Date : 19990625
Dossier : T-1151-98
OTTAWA (ONTARIO), LE 25 JUIN 1999
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J. E. DUBÉ
ENTRE :
GREG SAMPSON,
demandeur,
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
défendeur.
ORDONNANCE
La demande est rejetée.
Juge
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
Date : 19990625
Dossier : T-1151-98
ENTRE :
GREG SAMPSON,
demandeur,
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE DUBÉ
[1] La présente demande concerne le contrôle judiciaire de la lettre (la décision) en date du 12 mai 1998 que la présidente de la Commission de la fonction publique du Canada (la Commission) a envoyée à l'avocat du demandeur pour lui exposer les raisons pour lesquelles le demandeur n'a pas été nommé à un poste de durée indéterminée à Citoyenneté et Immigration Canada (le Ministère) à London (Ontario).
1. Les faits
[2] Le demandeur occupait un emploi pour une période déterminée en tant qu'aide-conseiller en immigration (CR5) au Ministère à London (Ontario) depuis le 1er octobre 1990. Le 29 juillet 1993, il a été déclaré le candidat reçu à la suite d'un concours interne visant à doter un poste de durée indéterminée d'aide-conseiller en immigration (CR5) dans ce bureau.
[3] Mme Valerie Clark est la candidate qui s'est classée quatrième dans le cadre du même concours. Elle a interjeté appel de la nomination du demandeur en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique1 (la Loi). Le demandeur n'a pas fait l'objet d'une nomination pendant que l'appel suivait son cours.
[4] Le 11 février 1994, le comité d'appel de la Commission de la fonction publique du Canada (le comité d'appel) a accueilli l'appel de Mme Clark. Le 19 juin 1995, la Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision, qui avait été présentée par le procureur général. Le 16 mai 1997, le procureur général a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel fédérale, qui lui a donné gain de cause. La Cour d'appel a renvoyé l'affaire au comité d'appel pour qu'il procède à un nouvel examen en tenant compte du fait que l'appel devait être rejeté. En conséquence, le comité d'appel a rejeté, le 28 mai 1997, l'appel formé par Mme Clark contre la nomination du demandeur.
[5] Le 11 juin 1997, le demandeur a écrit à son gestionnaire local pour lui demander une nomination au poste à l'égard duquel il avait été déclaré le candidat reçu quatre ans plus tôt. Le gestionnaire a déclaré qu'en raison de compressions prévues des effectifs, il ne prévoyait pas garder le demandeur au bureau de London. Le demandeur a été renvoyé de la fonction publique le 31 mars 1998, à la fin de sa période d'emploi.
[6] Le 2 avril 1998, l'avocat du demandeur a écrit à la présidente de la Commission pour lui demander instamment de nommer le demandeur au poste de CR5. La présidente de la Commission, Mme Ruth Hubbard, a rejeté la demande, et la lettre par laquelle elle répond à cette demande est la décision contestée.
2. La décision de la présidente
[7] Dans sa lettre, la présidente examine les faits de l'espèce et déclare que le demandeur a été avisé qu'il avait été le candidat reçu à la suite du concours organisé en 1993, mais qu'[traduction]" aucune offre d'emploi n'avait été faite ". À la fin de la procédure d'appel en 1997, [traduction ] " il n'y avait pas de poste auquel M. Sampson pouvait être nommé " à cause d'une insuffisance de fonds. Dix mois plus tard ou le 1er avril 1998, deux nouveaux postes d'aide-conseiller ont été créés et la dotation de ces postes a été annoncée au moyen d'un récent concours.
[8] La présidente a fait remarquer que le Ministère avait [traduction] " entrepris une vaste réorganisation durant la période allant de 1993 à 1998 ", ce qui a entraîné un gel de la dotation en personnel. Près de cinq années se sont écoulées depuis l'établissement de la liste d'admissibilité initiale, qui limite l'admissibilité à deux ans. Le mérite relatif des candidats peut bien avoir changé durant cette période.
3. Les questions en litige
[9] La principale question que soulève la présente demande consiste à savoir si la Commission est tenue par le paragraphe 21(2) de la Loi de procéder à la nomination du demandeur ou de confirmer sa nomination dans les circonstances de l'espèce. Les paragraphes 21(2) et (3) sont ainsi libellés :
(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission, après avoir reçu avis de la décision du comité visé aux paragraphes (1) ou (1.1), doit en fonction de celle-ci : |
a) si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer; |
b) si la nomination n'a pas eu lieu, y procéder ou non. |
[...]
(3) La Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection. |
4. Les prétentions et moyens du demandeur
[10] Le demandeur soutient que le libellé du paragraphe 21(2) de la Loi est clair et impératif : la Commission doit " confirmer " la nomination attaquée suivant l'alinéa 21(2)a ) ou " procéder " à la nomination attaquée suivant l'alinéa 21(2)b ). Il soutient que la Commission n'a pas le pouvoir légal de ne tenir aucun compte de la décision d'un comité d'appel ou d'y déroger. Pareille façon de faire constitue une violation flagrante de la Loi, mine la procédure d'appel et dénote un mépris total pour la décision de la Cour d'appel fédérale.
[11] Même si la nomination n'a pas été strictement parlant faite le 29 juillet 1993, le demandeur a exercé les fonctions de ce poste pendant près de quatre ans après avoir été déclaré le candidat reçu à la suite du concours. Le paragraphe 21(3) dispose que la Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection. Toutefois, dans la présente espèce, aucune irrégularité n'a été signalée et la Commission a l'obligation de se conformer à la décision finale du comité d'appel.
[12] L'objet même de la procédure d'appel prévue à l'article 21 est de garantir le respect du principe de la sélection au mérite. Par conséquent, lorsque l'appel a été rejeté, le principe du mérite et le paragraphe 21(2) commandaient la nomination du candidat le plus méritant. Il ne s'agit pas vraiment d'une affaire dans laquelle un poste cesse d'exister puisque le demandeur a continué d'occuper ce poste plus de dix mois après le rejet du seul appel de sa nomination par le comité d'appel.
[13] L'expiration de la liste d'admissibilité avant la fin de la procédure d'appel est sans importance. L'expiration d'une liste d'admissibilité n'éteint pas les droits que la loi reconnaît à un candidat reçu. Statuer le contraire perturberait sérieusement la procédure d'appel existante, encouragerait les candidats reçus à retarder inutilement une procédure d'appel en recourant à des manoeuvres juridiques longues et futiles strictement conçues pour amener le comité d'appel à prendre une décision définitive après l'expiration de la liste d'admissibilité initiale. La protection du droit des titulaires et la nécessité d'une stabilité au sein de la population active commandent que les impératifs du principe du mérite n'entrent pas en ligne de compte uniquement d'une manière périodique.
[14] Toujours selon le demandeur, une nomination doit avoir été faite pour qu'un appel puisse être formé; sinon, l'appel serait sans objet. Le 28 mai 1997, soit la date du rejet par le comité d'appel de l'appel formé par Mme Clark contre la nomination du demandeur, le poste existait parce que le demandeur lui-même l'occupait. La nomination et l'appel de cette nomination sont forcément inextricablement liés. Par conséquent, suivant le paragraphe 21(2) de la Loi, la Commission a l'obligation de " confirmer " la nomination et, subsidiairement, si la nomination n'a pas été faite strictement parlant, la Commission a l'obligation d'y " procéder ".
5. Les prétentions et moyens du défendeur
[15] Le défendeur soutient que le paragraphe 21(2) de la Loi n'oblige pas la Commission à procéder à une nomination chaque fois que le comité d'appel rejette un appel formé contre une nomination proposée. Cette disposition n'oblige pas la Commission à procéder à une nomination s'il n'y a aucun poste à pourvoir au moment du rejet de l'appel. La Commission, ou le ministère qui exerce le pouvoir de nomination délégué par la Commission, a le pouvoir discrétionnaire de procéder ou non à une nomination à un poste de la fonction publique.
[16] Le paragraphe 21(2) n'a pas pour effet d'empêcher la Commission, ou un ministère, de refuser de procéder à une nomination pour des raisons budgétaires ou d'autres raisons de principe. Rien ne justifie qu'on donne du paragraphe 21(2) une interprétation qui modifierait ce pouvoir discrétionnaire. Le simple fait qu'un candidat a été reçu à la suite d'un concours et a été placé en tête de liste ne lui confère pas le droit d'être nommé. Cela veut dire que s'il existe une possibilité d'avancement, la personne la plus méritante devrait être promue2.
[17] Le processus de création d'un poste et de nomination d'une personne comporte quatre étapes distinctes. Dans l'arrêt Brault et Dubois c. Canada3, la Cour suprême du Canada a résumé ces étapes de la manière suivante :
1. Le Ministre ou le sous-chef du Ministère, dans l'exercice de son pouvoir de gestion, détermine les postes qui sont nécessaires dans le Ministère et les qualifications requises pour y être nommé; 2. L'approbation financière d'un poste doit être obtenue du Conseil du Trésor qui, en vertu de l'art. 7 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, a le pouvoir de classifier les postes de la Fonction publique aux fins notamment de la rémunération; 3. Le sous-chef demande alors à la Commission de la Fonction publique de faire la nomination qui s'impose ou il fait lui-même cette nomination en vertu d'une délégation de pouvoir; et 4. Cette nomination est faite conformément à la méthode de sélection particulière requise par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et par son règlement d'application [...] |
[18] La décision Brault appuie également l'affirmation que si un ministère apporte à des fonctions existantes des changements importants qui supposent l'évaluation de compétences supplémentaires ou spéciales, un nouveau poste est créé et il faut procéder à une nouvelle évaluation en vue de choisir un candidat. Dans l'arrêt Noël c. M.E.I.4, la Cour d'appel fédérale a déclaré que si la Commission a confirmé ou révoqué la nomination " en fonction de la décision du comité d'appel [...] [i]l est clair, de par le texte anglais de l'article 21, que l'appel est porté à l'encontre de la nomination, et que la Commission est liée par la décision à laquelle en arrive le comité d'appel ". Toutefois, la Cour a également ajouté que " [c]omme il n'y a plus de nomination, il n'y a plus de confirmation ou de révocation de cette nomination qui soit possible ".
6. Le système législatif
[19] Le libellé du paragraphe 21(2) doit être examiné dans le contexte de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique. L'alinéa 5a) de la Loi dispose que la Commission nomme ou fait nommer à un poste de la fonction publique des personnes qualifiées appartenant ou non à celle-ci conformément aux dispositions et principes énoncés dans la Loi. L'article 8 dispose que la Commission a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes en faisant partie ou non. Suivant le paragraphe 10(1), ces nominations se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission.
[20] Suivant le paragraphe 13(1), la Commission peut fixer les critères organisationnels d'un concours. Le paragraphe 16(1) prévoit que la Commission doit étudier toutes les demandes et sélectionner les candidats qualifiés pour le poste. Le paragraphe 17(1) prévoit que parmi les candidats qualifiés à un concours, la Commission sélectionne ceux qui occupent les premiers rangs et les inscrit sur une liste d'admissibilité " selon le nombre de vacances auxquelles elle envisage de pourvoir dans l'immédiat ou plus tard ".
[21] Le paragraphe 18(1) précise que les nominations sont effectuées d'après la liste d'admissibilité " conformément aux règlements de la Commission ". Le paragraphe 21(1) porte sur les appels, dans le cas d'une nomination effective ou " imminente ".
[22] Dans la partie III de la Loi, la durée des fonctions est définie à l'article 22, qui prévoit qu'une nomination prend effet à la date fixée dans l'acte de nomination. Suivant l'article 25, le fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période.
[23] L'article 8 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique dispose que la Commission peut établir une liste d'admissibilité " valide pour une période d'au plus deux ans ". L'article 13 dispose que " pour toute nomination à effectuer " d'après une liste d'admissibilité, le candidat nommé est celui en tête de liste.
7. Dispositif
[24] Par conséquent, la structure de la Loi et du Règlement montre que la Commission ou le Ministère a le pouvoir discrétionnaire de nommer une personne à un poste de la fonction publique. Aucune disposition n'oblige la Commission à nommer une personne à un poste qui n'existe pas. Lorsqu'une nomination est envisagée, elle doit être faite en conformité avec le principe du mérite. La liste d'admissibilité est simplement une liste de personnes admissibles pour combler un poste et ne confère à personne le droit d'être nommé à un poste. S'il n'y a pas de vacances à pourvoir dans l'immédiat ou plus tard, il ne peut y avoir de nomination. La législation ne renferme aucune disposition portant que le pouvoir discrétionnaire de la Commission est supprimé par le simple dépôt d'un appel par un candidat non reçu ou par la procédure judiciaire qui s'ensuit.
[25] Par conséquent, bien que la déception du demandeur soit compréhensible, le défendeur n'était pas dans l'obligation de nommer le demandeur au poste qu'il occupait pour une période déterminée. La demande est donc rejetée.
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 25 juin 1999
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : T-1151-98
INTITULÉ : Greg Sampson c. Le procureur général du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 16 juin 1999 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DUBÉ
EN DATE DU 25 juin 1999
COMPARUTIONS :
M. Michael Klug POUR LE DEMANDEUR
London (Ontario)
M. Sanderson Graham/Mme Renée Roy POUR LE DÉFENDEUR
Ottawa (Ontario)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Klug POUR LE DEMANDEUR
Avocat
London (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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