Date : 20040625
Dossier : T-450-01
Référence : 2004 CF 919
Ottawa (Ontario), le 25 juin 2004
Présente : Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer
ENTRE :
JOHNNY DUPUIS
Demandeur
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire demandant une exemption constitutionnelle fondée sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (R.-U.) 1982, c.11 ( « la Charte » ) , ou subsidiairement, demandant que Santé Canada traite la demande du demandeur en vertu de l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, 1996, ch.19 ( « la Loi » ) sans exiger qu'il fournisse des déclarations d'un psychiatre.
[2] Le demandeur souffre du syndrome post-traumatique ( « SPT » ) depuis qu'il a été victime d'un acte criminel en 1977. Le 29 juillet 2000, Santé Canada recevait une demande de sa part pour une exemption en vertu de l'article 56 de la Loi lui donnant l'autorisation de posséder de la marijuana pour des fins médicales.
[3] Dans une lettre datée du 18 septembre 2000, Santé Canada requerrait du demandeur qu'il obtienne un rapport d'un psychiatre et qu'il donne des précisions concernant les différents traitements qu'il avait déjà essayés et ceux qu'il utilisait à ce moment-là.
[4] Le 23 janvier 2001, le médecin traitant du demandeur, Dr. Boucher, écrivait à Santé Canada que « depuis qu'il utilise de la marijuana [le demandeur] se dit bien soulagé et accepte les risques inhérents à l'utilisation de la marijuana » .
[5] Dans une lettre datée du 1er mai 2001, Santé Canada informait le demandeur de son intention de refuser sa demande à moins qu'il ne consulte un psychiatre relativement à ce traitement.
[6] Le 10 mai 2001, Dr. Boucher envoyait une deuxième lettre à Santé Canada dans laquelle il attestait que le demandeur était réticent à prendre tout médicament pour traiter son état de stress chronique.
[7] Le 31 octobre 2001, Santé Canada informait le demandeur que s'il souhaitait que Santé Canada poursuive l'examen de sa demande, il devait obtenir des déclarations d'un psychiatre indiquant que les traitements conventionnels ont été au moins considérés et jugés inappropriés pour lui sur le plan médical et que sa condition est si grave que l'accès à la marijuana serait justifié et nécessaire à son traitement à défaut de quoi sa demande serait refusée.
[8] Dans une lettre datée du 7 février 2002, Santé Canada avisait le demandeur que sa demande était refusée en raison du défaut de celui-ci de fournir les déclarations requises. La présente demande de contrôle judiciaire fait suite à ce refus.
[9] Le demandeur soumet que Santé Canada a violé ses droits tels que protégés par l'article 7 de la Charte lequel se lit comme suit :
Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. |
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Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice. |
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ANALYSE
[10] À la lumière de son avis de demande de contrôle judiciaire amendé, le demandeur demande une exemption constitutionnelle fondée sur l'article 7 de la Charte comme celle qui fut accordée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Regina c. Parker (2000), 49 O.R. (3d) 481. Dans cet arrêt, la Cour déclarait invalide la prohibition de la possession de la marijuana prévue à l'article 4 de la Loi dans le cas d'un épileptique M. Parker. Eu égard à la preuve qui lui avait été soumise, elle jugea que le processus d'exemption prévu à l'article 56 de la Loi ne permettait pas de palier à l'invalidité de l'article 4 de la Loi dans le cas de M. Parker.
[11] Bref, la Cour a trouvé que la prohibition sur la marijuana violait le droit à la sécurité de la personne de M. Parker car elle interférait avec son intégrité physique et psychologique, puisque M. Parker devait faire le choix entre commettre un crime pour obtenir un traitement efficace pour sa condition ou ne pas recevoir le traitement.
[12] Elle octroyait donc à M. Parker une exemption constitutionnelle de la prohibition de possession de marijuana prévue à l'article 4 de la Loi pour fins médicales.
[13] À mon avis, les conclusions dans cet arrêt ne sont pas applicables à la présente affaire car les faits en l'espèce diffèrent de manière importante de ceux dans Parker. Premièrement, M. Parker avait été accusé criminellement de cultiver et posséder de la marijuana dans sa maison. Deuxièmement, M. Parker avait démontré de manière convaincante à la Cour la nécessité de la marijuana au traitement de son épilepsie, une condition grave qui lui causait des crises si sévères qu'elles pouvaient même mettre sa vie en danger.
[14] Pour ce faire, il avait soumis une preuve importante au soutien de sa prétention que la marijuana était efficace pour traiter son épilepsie. De plus, il avait expliqué en détail son expérience avec la drogue et avait noté dans un journal ses effets pendant une période de six mois, période durant laquelle il avait également gardé son médecin au courant de la baisse dans le nombre et l'importance de ses crises épileptiques. Suite à cette expérience, ce dernier avait même conseillé à M. Parker de continuer à prendre de la marijuana en plus de ses médicaments. Son médecin avait aussi soumis à la Cour un rapport dans lequel il concluait que l'usage de la marijuana était nécessaire pour que M. Parker puisse contrôler ses crises épileptiques.
[15] Pour avoir droit à une exemption constitutionnelle, le demandeur a le fardeau de démontrer, comme l'a fait M. Parker, qu'il a un droit constitutionnel à consommer de la marijuana, ce qu'il n'a pas fait en l'espèce. La preuve médicale soumise par le demandeur ne permet pas de conclure que la consommation de marijuana est raisonnablement requise pour le traitement de la condition médicale du demandeur.
[16] Dans sa lettre à Santé Canada du 23 janvier 2001, Dr. Boucher écrit :
Depuis [que le demandeur] utilise la marihuana [sic] il se dit bien soulagé et accepte les risques inhérents à l'utilisation de la marihuana [sic]. Je ne peux que constater qu'il semble bien fonctionner. [Je souligne].
[17] Ceci ne constitue pas, à mon avis, une preuve convaincante que le demandeur requiert un usage médical de la marijuana pour traiter son SPT. À la lumière de la preuve au dossier, je considère plutôt que ce traitement semble être le choix du demandeur, qui ne veut pas retourner en psychothérapie. D'ailleurs, ce traitement n'a jamais été prescrit par son médecin traitant qui est un médecin généraliste et non pas un spécialiste dans le traitement des symptômes associés au stress chronique.
[18] Par ailleurs, le défendeur a déposé à la Cour l'affidavit du Dr. Marvin Lange, le psychiatre de l'hôpital Royal Victoria, qui affirme que l'usage de la marijuana n'est pas un traitement reconnu pour les symptômes du SPT. Aux paragraphes 17 et suivants de son affidavit, le Dr. Lange écrit :
17. Inhaling the smoke of maijuana is NOT a recognized treatment for the symptoms of PTSD [post-traumatic stress disorder] or any other anxiety disorder, including chronic stress. Studies have shown that persons who use marijuana have a significant incidence of experiencing panic attacks or anxiety (about 20%) and that in chronic users of marijuana there is a significant risk of anxiety, depression, or paranoia. [...]
18. Marijuana may give some very temporary relief of anxiety but then the usual experienced symptoms recur.
19. For these reasons, persons who have any anxiety disorder, including PTSD, are strongly discouraged from the use of marijuana.
20. A search of the medical literature does not reveal any controlled clinical trials that have shown that marijuana is of any value as a treatment for PTSD or any other Anxiety Disorder.
[19] Ainsi, la preuve médicale provenant d'un médecin spécialiste démontre plutôt le contraire, c'est-à-dire qu'une personne souffrant des symptômes du SPT ne devrait pas consommer de marijuana.
[20] De plus, il appert de la preuve que le demandeur a d'autres traitements efficaces et légaux qui lui sont disponibles. Il est indiqué sur la demande d'exemption que la condition du demandeur avait stabilisé suite à de la psychothérapie. Le demandeur n'est donc pas dans une situation où le seul traitement efficace disponible est la marijuana.
[21] En résumé, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la consommation de marijuana était raisonnablement requise pour le traitement de la condition médicale du demandeur.
[22] Je dois conclure que le demandeur n'a pas démontré que son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité a été violé par la décision de Santé Canada de lui refuser l'exemption prévue à l'article 56 de la Loi.
[23] Subsidiairement, le demandeur demande à la Cour une ordonnance le dispensant de fournir une évaluation psychiatrique telle qu'il avait été exigé par Santé Canada pour poursuivre l'examen de sa demande.
[24] La Cour ne saurait acquiescer à une telle demande puisque le demandeur n'a pas démontré à cette Cour que la décision de la défenderesse est manifestement déraisonnable. Considérant les informations contenues dans l'affidavit du Dr. Lange relativement à l'inefficacité de la marijuana comme traitement pour le SPT, je suis d'avis que le Ministre a exercé sa discrétion raisonnablement en exigeant une déclaration d'un psychiatre indiquant que les traitements conventionnels ont été au moins considérés et jugés inappropriés pour le demandeur sur le plan médical et que la condition du demandeur est si grave que l'accès à la marijuana serait justifié et même nécessaire à son traitement.
[25] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le tout sans frais.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le tout sans frais.
« Danièle Tremblay-Lamer »
J.C.F.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-450-01
INTITULÉ : JOHNNY DUPUIS c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 21 juin 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE DE : Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer
DATE DES MOTIFS : Le 25 juin 2004
COMPARUTIONS :
Michel Moreau POUR LE DEMANDEUR
Sébastien Gagné POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michel Moreau POUR LE DEMANDEUR
Gatineau (Québec)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)