Date : 19990922
Dossier : T-98-98
ENTRE :
Z.I. POMPEY INDUSTRIE, SOCIÉTÉ LYONNAISE
DE MESSAGERIES NATIONALES, JOHN S. JAMES CO.,
POLYFIBRON TECHNOLOGIES INC., ELLEHAMMER
PACKAGING INC., et AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT
SUR LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU M.V.
" CANMAR FORTUNE "
demanderesses
et
ECU-LINE N.V., CANADA MARITIME LTD.,
ANGLO-EASTERN SHIP MANAGEMENT LTD.,
LES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS DU NAVIRE
" CANMAR FORTUNE " et LE NAVIRE
" CANMAR FORTUNE "
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
M. JOHN A. HARGRAVE
PROTONOTAIRE
[1] Les présents motifs font suite à une requête en suspension d'une action en dommages-intérêts concernant une machine à développer les photos très perfectionnée, transportée d'Anvers (Belgique) à Seattle (Washington). La suspension s'opérerait au profit d'Anvers, où serait jugée l'affaire. La compétence des tribunaux d'Anvers est invoquée en raison d'une clause du connaissement port à port consigné sur un formulaire de la ECU-Line délivré le 23 janvier 1997 à Lyon (France) par ECU-Line France, une division du transporteur ECU-Line N.V. d'Anvers. Parmi les demanderesses figurent le propriétaire et le destinataire de la machine à développer les photos. La marchandise des demanderesses, emballée dans deux caisses, est arrivée endommagée à Seattle (Washington). Les dégâts s'élevaient à quelque 60 000 $.
ANALYSE
Suspension des procédures : " L'Eleftheria "
[2] Si se posait uniquement la question de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par le recours à la décision " The Eleftheria ", [1969] 1 Lloyd's 237, reprise par la Cour, notamment dans les affaires Le Hoegh Merchant , [1982] 1 C.F. 248 (1re inst.), Le Seapearl (1982), 43 N.R. 517 (C.A.F.), et Mountainbell Co. Ltd. et autres c. W.T.C. Air Freight (H.K.) Ltd. et autres (1988), 20 F.T.R. 57 (1re inst.), la prépondérance des inconvénients serait légèrement en faveur de la suspension afin de donner effet à la clause prévoyant la compétence des tribunaux d'Anvers. Le principe retenu dans la décision L'Eleftheria, est exposé à la page 242 :
[traduction] |
Les principes établis par la jurisprudence peuvent, à mon avis, être résumés de la manière suivante : (1) Lorsque les demandeurs intentent des poursuites en Angleterre, en rupture d'une entente selon laquelle les différends seraient renvoyés à un tribunal étranger, et lorsque les défendeurs demandent une suspension des procédures, le tribunal anglais, à supposer que la réclamation relève autrement de sa compétence, n'est pas tenu d'accorder une suspension des procédures, mais a le pouvoir discrétionnaire de le faire. (2) Le pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension des procédures devrait être exercé à moins qu'on ne démontre qu'il existe des motifs sérieux pour ne pas le faire. (3) La charge de la preuve en ce qui concerne ces motifs sérieux incombe aux demandeurs. (4) En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devrait prendre en considération toutes les circonstances de l'affaire en cause. (5) Notamment, mais sans préjudice du (4), les questions suivantes, s'il y a lieu, devraient être examinées : a) Dans quel pays peut-on trouver, ou se procurer facilement la preuve relative aux questions de fait, et quelles conséquences peut-on en tirer sur les avantages et les coûts comparés du procès devant les tribunaux anglais et les tribunaux étrangers? b) Le droit du tribunal étranger est-il applicable et, si c'est le cas, diffère-t-il du droit anglais sur des points importants? c) Avec quel pays chaque partie a-t-elle des liens, et de quelle nature sont-ils? d) Les défendeurs souhaitent-ils vraiment porter le litige devant un tribunal étranger ou prennent-ils seulement avantage des procédures? e) Les demandeurs subiraient-ils un préjudice s'ils devaient intenter une action devant un tribunal étranger (i) parce qu'ils seraient privés de garantie à l'égard de leur réclamation; (ii) parce qu'ils seraient incapables de faire appliquer tout jugement obtenu; (iii) parce qu'il y aurait une prescription non applicable en Angleterre; ou (iv) parce que, pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres, ils ne seraient pas en mesure d'obtenir un jugement équitable. |
[3] En l'espèce, ECU-Line a sollicité une suspension, non pas avec la plus grande diligence mais dans des délais raisonnables compte tenu de trois facteurs. D'abord, certaines des procédures ont été entamées avant l'entrée en vigueur des nouvelles Règles de la Cour fédérale, ou dans les premiers temps de leur application, peut-être, donc, avant que les professionnels n'aient compris toute l'importance que revêt, dans le cadre des Règles, la brièveté des délais et le besoin de solliciter une suspension le plus rapidement possible. Deuxièmement, les demanderesses et ECU-Line ont tenté, avant d'adresser à la Cour la présente requête, de s'entendre à l'amiable sur la question de la compétence. Troisièmement, la défense de ECU-Line fait spécifiquement état de la clause de compétence et invoque le droit à une suspension. Ces facteurs, en particulier la diligence avec laquelle les parties ont été avisées de l'intention de solliciter une suspension et le fait que la clause de compétence était invoquée dans la défense même, permettent de distinguer la présente affaire de l'affaire Trans-Continental Textile Recycling Ltd. c. Flairius Enterprises S.A. et autres (1996), 106 F.T.R. 278, la Cour ayant dans celle-ci décidé que sa compétence avait été reconnue par la défenderesse du fait même que celle-ci avait déposé une défense et trop attendu avant de solliciter une suspension.
[4] En ce qui concerne les considérations soulevées dans l'affaire L'Eleftheria, je conçois fort bien que ECU-Line préfère plaider dans un ressort judiciaire qu'elle connaît bien et que, si elle invoque la compétence des tribunaux d'Anvers, ce n'est pas uniquement pour en tirer un avantage procédural. Parmi les autres facteurs favorisant l'application de la clause de compétence, relevons que l'accès à la Belgique est plus aisé aussi bien pour les témoins belges que pour les témoins français, qu'il y a eu renonciation à la prescription qui aurait pu éventuellement être invoquée afin d'empêcher les demanderesses de porter l'affaire devant les tribunaux d'Anvers, qu'aucun dépôt de cautionnement n'a été effectué et que l'exécution du jugement éventuellement rendu par les tribunaux belges à l'encontre du transporteur, société de droit belge, ne devrait présenter aucune difficulté particulière.
[5] Je reconnais que, du point de vue des demanderesses, il y a lieu de songer aux témoins canadiens et américains, y compris aux témoins représentant la société américaine de transport de la côte est, par l'intermédiaire de laquelle la demanderesse, Polyfibron Technologies Inc., avait organisé le transport. Il convient de préciser que, devant le Tribunal du commerce d'Anvers, appelé à se prononcer en cette affaire en vertu de la clause de compétence, les procédures se déroulent en flamand, les affaires étant tranchées sur pièces au vu de documents et de dépositions, procédure écrite qui exclut les auditions de témoins et les contre-interrogatoires. Il se peut également que, dans la plupart des cas, la procédure prenne beaucoup plus de temps qu'une procédure en Cour fédérale, cela étant particulièrement vrai en cas d'appel. Il y a également un certain nombre de facteurs de moindre importance qui militent en faveur d'un procès à Vancouver. Ces facteurs ont, globalement, un certain poids mais ne constituent pas, en l'espèce, ces motifs sérieux que, selon la décision The Eleftheria, les demanderesses auraient à invoquer afin d'écarter la clause de compétence. La question n'en est pas réglée pour autant, car les demanderesses, à l'aide de solides arguments, font valoir que le contrat entre elles et ECU-Line N.V. a pris fin à Montréal et que la clause de compétence ne saurait, par conséquent, s'appliquer.
Déroutement ou violation d'une clause
[6] Pour les demanderesses, le trajet adopté par le transporteur, qui ne correspondait pas à un transport maritime de port à port, c'est-à-dire non pas d'Anvers à Seattle, mais d'Anvers à Montréal, puis jusqu'à Seattle par chemin de fer, constituait un déroutement ou une violation d'une clause essentielle au contrat, qui aurait pour effet d'empêcher ECU-Line L.V. d'invoquer les clauses du connaissement. C'est dire que le contrat de transport, dont atteste le connaissement, a pris fin lorsque le conteneur chargé de l'équipement appartenant aux demanderesses a été déchargé au port de Montréal, ECU-Line assumant par la suite les responsabilités d'un simple transporteur ou dépositaire à titre onéreux pour ce qui est du transport entre Montréal et Seattle. Le transport entre Montréal et Seattle ne relèverait ainsi pas de la clause de compétence inscrite au connaissement.
[7] Je me méfie un peu de la théorie de la violation d'une clause essentielle. Elle facilite parfois le cours de la justice, mais elle semble à tout le moins ne plus avoir la faveur dans certaines juridictions. Cela dit, je suis disposé à admettre l'opinion de M. Tetley qui, dans la troisième édition de son ouvrage Marine Cargo Claims, (Blais International Shipping Publications, Montréal, 1988), affirme que toute violation grave d'un contrat de transport, si elle résulte d'un acte accompli de propos délibéré, permet la remise en question des clauses d'exclusion ou de limitation d'un contrat (page 99) et je reviendrai d'ailleurs un peu plus loin sur cela. Je note en passant que le connaissement comprend une clause de déroutement qui complique la thèse des demanderesses, sans pour autant lui porter un coup fatal. Mais, avant d'examiner les faits sur lesquels se fondent les demanderesses, il convient d'aborder une question préliminaire soulevée par ECU-Line.
[8] ECU-Line estime que la Cour ne devrait pas examiner la question de la violation d'une clause essentielle ou du déroutement, car il s'agit là de questions de fait qui devront être tranchées au fond par le juge du procès. La réponse à cet argument n'a rien de complexe. L'injonction provisoire obtenue dans le cadre d'une demande interlocutoire, laquelle exige que l'on s'interroge sur la solidité des arguments invoqués, sur le préjudice subi et sur la prépondérance des inconvénients, est comparable au rejet d'une requête en suspension en raison de la solidité des arguments invoqués par les demandeurs pour faire valoir que la clause de compétence ne s'applique pas en l'occurrence. L'injonction provisoire ne gêne en rien le juge du procès, pas plus que ne le ferait le rejet d'une requête en suspension au motif que la clause de compétence ne saurait vraisemblablement être invoquée. Tout préjudice que causerait à ECU-Line le fait d'avoir à défendre une action intentée au Canada pourrait être compensé lors de l'adjudication des dépens.
[9] Parmi les faits sur lesquels se fondent les demanderesses pour faire valoir l'existence d'un déroutement ou d'une violation d'une clause essentielle, citons d'abord la nature de l'équipement photographique des demanderesses. Cet équipement, paraît-il, était très sensible aux secousses et aux heurts : l'équipement était trop fragile pour être expédié par chemin de fer. C'est pour cela que le transport entre la France et Seattle devait se faire par des moyens autres que ferroviaires. D'ailleurs, lorsque la demanderesse s'est entendue avec le transitaire américain de la côte est, John S. James, pour assurer le transport, ce qui a primé c'est le fait que ce transport devait s'effectuer par voie maritime. John S. James en avait explicitement convenu avec le transitaire français, S.L.M.N. Shipping, par télécopie en date du 10 janvier 1997 :
[traduction]
Prière d'acheminer cette cargaison au port de Tacoma ou de Seattle (Washington) et de télécopier les documents. Acheminer par voie maritime exclusivement; il s'agit d'une cargaison fragile qui ne peut pas être expédiée par chemin de fer. |
[10] S.L.M.N. Shipping a confirmé, par télécopie en date 13 décembre 1997, les arrangements de transport qui prévoyaient Anvers comme port de chargement et Seattle (Washington) comme port de déchargement, confirmant que :
[traduction]
À la demande de Marta Taylor [de John S. James], la cargaison sera expédiée à Seattle par voie maritime. (souligné dans la télécopie originale) |
S.L.M.N. Shipping a confirmé, par une note en date du 16 janvier 1997, que la cargaison serait chargée à Anvers et déchargée à Seattle. Le connaissement port à port de ECU-Line prévoit explicitement que la cargaison serait déchargée à Seattle. La case figurant au connaissement et pouvant éventuellement servir à indiquer le lieu où la cargaison pourrait être livrée par un transporteur de continuation n'a pas été remplie. Cela confirme, sans nul doute, que le transport devait s'effectuer par voie maritime.
[11] Il semble que, lorsque les demanderesses ont appris que ECU-Line avait décidé de décharger la cargaison à Montréal et d'effectuer le reste du trajet par des moyens terrestres non précisés, il était trop tard pour empêcher le transport par chemin de fer que les demanderesses avaient, justement, tout fait pour éviter. Voyons maintenant les règles de droit applicables en pareil cas.
[12] Dans la troisième édition de son ouvrage Marine Cargo Claims (précité), M. Tetley aborde le problème au chapitre 5 qui traite de la violation d'une clause essentielle, du quasi-déroutement et de la rupture de contrat en les termes suivants :
[traduction]
Lorsqu'il y a violation ou non-exécution d'un contrat de transport maritime, le transporteur défaillant doit indemniser l'expéditeur ou le destinataire pour les dégâts subis, conformément aux conditions du contrat, aux règles de droit civil ou de common law applicables ou aux conventions internationales régissant le domaine -- La Haye, les Règles de Visby ou de Hambourg ou encore la Convention multimodale. |
Cependant, lorsqu'il s'agit d'une violation grave des clauses du contrat, résultant généralement d'une manoeuvre frauduleuse ou d'une intention délibérée, les tribunaux se sont demandés si le transporteur pouvait effectivement invoquer les clauses du contrat ou les règles de droit applicables et, plus précisément, si le transporteur pouvait invoquer les clauses d'exonération ou de limitation contenues dans le contrat et les règles de droit applicables, étant donné qu'il s'est lui-même, par son action, placé hors du contrat et des règles de droit applicables. Une telle violation est appelée violation d'une clause essentielle dans les juridictions de common law du Commonwealth, déroutement ou quasi-déroutement important aux États-Unis et rupture de contrat dans les juridictions de droit civil. |
Le problème se complique du fait qu'en matière de transport de marchandises par eau, le principe du déroutement géographique est reconnu depuis longtemps et les conventions internationales sur le transport de marchandises contiennent des dispositions concernant les violations de clauses essentielles. La notion de violation d'une clause essentielle ne s'accorde d'ailleurs pas très bien avec les principes traditionnels de droit civil ou de common law. (Page 99) |
[13] La clause paramount du connaissement, qui établit le droit applicable, est formulée de manière assez tortueuse. Cependant, si le contrat avait été correctement exécuté, et le transport effectué d'Anvers à Seattle (Washington), c'est probablement l'American Carriage of Goods By Sea Act qui se serait appliquée. Je ne pense pas, cependant, que l'application des règles de droit civil ou de common law modifierait de quelque façon le résultat de la violation ou du déroutement dont il est question en l'espèce. L'American Carriage of Goods by Sea Act reprend pour l'essentiel les Règles de La Haye en y ajoutant certaines dispositions propres aux États-Unis, ce qui se comprend fort bien car, pour commercer avec les autres nations, les États-Unis ont principalement recours à des navires étrangers. M. Tetley relève, à la page 9 de son ouvrage Marine Cargo Claims (précité), l'existence d'une présomption en vertu de laquelle tout déroutement déraisonnable constitue une violation aussi bien des Règles de La Haye que du contrat dont atteste le connaissement, cela pouvant avoir plusieurs effets, dont celui d'empêcher tout recours aux clauses de limitation ou d'exonération inscrites au contrat. Dans de telles circonstances, le transporteur devient en fait assureur (Tetley, ibid, page 112).
[14] J'ai déjà dit que le déroutement doit être intentionnel. En l'espèce, l'intention est manifeste, le déroutement étant dans l'intérêt même du transporteur; il s'agit par conséquent d'un déroutement déraisonnable. Selon la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, dans son arrêt Thiess Bros. Ltd. v. Australian Steamship Ltd. [1955] 1 Lloyd's 459, un déroutement géographique délibéré entraîne l'abrogation du contrat.
[15] L'avocat de la demanderesse se fonde, lui, sur l'arrêt Captain v. Far-Eastern Steamship Co. [1979] 1 Lloyd's 595, un jugement de la Cour suprême de Colombie-Britannique. Dans cette affaire, la marchandise devait être acheminée à fond de cale, d'Inde à Vancouver. Mais, au lieu d'effectuer un trajet direct, l'armateur avait déchargé la cargaison à Singapour, la laissant sous la pluie, ce qui l'a avariée, puis la transbordant pour, enfin, l'acheminer à Vancouver. Dans l'affaire Captain, la cour a estimé que l'application des Règles de La Haye était suspendue pendant toute la période où les marchandises se trouvaient sur le quai à Singapour, et cela en raison d'une violation d'une clause essentielle. À supposer que la décision Captain soit applicable en l'espèce, le contrat dont atteste le connaissement port à port émis par ECU-Line, aurait pris fin à Montréal. Cela pourrait même vouloir dire que le Tribunal de commerce d'Anvers n'aurait aucune compétence pour entendre la présente affaire.
CONCLUSION
[16] ECU-Line affirme ne pas avoir su que le matériel de développement photographique risquerait d'être endommagé au cours d'un transport ferroviaire. Il est assez notoire que le transport ferroviaire est parfois, sinon toujours, synonyme de vibrations, de heurts et de secousses. Cela est particulièrement vrai au cours des manoeuvres où les heurts du transport sont parfois aggravés du fait que, dans certaines gares de triage, on déplace les wagons en les faisant dévaler des plans inclinés. Mais dans un cas de déroutement, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la fragilité de la cargaison, car la seule chose qui importe alors est le caractère intentionnel du déroutement. En l'occurrence, il est clair que le déroutement ordonné par ECU-Line était volontaire.
[17] Les demanderesses estiment avoir eu de bonnes raisons d'exiger un transport par voie maritime. Au départ, ECU-Line s'est montrée coopérative puisqu'elle a émis un connaissement port à port prévoyant le transport de la cargaison d'Anvers (Belgique) à Seattle (Washington).
[18] Le résultat aurait peut-être été différent si ECU-Line avait émis un connaissement direct ou si elle avait fait savoir, en remplissant les cases se trouvant au recto du connaissement émis par elle, qu'il pourrait y avoir recours à un transport de continuation. D'ailleurs, la clause 12 du connaissement, c'est-à-dire la clause concernant le déroutement, autorisait peut-être ECU-Line à effectuer un transbordement maritime. Mais, n'ayant pris aucune des mesures évoquées, ECU-Line ne saurait se plaindre de ce que ce fait lui interdit maintenant d'invoquer les clauses non-responsabilité ou les clauses attributives de compétence, ou d'autres dispositions encore, le contrat dont atteste le connaissement ayant pris fin à Montréal. Il convient ici de parler brièvement de la clause de déroutement inscrite au connaissement, en l'occurrence la clause 12. Il s'agit d'une clause de portée générale qui, selon une interprétation large mais non déraisonnable, permet de recourir à tout mode de transport raisonnable. Ajoutons que les Règles de La Haye autorisent, elles aussi, les déroutements géographiques raisonnables. Ainsi que Tetley (précité) le fait remarquer :
[traduction]
Nous savons, par l'article 4, que " aucun déroutement raisonnable ne sera considéré comme une infraction aux présentes règles ou au contrat de transport ". Il faut donc supposer, à l'inverse, qu'un déroutement déraisonnable constitue bien une violation à la fois de la convention et du contrat. (Page 109) |
et, en cas de déroutement déraisonnable, telle qu'en l'espèce, le transporteur perd notamment toute possibilité d'invoquer à son avantage les clauses du contrat (Tetley, loc. cit.).
[19] Étant donné qu'il n'y avait plus de contrat vers la fin de janvier 1997, époque à laquelle la cargaison des demanderesses a été déchargée à Montréal, ECU-Line ne saurait se prévaloir d'une clause attributive de compétence. La requête en suspension pour cause de compétence des tribunaux d'Anvers est donc rejetée.
(signature) John A. Hargrave
Protonotaire
Le 22 septembre 1999
Vancouver (Colombie-Britannique)
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, B.A., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-98-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : Z.I. Pompey Industrie, et autres
c.
ECU-LINE N.V., et autres
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 7 décembre 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE,
DATE : Le 22 septembre 1999
ONT COMPARU
M. Jean-François Bilodeau pour les demanderesses |
M. Peter Swanson pour les défendeurs |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sproule, Castonguay
Montréal (Québec) pour les demanderesses |
Campney & Murphy
Vancouver (C.-B.) pour les défendeurs |