Date : 19990914
Dossier : T-6-99
OTTAWA (Ontario), le mardi 14 septembre 1999.
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION,
appelant,
et
YI CHENG JENNIFER CHUANG,
intimée.
ORDONNANCE
VU l"audition de l"affaire à Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 9 septembre 1999;
ET pour les motifs d"ordonnance exposés aujourd"hui même;
LA COUR ORDONNE QUE :
L"appel interjeté par l"appelant soit accueilli et la décision du juge de la citoyenneté soit annulée.
B. Reed
juge
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
Date : 19990914
Dossier : T-6-99
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION,
appelant,
et
YI CHENG JENNIFER CHUANG,
intimée.
MOTIFS D"ORDONNANCE
LE JUGE REED
[1] Il s"agit d"un appel que le ministre a interjeté contre une décision d"un juge de la citoyenneté, qui a conclu que l"intimée, ayant résidé au Canada pendant trois des quatre années qui ont précédé sa demande de citoyenneté, a satisfait aux exigences de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté.
[2] Pendant la plus grande partie de la période pertinente, l"intimée a été physiquement absente du Canada. Elle est arrivée au Canada en tant qu"immigrante ayant obtenu le droit d"établissement en compagnie de ses parents et de ses frères et soeurs, le 20 novembre 1994. Elle a quitté le pays deux semaines plus tard pour retourner aux États-Unis afin d"y poursuivre ses études. Le juge de la citoyenneté a souligné que l"intimée avait fréquenté une école secondaire américaine pendant trois ans, qu"elle avait tenté en vain de s"inscrire dans trois universités canadiennes, et qu"elle était retournée aux États-Unis pour fréquenter une université au Missouri. Elle en était à sa quatrième année d"études universitaires lorsqu"elle a eu une entrevue avec le juge de la citoyenneté en novembre 1998.
[3] La jurisprudence de notre Cour est notoirement divisée à ce sujet. Certains juges de la Cour estiment qu"une personne ne peut résider à un endroit où elle n"est pas physiquement présente, alors que d"autres juges pensent le contraire. La décision qui a été rendue dans l"affaire Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), est un exemple de ce dernier point de vue.
[4] Pendant de nombreuses années, une approche très libérale a été adoptée à l"égard de l"exigence en matière de résidence prévue dans la Loi sur la citoyenneté , la décision Papadogiorgakis étant appliquée et, peut-être même quelque peu dénaturée. Depuis quelques années, le pendule bascule dans l"autre sens; voir, par exemple, Re Pourghasemi (1993), Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), Re Chow (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 308 (C.F. 1re inst.), et Re Chang (5 février 1998) T-1183-97 (C.F. 1re inst.). Comme il a déjà été souligné, certains juges exigent que la personne aient été physiquement présente au Canada au cours de chacun des 1 095 jours visés, comme le prévoit l"alinéa 5(1)c ); d"autres juges ne l"exigent pas. Ce manque d"uniformité dans la jurisprudence doit être très frustrant tant pour les juges de la citoyenneté que pour les avocats, quand ces derniers doivent conseiller leurs clients.
[5] À l"instar de la plupart des divergences en matière d"interprétation de dispositions législatives, la divergence qui existe dans la jurisprudence tient au fait que les mots ont plusieurs sens. L"expression " résidence au Canada " n"est pas forcément l"équivalent de présence physique. En effet, la seule présence physique n"est pas suffisante. En outre, les juges de la Cour fédérale savent bien qu"une personne peut passer beaucoup de temps à l"extérieur de sa province de résidence sans pour autant cesser d"être un résident de cette province ou d"y résider. Le dictionnaire, source préférée d"information qui aide à interpréter le libellé des lois, définit le terme résidence de la façon suivante : [TRADUCTION " le fait d"avoir son lieu d"habitation, sa demeure habituel ... le fait de s"établir; s"installer ". Le législateur a peut-être effectivement voulu que la présence physique constitue un élément absolument essentiel relativement à chacun des 1 095 jours que prévoit l"alinéa 5(1)c ); peut-être que non.
[6] Habituellement, les différences d"opinion quant à l"interprétation qu"il convient de donner à des dispositions législatives sont tranchées soit par le législateur, qui modifie alors la loi pour clarifier son intention, soit par une décision de la Cour d"appel. En l"espèce, on sait depuis longtemps que la jurisprudence n"est pas encore fixée (la décision Papadogiorgakis a été rendue en 1978), et le législateur n"a toujours pas clarifier son intention. De plus, on ne peut en appeler de décisions de la Section de première instance devant la Cour d"appel en matière de citoyenneté, vraisemblablement parce que le demandeur de citoyenneté débouté peut toujours présenter une nouvelle demande. En conséquence, les divergences d"opinion quant à ce qu"il faut faire pour satisfaire aux exigences de l"alinéa 5(1)c ) demeurent.
[7] L"avocat de l"intimée m"a renvoyée à la décision que M. le juge Lutfy a rendue dans l"affaire Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (26 mars 1999) T-1310-98, en particulier à la conclusion de ce dernier selon laquelle un juge de la citoyenneté peut adopter, sans commettre d"erreur, soit l"interprétation stricte, soit l"interprétation souple du mot " résidence ", pourvu qu"il applique convenablement les principes pertinents aux faits de l"affaire. Monsieur le juge Lutfy a conclu que le juge de la citoyenneté n"avait pas tenu compte de certains faits pertinents lorsqu"il avait rendu sa décision. Il a donc accueilli l"appel, appliqué la norme souple en faveur du demandeur, et accordé la citoyenneté à ce dernier.
[8] Examinons maintenant la décision qui fait l"objet du présent appel. J"ai décidé, vu l"absence de toute clarification de l"intention du législateur, d"adopter le critère le plus favorable au demandeur. En l"espèce, cependant, l"intimée ne saurait avoir gain de cause car, même si l"on applique ce critère, on ne peut conclure sur la base des faits de sa situation qu"elle s"est déjà établie au Canada. Elle est arrivée au pays en tant qu"immigrante ayant reçu le droit d"établissement en compagnie des autres membres de sa famille lorsque ceux-ci ont immigré au Canada. Elle est repartie presque sur-le-champ aux États-Unis. Elle venait au Canada à l"occasion de la plupart de ses congés scolaires, mais elle a également passé beaucoup de temps à Taïwan. Bien que son avocat soutienne que le Canada est le pays auquel est elle le plus attachée, cette affirmation n"est pas étayée par les faits.
[9] Un certain nombre de décisions traitent de situations presque identiques à celle de l"intimée. Dans toutes ces décisions, il a été conclu que les demandes de citoyenneté présentées par des étudiants dans la situation de l"intimée sont tout simplement prématurées; voir Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Ho (T-1846-98, 30 avril 1999); Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Liu (T-997-98, 12 janvier 1999); Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Italia (T-1927-98, 27 mai 1999); Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Lam (T-1524-98, 28 avril 1999); Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Wong (T-24-99, 25 août 1999).
[10] Je dois, sur la base des faits relatifs à la défenderesse, accueillir l"appel et annuler la décision du juge de la citoyenneté. La défenderesse a dit avoir l"intention d"obtenir un emploi dans le domaine qu"elle a choisi, au Canada, après avoir terminé ses études universitaires. En conséquence, elle pourra présenter une nouvelle demande de citoyenneté lorsqu"elle sera en mesure d"établir sans difficulté qu"elle a satisfait aux exigences de l"alinéa 5(1)c ).
B. Reed
juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 14 septembre 1999.
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-6-99 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE |
L"IMMIGRATION c. YI CHENG JENNIFER |
CHUANG |
LIEU DE L"AUDIENCE : Vancouver (C.-B.) |
DATE DE L"AUDIENCE : le 9 septembre 1999 |
MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE REED
EN DATE DU : 14 septembre 1999 |
ONT COMPARU :
Pauline Anthoine POUR L"APPELANT |
Gerald Martin POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg POUR L"APPELANT |
Sous-procureur général
du Canada
Lim & Company POUR LA DÉFENDERESSE |
Vancouver (C.-B.)