Date : 20011220
Dossier : T-959-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1416
ENTRE :
MASTERFILE CORPORATION
(demanderesse)
et
WORLD INTERNETT CORPORATION, NIGEL MAYNE,
TAALWOOD INTERNET MARKETING, MARCIA WOODS,
INFOBASE MARKETING INC., DEVILLE PRODUCE LIMITED,
DON MILLS OPTOMETRIC CLINIC, CANADA HOUSE ENGLISH
LANGUAGE CENTRE INC., FUN TIME TRAVEL COMPANY LTD.
PARMAC RELATIONSHIP MARKETING LTD., CAMPKIN'S
CAMPING CENTRE INC., MANSOOR ELECTRIC LTD. SACCCO
SCHOOLS LTD., CARDINAL NANNIES & COMPANIONS INC.,
CHS PHARMACY LIMITED, DR. MACLEOD EYE CLINIC,
ENTERPRISE AIR INC., GEMINI GYMNASTICS, CONSOLIDATED
GRAPHICS CANADA LIMITED, NATIONAL GOLF PARTNERS INC.,
HEALTH POWER 2000, JACK RABBIT SLIMS BAR AND EATERY INC.,
ONTARIO MOTOR SALES LIMITED, PALM BEACH TANNING
STUDIOS INC., PETLEY-HARE LIMITED, TRAIN INC. et
WESTMOUNT CORPORATE CAR SERVICES
(défendeurs)
[1] Il s'agit d'une demande en vue de l'obtention d'un jugement sommaire à l'encontre de 17 défendeurs et d'un jugement par défaut à l'encontre de quatre défendeurs, cette demande étant fondée sur la présumée violation du droit d'auteur que possède la demanderesse à l'égard de cent quarante-neuf images qui ont été reproduites aux fins de la conception des sites Web des défendeurs.
Les parties
[2] La demanderesse, Masterfile Corporation (Masterfile), est une société canadienne dont le siège social est situé à Toronto. Il s'agit d'une firme d'archivage d'images qui, en tant que telle, s'occupe d'acquérir des droits exclusifs sur des images en vertu de contrats conclus avec différents genres d'artistes, notamment des illustrateurs et des photographes. Masterfile accorde ensuite des licences à l'égard des images à divers utilisateurs finaux, notamment des agences de publicité, des dessinateurs et des éditeurs. Les archives d'images de Masterfile sont mises à la disposition des licenciés éventuels au moyen de catalogues imprimés, de CD-ROM et d'un site Web. Une fois qu'un client a choisi une image, et avant toute reproduction de l'image, des frais de licence sont négociés.
[3] La défenderesse World Internett Corporation (Worldsites) est une société du Delaware qui exploite son entreprise au Canada sous le nom enregistré de Worldsites Networks. Elle exploite une entreprise de conception et d'hébergement de sites Web dont elle s'occupe directement et par l'entremise d'un réseau de franchisés. Worldsites et ses franchisés conçoivent des sites Web pour leurs clients respectifs et Worldsites héberge ensuite les sites Web sur son serveur Internet. Le défendeur individuel Nigel Mayne est président de Worldsites. La présente requête en jugement sommaire a été abandonnée à son égard et Worldsites ne s'y est pas opposée.
[4] La défenderesse Taalwood Internet Marketing (Taalwood) est 1199464 Ontario Inc. Elle s'occupe de la conception de sites Web pour ses clients. Taalwood a conclu un contrat de franchisage avec Worldsites le 28 septembre 1996. En vertu de ce contrat, les sites Web qu'elle conçoit pour ses clients seraient hébergés sur le serveur Internet de Worldsites. La défenderesse individuelle Marcia Woods (Mme Woods) est vice-présidente de Taalwood. La présente requête a été poursuivie à l'encontre de Taalwood et de Mme Woods. Leur avocate sera désignée comme étant « l'avocate des défenderesses » .
[5] Les autres défendeurs sont tous des clients de Taalwood. Taalwood a conçu à leur intention des sites Web sur lesquels figuraient des images de Masterfile, et leurs sites Web sont hébergés sur le serveur Internet de Worldsites. Les défendeurs ci-après désignés ont conclu un règlement avec la demanderesse et, dans la présente requête, aucune réparation n'est demandée à leur encontre : Mansoor Electronics Ltd., Consolidated Graphics Canada Limited et Ontario Motor Sales Limited. De plus, aucune réparation n'est demandée à l'encontre de Health Power 2000 et de Jack Rabbit Slims Bar and Eatery Inc. parce que ces entreprises n'ont pas reçu signification d'une façon régulière.
[6] Quatre défendeurs ne se sont pas défendus dans l'action principale et ne sont pas représentés dans le cadre de la présente requête. Par conséquent, un jugement par défaut est sollicité à leur encontre. Il s'agit de Dr Macleod Eye Clinic, de Train Inc., de Gemini Gymnastics et de Deville Produce Limited.
[7] Les autres défendeurs dans la présente requête, sauf Saccco Schools Ltd., sont représentés par l'avocate des défenderesses qui, comme il en a ci-dessus été fait mention, représente également Mme Woods et Taalwood. Saccco Schools Ltd. a retenu les services d'un avocat, mais elle lui a demandé de ne pas comparaître dans la présente requête et cet avocat a fait savoir que sa cliente adopterait les arguments présentés par l'avocate des défenderesses.
[8] Compte tenu des faits susmentionnés, un jugement par défaut est demandé à l'encontre des quatre défendeurs désignés au paragraphe 6 et un jugement sommaire est demandé à l'encontre des défendeurs ci-après désignés : World Internett Corporation, Taalwood Internet Marketing, Marcia Woods, Infobase Marketing Inc., Don Mills Optometric Clinic, Canada House English Language Centre Inc., Fun Time Travel Company Ltd., Parmac Relationship Marketing Ltd., Campkin's Camping Centre Inc., Saccco Schools Ltd., Cardinal Nannies & Companions Inc., CHS Pharmacy Limited, Enterprise Air Inc., National Golf Partners Inc., Palm Beach Tanning Studios Inc., Petley-Hare Limited et Westmount Corporate Car Services.
Les faits
[9] Taalwood admet avoir reproduit, sans être titulaire d'une licence, des images du CD-ROM de Masterfile lorsqu'elle concevait des sites Web pour ses clients. Le CD-ROM que Taalwood a utilisé renfermait 5 719 images de Masterfile. Lorsque le CD-ROM est inséré dans un ordinateur, une inscription qui est en partie ainsi libellée apparaît à l'écran : [TRADUCTION] « Toutes les images font l'objet d'un droit d'auteur © 1998 appartenant à Masterfile Corporation et aux artistes respectifs. » On informe le visualiseur que les images ne sont pas gratuites et on lui fait savoir que les images sont protégées par un droit d'auteur enregistré à Washington, D.C. On informe également le visualiseur que les images ne peuvent pas être reproduites à moins que des frais de licence ne soient payés.
[10] Mme Woods explique que le concepteur du site Web de Worldsites, Gary Kupecz, lui a dit que Worldsites avait pris les dispositions nécessaires et que les images figurant sur le CD-ROM de Masterfile pouvaient être utilisées par Taalwood. Par conséquent, au mois d'avril 1998, Taalwood a commencé à utiliser les images de Masterfile aux fins de la conception de ses sites Web. Il semble que Worldsites ait commencé à utiliser ces images au mois de février de cette année-là.
[11] Le 13 juin 1999, Masterfile a découvert que Worldsites utilisait certaines images sans autorisation. Le 13 juillet, elle a appelé Taalwood pour se plaindre et on l'a renvoyée à Worldsites. Par la suite, un employé de Masterfile a laissé sur la boîte vocale de Worldsites un message dans lequel il était fait mention des préoccupations de Masterfile et dans lequel on demandait le retrait des images. Mme Woods a été mise au courant de la plainte, mais lorsqu'elle a appelé Worldsites, le vice-président, Brian McDonald, lui a assuré à deux reprises que Taalwood pouvait à bon droit utiliser les images de Masterfile. La preuve présentée par Mme Woods au sujet du fait qu'elle croyait avoir le droit d'utiliser les images de Masterfile n'est pas contestée étant donné que Worldsites et M. Kubecz n'ont pas déposé d'affidavits.
[12] Étant donné que Worldsites n'avait pas tenu compte du message laissé par Masterfile sur sa boîte vocale le 13 juillet 1999, un autre message a été laissé le 28 septembre 1999. Worldsites n'a pas tenu compte de ce nouveau message. Enfin, le 1er octobre 1999, Masterfile s'est plainte par écrit à Worldsites.
[13] En fin de compte, Worldsites a admis à Masterfile qu'elle avait commencé à reproduire les images au mois de février 1998. Masterfile a ensuite envoyé à Worldsites trois factures datées du 21 octobre 1999. Le montant total exigé s'élevait à 18 200,70 $ et se rapportait à vingt et une images utilisées sur les sites Web Worldsites.net et Couriersource.com. Aucune de ces factures n'a été acquittée.
[14] Au mois de mars 2000, Masterfile a découvert que d'autres images non visées par une licence étaient utilisées sur des sites Web conçus par Taalwood et hébergés par Worldsites. Taalwood admet qu'elle a continué à reproduire les images de Masterfile après que cette dernière se fût initialement plainte à Worldsites le 13 juillet 1999.
[15] En fin de compte, en se fondant sur un tableau d'utilisation fourni par Taalwood et sur son tarif, Masterfile a conclu que Taalwood lui devait 95 175 $ pour les images qu'elle avait reproduites sans détenir de licence. D'autre part, selon les calculs effectués par Taalwood, le montant dû s'élevait à 91 570 $.
Les points litigieux
[16] Compte tenu de ces faits, il faut examiner les questions ci-après énoncées :
1. Masterfile a-t-elle qualité pour intenter la présente action? La réponse dépendra de la question de savoir si elle est titulaire d'une licence exclusive ou uniquement un agent exclusif ainsi que de l'effet de la présumée cession du droit d'auteur qu'elle a obtenue de nombreux artistes.
2. Existe-t-il un droit d'auteur sur les oeuvres? Étant donné qu'aucune preuve de l'existence d'un droit d'auteur n'a été présentée par les artistes qui sont propriétaires des images, Masterfile peut-elle se fonder sur la présomption d'existence d'un droit d'auteur établie dans la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, dans sa forme modifiée (la Loi)?
3. La Cour fédérale a-t-elle compétence? La réponse dépendra de la question de savoir si Masterfile est une société de gestion au sens de la Loi.
4. Les frais exigés par Masterfile sont-ils justifiés? La réponse dépendra de la question de savoir si Masterfile a le droit d'exiger des frais pour les images en se fondant sur le tarif applicable aux images de grande qualité même si Taalwood a reproduit et utilisé uniquement des versions inférieures. Le caractère légitime des frais exigés par Masterfile dépendra également de la question de savoir si Masterfile peut exiger les montants prévus dans son tarif.
5. Mme Woods est-elle personnellement responsable?
6. Les défendeurs sont-ils conjointement et solidairement responsables?
7. Quel est le quantum des dommages-intérêts et des dommages-intérêts exemplaires devraient-ils être accordés?
Première question -- Qualité pour agir
[17] Masterfile affirme que les contrats qu'elle a conclus ont toujours fait d'elle un titulaire de licence exclusive des cent quarante-neuf images en question et qu'elle se fonde sur les modifications apportées à la Loi en 1977, lesquelles permettent aux titulaires de licence exclusive d'engager des poursuites en leur propre nom sans ajouter le titulaire du droit d'auteur comme partie. Masterfile se fonde également sur les présumées cessions de droits d'auteurs effectuées dans les contrats qu'elle a conclus avec quarante-quatre des quarante-neuf artistes dont les images sont en cause[1].
[18] Masterfile affirme qu'elle seule est autorisée à reproduire une image qui fait l'objet d'un contrat et que cela démontre qu'elle est titulaire d'une licence exclusive. Masterfile dit en outre qu'elle est titulaire d'une licence exclusive parce que ses contrats lui permettent d'accorder des licences exclusives à l'égard des images. Elle fait remarquer que ses contrats stipulent que les artistes ne doivent pas reproduire l'image ou faire des images similaires pendant la durée des contrats et elle dit que cela démontre encore une fois qu'elle est titulaire d'une licence exclusive.
[19] L'avocate des défenderesses soutient que les contrats en question désignent uniquement Masterfile à titre d'agent exclusif. Elle affirme que les contrats n'accordent pas à Masterfile une licence exclusive et que les présumées cessions invoquées par Masterfile ne sont pas valides au Canada. Elle affirme également que Masterfile n'a pas vraiment le droit de reproduire les images et qu'elle accorde les licences à titre d'agent. Enfin, elle soutient que le fait que les artistes ont convenu de ne pas reproduire les images n'a rien à voir avec une licence exclusive accordée à Masterfile. Cela protège plutôt la valeur des images qui sont visées par les licences exclusives accordées aux utilisateurs finaux.
[20] Cinq contrats que Masterfile a conclus avec divers artistes ont été examinés par rapport à ces arguments. Il s'agit des contrats suivants : un protocole d'entente daté du 19 avril 1985 conclu entre Masterfile et Daryl Benson (le premier contrat); un protocole d'entente daté du 1er septembre 1988 conclu entre Masterfile et Wilhelm Schmidt (le deuxième contrat); un protocole d'entente daté du 1er juillet 1989 conclu entre Masterfile Corporation et Bruce Rowell (le troisième contrat); un protocole d'entente daté du 1er mai 1994 conclu entre Masterfile et Paul Chen (le quatrième contrat); et un protocole d'entente daté du 1er juin 1999 conclu entre Masterfile et Bruce Rowell (le cinquième contrat).
[21] Dans le premier contrat, l'artiste désigne Masterfile à titre d'unique agent exclusif au monde à l'égard de la vente de toutes les images définies et de l'octroi de licences y afférentes. La disposition 2.02 du premier contrat montre clairement que, dans l'avenir, le photographe signera toutes les cessions ou licences de droit d'auteur nécessaires en vue de donner effet à une vente ou à une licence concernant une image. L'avocate des défenderesses affirme que, si Masterfile devait être titulaire d'une licence exclusive, le premier contrat le stipulerait et qu'il ne serait pas nécessaire que le photographe soit en cause dans les cessions futures du droit d'auteur.
[22] L'avocate des défenderesses mentionne également la disposition 4.03 du premier contrat. Masterfile se fonde sur son droit exclusif de reproduire les images comme preuve de sa qualité de titulaire de licence, mais l'avocate des défenderesses fait remarquer que la disposition 1.01a) stipule que les reproductions que Masterfile fait doivent pouvoir être clairement distinguées des images originales. L'avocate des défenderesses soutient qu'étant donné qu'aucune licence n'est nécessaire pour créer une image distinguable, le droit de Masterfile de reproduire une image distinguable n'étaye pas la conclusion selon laquelle Masterfile est titulaire d'une licence exclusive.
[23] En outre, la disposition 5.01 du premier contrat montre clairement que c'est l'artiste plutôt que Masterfile qui conserve tout droit d'auteur actuel et futur.
[24] La disposition 7.03 du premier contrat traite des litiges et stipule notamment ce qui suit :
[Traduction] Le photographe autorise Masterfile à présenter des demandes et à prendre toute mesure qu'elle juge nécessaire si le matériel est endommagé, détruit ou perdu, ou si un tiers utilise sans autorisation les images de l'agence. Tous les montants recouvrés par Masterfile à la suite d'une demande ou d'une mesure sont partagés également entre le photographe et Masterfile [...]
[25] Il ressort de cette disposition que l'artiste convient que Masterfile doit plaider seule l'utilisation non autorisée d'une image, mais à mon avis, étant donné que l'artiste conserve le droit d'auteur, cette disposition ne suffit pas pour désigner Masterfile à titre de titulaire d'une licence exclusive du droit d'auteur que l'artiste possède sur l'image.
[26] Le deuxième contrat désigne également Masterfile à titre d'agent de l'artiste et l'autorise à faire des reproductions distinguables des images. De plus, en vertu de la disposition 5.01, l'artiste déclare être l'unique titulaire du droit d'auteur sur les images. Encore une fois, Masterfile peut plaider l'utilisation non autorisée, mais il n'existe aucune disposition prévoyant la cession d'un droit d'auteur à l'égard de pareil litige et il n'est aucunement mentionné que Masterfile est titulaire d'une licence exclusive. Je conclus donc que ce contrat n'accorde pas à Masterfile une licence exclusive.
[27] Les dispositions pertinentes du troisième contrat sont semblables à celles qui figurent dans les premier et deuxième contrats et la conclusion que je tire au sujet du statut de Masterfile est la même.
[28] Selon la disposition 2.01a) du quatrième contrat, l'artiste garantit qu'il est l'unique titulaire et le titulaire exclusif du droit d'auteur. Selon la disposition 3.05a), l'artiste convient que le droit d'auteur peut être transmis à Masterfile si celle-ci présente une demande en vertu de la disposition 7.04. Cette disposition autorise Masterfile à présenter des demandes par suite de l'utilisation non autorisée d'images.
[29] Le deuxième paragraphe de la disposition 7.04 est la première version de la clause de cession présumée de Masterfile. Il est ainsi libellé : [Traduction] « La disposition 7.04 est réputée avoir pour effet de céder le droit d'auteur dans la mesure où pareille cession est nécessaire dans un ressort en vue de permettre à Masterfile de présenter des demandes pour le compte de M. Chen [l'artiste]. »
[30] La lecture combinée des dispositions 3.05a) et 7.04 montre que, dans l'avenir, deux événements peuvent se produire. En premier lieu, le droit d'auteur peut de fait être transmis à Masterfile. En second lieu, il est possible que le droit d'auteur soit réputé avoir été cédé, de façon que Masterfile puisse engager des poursuites au nom de l'artiste. À mon avis, cela laisse clairement entendre que l'artiste n'est pas partie au litige dans lequel Masterfile est en cause. Si Masterfile n'engage pas de poursuites, l'artiste conserve le droit d'auteur. Si Masterfile engage des poursuites, la présumée cession prend uniquement effet dans les ressorts où, en l'absence d'une cession, l'artiste devrait être partie à l'action.
[31] Masterfile soutient qu'étant donné qu'elle est titulaire d'une licence exclusive accordée par l'artiste, elle n'a pas à se fonder sur la présumée cession. Elle soutient subsidiairement que, si elle n'est pas titulaire d'une licence exclusive, la présumée cession lui confère la qualité nécessaire pour engager des poursuites par suite de la violation d'un droit d'auteur sans que l'artiste soit partie au litige.
[32] J'ai conclu qu'en vertu du quatrième contrat, Masterfile n'est pas devenue titulaire d'une licence exclusive. Il faut donc examiner la question de la validité de la présumée cession. Nous le ferons dans le contexte du cinquième contrat.
[33] Le cinquième contrat est un nouveau type de contrat que Masterfile a commencé, au mois de juin 1999, à faire signer aux artistes avec qui elle traitait déjà ainsi qu'aux nouveaux artistes. Toutefois, quarante-quatre seulement des quarante-neuf artistes dont les images sont en cause en l'espèce ont accordé à Masterfile une présumée cession de leur droit d'auteur. Certains des quarante-quatre artistes ont uniquement effectué la présumée cession après que Worldsites et Taalwood eurent commencé à reproduire les images. De plus, les contrats conclus avec Masterfile par les cinq artistes ci-après désignés n'ont jamais renfermé de clauses relatives à la présumée cession du droit d'auteur :
Paul Terpanjian
Larry Williams
Kerry Hayes
Bill Brooks
Wilhelm Schmidt
[34] Dans la troisième disposition du cinquième contrat, Masterfile est désignée à titre d'agent et non à titre de titulaire d'une licence. Dans la quatrième disposition, Masterfile reconnaît que l'artiste continue à être le titulaire exclusif du droit d'auteur. Toutefois, l'artiste convient qu'à une date future, il cédera son droit d'auteur à Masterfile dans certaines circonstances, notamment en cas de litige. Selon la disposition 4.5, Masterfile est autorisée à signer au nom de l'artiste tout document nécessaire pour assurer et confirmer le droit d'auteur de Masterfile.
[35] La clause de cession figurant dans le cinquième contrat est ainsi libellée :
[Traduction] Masterfile convient et reconnaît que le droit d'auteur sur toutes les images appartient et continuera à appartenir exclusivement à l'artiste. L'artiste qui reconnaît ce droit de propriété irrévocable, accepte de céder à Masterfile le droit d'auteur qu'il possède sur les images du fichier dans les cas suivants :
4.1 lorsque Masterfile présente une demande conformément à l'article 13.5;
4.2 l'artiste autorise Masterfile à faire enregistrer à sa seule discrétion au nom de Masterfile le droit d'auteur afférent à une image du fichier dans tout ressort où Masterfile conclut que pareil enregistrement lui permettra d'exercer d'une façon plus efficace les droits qu'elle possède en ce qui concerne la reproduction ou la vente d'une image du fichier, ou l'octroi d'une licence y afférente, et de protéger d'une façon plus efficace les intérêts des parties;
4.3 Masterfile fera enregistrer aux États-Unis un droit d'auteur à l'égard de toute image du fichier figurant dans son matériel de promotion. Cet enregistrement autorise Masterfile à poursuivre les personnes qui violent un droit d'auteur en vue d'obtenir des « dommages-intérêts légaux » aux États-Unis;
4.4 le droit d'auteur sur une image du fichier ainsi cédé ou enregistré reviendra immédiatement et automatiquement à l'artiste au moment où le dernier en date des événements suivants se produira :
4.4.1 au moment de la résiliation de la présente entente; ou
4.4.2 à l'expiration de toute période de reconduction de la présente entente en ce qui concerne des images précises du fichier.
4.5 l'artiste et Masterfile signeront et remettront tout document additionnel qui peut raisonnablement être nécessaire en vue d'assurer et de confirmer le droit d'auteur que possède Masterfile sur les images du fichier et la cession subséquente de ce droit d'auteur en faveur de l'artiste. Pour faciliter la signature et la remise du document, l'artiste désigne par les présentes Masterfile à titre de fondé de pouvoir de fait en vue de signer et de remettre tout document en son nom.
[Non souligné dans l'original]
[36] La disposition 13.5 du cinquième contrat renferme la présumée cession du droit d'auteur. Elle est ainsi libellée :
[Traduction]
13.5 Malgré l'article 7.6 [concernant une perte ou un dommage subi par Masterfile], l'artiste autorise pleinement Masterfile à présenter toute demande et à prendre toute mesure qu'elle juge nécessaires par suite de la perte ou de l'endommagement de matériel ou de l'utilisation non autorisée d'une image du fichier par un tiers.
13.5.1 Tous les montants recouvrés par Masterfile à la suite d'une demande seront partagés et payés conformément à l'article 13.2, déduction faite des frais de recouvrement, des frais de justice et des autres frais raisonnables, engagés par Masterfile à cet égard. Si pareils frais dans leur ensemble excèdent le montant total recouvré, ou si aucun montant n'est recouvré, seule Masterfile sera tenue responsable du paiement des frais excédentaires. Aucune disposition des présentes n'empêche l'artiste de présenter une demande si Masterfile refuse de le faire, auquel cas Masterfile n'aurait pas le droit de partager les montants recouvrés par l'artiste à la suite de pareilles demandes.
13.5.2 Le présent article 13.5 est réputé donner lieu à une cession du droit d'auteur dans la mesure où pareille cession est nécessaire dans un ressort en vue de permettre à Masterfile de poursuivre une demande pour le compte de l'artiste.
[37] La présumée cession prévue dans la disposition 13.5.2 pose un problème : en effet, cette disposition contredit les dispositions 4.1 et 4.5, qui laissent entendre que, lorsque des poursuites sont engagées en vertu de la disposition 13.5 dans un ressort où une cession doit être signée, il doit y avoir cession réelle plutôt qu'une cession réputée du droit d'auteur.
[38] Compte tenu du cinquième contrat, je conclus encore une fois que Masterfile n'est pas titulaire d'une licence exclusive. En outre, même si elle pouvait obtenir une cession réelle du droit d'auteur afin d'engager des poursuites sans que l'artiste soit partie au litige, et même si elle pouvait signer pareille cession elle-même, Masterfile ne l'a pas fait conformément à la disposition 4.5.
[39] L'avocate des défenderesses soutient que les présumées cessions figurant dans les quatrième et cinquième contrats ne sont pas reconnues par le paragraphe 13(4) de la Loi, qui est ainsi libellé :
(4) Cession et licences -- Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé.
[Non souligné dans l'original]
[40] Compte tenu de cette disposition, je retiens l'argument de l'avocate des défenderesses selon lequel les présumées cessions en faveur de Masterfile ne sont pas valides en droit canadien. Le paragraphe 13(4) de la Loi donne aux titulaires d'un droit d'auteur une latitude considérable en ce qui concerne la cession de leurs droits, mais il ne prévoit pas des cessions qui peuvent prendre effet à une date ultérieure. Les cessions peuvent être assujetties à diverses restrictions, mais à mon avis, il doit exister une certaine certitude. Au minimum, la cession doit de fait avoir lieu et elle doit être signée.
[41] Enfin, je tiens à faire remarquer que l'alinéa 3.05d) du quatrième contrat et la disposition 4.5 du cinquième contrat traitent expressément de la possibilité d'une cession écrite expresse en cas de litige futur. Or, dans ce cas-ci, aucun artiste n'a effectué une cession de ce genre.
[42] Puisque j'ai conclu que Masterfile n'est pas titulaire d'une licence exclusive et qu'elle n'a pas obtenu de droit d'auteur sur les images ici en cause, je conclus en outre que Masterfile n'a pas qualité pour intenter la présente action. Par conséquent, la requête en jugement sommaire ici en cause est rejetée.
[43] Il aurait été logique de rejeter l'action de la demanderesse compte tenu de la conclusion selon laquelle la demanderesse n'a pas qualité pour agir, mais je ne suis pas convaincue que j'ai compétence pour accorder cette réparation en l'absence d'une requête en jugement sommaire présentée par un défendeur conformément aux paragraphes 2(3)(2) des Règles de la Cour fédérale.
Conclusions additionnelles
[44] Dans l'espoir que ces remarques puissent restreindre la portée des questions en litige ou faciliter un règlement, je tirerai les brèves conclusions ci-après énoncées, à titre de remarques incidentes, en ce qui concerne les autres questions qui se posent en l'espèce :
Deuxième question
[45] En ce qui concerne l'applicabilité de la présomption relative à l'existence d'un droit d'auteur fondée sur le paragraphe 34.1(2) de la Loi, j'aurais conclu que l'avis relatif à l'existence d'un droit d'auteur[2] figurant sur le CD-ROM de Masterfile ne permettait pas à cette dernière de se prévaloir de la présomption en question parce qu'il n'indiquait pas les noms des artistes. En outre, je n'aurais pas souscris à l'argument de la demanderesse selon lequel l'alinéa 34.1(1)a) de la Loi s'applique. À mon avis, une fois que le droit d'auteur est contesté pour défaut d'enregistrement, comme c'était ici le cas, il faut satisfaire aux exigences du paragraphe 34.1(2) de la Loi.
Troisième question
[46] J'ai reconnu que Masterfile exploite une entreprise à but lucratif dans un environnement concurrentiel et qu'elle offre des services de promotion, mais j'aurais renvoyé cette question à l'instruction parce que je ne disposais d'aucun élément de preuve au sujet du fonctionnement des sociétés de gestion au Canada.
Quatrième question
[47] À mon avis, la présentation des images de Masterfile utilisée par les défendeurs était différente de celle des images qui étaient mises en vente. Masterfile et les artistes que celle-ci représentait ne mettaient en vente que des images distinctives de grande qualité. Ils ne devraient pas être pénalisés parce que les défendeurs ont illégalement utilisé des versions d'une qualité inférieure. De plus, on aurait ordonné aux défendeurs de dédommager Masterfile conformément à son tarif. Compte tenu de la violation, les défendeurs ne peuvent pas maintenant bénéficier des prix négociés qu'ils auraient pu obtenir s'ils avaient demandé des licences en vue d'utiliser les images.
Cinquième question
[48] J'aurais conclu que Mme Woods n'est pas personnellement responsable, et ce, pour le motif qu'elle n'était pas indifférente à la question de la violation.
Sixième question
[49] Worldsites aurait été responsable des violations auxquelles elle s'était livrée ainsi que des violations commises par Taalwood. De son côté, Taalwood aurait été responsable de toutes les violations auxquelles elle s'est livrée mais non des violations commises par Worldsites. Enfin, les clients de Worldsites et de Taalwood auraient uniquement été responsables des frais liés aux images utilisées sur leurs sites Web individuels.
Septième question
[50] Même si les présumées cessions avaient été valides et avaient conféré à Masterfile qualité pour agir, il n'y avait pas eu cession en ce qui concerne soixante-six des cent quarante-neuf images lorsque les violations ont commencé, au début de l'année 1998. Par conséquent, la question de savoir si des frais pouvaient être réclamés par suite des violations qui avaient été commises avant la date des présumées cessions aurait été renvoyée à l'instruction. Enfin, des dommages-intérêts exemplaires auraient été accordés à l'encontre de Worldsites, mais non à l'encontre des autres défendeurs.
« Sandra J. Simpson »
Juge
Toronto (Ontario)
Le 20 décembre 2001
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : T-959-00
INTITULÉ : MASTERFILE CORPORATION
(demanderesse)
et
WORLD INTERNETT CORPORATION, NIGEL MAYNE, TAALWOOD INTERNET MARKETING, MARCIA WOODS, INFOBASE MARKETING INC., DEVILLE PRODUCE LIMITED, DON MILLS OPTOMETRIC CLINIC, CANADA HOUSE ENGLISH LANGUAGE CENTRE INC., FUN TIME TRAVEL COMPANY LTD., PARMAC RELATIONSHIP MARKETING LTD., CAMPKIN'S CAMPING CENTRE INC., MANSOOR ELECTRIC LTD. SACCCO SCHOOLS LTD., CARDINAL NANNIES & COMPANIONS INC., CHS PHARMACY LIMITED, DR. MACLEOD EYE CLINIC, ENTERPRISE AIR INC., GEMINI GYMNASTICS, CONSOLIDATED GRAPHICS CANADA LIMITED, NATIONAL GOLF PARTNERS INC., HEALTH POWER 2000, JACK RABBIT SLIMS BAR AND EATERY INC., ONTARIO MOTOR SALES LIMITED, PALM BEACH TANNING STUDIOS INC., PETLEY-HARE LIMITED, TRAIN INC. et WESTMOUNT CORPORATE CAR SERVICES
(défendeurs)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 15 MAI 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE SIMPSON
DATE DES MOTIFS : LE JEUDI 20 DÉCEMBRE 2001
COMPARUTIONS :
R. Adam Bobker POUR LA DEMANDERESSE
May Cheng POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Bereskin & Parr POUR LA DEMANDERESSE
Avocats
Agents de brevets et de marques de commerce
40, rue King ouest, C.P. 401
Toronto (Ontario)
M5H 3Y2
Fasken Martineau Dumoulin POUR LES DÉFENDERESSES
Tour TD Bank, bureau 4200 (Taalwood)
Toronto, Ontario
M5K 1N6
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 2001220
Dossier : T-959-00
ENTRE :
MASTERFILE CORPORATION
(demanderesse)
et
WORLD INTERNETT CORPORATION, NIGEL MAYNE, TAALWOOD INTERNET MARKETING, MARCIA WOODS, INFOBASE MARKETING INC., DEVILLE PRODUCE LIMITED, DON MILLS OPTOMETRIC CLINIC, CANADA HOUSE ENGLISH LANGUAGE CENTRE INC., FUN TIME TRAVEL COMPANY LTD., PARMAC RELATIONSHIP MARKETING LTD., CAMPKIN'S CAMPING CENTRE INC., MANSOOR ELECTRIC LTD. SACCCO SCHOOLS LTD., CARDINAL NANNIES & COMPANIONS INC., CHS PHARMACY LIMITED, DR. MACLEOD EYE CLINIC, ENTERPRISE AIR INC., GEMINI GYMNASTICS, CONSOLIDATED GRAPHICS CANADA LIMITED, NATIONAL GOLF PARTNERS INC., HEALTH POWER 2000, JACK RABBIT SLIMS BAR AND EATERY INC., ONTARIO MOTOR SALES LIMITED, PALM BEACH TANNING STUDIOS INC., PETLEY-HARE LIMITED, TRAIN INC. et WESTMOUNT CORPORATE CAR SERVICES
(défendeurs)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Date : 20011220
Dossier : T-959-00
Toronto (Ontario), le jeudi 20 décembre 2001
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SIMPSON
ENTRE :
MASTERFILE CORPORATION
(demanderesse)
et
WORLD INTERNETT CORPORATION, NIGEL MAYNE,
TAALWOOD INTERNET MARKETING, MARCIA WOODS,
INFOBASE MARKETING INC., DEVILLE PRODUCE LIMITED,
DON MILLS OPTOMETRIC CLINIC, CANADA HOUSE ENGLISH
LANGUAGE CENTRE INC., FUN TIME TRAVEL COMPANY LTD.
PARMAC RELATIONSHIP MARKETING LTD., CAMPKIN'S
CAMPING CENTRE INC., MANSOOR ELECTRIC LTD. SACCCO
SCHOOLS LTD., CARDINAL NANNIES & COMPANIONS INC.,
CHS PHARMACY LIMITED, DR. MACLEOD EYE CLINIC,
ENTERPRISE AIR INC., GEMINI GYMNASTICS, CONSOLIDATED
GRAPHICS CANADA LIMITED, NATIONAL GOLF PARTNERS INC.,
HEALTH POWER 2000, JACK RABBIT SLIMS BAR AND EATERY INC.,
ONTARIO MOTOR SALES LIMITED, PALM BEACH TANNING
STUDIOS INC., PETLEY-HARE LIMITED, TRAIN INC. et
WESTMOUNT CORPORATE CAR SERVICES
(défendeurs)
ORDONNANCE
La demanderesse ayant présenté une requête en vue d'obtenir un jugement par défaut ou un jugement sommaire;
L'avocat de la demanderesse et l'avocate de certains défendeurs ayant été entendus à Toronto les 15 et 16 mai 2001;
La décision ayant été reportée de façon à permettre un examen plus approfondi de l'affaire;
LA COUR ORDONNE :
Pour les motifs prononcés en ce jour, la requête présentée par la demanderesse est rejetée.
« Sandra J. Simpson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
[1] Dix-sept images ne sont pas visées par les présumées cessions. Les numéros de code d'image de Masterfile s'y rapportant sont les numéros 21-01171, 22-00640, 19-00465, 20-00235, 22-00118, 19-00510, 19-00579, 20-00271, 22-00450, 22-00987, 20-00275, 20-00537, 21-01022, 19-00625, 21-00573, 21-00998 et 20-00212.
[2] Onglet 13 du recueil utilisé dans la présente requête.