Date : 20021210
Dossier : T-2153-00
Référence neutre : 2002 CFPI 1281
ENTRE :
CAMERON WATSON, SHARON BEAR, CHARLIE BEAR,
WINSTON BEAR et SHELDON WATSON,
chefs de famille des descendants directs de la bande
indienne de Chacachas, en leur nom personnel et au nom
de tous les autres membres de la bande indienne de Chacachas
demandeurs
et
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,
représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, et LA PREMIÈRE NATION D'OCHAPOWACE
défendeurs
ET ENTRE :
Dossier : T-2155-00
WESLEY BEAR, FREIDA SPARVIER, JANET HENRY,
FREDA ALLARY, ROBERT GEORGE, AUDREY ISAAC,
SHIRLEY FLAMONT, KELLY MANHAS, MAVIS BEAR
et MICHAEL KENNY, en leur nom personnel et au nom de tous les
autres membres de la bande indienne de Kakisiwew
demandeurs
et
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,
représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD CANADIEN, et LA BANDE INDIENNE
No 71 D'OCHAPOWACE
défendeurs
ET ENTRE :
Dossier : T-2463-91
LE CHEF DENTON GEORGE, ROSS ALLARY, LAIRD ALLARY,
WESLEY BEAR, MARGARET BEAR, ALBERT ISAAC ET
LLOYD BEAR, CHEF ET CONSEILLERS DE LA BANDE
INDIENNE No 71 D'OCHAPOWACE
demandeurs
et
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
et TOM SIDDON, MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD CANADIEN
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE HUGESSEN
[1] L'une des principales questions qui a été soulevée dans les actes de procédure ici en cause se rapporte au bien-fondé d'un règlement négocié en 1994 par la Couronne avec la bande indienne d'Ochapowace dans le contexte du processus des revendications particulières, au sujet de certaines présumées irrégularités qui avaient été relevées lors de la cession des terres de la bande en 1919 et du transfert subséquent par la Couronne de certaines terres de la réserve à la Commission d'établissement des soldats. Les demandeurs déclarent représenter deux bandes, qui ont formé la bande indienne d'Ochapowace par suite de la fusion des bandes indiennes de Chacachas et de Kakisiwew; selon les demandeurs, ces bandes ont continué à exister malgré la présumée fusion. Les deux bandes initiales avaient signé le Traité no 4 en 1874.
[2] Dans leur mémoire, les demandeurs formulent la question comme suit :
[TRADUCTION] [...] les demandeurs dans les deux actions allèguent qu'ils forment aujourd'hui et qu'ils ont toujours formé deux Premières nations distinctes. Ils allèguent également que cette position et les faits à l'appui ont été portés à la connaissance de la Couronne fédérale avant la négociation des ententes entre le Canada et la bande indienne d'Ochapowace, dans les années 1990. Ils allèguent que l'omission du Canada de tenir compte de ces faits lors des pourparlers en vue d'un règlement et l'omission de donner des conseils adéquats, constituaient un manquement à une obligation fiduciaire. Le Canada a affirmé en défense que les ententes portant règlement ont été négociées et signées au cours des années 1990 avec la Première nation d'Ochapowace et a déclaré que les demandeurs ne peuvent plus alléguer que deux Premières nations indépendantes continuent à exister ou que la bande indienne d'Ochapowace n'était pas légitimement partie aux ententes et n'avait pas légitimement signé les ententes.
[3] La requête ici en cause se rapporte à la revendication par la Couronne d'un privilège à l'égard de certains documents qu'elle serait par ailleurs obligée de communiquer. Le nombre de ces documents, qui s'élevait au départ à plus de 500, a été réduit par suite des efforts des avocats au début de l'audience, de sorte qu'il en reste à peine plus de 50. Ces documents étaient initialement divisés en deux listes, les documents mentionnés à l'appendice A faisant censément l'objet du litige ou du privilège relatif au [TRADUCTION] « dossier de l'avocat » et ceux mentionnés à l'appendice B faisant l'objet du secret professionnel entre l'avocat et son client. Toutefois, cette division a cessé d'être pertinente à l'audience lorsque Me Kindrachuk, agissant pour la Couronne, a abandonné (avec raison à mon avis) la revendication d'un privilège relatif aux communications liées à une instance tout en continuant à maintenir que certains documents et certaines parties de documents mentionnés à l'appendice A qui représentaient directement les conseils juridiques demandés ou obtenus par la Couronne faisaient encore l'objet du secret professionnel entre l'avocat et son client. J'ai ensuite demandé à Me Kindrachuk de supprimer les documents ou les parties de documents (dont le nombre est relativement peu élevé et dont le contenu n'est pas important) qui étaient selon moi, sur examen, de nature à divulguer les conseils juridiques demandés ou obtenus par la Couronne. Ces documents ainsi révisés et les autres documents mentionnés à l'appendice A doivent être communiqués aux demandeurs.
[4] Quant aux documents énumérés à l'appendice B, à part quelques exceptions non pertinentes, comme les pages couvertures de télécopies et les doubles de documents déjà mentionnés, j'estime qu'à première vue, ils font à juste titre l'objet du secret professionnel entre l'avocat et son client. Ils sont composés de communications entre les fonctionnaires de la Direction générale des revendications particulières et du ministère de la Justice au sujet des négociations qui ont mené à l'entente portant règlement de 1994. Cependant, les demandeurs affirment malgré tout que les documents devraient être communiqués parce que, selon eux, il a été renoncé au privilège. Si je comprends bien, cet argument comporte deux volets.
[5] Il est soutenu en premier lieu qu'en plaidant le règlement de 1994, la Couronne a renoncé à toute revendication d'un privilège au sujet des conseils juridiques obtenus en vue d'en arriver à ce règlement. Je ne suis pas d'accord. Si, en plaidant simplement une opération qu'elle a conclue après avoir obtenu des conseils juridiques, par exemple dans le cadre de l'achat d'une maison, une personne était réputée avoir perdu le droit de maintenir la confidentialité des conseils juridiques, le secret professionnel entre l'avocat et son client disparaîtrait à toutes fins utiles. Il importe de noter que, tout en plaidant le règlement, la Couronne n'a pas plaidé la réception de conseils juridiques s'y rapportant. Il s'agit donc d'un cas semblable à celui dont était saisi le juge Grotsky, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, dans l'arrêt Lac La Ronge Indian Band c. Canada, [1996] S.J. no 555 :
[TRADUCTION] Les avis juridiques n'ont rien à voir avec les questions qui sont ici en litige. Ils ne sont pas nécessaires pour expliquer les faits divulgués dans les documents qui ont été produits. La production de documents énonçant la position du Canada au sujet des droits fonciers issus de traités ne constitue pas une renonciation au secret professionnel entre l'avocat et son client en ce qui concerne les avis juridiques demandés. Comme il a été dit, le simple fait que des avis juridiques sont mentionnés dans la correspondance ne constitue pas une renonciation au secret professionnel eu égard aux circonstances de l'affaire.
[6] Selon le deuxième volet de l'argument, il y a renonciation au secret professionnel entre l'avocat et son client parce qu'au moins l'un des documents déjà communiqués par la Couronne sans objection atteste que des conseils juridiques ont été demandés et obtenus sur certains points ou que certaines conditions de règlement proposées ont été approuvées ou n'ont pas été approuvées par les avocats. Encore une fois, je ne suis pas d'accord. Le plaideur qui dit à son adversaire qu'il a reçu un avis juridique indiquant qu'il aura certainement gain de cause peut être aussi imprudent que l'avocat qui donne pareil avis, mais il ne perd pas pour autant son droit de revendiquer le privilège au sujet des conseils qu'il a de fait obtenus.
[7] Les demandeurs soutiennent également que leur position est d'autant plus solide qu'ils allèguent un manquement à une obligation fiduciaire et que la chose leur permet de bénéficier de tout avis juridique reçu pour leur compte par la Couronne en sa qualité de fiduciaire. Cela est également erroné, comme la Cour d'appel l'a statué dans l'arrêt Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, [1995] 2 C.F. 762. Les affaires portant sur la position d'un fiduciaire qui revendique en droit privé un privilège contre le bénéficiaire de la fiducie ne s'appliquent pas aux demandes qui sont faites contre la Couronne agissant à titre de fiduciaire pour les peuples autochtones, la situation de celle-ci à cet égard ne correspondant pas tout à fait à celle d'un fiduciaire ordinaire :
[...] La Couronne ne saurait être un « fiduciaire » ordinaire. Elle agit à plusieurs titres et elle représente de nombreux intérêts, dont certains sont nécessairement opposés. Non seulement agit-elle au nom ou dans l'intérêt des Indiens, mais encore doit-elle rendre compte à l'ensemble de la population canadienne. Elle participe, à de nombreux égards, à des litiges en instance. Elle doit toujours tenir compte des négociations juridiques et constitutionnelles en cours et à venir, avec les Indiens ou avec les gouvernements provinciaux, et on peut soutenir que ces négociations peuvent, à notre époque, être assimilées à des litiges en instance. Les conseils juridiques en cause peuvent très bien ne pas avoir été demandés, ni obtenus, dans l'intérêt exclusif ou principal des Indiens, et encore moins dans celui des trois bandes qui sont parties à l'instance. Il se peut très bien que ces conseils juridiques soient liés à des décisions en matière de politique, dans une grande diversité de secteurs qui n'ont que peu ou pas de liens avec l'administration des « fiducies » . Il est peu probable que le paiement des opinions juridiques données à la Couronne ait été prélevé sur les fonds « privés » des « fiducies » qu'elle administre...
[8] Le fait que le manquement à une obligation fiduciaire alléguée se rapporte principalement à la négociation, à la signature et à la mise en application d'ententes visant à régler des revendications en instance plutôt qu'à un droit issu d'un traité ne modifie aucunement les principes qui ont ci-dessus été énoncés. L'allégation selon laquelle la Couronne a négocié et signé une entente déraisonnable avec les demandeurs ne met pas ces derniers dans une meilleure situation lorsqu'ils cherchent à s'immiscer dans les relations confidentielles existant entre la Couronne et ses conseillers juridiques et ne permet pas de faire une distinction entre leur cas et les situations auxquelles les tribunaux faisaient face dans les affaires Samson et Lac La Ronge, précitées.
[9] Une ordonnance conforme aux remarques qui précèdent sera rendue en vue d'accueillir en partie la requête. Aucune ordonnance ne sera prononcée au sujet des dépens.
ORDONNANCE
Les documents énumérés à l'appendice A, tels qu'ils ont été révisés par la Cour à l'audience, ne font pas l'objet d'un privilège et doivent être produits; les documents énumérés à l'appendice B sont assujettis à un privilège et n'ont pas à être produits.
« James K. Hugessen »
Juge
Le 10 décembre 2002,
Ottawa (Ontario).
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2463-91
INTITULÉ : Chef Denton George et autres
c.
Sa Majesté la Reine et autre
LIEU DE L'AUDIENCE : Regina (Saskatchewan)
DATE DE L'AUDIENCE : le 21 novembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Hugessen
DATE DES MOTIFS : le 10 décembre 2002
COMPARUTIONS :
M. Mervin Ozirny POUR LE DEMANDEUR
M. Marvin Phillips
M. Mark Kindrachuk POUR LA DÉFENDERESSE
(SA MAJESTÉ LA REINE)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Phillips & Millen POUR LE DEMANDEUR
Regina (Saskatchewan)
M. Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada (SA MAJESTÉ LA REINE)
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2153-00
INTITULÉ : Cameron Watson et autres
c.
Sa Majesté la Reine et autres
LIEU DE L'AUDIENCE : Regina (Saskatchewan)
DATE DE L'AUDIENCE : le 21 novembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Hugessen
DATE DES MOTIFS : le 10 décembre 2002
COMPARUTIONS :
M. Douglas Kovatch POUR LE DEMANDEUR
M. Mark Kindrachuk POUR LA DÉFENDERESSE
(SA MAJESTÉ LA REINE)
M. Mervin Ozirny POUR LA DÉFENDERESSE
M. Marvin Phillips (OCHAPOWACE)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Silversides Kovatch Zborosky Beauchemin POUR LE DEMANDEUR
Regina (Saskatchewan)
M. Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada (SA MAJESTÉ LA REINE)
Phillips & Millen POUR LA DÉFENDERESSE
Regina (Saskatchewan) (OCHAPOWACE)
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2155-00
INTITULÉ : Wesley Bear et autres
c.
Sa Majesté la Reine et autres
LIEU DE L'AUDIENCE : Regina (Saskatchewan)
DATE DE L'AUDIENCE : le 21 novembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Hugessen
DATE DES MOTIFS : le 10 décembre 2002
COMPARUTIONS :
M.Robert Mitchell POUR LE DEMANDEUR
Mme Sandra Mitchell
M. Mark Kindrachuk POUR LA DÉFENDERESSE
(SA MAJESTÉ LA REINE)
M. Mervin Ozirny POUR LA DÉFENDERESSE
M. Marvin Phillips (OCHAPOWACE)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet Mitchell POUR LE DEMANDEUR
Dundurn (Saskatchewan)
M. Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada (SA MAJESTÉ LA REINE)
Phillips & Millen POUR LA DÉFENDERESSE
Regina (Saskatchewan) (OCHAPOWACE)