Date : 19980818
Dossier : T-1948-95
ENTRE
HAROLD RUGGLES,
demandeur,
et
FORDING COAL LIMITED et JUDY PAULHUS, |
défenderesses,
ET ENTRE
FORDING COAL LIMITED,
demanderesse reconventionnelle
(défenderesse),
et
HAROLD RUGGLES,
défendeur reconventionnel
(demandeur).
MOTIFS DE L"ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON
[1] Les défenderesses ont présenté une requête pour rejet d"action fondée sur la règle 167 des Règles de la Cour fédérale (1998)1 (les nouvelles Règles) au motif que la poursuite de l"action par le demandeur accuse un retard injustifié. La règle 167 prévoit :
167. La Cour peut, sur requête d"une partie qui n"est pas en défaut aux termes des présentes règles, rejeter l"instance ou imposer toute autre sanction au motif que la poursuite de l"instance par le demandeur ou l"appelant accuse un retard injustifié. |
La déclaration introductive de la présente action a été déposée le 15 septembre 1995 et a été signifiée à l"avocate des défenderesses le 26 septembre 1995. La défense et demande reconventionnelle a été déposée et signifiée à l"avocat du demandeur le 25 octobre 1995. La réponse et défense reconventionnelle a été déposée le 30 octobre 1995 et signifiée à l"avocate des défenderesses et de la demanderesse reconventionnelle le 3 novembre 1995.
[2] L"avocate des défenderesses n"a eu aucune autre nouvelle du demandeur avant juillet 1997, alors qu"elle a reçu l"avis de l"intention du demandeur de poursuivre la présente action, conformément à l"ancienne règle 331A des Règles de la Cour fédérale2 (les anciennes Règles). Un avis de changement d"avocat a été déposé par le demandeur en août 1997. L"affidavit du demandeur a été déposé en janvier 1998 et signifié à l"avocate des défenderesses en mars 1998. L"affidavit des défenderesses a été déposé le 15 avril 1998 et signifié au demandeur le 16 avril 1998. Depuis cette date, l"avocat du demandeur a tenté de prendre les dispositions nécessaires pour procéder à l"interrogatoire préalable des défenderesses.
[3] En vertu des anciennes Règles, une demande semblable à celle dont la Cour est présentement saisie aurait été fondée sur le " défaut de poursuivre " en vertu de la règle 440. Le critère à appliquer pour déterminer ce que constitue le " défaut de poursuivre " prévu par cette règle a été décrit comme suit par le juge Dubé dans Nichols c. Canada et autres3 :
Le critère classique à appliquer pour résoudre cette question est triple. En premier lieu, le retard est-il excessif? En deuxième lieu, le retard est-il inexcusable? En troisième lieu, les défendeurs sont-ils susceptibles de subir un préjudice grave en raison de ce retard? |
Ce " critère classique " a été cité avec approbation par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd4.
[4] Dans La Bande indienne Hagwilget c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) et autres5, le protonotaire Hargrave a appliqué le " critère classique " et a écrit à la page 274 :
La décision de rejeter une action pour défaut de poursuivre ne doit pas être prise à la légère. C"est une mesure très sévère qui prive une partie de l"occasion de se faire entendre. Toutefois, dans tout litige, le demandeur a des obligations et le défendeur a des droits. L"une des obligations du |
demandeur est de poursuivre son action à un rythme raisonnable; le |
défendeur a le droit de s"attendre à ce que l"action soit jugée sans retard excessif , pour ne pas subir de préjudice en devenant incapable de présenter sa meilleure défense et, qu"il gagne ou qu"il perde, pour dissiper |
toute incertitude et avoir la possibilité de retourner à ses affaires dans un délai raisonnable. |
[Non souligné dans l"original.] |
Il faut remarquer que, dans le cadre d"une requête en rejet pour défaut de poursuivre présentée aux termes des anciennes Règles, le protonotaire Hargrave a, en appliquant le " critère classique ", adopté le concept du " retard injustifié " qui se trouve au coeur de la règle 167 des nouvelles Règles.
[5] À l"audition, l"avocat du demandeur a soutenu que le " critère classique " devait continuer de s"appliquer aux termes de la nouvelle règle 167 et que, à la lumière de ce critère, le retard occasionné n"était pas excessif, il était excusable compte tenu du fait que le demandeur a jugé nécessaire de changer d"avocat à deux reprises et qu"il a éprouvé de graves problèmes personnels, et aucune preuve n"indiquait que les défenderesses avaient subi un préjudice grave.
[6] L"avocate des défenderesses a prétendu que le concept de " retard injustifié " diffère grandement de celui du " défaut de poursuivre " et qu"en conséquence, le " critère classique " ne s"appliquait plus. Subsidiairement, elle a soutenu que si le " critère classique " était adopté, les faits de l"espèce indiquaient qu"il y a eu un retard excessif, qu"une excuse insuffisante a été invoquée pour justifier ce retard et que les défenderesses en subiraient un préjudice grave.
[7] Je suis convaincu que la règle 167 des nouvelles Règles, en adoptant l"expression " retard injustifié ", reflète le " critère classique ". Les termes " retard
injustifié " ressemblent aux termes " retard excessif ", mais ils impliquent, vu l"utilisation du mot " injustifié ", le concept de retard inexcusable causant un préjudice grave.
[8] L"application du " critère classique " aux faits de la présente affaire ne me convainc pas que l"existence d"un " retard injustifié " a été établie. Notamment, la preuve qui m"a été soumise ne démontre pas que les défenderesses subiraient un préjudice grave du fait du retard à poursuivre la présente affaire.
[9] J"adopte l"approche de la prépondérance des intérêts qui ressort de l"extrait précité des motifs du protonotaire Hargrave dans La bande indienne Hagwilget c . Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) pour conclure que la prépondérance des intérêts n"exige pas le rejet de l"action du demandeur en l"espèce.
[10] Ceci dit, la règle 167 des nouvelles Règles autorise expressément la Cour à " ...imposer toute autre sanction au motif que la poursuite de l"instance par le demandeur [...] accuse un retard injustifié ". Bien que je ne considère pas comme une autre sanction le fait d"exiger du demandeur qu"il présente une requête demandant que l"instance soit gérée à titre d"instance à gestion spéciale conformément à la règle 384 des nouvelles Règles, je considère toutefois qu"il s"agit là d"une condition liée à juste titre au rejet de la requête des défenderesses dans le but de faire en sorte qu"au moyen de la gestion de l"instance, une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible sera apportée au présent litige, maintenant ressuscité6. Comme condition du rejet de la requête des défenderesses, j"ordonne donc au demandeur de présenter une requête en vertu de la règle 384 dans un délai de dix jours à partir de la date de la présente ordonnance.
Frederick E. Gibson
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 18 août 1998.
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : T-1948-95
INTITULÉ DE LA CAUSE : Harold Ruggles c. Fording Coal Limited et Judy Paulhus
LIEU DE L"AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L"AUDIENCE : le 11 août 1998
MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON
EN DATE DU : 18 août 1998
COMPARUTIONS :
Benjamin Bullock POUR LE DEMANDEUR
Sarah Palmer Plunkett POUR LES DÉFENDERESSES
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Huckvale & Company
Lethbridge (Alberta) POUR LE DEMANDEUR
Burnet Duckworth & Palmer
Calgary (Alberta) POUR LES DÉFENDERESSES
__________________2 C.R.C. [1978], ch. 663 (et modifications).