Date : 19990827
Dossier : IMM-5334-98
ENTRE :
LUBOMIR PLUHAR
EVA PLUHAROVA,
demandeurs,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE EVANS
[1] Les demandeurs sont un couple marié originaire de la République tchèque. Ils ont demandé le statut de réfugié au Canada en raison de la crainte bien fondée de Mme Pluharova d'être persécutée dans la République tchèque du fait qu'elle est perçue comme étant d'origine ethnique rom. Quant à M. Pluhar, qui n'est pas Rom, il craint d'être persécuté à cause de son mariage à une femme perçue comme Rom.
[2] Les demandeurs ont présenté un formulaire de renseignements personnels rempli par Mme Pluharova. Elle y indiquait que son père est Rom et que la mère de son mari était Rom; sa mère à elle ne l'est pas.
[3] Elle raconte dans son exposé plusieurs incidents où elle a été battue, volée ou a subi d'autres mauvais traitements du fait de son origine ethnique. Le formulaire indiquait également que M. Pluhar avait été victime de deux attaques auxquelles sa femme n'était pas présente.
[4] Les demandeurs croyaient que les auteurs de ces mauvais traitements les avaient attaqués en raison de l'origine ethnique de Mme Pluharova. La police a refusé toute assistance aux demandeurs lorsqu'ils se sont plaints de ces incidents.
[5] À l'audience, la Section du statut de réfugié s'est attachée à établir si Mme Pluharova serait perçue comme Rom en République tchèque par des agresseurs éventuels et par la police. Le scepticisme du tribunal à l'égard de la prétention de Mme Pluharova est manifeste d'après les extraits suivants de ses motifs :
[traduction]Le tribunal a noté les traits suivants de l'apparence physique de la requérante : teint foncé, cheveux noirs et contour des yeux noir, maquillage prononcé, gilet à franges et créoles en or. Il semble que la requérante cherchait à démontrer les traits physiologiques et les vêtements traditionnels que le tribunal pourrait, d'après elle, associer à une femme Rom.
...
La requérante est venue à l'audience avec un bronzage évident, résultat de nombreuses heures d'exposition au soleil ou peut-être de séances dans un lit de bronzage. Son apparence était également modifiée par un maquillage prononcé. Son teint n'était pas naturel dans l'opinion du tribunal.
[6] Le tribunal a également examiné des photographies de la demanderesse et de son fils et a conclu que son teint était plus clair qu'au moment de l'audience.
[7] Sur la base de l'appréciation de son apparence lors de l'audience et dans la photographie et en l'absence de tout autre indice selon lequel Mme Pluharova indiquait qu'elle serait perçue comme une Rom, le tribunal a conclu que, du fait de son teint clair, elle ne serait pas perçue comme Rom par le public tchèque ou par les autorités tchèques. Il a donc rejeté leur demande de statut de réfugié.
[8] Le tribunal était prêt à fonder sa décision sur l'apparence de Mme Pluharova, malgré la dénégation suivante exprimée dans ses motifs :
[traduction]Le tribunal ne prétend pas être expert dans les caractéristiques physiologiques des Roms et reconnaît qu'il peut y avoir des variations dans les traits physiques des Roms, mais se sert du sens commun pour apprécier l'apparence physique de la requérante.
[9] Vers la fin de ses motifs, le tribunal indique que sa décision était fondée sur l'ensemble de la preuve dont il était saisi, dont le témoignage de Mme Pluharova. Cependant, il a accordé plus de poids à la preuve documentaire établissant que les Roms sont habituellement identifiés dans la République tchèque par leur teint foncé et, ayant constaté que Mme Pluharova n'avait pas le teint foncé, il a rejeté les demandes. Le tribunal n'a pas procédé à un examen détaillé du témoignage des demandeurs décrivant les attaques motivées, selon leurs allégations, par l'origine ethnique perçue de Mme Pluharova.
[10] À mon avis, la Section du statut du réfugié a commis une erreur de droit en fondant effectivement sa décision sur son appréciation selon laquelle Mme Pluharova n'avait pas le teint foncé, surtout qu'elle ne prétendait pas être « experte » en la matière. Il est fondamentalement dangereux pour les membres de la Commission de décider si les gens dans un autre pays percevraient un revendicateur comme étant d'une origine ethnique particulière en se fondant uniquement sur l'observation de la personne en cause par les membres de la Commission.
[11] Certes, il peut y avoir des situations dans lesquelles il sera tout à fait évident d'après l'apparence d'une personne qu'elle n'est pas d'une origine ethnique particulière. Toutefois, puisque Mme Pluharova avait les cheveux noirs et un teint « bronzé » , le « sens commun » du tribunal ne constituait pas un fondement suffisamment sûr pour apprécier une question aussi délicate. On ne peut pas classer le teint simplement comme « clair » ou « foncé » : il y toute une gamme entre ces deux extrêmes. Il se peut que des racistes soient capables d'identifier une personne comme membre d'un groupe minoritaire au moyen de caractéristiques physiques qui ne seraient pas nécessairement apparentes aux gens dans d'autres pays.
[12] L'avocat du ministre soutient que Mme Pluharova, en fondant sa demande d'abord sur son apparence physique, a forcé le tribunal à prendre sa décision sur le fondement de son teint. Je ne suis pas entièrement d'accord. Les membres du tribunal auraient pu et dû porter au reste du témoignage des demandeurs une attention beaucoup plus grande que celle qu'ils lui ont accordée si l'on en juge par leurs motifs et la transcription.
[13] La Section du statut du réfugié n'a aucunement cherché à établir la crédibilité de l'un ou l'autre des demandeurs sur la base de leur témoignage au sujet des attaques dont ils allèguent avoir été victimes en raison de l'origine ethnique perçue de Mme Pluharova. Le tribunal a traité l'exposé écrit comme s'il avait été présenté oralement sous la foi du serment. M. Pluhar n'a presque pas témoigné.
[14] Le fait que les demandeurs avaient la charge d'établir leurs allégations ne dispensait pas la Commission de son obligation de fonder sa décision sur un examen attentif de l'ensemble de la preuve, ce qu'elle n'a pas fait à mon avis.
[15] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
John M. Evans
Juge
Toronto (Ontario)
Le 27 août 1999
Traduction certifiée conforme
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Richard Jacques, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et avocats inscrits au dossier
N ° DU DOSSIER :IMM-5334-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :LUBOMIR PLUHAR
EVA PLUHAROVA
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :LE MARDI 24 AOÛT 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
DE MONSIEUR LE JUGE EVANS
EN DATE DU VENDREDI 27 AOÛT 1999
ONT COMPARU : Michael Crane
Pour les demandeurs
Ann-Margaret Oberst
Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :Michael Crane
Avocat
200-166 Pearl Street
Toronto (Ontario)
M5H 1L3
Pour les demandeurs
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19990827
Dossier : IMM-5334-98
Entre :
LUBOMIR PLUHAR EVA PLUHAROVA
Demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
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MOTIFS DE L'ORDONNANCE
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