Date : 20010801
Dossier : T-1642-00
Référence neutre: 2001 CFPI xxx
ENTRE :
TONY BAILEY
Demandeur
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Le juge Lemieux
INTRODUCTION
[1] M. Tony Bailey, (ci-après le « demandeur » ) réclame le contrôle judiciaire d'une décision datée du 3 août 2000 du Président du tribunal disciplinaire de l'établissement de Cowansville (ci-après le « défendeur » ), le trouvant coupable de l'infraction disciplinaire prévue au paragraphe 40(i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (ci-après la « Loi » ).
FAITS
[2] Le demandeur était détenu à l'établissement de détention Cowansville. Le 29 avril 2000, il a été fouillé par palpation par l'agent Brière à sa sortie d'une visite contact. L'agent Brière aurait senti un objet dans la manche droite du demandeur et lui aurait ordonné de subir une fouille à nu. La fouille a eu lieu et rien ne fut trouvé sur la personne du demandeur.
[3] Environ dix minutes plus tard, l'agent Larocque aurait trouvé un paquet contenant de la drogue à proximité de la salle où a eu lieu la fouille.
[4] Le 1e mai 2000, le demandeur fut placé en isolement préventif pendant quatre jours puisqu'on le soupçonnait d'être le propriétaire de la contrebande trouvée à proximité de la salle des visites contacts. Le 2 mai, il reçut un rapport disciplinaire pour avoir été pris en possession de drogue contrairement au paragraphe 40(i) de la Loi.
[5] Le 3 août 2000, à l'audition, les officiers ont témoigné ne pas avoir trouvé la drogue sur le demandeur et ne pas l'avoir vu lancer quoi que ce soit.
[6] Le demandeur fut quand même trouvé coupable de l'infraction reprochée.
[7] C'est de cette décision qu'il réclame la révision judiciaire.
LÉGISLATION
[8] Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes:
Infractions disciplinaires
40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui_:
...
i) est en possession d'un objet interdit ou en fait le trafic;
...
43(3). La personne chargé de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée. [je souligne]
DISCUSSION
[9] Le demandeur a déposé un affidavit devant cette Cour à l'appui de ses prétention. Il allègue que la conclusion du Président du tribunal était manifestement déraisonnable compte tenu l'absence de preuve sur un élément essentiel de l'infraction reprochée. Malgré le fait que la preuve était compatible avec sa culpabilité, il était tout aussi probable qu'un autre détenu ait pu laisser l'objet. Par conséquent, il existait un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
[10] Quant au défendeur, il a omi de déposer un affidavit à l'appui de ses prétention. Il plaide que bien qu'il n'y avait pas de preuve directe de possession par le demandeur, il y avait une preuve circonstancielle à cet effet. De plus, puisque le demandeur a eu l'occasion exclusive de commettre l'infraction, sa culpabilité est la seule explication logique.
[11] Il est apparent à la lecture du paragraphe 43(3) que c'est le fardeau de preuve criminel qui s'applique lors d'auditions disciplinaires prévues dans la Loi.
[12] Dans l'arrêt R. c. Lifchus [1997] 3 S.C.R. 320, le juge Cory a conclu que l'expression hors de tout doute raisonnable s'expliquait de la façon suivante, à la p._____:
c) Résumé
Il serait peut-être utile de résumer ce que la définition devrait et ne devrait pas contenir. Les explications suivantes devraient être données:
la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux, c'est-à-dire la présomption d'innocence;
le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé;
un doute raisonnable ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé;
il repose plutôt sur la raison et le bon sens;
il a un lien logique avec la preuve ou l'absence de preuve;
la norme n'exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue; il ne s'agit pas d'une preuve au-delà de n'importe quel doute; il ne peut s'agir non plus d'un doute imaginaire ou frivole;
il faut davantage que la preuve que l'accusé est probablement coupable - le jury qui conclut seulement que l'accusé est probablement coupable doit acquitter l'accusé.
Par contre, certaines mentions concernant la norme de preuve requise doivent être évitées. Par exemple:
.
le fait de décrire l'expression "doute raisonnable" comme étant une expression ordinaire, qui n'a pas de sens spécial dans le contexte du droit pénal;
le fait d'inviter les jurés à appliquer la même norme de preuve que celle qu'ils utilisent, dans leur propre vie, pour prendre des décisions importantes, voire les plus importantes de ces décisions;
le fait d'assimiler preuve "hors de tout doute raisonnable" à une preuve correspondant à la "certitude morale";
le fait de qualifier le mot "doute" par d'autres adjectifs que "raisonnable", par exemple "sérieux", "substantiel" ou "obsédant", qui peuvent induire le jury en erreur;
le fait de dire aux jurés qu'ils peuvent déclarer l'accusé coupable s'ils sont "sûrs" de sa culpabilité, avant de leur avoir donné une définition appropriée du sens des mots "hors de tout doute raisonnable".
[13] Non seulement, le demandeur doit-il être coupable hors de tout doute raisonnable, il revient à la Couronne d'en faire la preuve. Le juge Bastarache énonce ce principe dans l'affaire R. c. Charemski [1998] 1 R.S.C. 679 à la page ____:
Pour qu'il y ait des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité, selon le critère de l'arrêt Shephard, à la p. 1080, le ministère public doit, pour s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, présenter quelque preuve de culpabilité pour chaque élément essentiel de la définition du crime reproché. [ je souligne]
[14] Dans l'affaire Sa majesté la Reine c.Yebes [1987] 2 R.C.S. 168, le juge McIntyre énonce le principe suivant à la page ___:
On peut alors conclure que, lorsqu'il est démontré qu'un crime a été commis et que les éléments de preuve incriminants retenus contre l'accusé ont principalement trait à l'occasion, la culpabilité de l'accusé n'est pas la seule déduction rationnelle qui peut en être tirée à moins que l'accusé ait eu une occasion exclusive de toute autre possibilité de le commettre. Toutefois, dans une affaire où la preuve de l'occasion est accompagnée d'autres éléments de preuve incriminants, une occasion qui n'exclut pas tout à fait toute autre possibilité peut suffire. C'est l'opinion exprimée par le juge Lacourcière dans l'arrêt R. v. Monteleone (1982), 67 C.C.C. (2d) 489 (C.A. Ont.) à la p. 493, où il a dit:
[TRADUCTION] Il n'est pas obligatoire que la poursuite démontre que l'intimé a eu, dans une affaire où d'autres circonstances incriminantes sont démontrées, une occasion qui exclut toute autre possibilité. [ je souligne]
[15] En l'espèce, il n'est pas nié que le demandeur a eu l'occasion de commettre l'acte reproché. Toutefois, la preuve soumise afin de prouver sa culpabilité était déficiente. Les agents Bolduc et Larocque, qui ont témoignés devant le tribunal disciplinaire, n'ont pas effectué la première fouille durant laquelle un objet aurait été senti sur la personne du demandeur. C'est l'agent Brière qui a effectué cette première fouille. Toutefois, il n'a pas témoigné devant le comité disciplinaire.
[16] De plus l'agent Larocque témoigne de ce qui suit[1]:
Q. Okay. You found the drug where?
A. I found the drug just near the door was opened, I find it just near the door.
...
Q. Yourself, have you seen Mr. Bailey throw the package?
A. No. (Long interruption) That's why I went to search the bathroom and outside.
[17] Il n'y a donc pas de preuve que la drogue était sur la personne du demandeur. Il n'y a non plus pas de preuve qu'il ait été la personne qui se soit débarrassée de la contrebande trouvé près de la porte. Tout ce qui est établi en l'espèce, est la possibilité que ça lui appartienne et l'occasion d'avoir commis l'acte.
[18] Toutefois cette occasion n'était pas une occasion exclusive tel que le démontre le témoignage de l'agent Bolduc[2]:
Q. Okay. (Interruption). Cette journée-là aux visites, est-ce qu'y a.... vous souvenez-vous si y'a eu beaucoup de visiteurs, beaucoup de détenus qui sont allés aux visites?
R. Aucune idée, si vous voulez savoir j'peux appeler à la visite et j'vas avoir l'information.
Q. Okay. Vous vous souvenez pas si c'était une journée régulière ou. est-ce qu'y avait seulement un détenu à la visite cette journée là.. vous vous en souvenez pas dutout?
R. Y'en avait un là mais à vous dire si y'en avait vingt-cinq (25) ou sept (7) là j'le sais pas.
Q. Okay.
...
Q. Okay. Mais est-ce qu'y était tout seul?
R. Probablement pas que non.
Q. Non
Q. Va falloir vérifier, c'est ça que vous dites?
R Ben....
Q. Okay... okay non mais....
R. J'pense pas que c'a jamais arrivé qu'y ait un (1) ou deux (2) visiteurs dans.... c'tait dans l'après-midi ça j'pense.
[19] Il m'appert à la lecture de ce témoignage que le demandeur n'était pas le seul détenu à la salle des visites contacts cet après-midi là. Il n'a donc pas eu l'occasion exclusive de commettre l'acte reproché et par conséquent il était déraisonnable de conclure qu'il était coupable hors de tout doute raisonnable.
[20] Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que le Président a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.
DISPOSITF
[21] La décision du tribunal disciplinaire est cassée.
J U G E
OTTAWA, ONTARIO
AOÙT...., 2001