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Date : 19981218


T-1502-96


OTTAWA (ONTARIO), LE 18 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

E n t r e :

     MERCK FROSST CANADA INC.

     - et -

     MERCK & CO. INC.,

     demanderesses,

ET

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

     ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     - et -

     KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD.

     - et -

     APOTEX INC.,

     défendeurs.




ORDONNANCE

     Pour les motifs écrits exposés, j'accorde l'ordonnance sollicitée par les demanderesses en vue d'interdire au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Apotex Inc. relativement au médicament norfloxacine tant que le brevet canadien no 1 178 961 ne sera pas expiré.

     Comme elles obtiennent gain de cause en ce qui concerne la présente demande, j'adjuge les dépens aux demanderesses.

     Douglas Campbell

     ______________________

     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.
















Date : 19981218


T-1502-96


E n t r e :

     MERCK FROSST CANADA INC.

     - et -

     MERCK & CO. INC.,

     demanderesses,

ET

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

     ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     - et -

     KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD.

     - et -

     APOTEX INC.,

     défendeurs.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL


     Au moment de développer notre procédé, j'avais moi-même des doutes quant à la possibilité que l'utilisation d'un brome en position 3 permette l'activation du carbone en position 7, de façon à rendre possible le déplacement nucléophile du chlore par la pipérazine. Cependant, nous avons été étonnés de découvrir que nous obtenions des résultats avec du brome en position 3 et, ainsi, que notre procédé pouvait fonctionner. Ces résultats qui, à mon avis, vont à l'encontre des connaissances des personnes versées dans l'art ou la science en cause, ont mené à la mise au point d'un procédé de fabrication de la norfloxacine qui soit industriellement viable1.

[1]      La teneur de l'avis exprimé dans cette déclaration du docteur Khashayar Karimian au sujet des tentatives faites par Apotex en 1996 en vue de trouver un procédé qui ne constitue pas une contrefaçon pour produire un antibiotique nommé norfloxacine est au coeur de la présente instance en contrôle judiciaire. Se fondant sur les éléments de preuve soumis à l'appui de cet avis, Apotex cherche à répondre aux conditions réglementaires qu'elle doit respecter pour pouvoir produire le médicament au moyen du procédé décrit par le docteur Karimian. La présente instance est une étape nécessaire du régime réglementaire dont le but est de vérifier le bien-fondé de l'allégation d'Apotex suivant laquelle son procédé ne porte pas atteinte aux droits que possède Merck sur le brevet canadien no 1 178 9612 qui protège un procédé de fabrication de la norfloxacine.

     I. Les règles de droit applicables

A.      Le règlement

[2]      L'ancien système de délivrance de licences obligatoires qui régissait les médicaments brevetés a été aboli par la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets3, en application de laquelle a été pris le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)4. Ce règlement (le Règlement sur les avis de conformité) a pour objet d'accorder une protection accrue aux titulaires de brevets portant sur des médicaments.

[3]      Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social a le pouvoir, en vertu du Règlement sur les aliments et drogues5, de délivrer des avis de conformité qui attestent la salubrité, l'innocuité et l'efficacité des médicaments.

[4]      Aux termes du Règlement sur les avis de conformité, un avis de conformité doit être délivré avant qu'un médicament puisse être commercialisé au Canada. Les fabricants de médicaments qui sont titulaires de brevets ou de licences en vertu de brevets en vigueur sont appelés " premières personnes ". Ils doivent soumettre au ministre une liste de brevets dans laquelle ils énumèrent les médicaments pour lesquels ils ont obtenu un avis de conformité. Un fabricant de médicaments génériques, ou seconde personne, qui dépose en vertu du paragraphe 5(1) une demande en vue d'obtenir un avis de conformité à l'égard d'un médicament pour lequel un avis de conformité a déjà été délivré doit préciser s'il accepte, conformément à l'alinéa 5(1)a) , d'attendre que le brevet expire avant d'obtenir un avis de conformité ou invoquer un ou plusieurs des moyens énumérés à l'alinéa 5(1)b), à savoir : (i) la déclaration faite par la première personne en vertu de l'alinéa 4(2)b) est fausse; (ii) le brevet est déjà expiré; (iii) le brevet n'est pas valide; (iv) aucune revendication portant sur le médicament en soi ou sur son utilisation ne serait contrefaite advenant la fabrication, la production, l'utilisation ou la vente par elle du médicament faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

[5]      Le paragraphe 5(3) oblige la seconde personne à fournir un énoncé détaillé des moyens de droit et de fait sur lesquels elle fonde les allégations qu'elle a formulées en vertu de l'alinéa 5(1)b). L'avis d'allégation doit être signifié à la première personne et une preuve de cette signification doit être transmise au ministre. Aux termes du paragraphe 6(1), la première personne dispose de 45 jours après la signification de l'avis d'allégation pour demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'avis d'allégation. S'il conclut qu'aucune des allégations n'est " fondée ", le tribunal rend une ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 6(2).

B.      La jurisprudence

[6]      Les procédures d'interdiction dont il est question au paragraphe 6(1) du Règlement sur les avis de conformité ne sont pas des actions en contrefaçon; elles visent uniquement à empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité en vertu du Règlement sur les aliments et drogues et elles constituent effectivement des instances en contrôle judiciaire6.

[7]      Compte tenu de leur caractère sommaire et préliminaire, ces instances doivent être jugées de façon expéditive, et elles ne visent que des matières administratives. Les procédures d'interdiction ne sont pas censées empêcher d'autres procès entre les parties au sujet de la validité ou de la contrefaçon du brevet, qui sont des questions qui peuvent être tranchées dans le cadre d'une action7.

[8]      Les questions à trancher sont de nature restreinte et préliminaire8.

[9]      C'est la partie qui introduit l'instance, en l'occurrence Merck, qui a la conduite de l'instance et qui, partant, a la charge initiale de la preuve. Pour s'acquitter de cette charge de la preuve, le demandeur doit réfuter certaines ou la totalité des allégations contenues dans l'avis d'allégation qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l'avis de conformité9.

[10]      Le tribunal part du principe que les allégations de fait contenues dans l'avis d'allégation sont véridiques, sauf dans la mesure où le demandeur démontre le contraire. Pour décider si les allégations sont fondées ou non, le tribunal doit décider si, d'après les faits présumés ou prouvés, les allégations en question permettraient en droit de conclure que le défendeur ne contreferait pas le brevet10.

[11]      Parce que l'instance est de la nature d'un contrôle judiciaire portant sur le bien-fondé des allégations du défendeur, il incombe à celui-ci de présenter des éléments de preuve pour appuyer sa thèse que son procédé ne contreferait pas le brevet du demandeur. Si les éléments de preuve que le défendeur présente à l'appui de sa thèse sont faibles, le demandeur ne devrait pas avoir beaucoup de difficulté à réfuter ces éléments de preuve et à s'acquitter de la charge ultime de la preuve11.

C. Qu'est-ce que Merck est tenue de faire pour s'acquitter du fardeau ultime ?

[12]      Il incombe à Merck de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex n'est pas fondée, ce qui est moins exigeant que de faire la preuve de la contrefaçon.

[13]      Le degré de difficulté de la preuve que Merck doit faire dépend de la valeur à accorder aux éléments de preuve présentés par Apotex à l'appui de son allégation, ainsi que de la valeur à accorder aux éléments de preuve présentés par Merck elle-même. Si les éléments de preuve présentés par Apotex sont jugés faibles, Merck n'aura peut-être pas de difficulté à se décharger du fardeau ultime qui lui incombe. Mon opinion à ce sujet va dans le même sens que celle qu'a formulée le juge Reed dans le jugement Hoffman-La Roche Ltd. et al. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al. suivant laquelle la charge qui incombe au demandeur est de démontrer que les éléments de preuve qui ont été produits par le défendeur ne justifient pas l'allégation12. En conséquence, je n'accepte pas l'argument d'Apotex suivant lequel la charge qui incombe à Merck est de prouver que l'allégation est mal fondée.

     II. Le litige

A.      L'allégation

[14]      Le 13 mai 1996, Apotex a signifié à Merck un avis d'allégation dans lequel Apotex affirmait qu'elle disposait de norfloxacine fabriquée à l'aide d'un procédé qui ne constitue pas une contrefaçon qui avait été mis au point à la suite de l'envoi de son premier avis d'allégation daté du 13 février 1995. Apotex s'est engagée à divulguer ce procédé dès qu'une ordonnance de confidentialité serait prononcée ou qu'une entente de confidentialité serait conclue13. Une ordonnance de confidentialité a effectivement été prononcée le 12 septembre 1996 et Apotex a divulgué son procédé sous la forme d'un schéma de fabrication qui a été annexé au premier affidavit du docteur Karimian.

B.      Le brevet 961 et le procédé d'Apotex

[15]      Dans le brevet 961, on divulgue une invention de procédés servant à la préparation de nouveaux agents antibactériens, dont la norfloxacine, appartenant à la classe des acides quinoléines-carboxyliques. Les seules revendications en litige sont les revendications 1, 2, 3 et 11. Les revendications 1, 2 et 3 divulguent le procédé comme tel, alors que la revendication 11 est une revendication visant un produit obtenu par procédé, soit le composé de norfloxacine, préparé suivant le procédé défini dans les revendications, ou ses équivalents chimiques évidents14.

[16]      La norfloxacine a pour formule chimique : acide 1-éthyl-6-fluoro-7-(1-pipérazin)-1, 4-dihydro-4-oxoquinoléine-3-carboxylique; elle est composée de deux systèmes hétérocycliques : un noyau pipérazine et un noyau quinoléine15. Le composé de quinoléine de départ renferme deux halogènes, du fluor en position 6 et du chlore en position 7, un acide carboxylique en position 3, et un groupement carbonyle en position 4. Ce dernier agit comme groupement accepteur d'électrons, activant la substitution nucléophile du chlore en position 7 avec la fonction amine du composé de pipérazine. Pendant la réaction, le chlore se trouvant dans le noyau quinoléine et un atome d'hydrogène du noyau pipérazine sont déplacés, et la portion restante de la pipérazine se fixe en position 7. Il en résulte le composé de norfloxacine, qui est ensuite converti en sel de chlorhydrate.

[17]      Le procédé d'Apotex passe par un chemin plus long pour en arriver au même résultat que le procédé du brevet 961; cependant, les quatre premières étapes sont de nature préliminaire, et ce sont donc les étapes V à VII qu'il faut examiner16. À l'étape V du procédé d'Apotex, on utilise un composé de quinoléine différent de celui de l'invention visée par le brevet 961, en ce sens qu'un brome est utilisé en position 3 et qu'un fluor est utilisé en position 7. Après la réaction de couplage avec un composé de pipérazine protégé à l'étape 7, le brome subit une réaction de cyanation à l'étape VI qui le transforme en groupement nitrile. La dernière étape consiste en une hydrolyse du groupement nitrile en acide carboxylique en position 3; au cours de cette étape, le groupement éthoxycarbonyle sur la pipérazine est emporté, et la norfloxacine est créée.

[18]      Il existe essentiellement trois différences entre les deux procédés. Premièrement, les composés de quinoléine de départ ne sont pas identiques. Le composé utilisé dans le procédé visé par le brevet 961 présente un chlore en position 7 et un groupement acide carboxylique en position 3, alors que le composé de quinoléine d'Apotex présente un fluor en position 7 et un brome en position 3. Deuxièmement, le procédé d'Apotex utilise une pipérazine protégée dans la réaction de substitution nucléophile, plutôt que la pipérazine du brevet 961. Troisièmement, le procédé d'Apotex nécessite deux étapes additionnelles, soit la cyanation et l'hydrolyse, après la réaction de couplage, pour créer la norfloxacine. Seules la première et la troisième différences sont mises en cause.

C. Les auteurs des affidavits et leur témoignage

[19]      La plupart des éléments de preuve qui ont été soumis dans le cadre de la présente demande l'ont été sous la forme des témoignages d'experts qui sont contenus dans les affidavits souscrits par les docteurs Khashayar Karimian et Robert McClelland, pour Apotex, et par le docteur George Just, pour Merck, ainsi que dans le contre-interrogatoire qu'ils ont subi au sujet de leur affidavit respectif. Apotex a d'abord produit les affidavits des docteurs Khashayar Karimian et Robert McClelland pour s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait. Le docteur Just a répondu à ces affidavits et les docteurs Karimian et McClelland ont tous les deux répondu à cet affidavit17. La crédibilité des auteurs des affidavits n'a pas véritablement été mise en doute, mais la valeur à accorder au témoignage de chacun d'entre eux constitue une importante question en litige.

[20]      Avant de commencer à trancher les questions essentielles qui ressortent des arguments qui ont été avancés lors de l'audition de la demande, il est d'abord nécessaire de tirer certaines conclusions critiques au sujet des premiers affidavits produits par Apotex.

     1. Le docteur Karimian

[21]      Pour pouvoir établir l'état de la technique, le docteur Karimian a consulté les publications [TRADUCTION] " sans découvrir d'articles décrivant un déplacement nucléophile en position 7 du chlore par une pipérazine ou un dérivé de la pipérazine lorsque le substituant en position 3 est un halogène, c.-à.-d. du brome, du chlore ou du fluor "18. Comme ce fait pourrait être invoqué pour démontrer que cet aspect du procédé d'Apotex n'était pas évident pour une personne versée dans l'art ou la science en cause, le docteur Just a rétorqué : [TRADUCTION] " Ce n'est certainement pas parce qu'une réaction n'est pas mentionnée dans une publication qu'elle n'est pas évidente. Les connaissances de la personne versée dans l'art ou la science ne se limitent pas à ce qui est expressément publié19 ". Je suis d'accord pour dire qu'aucune valeur ne doit être accordée aux résultats de la recherche documentaire en question.

[22]      En ce qui concerne les autres opinions d'" expert " que le docteur Karimian a formulées et qui sont cruciales pour ce qui est des questions en litige en l'espèce, Merck soutient qu'elles ne devraient pas être admissibles car, en sa qualité de chef du département de la chimie médicinale chez Apotex chargé de participer activement à la mise au point du procédé en cause, le docteur Karimian ne saurait de façon réaliste être considéré comme neutre. Apotex ne s'est pas énergiquement élevée contre cette objection. Pour cette raison, au lieu de conclure que le témoignage d'opinion du docteur Karimian n'est pas admissible, je conclus qu'il est sans valeur.

     2. Le docteur McClelland

[23]      Le docteur McClelland est le témoin clé d'Apotex. Il importe de souligner que le docteur McClelland ne formule aucune opinion au sujet de la composition chimique de la norfloxacine, à cause de sa participation personnelle active aux expériences ayant conduit à la production du composé lui-même. Il ressort plutôt de l'analyse suivante des éléments de preuve qu'il a soumis pour aider Apotex à s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait que ses opinions sur la norfloxacine reposent sur des éléments de preuve obtenus d'autres sources.

[24]      Dans les premières pages de son premier affidavit, le docteur McClelland précise qu'on lui a demandé de déterminer si le procédé d'Apotex tombait sous le coup des revendications du brevet 961. Il a donc examiné le brevet 961 et le procédé d'Apotex et a conclu que le procédé d'Apotex n'était pas expressément visé par les revendications du brevet 961. Il déclare ensuite :

[TRADUCTION]
Toutefois, le brevet revendique aussi des équivalents chimiques du procédés visé par les revendications 1 et 8. Il y a donc lieu de se demander si le procédé d'Apotex est un équivalent chimique évident du procédé revendiqué par le brevet 96120.

[25]      Il poursuit son affidavit en précisant d'abord les éléments de preuve qu'il juge pertinents à cette question, puis formule son opinion sur le fondement des éléments de preuve en question en réponse à la question qui vient d'être formulée. Pour établir les éléments de preuve sur lesquels il fait reposer son opinion, le docteur McClelland invoque deux sources : quatre brevets canadiens et l'affidavit du docteur Karimian.

[26]      Dans son affidavit, le docteur Karimian exprime l'opinion suivante au sujet de sa consultation des brevets canadiens 961 et 966 qui ont été enregistrés subséquemment :

Il semble ressortir de ma recherche que la présence d'un acide carboxylique, de son ester ou d'un complexe du bore en position 3 soit jugée nécessaire pour l'activation du carbone en position 7, en vue du déplacement nucléophile du chlore par une pipérazine21.

[27]      Dans son affidavit, le docteur McClelland fait siens les commentaires descriptifs formulés par le docteur Karimian au sujet de seulement quatre des six brevets examinés par le docteur Karimian. Par conséquent, même si le fondement de la preuve est quelque peu différent, le docteur McClelland se rallie à l'avis du docteur Karimian qui vient d'être formulé. Voici ce qu'il déclare ensuite au sujet des quatre brevets après les avoir lui-même examinés et avoir souscrit à l'avis de son collègue:

Les brevets mentionnés au paragraphe 15 de mon affidavit exposent différents procédés de couplage d'une pipérazine et d'une quinoléine. Seul un acide carboxylique, ou un ester d'acide carboxylique ou un dérivé borique d'acide carboxylique, est envisagé comme substituant possible en position 3 du noyau quinoléine, lorsque survient la réaction de couplage22.

[28]      Le docteur McClelland exprime ensuite l'avis suivant au sujet de l'importance à accorder à cette conclusion :

À mon avis, compte tenu de l'état des connaissances générales, une personne versée dans l'art en cause n'aurait pas pensé que l'utilisation d'un brome en position 3 du noyau quinoléine pouvait permettre la réalisation de la réaction de couplage23.

[29]      Merck soutient que, à l'exception peut-être du brevet canadien no 1 214 46624, pour les motifs ci-après exposés, les brevets délivrés après le dépôt de la demande visant le brevet 961 ne sont pas pertinents lorsqu'il s'agit d'établir l'état antérieur de la technique. Je souscris à cet argument.

[30]      À mon avis, le fait que les brevets ultérieurs portent uniquement sur un acide carboxylique, un ester d'acide carboxylique ou un dérivé borique d'acide carboxylique en position 3 ne prouve rien de déterminant. Ce fait démontre uniquement qu'après l'enregistrement du brevet 961, les titulaires de brevets susmentionnés n'ont rien utilisé d'autre en position 3. Partir de ce fait pour conclure que seule cette utilisation est " envisagée " et qu'une personne versée dans l'art ou le science en cause n'aurait pas pensé à l'utilisation d'un brome en position 3 constitue, à mon sens, de la pure spéculation.

[31]      Je conclus donc, qu'à l'exception du brevet 466, les brevets subséquents en cause ne sont pas pertinents pour l'interprétation du brevet 961.

[32]      La pertinence du brevet 466 a été établie par le juge Desjardins dans l'arrêt Nu-Pharm Inc. c. Abbott Laboratories et al25. Je suis d'accord avec Merck pour dire que l'arrêt Abbott appuie la proposition qu'un brevet subséquent peut être pertinent lorsqu'il s'agit de démontrer l'état de la technique pour ce qui est du brevet à l'examen, lorsque les deux brevets sont le fait du même inventeur.

[33]      La valeur de la comparaison réside dans la différence qui existe entre les deux brevets. Dans l'affaire Abbott, le brevet à l'examen, le brevet 151 détenu par Abbott Laboratories, concernait un solvant organique, ce qui n'était pas le cas du brevet subséquent, qui était également détenu par Abbott Laboratories, et qui était qualifié de " nouveau procédé ". Le juge Desjardins a par conséquent estimé qu'en pareil cas, la question qu'on peut se poser est celle de savoir pourquoi la présence d'un acétone dans le brevet à l'examen ne constituait pas un élément essentiel du procédé revendiqué dans le brevet subséquent.

[34]      Si l'on applique ces conclusions aux faits de la présente espèce, on constate que le brevet 466 décrit une réaction de substitution nucléophilique de la chlorine en position 7 par une pipérazine lorsque le substituant de la quinoléine en position 3 est un ester plutôt qu'un acide carboxylique, comme dans le cas du brevet 961. La question qu'on peut se poser est donc celle de savoir pourquoi la présence d'un acide carboxyliqueacétone en position 3 ne constituait pas un élément essentiel du procédé revendiqué dans le brevet 961.

[35]      La réponse de Merck à cette question se trouve dans son argument que le brevet 466 ne vise pas un " nouveau procédé ", mais qu'il constitue plutôt un " brevet de perfectionnement ". Il est précisé dans le brevet 466 que, dans le brevet 961, [TRADUCTION] " la pureté du produit de départ et la condition de réaction exercent une influence considérable sur le rendement du produit purifié "26. Voici ce qu'il déclare à cet égard :

Dans le cadre de la présente invention, nous avons découvert, à notre grande surprise, que le sous-produit susmentionné ne découlait pas d'une confirmation par chromatographie liquide à haute vitesse. Par conséquent, le produit est obtenu à haut rendement et peut facilement être purifié. De plus, la substance intermédiaire peut être dissoute dans bien des solvants et, ainsi, être facilement purifiée. Cette invention présente des caractéristiques distinctives à ces égards, lorsqu'on la compare au contenu du dossier d'antériorité.27

[36]      À la lumière de ce témoignage, je souscris à l'argument de Merck suivant lequel le brevet 466 est un brevet de perfectionnement et je conclus donc, en ce qui concerne l'état antérieur de la technique, qu'on ne peut accorder aucune importance à la différence qui existe entre ce brevet et le brevet 961.

[37]      Par conséquent, compte tenu de mes conclusions au sujet des brevets antérieurs examinés par le docteur McClelland, je n'accorde aucune valeur aux avis qu'il a formulés à leur sujet.

[38]      Il ne reste qu'un seul avis d'expert principal, celui qu'a donné le docteur McClelland, au sujet duquel il est nécessaire de tirer une conclusion en ce qui concerne la valeur. Cet avis porte sur une déclaration que l'on trouve dans les ouvrages scientifiques que le docteur McClelland cite pour appuyer les avis que je viens d'évaluer. Voici le texte intégral de cet avis :

Je suis appuyé dans mon opinion par l'article de Daniel Bouzard intitulé " Recent Advances in the Chemistry of Quinolones ", publié dans Recent Progress in the Chemical Synthesis of Antibiotics et annexé en tant que pièce 7 au présent affidavit. L'article résume l'état des connaissances sur les différentes méthodes de synthèse de la classe des composés de quinoléine. À la page 274, l'auteur indique que la réactivité de l'halogène en position 7, l'atome déplacé lors du couplage, subit fortement l'influence du substituant en position 3. Il ressort implicitement de cet article qu'il doit y avoir présence d'un acide carboxylique, d'un ester d'acide carboxylique ou d'un complexe du bore en position 3. De plus, comme il a déjà été mentionné, les personnes versées dans l'art auquel se rapporte l'invention ne s'attendront pas à ce qu'il suffise d'un brome en position 3 pour provoquer l'activation du carbone en position 7 du noyau quinoléine, activation qui est requise pour que se réalise le couplage. Ainsi, cet article n'envisage pas la présence d'un brome en position 3 de la quinoléine dans la réaction de couplage. Je suis donc d'avis que, à la lumière des connaissances générales qui ont cours, la 3-bromoquinoléine n'est pas un équivalent chimique évident du procédé revendiqué dans le brevet 96128.

[39]      Le livre dans lequel figure l'article de Bouzard a été publié en 1990, et l'éditeur chargé de recueillir les articles a précisé que le but de cet ouvrage était de [TRADUCTION] " tracer un profil à jour des propriétés chimiques des antibiotiques les plus importants "29. Bouzard, pour sa part, a formulé ainsi la raison pour laquelle il avait rédigé l'article    :

[TRADUCTION] Cet exposé résume les propriétés chimiques des nouvelles fluoroquinolones. La norfloxacine, qui a été la première de ces substances, a été signalée la première fois en 1980 par H. Koga [3] et elle met en évidence des modifications des structures classiques qui ont été signalées dans la littérature scientifique30.

[40]      L'auteur de l'article examine la structure chimique de substances de la classe dont fait partie la norfloxacine, ainsi que les propriétés chimiques de quelque 32 quinolones et composés connexes et, pour ce qui est des dérivés en position 7, l'affirmation de la page 274 à laquelle fait allusion le Dr McClelland dans la dernière citation de son opinion ci-dessus est formulée ainsi    :

[TRADUCTION] Dans la série des quinolones, lorsque l'halogène en position 7 est un atome de chlore, la condensation des amines est efficace uniquement sur les acides carboxyliques libres. Si un atome de fluor est présent en position 7, le déplacement nucléophile peut être réalisé sur des esters d'acide carboxylique31. [Non souligné dans l'original.]

[41]      Je ne suis tout simplement pas d'accord pour dire que ces propos peuvent servir à établir le bien-fondé de la conclusion qui est attribuée au docteur McClelland et sur laquelle il fonde son opinion. En 31 pages, l'article donne un résumé des résultats de dix années d'essais cliniques. L'article est donc de caractère descriptif. Si on les situe dans leur contexte, je ne crois pas que les propos de Bouzard " " est efficace uniquement sur les acides carboxyliques libres " " puissent être interprétés comme impliquant la nécessité " de la présence d'un acide carboxylique, d'un ester d'acide carboxylique ou d'un complexe du bore en position 3 ", comme le soutient le docteur McClelland.

[42]      Vu les mots employés, si on les situe dans leur contexte, il y a à mon sens fortement lieu de douter que Bouzard sous-entendait quoi que ce soit. Une autre conclusion que ces propos permettent de tirer est que, en ce qui concerne la composition chimique qu'il a examinée, la condensation des amines n'était efficace que dans le cas des acides carboxyliques libres. Il est, à mon avis, risqué de la part du docteur McClelland d'attribuer un tel sens critique analytique à une seule expression ambiguë et cela équivaut à de la spéculation sur ce que Bouzard voulait réellement dire.

[43]      En conséquence, je n'accorde aucune valeur aux avis formulés par le docteur McClelland aux paragraphes 19 et 20 de son affidavit du 26 août 1996.

     3. Conséquence de ces conclusions

[44]      En raison des conclusions que je viens de tirer au sujet de la valeur à accorder aux éléments de preuve susmentionnés, les témoignages d'opinion principaux qu'Apotex a soumis pour se décharger de son fardeau de la preuve sont faibles.

III. Les questions en litige

A. Recevabilité de la demande de contrôle judiciaire

     1. Pertinence de la présentation de drogue nouvelle

[45]      Vu le jugement rendu par le juge McKeown dans l'affaire Smithkline Beecham Pharma Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), je conclus que le contenu de la présentation de drogue nouvelle n'est pas pertinent en l'espèce pour ce qui est de la demande d'avis de conformité présentée par Apotex32.

     2. Question de l'" exploitabilité "

[46]      Merck fait valoir que, parce qu'Apotex déclare, dans son allégation, que [TRADUCTION] " Apotex Inc. dispose de norfloxacine fabriquée à l'aide d'un procédé qui ne contrefait aucune des revendications du brevet ", le fardeau de la preuve qui lui est imposé dans le cadre de la présente demande l'oblige à démontrer que le procédé en question est " exploitable ". En ce qui concerne cette question, Apotex soutient que la question de savoir si elle est tenue de faire cette preuve n'a pas été régulièrement " mise sur le tapis " parce qu'elle n'est pas mentionnée dans l'avis de requête introductif d'instance par lequel la présente demande a été introduite.

[47]      Il ressort de la preuve que le procédé d'Apotex a permis à celle-ci de produire de la norfloxacine et, par conséquent, je conclus que la question est sans intérêt dans le cadre de la présente instance et qu'elle ne justifie pas qu'on lui donne une réponse qui ferait jurisprudence.

[48]      Je conclus donc qu'il n'existe aucun empêchement à l'introduction de la présente demande de contrôle judiciaire.

B. Facteurs applicables à la contrefaçon du brevet

[49]      Bien qu'il ne s'agisse pas en l'espèce de décider s'il y a eu contrefaçon du brevet 961, mais plutôt de vérifier et d'établir la solidité de l'allégation formulée par Apotex, la méthode qui est habituellement suivie dans les affaires comme la présente consiste à examiner la preuve à la lumière des facteurs établis en matière de contrefaçon de brevets.

[50]      Voici en quels termes le juge Marceau formule l'objectif premier qui est visé lorsqu'il s'agit de déterminer si un brevet a été contrefait :

[...] il faut interpréter les revendications [du brevet] afin de déterminer ce qui est exactement couvert par la portée des droits de l'inventeur. Une fois, cela déterminé, la Cour peut examiner le produit de la défenderesse afin de décider s'il est embrassé par la portée de la revendication33.

C. Portée du brevet 961

[51]      Pour définir la portée du brevet, il faut donner à celui-ci une interprétation téléologique. Autrement dit, il faut examiner le libellé de la revendication en cause, ainsi que l'état de la technique au moment du dépôt de la demande visant le brevet pour déterminer l'intention de l'inventeur34. Lors du débat, l'avocat d'Apotex a soutenu qu'il faut évaluer les caractéristiques énumérées suivantes pour pouvoir tirer une conclusion au sujet de l'intention de l'inventeur du brevet 961.

     1. Libellé des revendications du brevet 961

[52]      La question qui se pose est celle de savoir si le libellé des revendications en litige qui sont contenues dans le brevet 961 permet de conclure à une volonté d'accorder une large protection. Je suis d'accord avec Merck pour dire que cette volonté nette ressort de l'emploi des mots " équivalents chimiques évidents " que l'on trouve à la revendication 11, ainsi que de l'emploi du verbe " englobe " plutôt que de mots comme " constitue ", " consiste en " ou " est ". Je conclus que l'emploi de ces termes dénote une intention de conférer une large protection.

     2. État de la technique au moment du dépôt de la demande visant le brevet 961

[53]      L'état de la technique au moment de l'invention est pertinent pour prouver ce que l'inventeur pouvait avoir en tête lorsque les revendications du brevet ont été rédigées. En d'autres termes, si une variante déterminée du procédé revendiqué avait été évidente au moment de la création de l'invention, on pourrait alors dire que l'inventeur l'avait en vue et qu'il voulait la protéger au moment où les revendications ont été rédigées.

[54]      À cet égard, Apotex soutient que l'article de Bouzard et le brevet 466 sont importants pour démontrer l'intention de conférer une portée étroite au brevet 961. Toutefois, à cause des doutes qui, selon ce que j'ai conclu, subsistent au sujet de la signification à accorder aux mots clés de l'article de Bouzard, je n'y accorde aucune valeur en tant que preuve de l'état antérieur de la technique. Par ailleurs, ainsi que je l'ai déjà conclu, aucune valeur ne peut être accordée au brevet 466 pour faire la preuve de l'état antérieur de la technique.

[55]      Je conclus donc que les revendications du brevet 961 ont été rédigées dans l'intention de conférer une large protection à l'invention revendiquée.

D. Le procédé d'Apotex tombe-t-il sous le coup des revendications du brevet 961 ?

[56]      Au cours du débat en réplique, les avocats ont convenu que seules les deux caractéristiques suivantes du procédé d'Apotex qui diffèrent du brevet 961 nécessitent une décision, à savoir l'utilisation par Apotex de brome en position 3 et l'utilisation de la réaction de cyanation à l'étape VI.

[57]      En ce qui concerne l'évaluation de ces variantes, les avocats de Merck et d'Apotex ont tous les deux fait valoir leur point de vue en se fondant sur la méthode énoncée par le juge Hoffman dans le jugement Improver Corp. et al. v. Remington Consumer Products Limited et al. :

[TRADUCTION]
Si la question en litige est celle de savoir si une caractéristique visée par la présumée contrefaçon qui échappe à la signification principale, littérale ou contextuelle d'une expression ou d'un mot descriptif contenu dans la revendication (une " variante ") était néanmoins légitimement visé par son libellé, suivant une interprétation acceptable, le tribunal doit se poser les trois questions suivantes [...]35.

[58]      Comme la question en litige en l'espèce s'apparente à celle qu'a formulée le juge Hoffman, voici une application de la méthode qu'il propose aux éléments de preuve présentés en l'espèce.

     1. La variante a-t-elle un effet appréciable sur l'exploitation de l'invention ? Si la réponse est affirmative, la variante n'est pas visée par la revendication. Si la réponse est négative, il faut passer à la question no 2.
         a. en ce qui concerne le brome en position 3
[59]      La thèse d'Apotex est que la présence d'un acide carboxylique, de son ester ou d'un complexe du bore est nécessaire en position 3 du noyau quinolone pour activer la réaction de déplacement nucléophile du chlore par une pipérazine en position 7. Toutefois, compte tenu de mes conclusions au sujet de la valeur à accorder au témoignage d'expert du docteur McClelland, cet argument est mal fondé. En conséquence, à ce moment-ci, le seul témoignage d'opinion qui demeure au sujet de cette la variante en question est celui du docteur Just.
[60]      Le docteur George Just a témoigné, pour le compte de Merck, que la présence d'un acide carboxylique, de son ester ou d'un complexe du bore en position 3 peut améliorer le taux de réaction de déplacement nucléophile et la formation de produits dérivés, mais que la présence d'un acide carboxylique, de son ester ou du bore n'est pas nécessaire pour que la réaction de déplacement nucléophile du chlore par une pipérazine se produise en position 7. Suivant le docteur Just, c'est le groupe carbonyle en position 4 du complexe de la quinolone qui active, par retrait d'électrons, le déplacement nucléophile en position 7 et, partant, la présence d'un dérivé du brome plutôt qu'un acide carboxylique en position 3 est d'une importance secondaire en ce qui concerne la réaction de déplacement nucléophile en position 7.
[61]      Bien que le docteur Just n'ait pas personnellement produit de norfloxacine, son témoignage d'expert sur sa composition chimique est limpide, motivé et convaincant. D'ailleurs, la seule contestation sérieuse dont ce témoignage a fait l'objet réside dans les critiques suivantes formulées par le docteur McClelland : les structures chimiques citées par le docteur Just à titre d'exemples et d'analogies pour étayer son opinion au sujet du rôle du substituant en position 3 concernent le benzène et ne s'appliquent donc pas aux quinolones; qui plus est, le carbonyle en position 4 du complexe de quinolone n'est pas un " véritable " carbonyle et n'agira pas comme un groupe de retrait d'électrons permettant d'activer la réaction de déplacement nucléophile en position 7 en l'absence d'un acide carboxylique, de son ester ou d'un complexe du bore en position 3.
[62]      En ce qui concerne la première critique, j'accepte l'argument de Merck suivant lequel l'avis du docteur Just porte non seulement sur le composé benzénique, mais aussi, de façon plus générale, sur le groupe plus important des composés aromatiques. En ce qui concerne la seconde critique, il y a lieu de douter fortement de sa justesse, compte tenu du fait que le docteur McClelland a reconnu que même un carbonyle " hybride " joue un rôle d'activation suffisant pour que la réaction de déplacement nucléophile se produise.
[63]      Je n'accorde aucune importance à ces critiques et j'accorde en conséquence une grande valeur à l'opinion du docteur Just.
[64]      En conséquence, la réponse à la question posée au sujet de cette variante est négative. Le brome en position 3 n'a pas d'effet appréciable sur l'exploitation de l'invention.
         b. en ce qui concerne la réaction de cyanation à l'étape VI
[65]      Compte tenu des expériences qui ont été menées au cours de la phase de développement, il est évident que les étapes que comporte le procédé d'Apotex constituent une tentative faite en vue de se soustraire aux revendications du brevet 961. L'étape VI est nécessaire pour modifier ce que j'ai considéré comme une variante n'ayant aucun effet appréciable, le brome en position 3, en du COOH en position 3, en vue d'obtenir de la norfloxacine. Je conclus, à la lumière du témoignage du docteur Just, que l'étape VI est bien connue en chimie et qu'elle est une variante qui bénéficie de la protection conférée par les revendications du brevet 961.
[66]      Il découle de ces conclusions que seule la variante du brome en position 3 doit être prise en compte pour répondre aux questions qui suivent.
     2. Ce fait (c.-à-d.le fait que la variante n'avait aucun effet appréciable) aurait-il été évident à la date de publication du brevet pour une personne versée dans la technique ? Si la réponse est négative, la variante n'est manifestement pas visée par la revendication. Si la réponse est affirmative, il faut passer à la question no 3.
[67]      À la lumière du témoignage du docteur Just, je conclus que la réponse est affirmative.
     3. La personne versée dans la technique aurait-elle néanmoins compris, à la lecture de la revendication, que le titulaire du brevet voulait qu'une stricte adhésion à la signification principale constitue une condition essentielle de l'invention ? Si la réponse est affirmative, la variante n'est pas visée par la revendication. En revanche, une réponse négative à la dernière question amènerait à la conclusion que le titulaire du brevet voulait que le mot ou l'expression ait un sens figuré, pas un sens littéral, ce qui évoque une catégorie de choses qui comprenait la variante et le sens littéral, ce dernier constituant peut-être l'exemple le plus parfait, le plus connu et le plus frappant de la catégorie.
[68]      À la lumière du témoignage du docteur Just, je conclus que la réponse est négative.
[69]      Vu l'analyse à laquelle j'ai procédé, il semble que le docteur Karimian n'aurait pas dû être étonné par la façon dont le procédé d'Apotex était exploité.
IV. Réparation
A. Bref de prohibition
[70]      Ainsi que je l'ai déjà conclu, le témoignage d'opinion principal qu'Apotex a présenté pour se décharger de son fardeau de la preuve est faible. En conséquence, le témoignage limpide, motivé et convaincant que le docteur Just a donné et auquel j'accorde une grande valeur, a sans nul doute pour effet de permettre à Merck de s'acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex n'est pas justifiée.
[71]      En conséquence, j'accorde l'ordonnance sollicitée par Merck en vue de faire interdire au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité pour le médicament norfloxacine tant que le brevet 961 ne sera pas expiré.
B.      Dépens
[72]      Comme elle a obtenu gain de cause dans la présente demande, j'adjuge les dépens à Merck.

     Douglas Campbell
                                         JUDGE
OTTAWA (Ontario)
Le 18 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     ANNEXE I

     DIAGRAMME A

     DIAGRAMME B

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1502-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Merck Frosst Canada Inc. et al. c. Ministre de la      Santé nationale et du Bien-être social

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          7, 8 et 9 décembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Campbell le 18 décembre 1998


ONT COMPARU :

Mes J. Nelson Landry              pour les demanderesses

et Judith Robinson


Mes Harry B. Radomski              pour les défendeurs

et Ivor M. Hughes


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault                  pour les demanderesses

Montréal (Québec)


Goodman Phillips & Vineberg          pour la défenderesse Apotex Inc.

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg              pour l'intimé, le ministre de la Santé
Sous-procureur général du Canada          nationale et du Bien-être social

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Cette déclaration est celle du docteur Kashayar Karimian, chef du département de chimie médicale chez Apotex Research Inc. (dossier de la demande, p. 469). Les parties à la présente demande de contrôle judiciaire sont les demanderesses Merck & Co. Inc., le titulaire de la licence du brevet en litige et Merck Frosst Canada Inc., le titulaire de la sous-licence (ci-après désignés collectivement sous le nom de Merck), et la défenderesse Apotex Inc., un fabricant de médicaments (Apotex).

2      Ci-après appelé le brevet 961.

3      Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C., 1993, ch. 2.

4      Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98-166 (le Règlement sur les avis de conformité).

5      Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch 870.

6      Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 319 (C.A.F.) (" Merck Frosst ").

7      Apotex Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1997), 76 C.P.R. (3d) 1, aux pages 5 et 6 (C.A.F.).

8      Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994) 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 217 (C.A.F.).

9      Merck Frosst, supra, note 6.

10      Ibid.

11      Ibid. Voir également l'arrêt Bayer A.G. et al. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 60 C.P.R. (3d) 129, à la page 134 (C.A.F.), et AB Hassle c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 323, à la page 327 (C.F. 1re inst.).

12      Hoffman-La Roche Ltd. et al. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1996), 67 C.P.R. (3rd) 487, à la page 484; conf. à (1996), 70 C.P.R. (3rd) 1 (C.A.F.).

13      Dossier de la demande, p. 4.

14      Dossier de la demande, p. 32.

15      Voir à l'annexe 1 ci-jointe pour une illustration claire et facile à consulter de la numérotation; voir dans le diagramme A ci-joint la réaction de substitution nucléophile dans le procédé du brevet 961.

16      Voir l'illustration du procédé d'Apotex dans le diagramme B ci-joint.

17      Le docteur Just enseigne la chimie organique à l'Université McGill depuis 1958, et il est l'auteur et le coauteur de nombreuses publications, en plus d'agir comme conseiller auprès de compagnies phamaceutiques. Le docteur McClelland est professeur de chimie à l'université de Toronto depuis 1983 et est également l'auteur et le coauteur de nombreuses publications, en plus d'agir lui aussi comme conseiller auprès de compagnies phamaceutiques. Le docteur Karimian est pour sa part titulaire d'un doctorat en chimie bio-organique et, comme il a déjà été mentionné, il est le chef du département de chimie médicinale chez Apotex Research Inc.

18      Dossier de la demande, p.475.

19      Dossier de la demande, p.285.

20      Dossier de la demande, p. 692.

21      Dossier de la demande, p. 475.

22      Application Record, p.693.

23      Ibid.

24      Le brevet canadien no 1 214 466 est ci-après appelé le brevet 466.

25      Nu-Pharm Inc. c. Abbott Laboratories et al., non publié, A-84-98, 28 septembre 1998 (C.A.F.).

26      Dossier de la demande, p. 740.

27      Application Record, p.742-743.

28      Dossier de la demande, p. 693.

29      Dossier de la demande, p. 799.

30      Dossier de la demande, p. 802.

31      Application Record, p.814.

32      Smithkline Beecham Pharma Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1997), 138 F.T.R. 310, 77 C.P.R. (3d) 147, aux pages 149 et 150 (C.F. 1re inst.).

33      Mobil Oil Corp. et al. c. Hercules Canada Inc., (1995), 63 C.P.R (3rd) 473, à la p. 489 (C.A.F.).

34      Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, aux pages 242 et 243 (H.L.).

35      Improver Corp. et al. v. Remington Consumer Products Limited et al., [1990] F.S.R. 181, aux pages 188 et 189.

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