Date : 20021112
Dossier : IMM-1740-01
Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD
Entre :
SULEYMAN GOVEN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'immigration Anne Dello, datée du 20 mars 2001, est accueillie et l'affaire et renvoyée pour nouvel examen par un agent d'immigration différent.
« Yvon Pinard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20021112
Dossier : IMM-1740-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1161
Entre :
SULEYMAN GOVEN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'immigration Anne Dello (l'agente), datée du 20 mars 2001, dans laquelle elle déclarait qu'on ne pouvait accorder le statut de résident permanent au demandeur. L'agente a conclu que le demandeur était une personne décrite à la division 19(1)f)(iii)B de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, en tant que personnes suivantes : « celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles : soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée ... à des actes de terrorisme » .
Le demandeur Suleyman Goven est un Kurde et il est citoyen de la Turquie. Possédant le statut de réfugié au sens de la Convention, il a fait une demande de droit d'établissement en mars 1993. Le traitement de sa demande a été retardé par la vérification de ses antécédents confiés au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le SCRS a fait rapport des résultats de son enquête aux fonctionnaires de l'immigration le 9 août 1995.
Le 1er août 1997, Mary Jo Leddy, directrice de Romero House, une agence pour le placement des réfugiés, a présenté une plainte au directeur du SCRS portant sur le délai dans le traitement de la vérification des antécédents du demandeur. Mme Leddy a aidé le demandeur àprésenter une plainte formelle au Comitéde surveillance des activités du renseignement de sécurité(CSARS). Le CSARS a tenu une enquête formelle àhuis clos, qui a duré15 jours, suite à laquelle elle a délivré son rapport le 3 avril 2000. Parmi les questions soulevées à l'audience, on trouve la nature du Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), l'importance de la période de temps utilisée pour la vérification de sécurité, la façon dont les agents du SCRS traitent les dossiers de vérification de sécurité, et la nature des avis du SCRS aux fonctionnaires de l'immigration. Dans son rapport, le CSARS déclare que le dossier du SCRS sur le demandeur n'établissait pas l'existence de motifs raisonnables de croire qu'il était membre du PKK.
Le 20 mars 2001, l'agente a rejeté la demande de droit d'établissement, se fondant sur sa croyance que le demandeur était membre du PKK.
Le demandeur soutient que l'agente lui a délivré sa lettre de rejet après lui avoir dit qu'elle ne prendrait pas de décision dans son affaire. Dans son affidavit, l'agente confirme qu'elle a déclaré au demandeur qu'elle ferait rapport à Ottawa. Elle déclare que c'est ce qu'elle dit normalement aux demandeurs, étant donné le fait qu'elle n'a un pouvoir de décision finale qu'en matière de refus, les approbations devant obtenir l'autorisation du Ministère.
La position de l'agente ressort de l'extrait suivant de sa décision :
[Traduction]
Je suis convaincue qu'au vu des renseignements publics dont j'ai pris connaissance, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est une organisation qui se livre au terrorisme. J'ai aussi conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que le Toronto Kurdistan Community and Information Centre (TKCIC) appuie le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Je suis arrivée à cette conclusion en me fondant sur les renseignements suivants. Des membres connus du PKK ont séjourné au Canada et il y a de la preuve portant qu'ils auraient eu des contacts avec le TKCIC ou qu'ils s'y seraient rendus. Le TKCIC a toute une documentation au sujet du PKK et on y trouve aussi des photos de membres importants du PKK. Le TKCIC reçoit chaque jour une télécopie intitulée « Dem-Ajans » , en provenance de l'agence de presse kurde qui est appuyée par le PKK. Finalement, la preuve indique aussi que le TKCIC aurait participé à des levées de fonds en 1987 pour l'achat de missiles sol-air (SAM) pour le PKK.
Vous étiez président du TKCIC de 1993 à 1994, ainsi que membre de l'exécutif du TKCIC de 1996 à 1997. Compte tenu des postes que vous avez détenus au TKCIC, j'ai conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que vous étiez membre du PKK.
Le demandeur soutient notamment que l'agente n'a pas tenu compte d'une preuve pertinente en ne faisant aucun état de la décision du CSARS ou de la déclaration du demandeur au sujet des levées de fonds pour le PKK.
Dans Taher c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (le 7 septembre 2000), IMM-5255-99, le juge Denault déclare ceci, au paragraphe 14 :
. . . Il s'agit d'un principe élémentaire de droit que l'on doive présumer qu'un tribunal a tenu compte de l'ensemble de la preuve dont il était saisi. Pourtant, un tribunal n'a pas l'obligation de mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve dont il a tenu compte avant de rendre sa décision. Par surcroît, le fait que certains éléments de preuve ne soient pas mentionnés dans les motifs du tribunal ne veut pas dire qu'il n'en a pas été tenu compte.
Par conséquent, la Cour doit présumer que l'agente n'a pas omis de tenir compte de la déclaration du demandeur au sujet des levées de fonds pour le PKK. Toutefois, plus la preuve est pertinente, plus il est important que le décideur en fasse état dans ses motifs. Dans Cepeda-Gutierrez c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (le 6 octobre 1998), IMM-596-98, [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL), le juge Evans déclare à ce sujet :
[15] La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiréla conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionnédans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents àla conclusion, et en arriver àune conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera àconfirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.
[16] Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence àchaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.
[17] Toutefois, plus la preuve qui n'a pas étémentionné e expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée àinférer de ce silence que l'organisme a tiréune conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)(1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examinél'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discutédans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.
(Non souligné dans l'original.)
L'agente ne mentionne aucunement le rapport du CSARS dans sa décision. Elle déclare tout simplement qu'elle a examiné [Traduction] « les renseignements que vous avez fournis et ceux qui se trouvent au dossier » . L'agente était le décideur final et elle n'était pas tenue de suivre le rapport du CSARS. Toutefois, étant donnéque ce rapport était issu d'une audience longue, complexe et de nature officielle, où l'on a traitéde façon directe de la question de savoir si le demandeur pouvait avoir été membre du PKK, pour ensuite arriver à une conclusion différente que celle de l'agente, elle aurait dû dire pourquoi elle en rejetait les conclusions.
Le défendeur soutient que le rapport du CSARS n'est pas pertinent, puisqu'il porte sur la question de savoir si le demandeur était membre du PKK et non sur le lien entre le TKCIC et le PKK, qui est le fondement de la décision de l'agente. En fait, le rapport du CSARS est nettement plus pertinent en l'instance que la preuve liant le TKCIC au PKK, étant donné qu'il porte directement sur la question centrale en litige.
Par conséquent, l'intervention de la Cour est justifiée sans qu'il soit nécessaire de traiter des autres arguments soulevés par le demandeur.
En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un agent d'immigration différent.
« Yvon Pinard »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 12 novembre 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1740-01
INTITULÉ: SULEYMAN GOVEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 15 octobre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : Le 12 novembre 2002
COMPARUTIONS:
Mme Barbara Jackman POUR LE DEMANDEUR
M. Donald MacIntosh POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Jackman, Waldman & Associates POUR LE DEMANDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)