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                                                                                                                         IMM-4654-96

                                                                                                                         IMM-4871-96

 

 

Entre :

 

                                            CHIH-MEI LEE, YU-SUNG WU,

                                       CHIEH-YING WU et CHIEH-LIN WU,

 

                                                                                                                               requérants,

 

                                                                    - et -

 

 

                          LE CANADA (MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                  DE L'IMMIGRATION) et LE COMMISSARIAT DU CANADA

                                                         À HONG KONG,

 

                                                                                                                                    intimés.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge MULDOON

 

 

            Par requêtes introduites le 15 janvier 1997, l'intimé conclut au rejet de la demande de contrôle judiciaire des requérants par ce motif qu'elle ne présente plus aucune valeur pratique, ainsi qu'à la prorogation du délai de dépôt et de signification de ses affidavits, et à la prorogation en conséquence du délai de dépôt et de signification de son dossier et de celui des requérants.  Par ordonnance en date du 22 janvier 1997, le juge Dubé a ajourné au 10 février 1997 l'audition des requêtes des intimés en rejet de la demande de contrôle judiciaire des requérants, et a fixé un échéancier pour le dépôt des documents susmentionnés.  Les intimés ne présenteront des arguments que sur la question du rejet pour défaut de valeur pratique; la Cour ne se prononcera donc pas à cette occasion sur la question de la prorogation des délais.  Les autres éléments sont prêts de façon équitable pour les intimés, conformément à l'ordonnance du juge Dubé.

 

            Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers no IMM-4871-96 et IMM‑4654-96 attaquent l'une et l'autre les actions du commissariat du Canada à Hong Kong, mais par des motifs formulés de façon légèrement différente.  Dans le dossier no IMM-4871-96, les requérants attaquent spécifiquement la décision qui leur était communiquée le 28 mars 1996 et par laquelle un agent des visas en service au commissariat du Canada à Hong Kong a révoqué leurs visas d'immigrant et les fiches relatives au droit d'établissement (qui leur avaient été délivrés le 23 janvier 1996).  Le litige dans l'autre dossier, no IMM-4654-96, porte sur le retard mis à leur délivrer d'autres visas d'immigrant et fiches relatives au droit d'établissement, et non sur la révocation de leurs visas d'immigrant précédemment délivrés.

 

            Dans le dossier no IMM-4871-96, les requérants concluent à ce qui suit :

 

a)ordonnance de certiorari pour annuler la décision de l'agent des visas qui révoquait les visas d'immigrant et les fiches relatives au droit d'établissement,

 

b)ordonnance de mandamus pour ordonner aux agents des visas en service au commissariat du Canada à Hong Kong de délivrer immédiatement aux requérants un nouveau visa d'immigrant et une nouvelle fiche relative au droit d'établissement,

 

c)jugement déclarant sous le régime de l'article 24 ou de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 que les actions des agents des visas en service au commissariat du Canada à Hong Kong allaient à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

            Dans le dossier no IMM-4654-96, les requérants ne concluent pas à ordonnance de certiorari, mais à ordonnance de mandamus et à jugement déclaratoire de la même manière qu'aux alinéas b) et c) ci-dessus.

 

            Il échet d'examiner si les recours en contrôle judiciaire contre la décision de l'agent des visas de révoquer les visas d'immigrant et les fiches relatives au droit d'établissement des requérants n'ont plus maintenant aucune valeur pratique, puisque des visas d'immigrant leur ont été délivrés le 15 janvier 1997.  À l'audience tenue le 10 février 1997, l'avocat des requérants a reconnu que leur requête en ordonnance de mandamus, mentionnée à l'alinéa b) ci-dessus, n'a plus de valeur pratique.

 

            Selon un message par télécopie du commissariat du Canada à Hong Kong (pièce «A» jointe à l'affidavit de Rebecca Winesanker Hunter), déposé à l'appui de la requête du ministre, des visas d'immigrant ont été délivrés le 15 janvier 1997 au requérant et aux membres de sa famille qui l'accompagnent.  Pour ce qui est des requêtes en certiorari et en mandamus, il est indubitable, ainsi que l'a reconnu l'avocat des requérants, que les recours en contrôle judiciaire n'ont plus maintenant de valeur pratique, puisqu'il qu'il n'y a plus de litige ou différend entre les parties sur ce point (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).  Dans Yarak c. Canada (M.E.I.), (A-18-92, 24 février 1994), la Cour d'appel fédérale a conclu que la délivrance subséquente d'un visa d'immigrant et le renouvellement du droit d'établissement avaient enlevé toute valeur pratique à l'appel pendant devant elle.  Le juge MacGuigan a tiré à ce propos la conclusion suivante :

 

L'intimé demande le rejet sommaire de l'appel au motif qu'il est sans objet puisque, le 12 janvier 1993, un agent d'immigration du Canada a accordé à l'appelante un visa d'immigrant ainsi que le renouvellement de son droit d'établissement, par suite de quoi elle a acquis le droit d'établissement et est devenue résidente permanente du Canada en vertu de la Loi sur l'immigration.  Nous sommes donc unanimes à estimer qu'il n'existe plus de litige.

 

            Normalement, la disparition de la cause sous-jacente du différend entre les parties est un motif suffisant pour rejeter le recours en contrôle judiciaire.  En l'espèce cependant, les requérants ont également conclu à jugement déclaratoire, et il subsiste la question de savoir s'il y a lieu de leur permettre de poursuivre la demande uniquement sous ce chef.

 

            Une fois jugé qu'il n'y a plus de litige entre les parties, la Cour peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre un jugement déclaratoire si les circonstances le justifient.  Dans Cross c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 111 F.T.R. 304, le requérant concluait à jugement déclarant que la décision prise par un agent d'immigration de l'arrêter au Centre de détention préventive de Vancouver, de le transporter à la frontière entre le Canada et les États-Unis puis de le livrer aux autorités américaines, était invalide ou illégale.  En rejetant la demande, le juge Pinard a fait une recension des principes et de la jurisprudence applicables en matière de défaut de valeur pratique et de jugement déclaratoire, en ces termes à partir de la page 306 :

 

L'intimé soutient que le litige soumis à la Cour n'a aucune valeur pratique et n'est pas susceptible de jugement puisque les circonstances découlant de la décision attaquée n'existent plus.  J'en conviens.  Dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, la Cour suprême du Canada a tiré en page 832 la conclusion suivante après avoir examiné les facteurs à prendre en considération pour savoir s'il y avait lieu à jugement déclaratoire :

 

Le premier facteur vise la «réalité du litige».  Il est clair qu'un jugement déclaratoire n'est normalement pas accordé lorsque le litige est passé et est devenu théorique ou lorsque le litige n'est pas encore né ou ne naîtra probablement pas.

 

Par la suite, dans Terrasses Zarolega Inc. c. R.I.O., [1981] 1 R.C.S. 94, pages 106 et 107, elle a encore conclu en ces termes sur la question de savoir quand il y a lieu à jugement déclaratoire :

 

                Enfin, un jugement déclaratoire ne sera pas rendu lorsqu'il aura peu ou pas d'utilité.

 

Dans Cassidy v. Stuart [[1928] 3 D.L.R. 879], le juge Masten écrit à la p. 883 :

 

en principe, la compétence ne sera pas exercée lorsque le jugement déclaratoire serait inutile ou gênant ou lorsqu'il existe d'autres recours prévus par la loi.

 

Et le professeur Smith dans Judicial Review of Administrative Action, 4e éd., London, Stevens & Sons Limited, 1980, à la p. 513 :

 

les tribunaux ont la plus grande discrétion pour décider s'il s'agit d'une affaire où le jugement déclaratoire demandé devrait être accordé

 

Le tribunal doit être convaincu de l'utilité du jugement déclaratoire,

 

Plus récemment, dans R. c. Adams, [1995] 4 R.C.S. 707, page 718, la Cour suprême du Canada a confirmé la méthode d'analyse en deux temps du caractère théorique, qui avait été examinée dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 :

 

L'analyse du caractère théorique comporte deux volets.  Le premier volet consiste à examiner s'il y a encore un litige réel.  Dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la p. 353, notre Cour affirme :

 

La doctrine du caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite.  Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties.

 

Le deuxième volet s'applique s'il ne subsiste aucun litige réel.  La Cour doit alors examiner si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre le pourvoi même si celui-ci est théorique

 

En ce qui concerne la seconde étape de l'analyse de la question de savoir si l'affaire ne présente plus aucune valeur pratique, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Borowski susmentionné, a défini les trois conditions d'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'entendre une cause bien qu'elle ne présente plus aucune valeur pratique : l'existence d'un contexte contradictoire, l'économie des ressources judiciaires, et la nécessité pour la Cour de prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit.  Et de conclure en page 363 :

 

En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l'égard d'un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune des trois raisons d'être de la doctrine du caractère théorique.  Cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un processus mécanique.  Il se peut que les principes examinés ici ne tendent pas tous vers la même conclusion.  L'absence d'un facteur peut prévaloir malgré la présence de l'un ou des deux autres, ou inversement.

 

            Il suffit d'appliquer les critères ci-dessus pour voir que nous ne sommes pas en présence d'un cas où il y a lieu pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre les recours en contrôle judiciaire bien que le litige ne présente plus aucune valeur pratique à la suite de la délivrance des visas d'immigrant en question.  Certes l'allégation que l'agent des visas en service au commissariat du Canada à Hong Kong a fait preuve d'acte discriminatoire à l'égard des requérants en raison de leur origine nationale en violation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, est une allégation grave, mais elle est difficile à prouver à la lumière de ce qui s'est passé subséquemment.  La Cour n'a pas pour rôle de décider des questions purement abstraites et académiques, en particulier lorsqu'il ne sert visiblement à rien de rendre le jugement déclaratoire demandé par les requérants (c'est-à-dire les intimés dans le cadre de la requête en instance).  N'empêche que le 5 février 1997, les requérants ont déposé quatre affidavits à l'appui de leur argument qu'il faut donner suite au recours en contrôle judiciaire.  Trois de ces affidavits émanent d'autres Taïwanais demandeurs de résidence permanente à titre d'immigrants investisseurs, qui prétendent qu'ils ont été eux aussi victimes d'actes discriminatoires de la part d'agents en service au commissariat du Canada à Hong Kong.  Et que bien qu'ils remplissent toutes les conditions nécessaires, les agents d'immigration ont été excessivement lents à instruire leur demande de résidence permanente et n'ont pas accédé à leur demande de restitution de l'original des documents produits.  Le quatrième affidavit émane de Hsia-Cheng (David) Yu, président de l'Association de protection des émigrants taïwanais (Apet), qui soutient qu'il ne faut pas permettre à l'administration canadienne d'échapper à la responsabilité de ses actes discriminatoires du seul fait qu'elle a délivré de nouveaux visas dans ce cas d'espèce.  À son avis, le recours en contrôle judiciaire est la seule voie de droit efficace contre la politique d'immigration du Canada, qu'il dit discriminatoire à l'égard des citoyens de Taïwan.  Pour prévenir une multitude de recours judiciaires coûteux, l'Apet estime qu'il y a lieu de donner suite au recours en contrôle judiciaire en instance afin que l'affaire puisse être jugée au fond.  On ne voit pas de quelle responsabilité il s'agit.  Il est constant que personne n'a le droit d'entrer au Canada sans la permission de la Couronne (c'est-à-dire du pouvoir exécutif).

 

            Selon l'avocat des requérants, le gouvernement invoque une certaine fréquence de faux documents produits par des conseillers en immigration de Taïwan pour le compte de candidats immigrants de ce pays.  Cette allégation est avérée, et l'administration reconnaît qu'elle examine plus minutieusement les documents produits à l'appui des demandes d'immigration émanant de Taïwan.  L'Apet et l'avocat des requérants se plaignent l'un et l'autre d'examen excessif, mais ne peuvent guère prouver, si preuve il y a, que la façon dont les fonctionnaires responsables canadiens appliquent la loi du Canada soit excessive.  Cependant, la Cour accepte que l'allégation d'examen «plus minutieux» (ou renforcé) est avérée dans ce contexte.

 

            Tout cela n'est cependant d'aucun secours pour les requérants.  Leur avocat se méprend sur le but des voies de droit ouvertes aux justiciables.  Si, comme il le prétend, les requérants ont été, avant le 15 janvier 1997, victimes d'un traitement inique de la part d'agents d'immigration canadiens dans l'exercice de leurs fonctions, la voie de droit ouverte est une action en dommages-intérêts, et non en jugement déclaratoire au bénéfice de l'Apet.  Ils n'ont pas qualité pour intenter une action en jugement déclaratoire au regard de la Charte en qualité de partisans de l'Apet.  La Charte ne s'applique pas à l'extérieur du Canada de façon à permettre à l'Apet de tenter d'ouvrir une brèche dans la barrière frontalière du Canada, et l'argument proposé par l'avocat des requérants qu'elle pourrait intenter une multitude d'actions en jugement déclaratoire n'est pas bien solide.  L'observation de la loi canadienne est tout ce qu'ils doivent faire, ni plus ni moins.

 

            Les membres de l'Apet qui ne trouvent pas à leur goût la politique de l'examen plus minutieux n'ont pas qualité pour invoquer la Charte; v. Singh et al. c. M.E.I., [1985] 1 R.C.S. 177, pages 201 et 202, jugement de Mme le juge Wilson; pour le défaut de qualité, v. Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534, page 563, où la Déclaration canadienne des droits a été invoquée dans une affaire d'immigration.  Ceux qui ne sont pas citoyens et qui se trouvent à l'extérieur du Canada ne peuvent invoquer la Charte comme les requérants pensent le faire en l'espèce.  On peut trouver une illustration du même principe dans Ruparel c. M.E.I. et Secrétaire d'État, [1990] 3 C.F. 615.

 

            Malgré l'argument des requérants qu'il s'agit en l'espèce d'un cas appelé à faire jurisprudence, l'absence d'un contexte antagonique et le principe d'économie des ressources judiciaires s'opposent à la poursuite de ces recours en contrôle judiciaire du moment que la plainte sous-jacente des requérants a été résolue en leur faveur.

 

            Chacune des demandes en instance sera rejetée en conséquence.

 

                                                                                                             Signé : F.C. Muldoon            

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 14 février 1997

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            



                     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Chih-Mei Lee, Yu-Sung Wu, Chieh-Ying Wu et Chieh-Lin Wu

 

                                                            c.

 

Le Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et le commissariat du Canada à Hong Kong

 

 

NUMÉROS DU GREFFE :IMM-4654-96

                                                            IMM-4871-96

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 12 février 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MULDOON

 

 

LE :                                                    14 février 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Joseph Arvay                                             pour les requérants

 

 

M. Daniel Kiselbach                                       pour les intimés

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Arvey, Finlay                                                  pour les requérants

Victoria (C.-B.)

 

 

George Thomson                                             pour les intimés

Sous-procureur général du Canada

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