs

                                     MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision, datée du 13 août 2001, par laquelle Robert D. Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministre), a refusé d'approuver un permis délivré par l'Office des eaux du Nunavut (OEN) à la municipalité d'Iqaluit (la Municipalité). Cette décision figurait dans une lettre du ministre adressée au président de l'OEN, Thomas Kudloo. Nunavut Tunngavik Inc. (la demanderesse) sollicite une ordonnance annulant la décision du ministre.


Contexte

[2]                 En 1993, le gouvernement du Canada a conclu un Accord entre les Inuits de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada (l'Accord), dans le cadre duquel les Inuits du Nunavut ont échangé leur titre autochtone relatif aux terres et aux eaux du Nunavut contre les droits conférés par traité qui sont énoncés dans l'Accord. Ce dernier a été ratifié par les Inuits par voie de scrutin et, pour ce qui est de la Couronne, a été ratifié, mis en vigueur et déclaré valide par le paragraphe 4(1) de la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, L.C. (1993), ch. 29 (la LARTN). La demanderesse est une société à but non lucratif qui représente les Inuits du Nunavut en vue de la mise en oeuvre et de l'exécution de l'Accord.

[3]                 L'OEN est une institution gouvernementale qui exerce des responsabilités et des pouvoirs à l'égard de la réglementation, de l'utilisation et de la gestion des eaux dans la région du Nunavut. L'OEN a été établie le 9 juillet 1996 au moyen de l'article 10.10.1 de l'Accord.

[4]                 En septembre 2000, la Municipalité a demandé à l'OEN de renouveler son permis d'utilisation des eaux, qui venait à expiration le 31 décembre suivant. À la suite d'une audience publique tenue en novembre 2000, l'OEN a délivré à la Municipalité un permis relatif à l'utilisation de l'eau et l'élimination de déchets dans l'eau pour des entreprises municipales, et ce, pour une période de trois ans commençant le 1er janvier 2001.

[5]                 Par une lettre datée du 13 août 2001, le ministre a déclaré qu'il n'était pas disposé à approuver le permis que la Municipalité avait délivré.

[6]                 La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire dans le but de faire annuler la décision du ministre contenue dans cette lettre au motif que l'agrément de ce dernier n'était pas une condition préalable à la validité des permis que délivre l'OEN.

Points en litige

[7]                 La demanderesse soulève la question suivante :

1.          L'Accord dispose-t-il, expressément ou implicitement, que les décisions que prend l'OEN au sujet de la délivrance de permis sont soumises à l'agrément du ministre?

Analyse

[8]                 Pour les motifs exposés ci-après, je suis d'avis de rejeter la présente demande.

[9]                 Aux termes de l'article 13.2.1 de l'Accord, l'OEN a été établie pour exercer :

[...] à l'égard de la réglementation, de l'utilisation et de la gestion des eaux de la région du Nunavut, des responsabilités et pouvoirs au moins équivalents à ceux dont dispose actuellement l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord [...] en plus des autres responsabilités prévues par le présent chapitre.

[10]            Il semble, d'après l'Accord, que les parties négociatrices envisageaient que le régime réglementaire exposé dans la Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), ch. N-25 (la LEIN) devait se poursuivre, à moins d'être modifié par l'Accord. Nul ne conteste que les permis d'utilisation d'eau que délivrait l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest en vertu de la LEIN et de la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, L.C. (1992), ch. 39 (la LETNO) nécessitaient l'agrément du ministre. En outre, il est évident que la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, L.C. (2002), ch. 10 (la Loi sur les eaux du Nunavut), le texte de loi qui a été promulgué en fin de compte, inclut elle aussi l'obligation d'obtenir l'agrément du Ministre.

[11]            Le pouvoir qu'avait le Ministre d'approuver les permis délivrés par l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest figurait au paragraphe 11(1) de la LEIN :


11. (1) Sous réserve du paragraphe (2), un office peut, avec l'approbation du ministre, délivrer des permis, pour une durée maximale de vingt-cinq ans, autorisant les personnes qui en font la demande, sur paiement des droits d'utilisation fixés sous le régime de l'alinéa 31(1)a), aux dates et de la manière réglementaires, à utiliser les eaux pour l'exploitation d'une entreprise déterminée indiquée dans le permis en une quantité et à un régime n'excédant pas ce que prévoit le permis.

11. (1) Subject to subsection (2), a board may, with the approval of the Minister, issue licences, for a term not exceeding twenty-five years, authorizing the applicant for such a licence, on payment of water use fees prescribed pursuant to paragraph 31(1)(a) at the times and in the manner prescribed by the regulations, to use waters, in association with the operation of a particular undertaking described in the licence and in a quantity and at a rate not exceeding that specified in the licence.


[12]            Ce pouvoir est également énoncé au paragraphe 14(6) de la LETNO :



6) La délivrance est subordonnée à l'agrément_:

a) dans le cas d'un permis de type A, du ministre;

b) dans le cas d'un permis de type B, du président de l'Office si la demande ne fait pas l'objet d'une audience publique par l'Office ou du ministre dans le cas contraire

[...]                                             

.

(6) The Board may issue a licence only with the approval

(a) in the case of a type A licence, of the Minister; or

(b) in the case of a type B licence,

[...]

(i) of the chairperson of the Board, where no public hearing is held by the Board in connection with the application for the licence, or

(ii) of the Minister, where a public hearing is held by the Board in connection with the application for the licence.


[13]            Aux termes du paragraphe 56(1) de la Loi sur le Nunavut, certains permis que délivre l'OEN sont soumis à l'agrément du ministre :


56. (1) Sont subordonnés à l'agrément du ministre la délivrance, le renouvellement, la modification et l'annulation d'un permis de type A et, dans les cas où une enquête publique est tenue, de type B.

56. (1) The issuance, amendment, renewal and cancellation of a type A licence and, if a public hearing is held, a type B licence are subject to the approval of the Minister.


[14]            La question qui se pose est celle de savoir si, après la création de l'OEN et avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les eaux du Nunavut, les dispositions de l'Accord font en sorte d'éliminer l'obligation d'obtenir l'agrément du ministre.

[15]            En ce qui a trait à cette question, les arguments de la demanderesse peuvent être regroupés en quatre grands sujets de préoccupation :


            1.         À la lecture de l'Accord, l'article 13.7.1 ne prévoit pas d'agrément de la part du ministre.

2.         D'autres clauses de l'Accord prévoient explicitement l'agrément du ministre.

3.         L'un des objectifs de l'Accord est de veiller à ce que les Inuits jouent un rôle efficace.

4.         L'obligation d'obtenir l'agrément du ministre mène à une incompatibilité ou à une contradiction.

Contexte législatif

[16]            Il ressort clairement des clauses de l'Accord que ce dernier n'était pas censé constituer, pour l'OEN, une source complète de pouvoirs et d'autorisations. L'article 10.2.1 de cet instrument exige que les pouvoirs substantiels, les fonctions, les objectifs et les obligations de l'OEN soient énoncés dans une loi :     

10.2.1 Les pouvoirs substantiels, les fonctions, les objectifs et les obligations des institutions mentionnées à l'article 10.1.1 doivent être énoncés dans une loi. Toutes les questions qui ne concernent ni les sujets susmentionnés ni la composition de ces institutions ni les modalités de nomination de leurs membres peuvent être mises en oeuvre par règlement. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire de prendre, par règlement, des mesures de mise en oeuvre n'a pas pour effet d'élargir les pouvoirs prévus aux articles 10.6.1 et à la section 10.7.1.

[17]            L'article 13.2.1 de l'Accord fait expressément mention de la LEIN :

13.2.1 Doit être constitué, en tant qu'institution gouvernementale, l'Office des eaux du Nunavut (OEN). L'OEN a, à l'égard de la réglementation, de l'utilisation et de la gestion des eaux de la région du Nunavut, des responsabilités et pouvoirs au moins équivalents à ceux dont dispose actuellement l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), chap. N-25, en plus des autres responsabilités prévues par le présent chapitre.


[18]            La LEIN a, depuis lors, été abrogée et remplacée par la Loi sur les eaux du Yukon, L.C. (1992), ch. 40, ainsi que par la LETNO. Comme l'indique l'article 10.2.1, l'Accord envisageait également la promulgation, par le Parlement, d'une nouvelle loi concernant la réglementation de l'eau au Nunavut. Cette loi - la Loi sur les eaux du Nunavut - est entrée en vigueur le 30 avril 2002. Avant cette date, la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, en tant que loi d'application générale, s'appliquait au Nunavut sauf lorsqu'elle était incompatible ou entrait en conflit avec l'Accord.

[19]            De ce fait, la LETNO a continué d'être exécutoire au Nunavut, tant avant qu'après la ratification de l'Accord, la création de l'ONE et la création du Nunavut le 1er avril 1999 [Loi sur le Nunavut, L.C. (1993), ch. 28, par. 29(4)].

À la lecture de l'Accord, l'article 13.7.1 ne prévoit pas d'agrément de la part du ministre


[20]            C'est au chapitre 13 de l'Accord que figurent les dispositions concernant la « Gestion des eaux » . La partie 7 de ce chapitre traite de l'approbation des demandes relatives à l'eau. Aux termes de l'article 13.7.1, « [...] nul ne peut utiliser de l'eau ou déposer des déchets dans des eaux sans l'approbation de l'OEN » . Cette clause de l'Accord ne mentionne pas expressément qu'il est obligatoire d'obtenir l'agrément du ministre. La demanderesse fait valoir que l'omission d'une telle exigence dans cette disposition particulière ou ailleurs au chapitre 13 devrait être interprétée comme une intention de la part des parties négociatrices de faire disparaître le droit ministériel que contenait la LEIN. Je ne crois pas que ce soit le cas.

[21]            À mon sens, jamais il n'a été envisagé que les dispositions du chapitre 13 devaient décrire en détail le régime réglementaire qui régirait la gestion des eaux. Selon une lecture simple de l'article 13.2.1, la teneur de ce régime se trouvait dans la LEIN. Le reste du chapitre 13 ne traite que des cas où le régime réglementaire de la LEIN devait être modifié ou complété. La demanderesse fait valoir que l'article 13.7.1 est l'une de ces exceptions au régime réglementaire exposé dans la LEIN et, précisément, qu'il faudrait considérer qu'il fait disparaître le droit qu'a le ministre d'approuver ou de refuser les permis que délivre l'OEN. Je suis d'accord avec la demanderesse que l'article 13.7.1 vise à créer une modification au régime réglementaire de la LEIN, mais pas avec sa conclusion quant à la modification exacte dont il est question.

[22]            L'article 13.7.1 de l'Accord est une disposition d'interdiction générale qui dispose que : « [...] nul ne peut utiliser de l'eau ou déposer des déchets dans des eaux sans l'approbation de l'OEN » . Cette disposition remplace et simplifie deux dispositions de la LEIN qui interdisaient à quiconque de :

1.         utiliser de l'eau à moins de détenir un permis ou d'être autorisé à le faire par règlement [LEIN, par. 4(2)]; ou


2.         déposer des déchets dans des eaux, sauf si un permis ou le règlement l'autorise [LEIN, par. 7(1)].

[23]            À l'article 13.7.1, ces dispositions sont regroupées, de sorte que l'utilisation de l'eau ou le dépôt de déchets sont interdits sans l'approbation de l'OEN; l'autorisation par règlement est éliminée. Cette disposition ne traite pas du pouvoir qu'a l'OEN de donner son approbation; pour cela, il faut continuer de consulter la disposition pertinente de la LEIN, qui décrit le pouvoir qu'ont les offices des eaux compétents de : « avec l'approbation du ministre, délivrer des permis... » [LEIN, par. 11(1)]. C'est donc dire que l'Accord ne fait pas disparaître l'obligation d'obtenir l'agrément du ministre, comme l'indique la LEIN, et, selon moi, cette obligation est maintenue comme le prescrit la LEIN.

D'autres clauses de l'Accord prévoient explicitement l'agrément du ministre


[24]            La demanderesse fait remarquer aussi que, là où les parties à l'Accord voulaient réserver au ministre un droit d'agrément, elles l'ont fait explicitement. On m'a mentionné des éléments de l'Accord où il est question de la Commission d'établissement du Nunavut (CEN), du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (CGRFN) ainsi que de la Commission du Nunavut chargée de l'examen des répercussions (CNER), qui indiquent tous clairement que les autorisations que donnent ces organismes sont subordonnées à l'agrément du ministre. Au dire de la demanderesse, l'absence de toute disposition comparable qui exige l'agrément du ministre au sujet des décisions que prend l'OEN dénote de façon fort convaincante qu'aucune exigence de ce genre n'était envisagée.

[25]            En ce qui concerne les dispositions de l'Accord relatives à la CEN, au CGRFN et à la CNER, je signale que rien n'est dit à propos d'un régime de réglementation légiféré en vigueur. Les chapitres de l'Accord qui se rapportent à ces institutions nouvellement créées sont indépendants. Il existe donc des dispositions plus détaillées au sujet des pouvoirs de ces organismes, y compris une mention explicite de l'agrément du ministre.


[26]            Comme il existait déjà, dans le cadre de la LEIN, un régime réglementaire pratique pour la gestion des ressources en eau, il était inutile d'inclure dans l'Accord des dispositions précises pour l'OEN, sauf si ces dernières différaient de la structure de la LEIN, une position qui se justifie en examinant ce qui manque au chapitre 13. Par exemple, à part les quelques dispositions que l'on trouve à la partie 7, le chapitre 13 ne traite pas des rouages du processus d'agrément ou des mesures d'exécution. Pour prendre connaissance des détails du régime réglementaire, il faut consulter la LEIN. Ce qu'il y a d'important en l'espèce, c'est que le régime réglementaire prévu par la LEIN comportait, au paragraphe 11.1, une exigence concernant l'agrément du ministre; l'Accord n'a pas changé cette exigence. En fait, au chapitre 13, je m'attendrais seulement à ce que l'on fasse état de l'agrément ministériel s'il était nécessaire de l'éliminer ou de le modifier. Je suis d'avis qu'en l'absence de toute mention explicite, l'exigence a été maintenue. Selon moi, les dispositions explicites qui se rapportent à la CEN, au CGRFN et à la CNER ne sont pas utiles à la position de la demanderesse.

L'un des objectifs de l'Accord est de veiller à ce que les Inuits jouent un rôle efficace

[27]            La demanderesse soutient en outre qu'il ne faudrait pas voir dans l'Accord une obligation d'obtenir l'agrément du ministre là où les parties ne l'ont pas expressément prévue. Selon le préambule de l'Accord, l'un des objets de ce dernier est de garantir aux Inuits un rôle efficace sur le plan décisionnel. On accomplit cet objet en imposant des limites précises au pouvoir qu'a le ministre d'intervenir dans le régime réglementaire établi par l'Accord, ainsi qu'en prescrivant que l'Accord a préséance sur n'importe quelle autre loi. Selon la demanderesse, il serait incompatible avec cet objet de laisser entendre que le ministre a le pouvoir de rejeter les décisions de l'OEN.


[28]            Cependant, l'OEN est aussi une institution gouvernementale qui prend des décisions ayant une incidence sur les Inuits et les non-Inuits qui résident sur le territoire du Nunavut ou à l'extérieur de ce dernier (Accord, art. 13.2.1). L'obtention de l'agrément du ministre est une mesure tout à fait compatible avec le vaste impact public de l'OEN, ainsi qu'avec la responsabilité constante du gouvernement fédéral à l'égard des ressources en eau du Nord. En outre, le simple fait que le ministre soit tenu d'approuver certains permis d'utilisation de l'eau ne fait pas disparaître les droits qu'ont les Inuits - ou n'en prive pas ces derniers - de prendre part aux décisions de l'OEN. Même s'il est nécessaire d'obtenir l'agrément du ministre, l'Accord dispose que les Inuits joueront un rôle important dans la gestion des ressources en eau en participant à la composition de l'OEN.

L'obligation d'obtenir l'agrément du ministre mène à une incompatibilité ou à une contradiction

[29]            Les parties conviennent qu'à l'époque où l'OEN a approuvé le permis, la LEIN s'appliquait en tant que loi d'application générale au sein du Nunavut, sauf dans les cas où elle était incompatible ou entrait en conflit avec l'Accord. Dans de tels cas, les dispositions de l'Accord auraient préséance (Accord, art. 2.12.2; LARTN, art. 6; Loi sur les eaux du Nunavut, art. 3). En particulier, l'article 2.12.2 de l'Accord prescrit ce qui suit :

Les dispositions de l'Accord l'emportent sur les dispositions incompatibles des règles de droit fédérales, territoriales ou locales.

[30]            Cependant, les parties ont un point de vue différent pour ce qui est de savoir si l'Accord est incompatible ou non avec la LETNO. La demanderesse fait valoir que le fait d'y inclure une obligation d'obtenir l'agrément du ministre mène à une incompatibilité ou à un conflit.

[31]            Selon l'article 2.12.4 de l'Accord, les termes « incompatibilité » et « conflit » « doivent être interprétés en regard de la Loi d'interprétation et des règles de la common law applicables à l'interprétation des lois et des documents » . Les deux parties ont convenu que la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-23, ne s'applique pas dans les circonstances de l'espèce.


[32]            Dans l'arrêt B.C. Telephone Co. c. Shaw Cable Systems Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739, la Cour suprême du Canada a résumé, au paragraphe 52, la jurisprudence concernant l'incompatibilité qui peut exister entre diverses dispositions législatives :

Il existe un principe fondamental de rationalité qui doit être appliqué dans l'interprétation de la législation. Dans Alberta Power Ltd. c.Alberta (Public Utilities Board) (1990), 72 Alta. L.R. (2d) 129, à la p. 144, la Cour d'appel de l'Alberta a appelé ce principe fondamental la « présomption de cohérence législative » :

[Traduction]Nul doute qu'il existe une présomption de cohérence législative; il faut éviter l'interprétation qui favorise une contradiction ou incompatibilité entre certaines dispositions de différentes lois : Driedger, Construction of Statutes, 2nd ed. (1983), à la p. 66; Côté, Interprétation des lois (1984), aux pp. 293 et 298. Par contre, il ne suffit pas que les deux lois traitent « de façon quelque peu différente » du même objet; des dispositions sont incompatibles si elles ne peuvent pas coexister : Toronto Ry. c Paget (1909), [42] R.C.S. 488, à la p. 499, le juge Anglin; Ottawa c. Eastview, [[1941] R.C.S. 448, à la p. 462].

Ainsi, lorsqu'une législature adopte deux lois dont les dispositions paraissent entrer en conflit opérationnel (c'est-à-dire que le respect de l'une emporte violation de l'autre), les tribunaux tenteront d'interpréter les lois de façon à éliminer le conflit opérationnel.

[33]            Par conséquent, les dispositions de l'Accord qui ont trait à la délivrance de permis d'utilisation des eaux doivent être examinées de pair avec les dispositions législatives qui requièrent l'agrément du ministre afin de déterminer si ces dispositions peuvent coexister.


[34]            Le présent examen porte principalement sur l'article 13.7.1 de l'Accord, qui prescrit que l'OEN doit autoriser toute utilisation de l'eau ou tout dépôt de déchets dans des eaux, sauf s'il s'agit d'un usage domestique ou d'une utilisation en cas d'urgence. Existe-t-il, entre cette disposition et celle de la LEIN, ou de la loi qui lui a succédé, un conflit opérationnel qui requiert l'agrément du ministre? Selon moi, il n'en existe pas; il peut être donné effet aux deux dispositions.

[35]            L'obligation d'obtenir l'agrément de plus d'un palier de gouvernement n'est pas un cas rare et ne crée pas forcément une incompatibilité (Canada c. Williams, [1944] R.C.S. 226). En l'espèce, l'obligation qu'a l'OEN d'approuver l'utilisation des eaux n'exclut pas le pouvoir qu'a le ministre, en vertu d'une loi fédérale valide, d'agréer le permis relatif à cette utilisation. Autrement dit, le fait de se conformer à la loi fédérale n'oblige pas à enfreindre l'Accord et, par ricochet, le fait de se conformer à l'Accord n'oblige pas à enfreindre la loi fédérale. Par conséquent, les dispositions peuvent coexister et il n'est pas nécessaire de recourir au principe de la primauté dont il est question dans l'Accord ainsi que dans la loi applicable.

[36]            À l'appui de ses arguments, la demanderesse s'est fondée sur l'arrêt R. c. Melford Developments Inc. [1982] 2 R.C.S. 504, dont le sujet était l'Accord Canada-Allemagne en matière d'impôts, qui avait été codifié, de la même façon que l'Accord en l'espèce, par la Loi de 1956 sur l'Accord Canada-Allemagne en matière d'impôts, 1956 (Can.), ch. 33. Cette loi comportait (en anglais) une disposition quasi identique à l'article 2.12.2 de l'Accord :

[traduction]

3.             Les dispositions de la présente Loi, ou de l'Accord, l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi.

[37]            Après l'entrée en vigueur de l'Accord Canada-Allemagne, le Canada a promulgué des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1952), ch. 148, qui visaient à modifier le traitement fiscal des commissions de garantie payables par un non-résident. L'Accord Canada-Allemagne prévoyait que ces commissions ne seraient pas imposables au Canada. La Cour suprême du Canada a décrété que l'Accord Canada-Allemagne avait préséance sur la Loi de l'impôt sur le revenu et ses modificatifs et que, de ce fait, il empêchait que l'on applique ces modifications aux commissions de garantie. La demanderesse fait valoir que cette situation est directement analogue à l'obligation, que fait valoir le défendeur, d'obtenir l'agrément du ministre.

[38]            À mon sens, l'arrêt Melford, précité, peut être distingué de la présente espèce. Une différence en particulier est que dans cet arrêt, pour ce qui était des commissions de garantie, l'Accord Canada-Allemagne n'était pas fondé sur une loi sous-jacente. L'Accord et sa loi n'avaient pas besoin que l'on y intègre une loi fiscale antérieure. Ce n'est pas le cas en l'espèce. En outre, il y avait une nette contradiction entre l'Accord Canada-Allemagne et les modifications apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu, relativement au traitement fiscal des commissions de garantie. Il était impossible que les deux dispositions coexistent : selon l'Accord Canada-Allemagne, les commissions n'étaient pas imposables, tandis qu'en raison des modifications à la Loi, elles devaient faire l'objet d'une retenue d'impôt. De ce fait, l'arrêt Melford, précité, bien qu'il ait quelques points en commun avec l'affaire dont je suis saisie, ne s'applique pas.

[39]            Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l'obligation d'obtenir l'agrément du ministre donne lieu à une incompatibilité ou à une contradiction quelconque entre les dispositions de l'Accord et celles de la loi applicable.

Conclusion

[40]            En conclusion, une analyse des dispositions législatives et du droit applicable n'étayent pas une interprétation de l'Accord qui mènerait à l'élimination de l'agrément du ministre. Par conséquent, ce dernier est légalement habilité à ne pas approuver le permis qu'a délivré l'OEN.

ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.         La présente demande est rejetée. Conformément au pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré, je refuse d'adjuger des dépens.


                   « Judith Snider »

ligne

                          JUGE


Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030526

Dossier : T-1628-01

ENTRE :

NUNAVUT TUNNGAVIK INC.

et la MUNICIPALITÉ D'IQALUIT                                       

demanderesses

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA                                                             défendeur

                                                                                                          

MOTIFS D'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                          


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1628-01

INTITULÉ :                                        NUNAVUT TUNNGAVIK INC. et LE PROCUREUR GÉNÉRAL ET AUTRE

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 13 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MADAME LE JUGE SNIDER

DATE :                                                  LE 26 MAI 2003

COMPARUTIONS :

DOUGALD E. BROWN                                                              POUR LA DEMANDERESSE

JOHN S. TYHURST                                                                     POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LYNN MARCHILDON                                                              POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O'BRIEN PAYNE LLP

OTTAWA (ONTARIO)                                                               POUR LA DEMANDERESSE

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LE DÉFENDEUR, LE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                                 PROCUREUR GÉNÉRAL DU

MINISTÈRE DE LA JUSTICE                                                    CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

MILLER THOMSON LLP                                                           POUR LA DÉFENDERESSE, LA

MARKHAM (ONTARIO)                                                           MUNICIPALITÉ D'IQALUIT


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