Date : 19980114
Dossier : IMM-3366-96
Entre :
CHING SHIN HENRY WONG,
requérant,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE REED
[1] Le requérant demande l'annulation d'une décision d'une agente des visas en date du 19 août 1996, dans laquelle sa demande de résidence permanente était refusée au motif qu'une personne à sa charge, sa fille, a une déficience intellectuelle. De l'avis de deux médecins, les services éducatifs spécialisés et la formation professionnelle dont elle aurait besoin, si elle était admise au Canada, entraîneraient ou risqueraient d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada.
[2] Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dispose comme suit :
19.(1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:
a) Persons who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impaiment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer, |
(i) ...
(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services; |
19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :
a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :
(i) ...
(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;
(non souligné dans l'original)
[3] En septembre 1992, le requérant a présenté à Hong Kong une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes. Sa demande a été refusée en mars 1994, parce que sa fille, Kar Yei, souffre du syndrome de Down et a été jugée non admissible.
[4] En décembre 1994, le requérant a présenté de nouveau une demande en passant par le bureau de Buffalo, dans l'État de New York (É.-U.). Il a demandé le droit d'établissement pour lui-même et les trois personnes à sa charge : son épouse, sa fille et son fils. Son fils étudie au Canada en vertu d'un visa d'étudiant depuis 1993.
[5] Le requérant a fait subir à sa fille une évaluation médicale au Canada par le Dr Ford. De l'avis de ce dernier, Kar Yei n'a pas besoin d'une supervision intensive de la part de sa famille ou de la collectivité, mais elle devrait avoir un environnement d'apprentissage approprié à ses besoins. Il a conclu qu'elle n'entraînerait pas un fardeau excessif pour les services sociaux offerts au Canada. Ce rapport a été fourni à l'appui de la demande du requérant déposée en décembre 1994.
[6] Le 24 mars 1995, le Dr Gabriel Chung, médecin agréé, a examiné Kar Yei à Hong Kong. Les médecins agréés sont choisis par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration pour lui remettre les rapports qu'ils établissent à la suite d'examens médicaux effectués pour les fins de l'immigration au Canada. Le rapport du Dr Chung indique que Kar Yei souffrait de troubles génétiques ou familiaux et qu'à sa naissance on a diagnostiqué qu'elle était atteinte du syndrome de Down. Le rapport indique qu'elle fréquente une école spéciale depuis l'âge de six ans et qu'elle est autonome. Son élocution est caractérisée par [TRADUCTION] "des sons inarticulés".
[7] Le rapport d'une psychologue clinicienne, Mme Chung, accompagné d'une lettre du Dr Gabriel Chung, a par la suite été soumis le 9 juillet 1995. Ce rapport concluait qu'au niveau de la maturité sociale Kar Yei avait 7,6 ans et un QI de 45. Le rapport recommandait qu'elle poursuive ses cours d'enseignement spécial et qu'elle soit peut-être placée dans un atelier protégé à la fin de ses études. Mme Chung notait que la famille de Kar Yei s'était engagée à fournir tout l'appui financier et social dont elle aurait besoin de façon à ne pas se prévaloir des soins donnés en institution.
[8] Le 10 août 1995, le requérant a été convoqué en entrevue à Détroit par une agente des visas. Celle-ci a déterminé que le requérant réunissait les conditions pour obtenir le droit d'établissement dans la catégorie des travailleurs autonomes. Le requérant exploite à Hong Kong une entreprise de fabrication qui exporte et vend des produits en Amérique du Nord. En 1994, ses ventes au Canada dépassaient 900 000 $CAN par mois. Il a une valeur nette personnelle de plus de 3 millions de dollars canadiens. Il a acheté une propriété en Colombie-Britannique avant de demander le droit d'établissement. L'agente des visas a conclu que le requérant avait exploité avec succès les entreprises dont il était propriétaire à Hong Kong et qu'il était en mesure d'établir au Canada une entreprise pouvant contribuer de manière significative à l'économie canadienne.
[9] L'agente des visas a aussi conclu que le requérant et son épouse étaient des parents exceptionnels au regard des soins et de l'engagement dont ils témoignaient envers leur fille. Celle-ci a d'excellents résultats en sport et en musique. Elle a participé aux Olympiques spéciales et y a gagné une médaille. Elle a participé à divers festivals de musique et de danse et y a gagné des prix. La lettre de l'avocat, datant du mois de décembre dernier, rédigée au nom de son client, déclare ceci :
[TRADUCTION] |
[...] il a les ressources qu'il faut pour assurer les meilleurs soins possibles à sa fille, à ses propres frais pour l'avenir. M. Wong est également disposé à établir un fonds en fiducie pour sa fille, dès maintenant, si on le lui demande. |
[10] Au moment de l'entrevue qui a eu lieu le 10 août 1995, la latitude dont disposait un agent des visas pour remettre en question une opinion exprimée par des médecins aux fins du paragraphe 19(1) n'était pas clairement définie. La décision Ismali c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-3430-94, 17 août 1995) venait à peine d'être rendue. Depuis, la décision dans Wan Chen Fei c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-741-96, 30 juin 1997) a été publiée. Cette dernière décision passe en revue la jurisprudence et conclut que l'agent des visas ne dispose pas du pouvoir général de revoir une décision prise aux fins du paragraphe 19(1) pour conclure à son caractère déraisonnable, mais que ce pouvoir de révision fait partie de la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire :
[...] l'avis médical valablement formé aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) lie l'agent des visas. Cependant, l'avis fondé sur une erreur de fait manifestement déraisonnable ou inconsistant, incohérent ou formé en contravention des principes de justice naturelle donne lieu à un excès de compétence. Un tel avis ne peut être réputé valable aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii). En acceptant un tel avis, l'agent des visas commettrait une erreur de droit, et sa décision serait susceptible de contrôle par la Cour, pour ce motif. Par ailleurs, il importe de souligner que présentement, rien n'empêche une personne touchée de demander le contrôle judiciaire de l'avis médical même. |
[11] En l'espèce, l'agente des visas a manifestement compris qu'elle avait la responsabilité de vérifier l'avis du médecin pour s'assurer qu'il ne contenait pas d'erreurs manifestes, comme l'indique la décision Wan Chen Fei. Toutefois, elle n'a pas jugé qu'il était de sa responsabilité d'examiner le fond de cette décision, soit pour ce qui a trait au diagnostic médical ou à l'avis selon lequel l'admission du requérant entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Elle n'a pas non plus jugé qu'il était de sa responsabilité d'envoyer aux médecins tous les renseignements qu'elle avait reçus concernant le requérant et les personnes à sa charge. Par exemple, en mars 1995, l'agente des visas a reçu par l'entremise de l'avocat du requérant une lettre du conseil scolaire de North York indiquant qu'il y avait rarement d'attente au niveau de l'inscription dans des classes d'enseignement spécial dans cette collectivité. C'est l'endroit où le requérant avait l'intention de s'établir. Cependant, la lettre n'a jamais été envoyée aux médecins.
[12] Un premier avis médical a été signé par les médecins employés par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (les Drs Beltran et Cooper) le 24 août 1995. Cet avis indique que Kar Yei n'est pas admissible au Canada pour des raisons médicales, parce que son admission risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Cette décision n'a pas été communiquée au requérant ni à son avocat. Il semble y avoir eu une lettre, en date du 4 décembre 1995, rédigée par l'agente des visas aux fins d'informer le requérant et son avocat de la décision du mois d'août, les invitant à y répondre en fournissant d'autres renseignements, s'ils le jugeaient approprié. Toutefois, il n'y a pas de copie signée de cette lettre dans le dossier de l'intimé et ni le requérant ni son avocat ne l'ont reçue.
[13] L'avocat du requérant a écrit le 13 octobre 1995 et de nouveau le 4 mars 1996 et le 23 mai 1996, pour exprimer son mécontentement quant au délai qu'il fallait pour traiter la demande du requérant. Finalement, le 3 juin 1996, il a déposé un avis de requête introductive d'instance au nom de son client en vue d'obtenir une ordonnance de mandamus pour exiger le traitement de cette demande.
[14] L'agente des visas à Détroit a été informée le 12 juin 1996, par le bureau d'Ottawa de Citoyenneté et Immigration Canada qu'un avis médical, signé le 28 mai 1996, était dans le système informatique. Le 28 mai 1996, le Dr Cooper ne travaillait plus pour le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, et l'avis médical avait été signé par les Drs Beltran et Bernstein.
[15] Le 14 juin 1996, l'agente des visas a envoyé une lettre à l'avocat du requérant l'informant de l'avis médical et du fait que d'autres renseignements médicaux pouvaient être déposés en réponse à cet avis en passant par le médecin désigné qui avait examiné initialement Kar Yei, c'est-à-dire le Dr Chung à Hong Kong. On donnait au requérant jusqu'au 15 août 1996 pour répondre.
[16] Le 28 juin 1996, l'agente des visas a reçu la copie de l'avis médical du 28 mai 1996 et elle l'a expédiée à l'avocat du requérant.
[17] L'avocat du requérant a fait valoir que son client ne pouvait respecter la date limite du 15 août 1996 pour répondre à la lettre du 14 juin 1996. L'avocat indiquait aussi qu'il était contraire à l'éthique pour lui de communiquer avec l'agente des visas étant donné qu'ils étaient maintenant engagés dans un litige (en raison de la demande de mandamus). Ce qui est plus important, dans la transmission par télécopieur du 14 août 1996, l'avocat signalait qu'il n'avait pas reçu les renseignements qu'il jugeait nécessaires pour répondre à l'avis. Il avait déjà demandé ces renseignements concernant : a) la période utilisée par les médecins pour donner leur avis (sur combien d'années avaient-ils fait porter leur évaluation); b) la question de savoir si les médecins évaluaient la demande en faisant référence à une moyenne pancanadienne ou par référence à l'endroit où le requérant avait l'intention de s'établir; c) le fondement sur lequel le coût des services avait été évalué; d) la question de savoir si les coûts étaient estimés par rapport à la situation particulière du requérant ou par rapport à une moyenne générale quelconque; e) la question de savoir si les coûts associés aux soins à domicile avaient été inclus dans l'analyse de la situation de la fille du requérant.
[18] Quoi qu'il en soit, l'agente des visas, n'ayant reçu aucun renseignement médical supplémentaire en réponse à la lettre du 14 juin 1996, a informé le requérant dans une lettre en date du 19 août 1996 que sa demande avait été refusée. Le requérant était donc informé que, de l'avis de deux médecins, le niveau de retard intellectuel de Kar Yei était tel qu'elle pouvait acquérir certaines connaissances, et qu'elle serait donc admissible aux services sociaux spéciaux dont elle aurait besoin, comme des services éducatifs spécialisés et une formation professionnelle, si le droit d'établissement lui était accordé. Comme ces services sont très en demande, que l'offre est plutôt limitée et leur coût élevé, son admission au Canada risquait donc d'entraîner un fardeau excessif.
[19] Bien que le fondement de cet avis donné avant que la décision soit prise n'ait pas été fourni, des renseignements s'y rapportant ont été communiqués pour les fins de la présente demande. Le Dr Bernstein explique ceci dans son affidavit :
[TRADUCTION] |
[...] Depuis quelques décennies, le principe généralement accepté au Canada vise à intégrer le plus possible les personnes ayant des déficiences à la société canadienne. Le Canada et les professionnels de la santé ont depuis longtemps manifesté leur engagement à l'égard de l'égalité, de la pleine participation et de l'intégration maximale, rejetant sans équivoque l'isolement et l'institutionnalisation des personnes qui souffrent de déficiences intellectuelles au profit de la vie en collectivité grâce à un système de soutien communautaire destiné à étayer les services sociaux. La déficience intellectuelle touche environ 3 % de la population, et les services sociaux qu'exige ce groupe et qui lui sont fournis varient considérablement. On peut inclure dans les services sociaux les soins dispensés aux bénéficiaires internes (comme les logements protégés et les centres d'accueil pour les personnes handicapées), des services communautaires (comme des programmes d'activités journalières pour adultes, des établissements de formation professionnelle et des possibilités d'emploi réservé) et des services à domicile (des auxiliaires familiales, des services de repas et de transport et des services de relève pour alléger la tâche des membres de la famille s'occupant des personnes ayant des déficiences intellectuelles). Il arrive souvent que ces services servent de complément ou de supplément aux soins fournis par la famille ou les amis et, dans certains cas, qu'ils les remplacent, dans le but de favoriser le plus possible l'autonomie personnelle et le développement individuel du déficient. |
26. Le financement de ces services est actuellement partagé entre les gouvernements fédéral et provinciaux, mais les services eux-mêmes sont souvent assurés par des organismes bénévoles qui reçoivent leur financement directement de sources provinciales (comme le ministère des Services sociaux et communautaires de l'Ontario). Toutefois, le gouvernement fédéral tend à délaisser les formules de partage des coûts directs en faveur d'un plan en vertu duquel les fonds seraient transférés en bloc du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux, laissant ainsi aux provinces l'obligation et la latitude de répartir les fonds entre les services d'éducation, sociaux et de santé. Dans leur administration et leur coordination des services sociaux aux déficients intellectuels, les provinces ont elles aussi largement reproduit cette tendance nationale à délaisser le placement en établissement en faveur du maintien, dans la mesure du possible, des enfants ou des adultes handicapés dans un environnement familial tout en favorisant en même temps le développement de services de soutien communautaires à l'extérieur de la maison et des programmes de formation professionnelle ayant pour but de favoriser l'intégration sociale et le plein développement du potentiel de travail des handicapés intellectuels. L'Ontario dépense à elle seule environ 846 millions de dollars par année pour offrir des services à 50 000 déficients intellectuels résidant dans cette province; ces chiffres reflètent le nombre de personnes qui bénéficient véritablement de ces services sociaux, et non pas du plus grand nombre de ces personnes dont le diagnostic indique qu'ils auraient besoin de ces services sociaux. Bien que les personnes qui "sont atteintes d'un handicap de développement" (au sens de la Loi sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement de 1974 ) aient le droit de se prévaloir de ces services, il n'y a pas de "garantie" que ces services leur seront assurés, étant donné que les compressions budgétaires ont exigé que l'accès aux services sociaux soit déterminé en fonction à la fois de la gravité du handicap et de la disponibilité du service. |
27. En évaluant l'état de la fille du requérant à la lumière des grands principes qui visent à laisser le déficient intellectuel dans son milieu familial, à faciliter son intégration dans la collectivité et à encourager son développement individuel maximum en lui offrant des possibilités de socialisation et de formation professionnelle, nous sommes d'avis que les services sociaux essentiels dont la fille du requérant auraient besoin sont les suivants : une éducation spéciale individualisée (y compris des services d'orthophonie) et un placement ultérieur dans un programme où elle pourrait acquérir une formation professionnelle et peut-être profiter de la possibilité d'obtenir un emploi "réservé", de même que des avantages de l'interaction et de la socialisation offerts dans ce milieu extérieur à la maison. À l'heure actuelle, les frais de ces services sociaux sur cinq ans sont d'environ 20 000 $ pour l'éducation spécialisée et de 25 000 $ pour le programme de placement professionnel . La fille du requérant pourrait également bénéficier d'autres services sociaux (à des frais additionnels), notamment des programmes de loisirs dans la collectivité conçus spécialement pour les déficients intellectuels, le maintien de son apprentissage pour parvenir à l'autonomie fonctionnelle dans sa vie quotidienne, des services de soutien pour le maintien en milieu familial ou la résidence dans un établissement de soins externes. |
(non souligné dans l'original)
[20] En contre-interrogatoire, le Dr Bernstein a expliqué que les médecins n'examinent pas vraiment les faits individuels d'une demande1; que les évaluations des coûts s'appliquent à l'échelle du Canada; que toutes les décisions sont fondées sur la possibilité que l'enfant fasse une demande de service, et non pas sur la disponibilité des services ou la probabilité que l'enfant ou sa famille se prévaudront de ces services2.
[21] Le Dr Bernstein indique que l'employabilité future de Kar Yei n'a pas été un facteur important dans l'évaluation3. C'est le coût des services sociaux dont, à son avis, elle aurait besoin, qui a compté. Les frais de placement professionnel ont été évalués à 5 000 $ par an et il faut vraisemblablement prévoir quelques années. Les frais d'éducation spéciale, évalués à 4 000 $ par an, seraient vraisemblablement engagés pour un an seulement, étant donné que Kar Yei avait déjà quinze ans à l'époque.
[22] L'avocate de l'intimé a résumé la norme qui a été appliquée comme étant une norme qui évalue si une personne est admissible aux services sociaux identifiés, et non pas une norme qui cherche à déterminer s'il est probable qu'elle se prévaudra de ces services. Le critère est une évaluation du coût des services auxquels elle est admissible. Comme il a déjà été noté, dans l'affidavit du Dr Bernstein, les coûts ont été ventilés en fonction d'un profil des coûts selon l'état de la personne, daté de mars 1996. Si les coûts envisagés sont supérieurs à la normale, alors on dit qu'il y aura un fardeau excessif. (Je suppose que des coûts supérieurs à la normale signifient des coûts supérieurs à ceux qui sont payés par le gouvernement pour une personne du même âge qui n'est pas atteinte du même problème de santé ou d'un trouble grave et permanent.) Par exemple, le Dr Bernstein déclare qu'un enfant qui a besoin de services d'éducation spéciale serait généralement considéré comme entraînant un fardeau excessif.
[23] J'aborde maintenant les questions soulevées par ces faits. Toutefois, j'indiquerai ceux qui ne sont pas contestés. Il n'y a pas de contestation quant au diagnostic médical concernant l'état de santé de Kar Yei. Elle souffre d'un retard intellectuel de léger à moyen, causé par le syndrome de Down. Il n'est pas contesté que son état n'entraînerait pas de fardeau excessif pour les services de santé. Elle est en aussi bonne santé que tout enfant normal.
[24] Les questions sont les suivantes : (1) le requérant a-t-il eu une possibilité raisonnable de répondre à l'évaluation concluant que l'admission de Kar Yei entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux (raisonnable au regard de l'avis qui lui a été donné quant au type de renseignements qui pourraient être déposés et par quel moyen; raisonnable au regard du fait qu'il a obtenu suffisamment de renseignements quant au fondement de la décision pour lui permettre de répondre de façon appropriée); (2) les médecins du ministère ont-ils commis une erreur en refusant de tenir compte de la situation particulière de Kar Yei; (3) l'avis selon lequel l'admission de Kar Yei entraînerait fardeau excessif pour les services sociaux est-il manifestement déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, il suffira de répondre aux deux premières questions.
[25] Pour ce qui a trait à la première question, l'avis du 14 juin 1996 invite le requérant à donner des renseignements médicaux supplémentaires seulement, et exige que ces renseignements soient fournis par le médecin de Hong Kong. Exiger d'un requérant qu'il fasse passer des renseignements qui permettront de déterminer si une invalidité est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens par un médecin de Hong Kong, qui n'a vraisemblablement pas beaucoup de connaissances sur ce sujet, est, à tout le moins, une procédure curieuse. Toutefois, ce qui est plus important, c'est que la lettre invite le requérant à fournir des renseignements médicaux seulement. La lettre qui a été envoyée semble être une lettre conçue pour la situation d'une personne dont le diagnostic médical est contesté. Ce n'est pas le cas en l'espèce. La lettre aurait dû préciser qu'on pouvait fournir des renseignements permettant de répondre à la partie de l'avis portant sur le fardeau excessif.
[26] Mais ce qui est encore plus important, c'est qu'on n'a pas communiqué au requérant des renseignements concernant le fondement sur lequel cet avis a été rendu. Le requérant et son avocat souhaitaient répondre à la conclusion selon laquelle l'admission de la fille du requérant au Canada entraînerait, en raison de son état de santé, un fardeau excessif pour les services sociaux. Pour être en mesure de le faire d'une façon logique et intelligente, ils devaient être informés des facteurs considérés comme pertinents. À mon avis, la non-communication des renseignements demandés constitue un manquement aux principes de justice naturelle et aux règles d'équité.
[27] Bien que ce manque d'information puisse mettre un décideur à l'abri des contestations de la décision qui a été prise, il n'est pas juste que la personne qui fait l'objet de cette décision en fasse les frais. Ce n'est pas non plus, d'un point de vue plus général et public, une bonne politique. La transparence mène en général à la prise de meilleures décisions. Elle a aussi généralement pour effet d'augmenter la confiance du public dans le processus décisionnel et à faciliter l'acceptation des décisions négatives. La transparence dans le processus décisionnel est un facteur important dans le contexte actuel où le respect témoigné aux fonctionnaires est en baisse et où la population a une attitude de plus en plus cynique envers ses députés (politiciens).
[28] En l'espèce, la non-communication des renseignements a eu pour effet qu'une question probablement pertinente n'a pas été examinée : à part les frais d'éducation jusqu'à l'âge de seize ans, ou peut-être de dix-neuf ans, les citoyens canadiens qui peuvent se le permettre sont-ils tenus de payer pour une partie ou la totalité des services sociaux qui ont été identifiés comme pertinents dans le cas de Kar Yei. Quand on a demandé au Dr Bernstein si la population pouvait recevoir les services gratuitement, il a répondu par l'affirmative. Toutefois, il ne connaissait pas la loi ontarienne pertinente. C'est compréhensible étant donné qu'il est médecin et non pas avocat. Le Dr Bernstein a fait référence à la Loi sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement de 1974. Cette loi, avec ses modifications, se trouve maintenant au chapitre 11 des L.R.O. 1990.
[29] Un examen de la Loi et du Règlement adopté sous son régime donnent l'impression que les résidents canadiens qui sont en mesure de le faire sont tenus de payer pour les services sociaux en question. L'article 31 de la Loi de 1974, par exemple, prévoit le paiement par le curateur public des frais nécessaires à la subsistance d'une personne incompétente dans un établissement de soins, à même l'actif de cette personne. Les articles 15 et 16 du Règlement sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement, R.R.O. 1990, nE 272, disposent que lorsqu'une demande d'admission dans un établissement ou de prestation de services est faite, le directeur ou l'administrateur, selon le cas, doit déterminer si la personne est admissible et si elle est en mesure de contribuer à une partie ou à la totalité des coûts qui en découleront . La mesure dans laquelle on s'attend que ces personnes paient pour les services, si elles peuvent le faire, est pertinente dans le contexte d'une opinion qui évalue le "fardeau excessif" par référence au coût pour les contribuables.
[30] Comme on l'a déjà noté, le requérant a été empêché de répondre d'une manière complète à l'avis indiquant que l'admission de sa fille entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada parce que les renseignements nécessaires à cette réponse ne lui ont pas été communiqués. Il y a donc eu manquement aux règles de justice naturelle ou de l'équité.
[31] Comme j'en arrive à cette conclusion, il n'est pas, à strictement parler, nécessaire d'analyser les autres questions soulevées par l'avocat. Toutefois, je note qu'en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii), c'est l'admission de la personne qui doit être évaluée pour déterminer si un fardeau excessif en découlera. D'après mon interprétation de cette disposition, il faut examiner la situation particulière de cette personne, y compris, en l'espèce, l'offre du requérant d'établir un fonds en fiducie.
[32] L'avocat de l'intimé fait valoir que les circonstances individuelles (particulièrement lorsqu'il s'agit de ressources financières au-dessus de la moyenne) ne doivent pas être prises en compte pour évaluer la non-admissibilité d'une personne pour des raisons médicales, parce que nos services médicaux et sociaux sont offerts en s'appuyant sur le principe que toutes les personnes ont également droit à ces services, et que certaines personnes ne peuvent bénéficier d'avantages plus grands dans ces domaines simplement parce qu'elles ont plus de moyens que d'autres. Cet argument a beaucoup de poids. Toutefois, la catégorie en vertu de laquelle la demande du requérant a été approuvée aux fins de la résidence permanente est la catégorie des travailleurs autonomes, c'est-à-dire qu'il a déjà été approuvé à cause de ses ressources financières et de son expérience comme entrepreneur. Il semble donc y avoir une incongruité entre le fait d'admettre une personne comme résidente permanente parce qu'elle a d'importantes ressources financières, mais de refuser de tenir compte de ces mêmes ressources pour évaluer l'admissibilité d'une personne à sa charge. Cela est d'autant plus vrai si les résidents canadiens eux-mêmes doivent payer pour les mêmes services sociaux s'ils ont les moyens de le faire.
[33] Comme je l'ai indiqué ci-dessus, je ne me propose pas de rechercher l'interprétation qu'il convient de donner au concept du "fardeau excessif" (excessive demands). La question de savoir si les frais seuls sont un critère suffisant, et si la disponibilité doit aussi être prise en compte, si le terme "excessif" doit être interprété comme exigeant que l'on atteigne un niveau qui aille au-delà d'un "montant supérieur à la normale" sont toutes des questions qui, à mon avis, ne sont pas nécessaires pour régler la présente demande.
[34] Par ces motifs, la demande est accueillie et la décision du 19 juin 1996 est infirmée. Étant donné que les deux avocats ont demandé la possibilité de formuler des observations quant à savoir s'il convient de faire certifier une question après le prononcé de mes motifs, une ordonnance définitive sera déposée plus tard.
[35] L'avocate de l'intimé aura donc quatorze jours après le prononcé de ces motifs pour décider si elle souhaite faire certifier une question et, dans l'affirmative, pour en déposer une version préliminaire en même temps que ses observations. Si la certification d'une ou de plusieurs questions est demandée, l'avocat du requérant pourra répondre par écrit dans les sept jours ou demander une conférence téléphonique pour régler cette question. Si une réponse est donnée par écrit, l'intimé aura alors sept jours pour y répliquer.
"B. Reed"
Juge
TORONTO (ONTARIO)
le 14 janvier 1998
Traduction certifiée conforme
François Blais, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-3366-96
INTITULÉ DE LA CAUSE : CHING SHIN HENRY WONG
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 NOVEMBRE 1997
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE REED
DATE : LE 14 JANVIER 1998
ONT COMPARU :
Cecil L. Rotenberg, c.r.
Mary Lam
pour le requérant
Marie-Louise Wcislo
pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Cecil L. Rotenberg, c.r.
Avocat et procureur
255 Duncan Mill Road
Bureau 808
Don Mills (Ontario)
M3B 3H9
pour le requérant
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour l'intimé
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19980114
Dossier nE : IMM-3366-96
Entre :
CHING SHIN HENRY WONG,
requérant,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
__________________1 Dossier supplémentaire de la demande du requérant, onglet 2, Q. 220.